Mercredi 16 octobre 2013

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Audition de M. Emmanuel Hoog, président-directeur général de l'Agence France-Presse (AFP)

La commission auditionne M. Emmanuel Hoog, président-directeur général de l'Agence France-Presse.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui M. Emmanuel Hoog, président-directeur général de l'Agence France-Presse (AFP) qui s'est vu reconduit dans ses fonctions au mois d'avril pour un mandat de trois ans. Il vient aujourd'hui nous exposer ses projets, ses ambitions, sa stratégie.

M. Emmanuel Hoog, président-directeur général de l'Agence France-Presse. - Je vais vous présenter l'état des lieux et faire un point d'actualité sur l'AFP puis je répondrai à vos questions.

L'AFP, en quelques chiffres, est un réseau d'information unique au monde qui appartient au trio de tête des agences de presse, en termes d'excellence, de performances commerciales et de couverture éditoriale. L'Agence représente 200 bureaux dans 150 pays. Après Associated Press et Reuters, un quatrième concurrent, « Chine nouvelle », est entré sur le marché avec de grandes ambitions : la Chine veut faire de son agence de presse nationale un vecteur fort de sa stratégie à venir.

L'AFP produit des textes, des photographies, de la vidéo et des infographies. Quelque 1 500 journalistes transmettent l'information 24h/24 et 2 300 collaborateurs de 80 nationalités différentes couvrent l'actualité du monde entier. Ils travaillent pour plus de 4 000 clients en 6 langues.

L'AFP diffuse plus précisément 3 200 dépêches, 3 000 photographies, 150 infographies et 200 vidéo par jour. Ces chiffres demeurent à peu près stables hormis pour la vidéo : en 3 ans, le nombre de vidéo a été multiplié par 10.

La répartition en chiffre d'affaires est la suivante : 61 % pour le texte, 26 % pour la photographie, 4 % pour la vidéo, 2 % pour l'infographie et 7 % pour le journal Internet pour un chiffre d'affaires total de 290 millions d'euros. 30 millions d'euros d'investissement permettent de préparer l'avenir avec, en particulier, la mise en place d'un nouvel outil rédactionnel multimédia.

La répartition du chiffre d'affaires dans le monde correspond à 46 % en France, 24 % en Europe, 12 % en Asie, 6 % en Amérique du Nord et au Moyen-Orient et 3 % en Amérique du Sud et en Afrique. L'AFP est la première agence de presse dans le monde arabe. C'est aussi la seule agence à disposer encore d'une équipe permanente à Damas.

Son réseau mondial constitue l'atout majeur de l'Agence et poursuit un objectif de couverture et de diffusion. Toutefois, ces deux notions sont décorrelées : il n'y a pas de lien entre les charges et les recettes d'un bureau régional.

Concernant nos concurrents historiques, Associated Press et Reuters, les réseaux sont globalement similaires mais ils disposent d'effectifs supérieurs. En revanche, « Chine nouvelle » n'a pas de difficultés financières et peut employer des effectifs locaux très étoffés. C'est une concurrence considérable car elle se fait sur des terrains où sa crédibilité est réelle et sur des secteurs profitables comme la mode ou le sport, sans enjeux politiques, mais dans le cadre d'une information spécialisée.

Les agences mondiales sont aujourd'hui dans une situation financière tendue car très liée aux difficultés de leurs clients historiques, les entreprises de presse.

En outre, de grands médias classiques se comportent désormais comme des agences de presse à l'instar de la BBC ou de CNN, et l'arrivée des chaînes d'information en continu bouleverse l'économie générale des agences. Par ailleurs, les sites Internet et les réseaux sociaux ont un effet déflationniste sur les coûts d'accès à l'information.

Concernant ses relations avec l'État et l'évolution de la réalisation, à son profit, de missions d'intérêt général, l'AFP a une obligation statutaire et commerciale de fiabilité et d'indépendance, de maîtrise des langues (de production et de traduction), afin de toucher le public étranger, et d'information sur tous supports. Même si le texte est l'élément structurant de la production, l'entrée dans l'information se fait de plus en plus par le biais de l'image : nous avons développé à cet effet un réseau photographique à l'international, dont nous sommes particulièrement fiers. À titre d'exemple, la vidéo la plus célèbre de ces dernières semaines est celle de la prise d'otage dans le centre commercial de Nairobi, qui a été tournée par une journaliste de l'AFP.

Bien que le statut de l'AFP en fasse une société commerciale sans capitaux, le réseau s'est historiquement constitué sur la base de subventions de l'État et notamment du ministère des affaires étrangères, avec comme contrepartie la possibilité pour le Quai d'Orsay de relire la copie. La rupture s'est faite en 1957 et le réseau, désormais indépendant, est aujourd'hui en constante mutation et fait l'objet d'arbitrages permanents. L'État est devenu, au même titre que la presse, un client de l'Agence même si, les contrats d'abonnement sont assimilés par certains à une subvention.

Le désengagement progressif de l'État depuis les années 1990, le dynamisme commercial et le développement des recettes propres ont fait diminuer la part relative de l'État dans le budget de l'AFP. L'Agence est fondamentalement liée aujourd'hui au marché de l'information et plus seulement de la presse. Nous devons aller vers de nouveaux clients économiquement plus dynamiques que nos clients traditionnels pour assurer notre avenir commercial. À ce titre, l'Agence vit actuellement une période de transition.

L'État demeure cependant un client à part, qui se comporte dans les faits comme un quasi-actionnaire. Pour mémoire, jusqu'à la fin des années 1970, une convention avec l'État permettait à celui-ci d'assurer 60 à 70 % des recettes de l'AFP et le marché commercial était assis sur une presse qui fonctionnait bien. Le modèle s'est alors déréglé, puis au début des années 1980, l'arrivée de l'informatique et de l'information sous forme de photographie a nécessité de nouveaux investissements pour l'AFP. Or, avec sa faible rentabilité, l'AFP n'a pas les moyens de dégager une capacité d'autofinancement forte. Nos clients étant au conseil d'administration, la pression sur nos tarifs est très forte. L'État a donc dû intervenir dès cette époque puis régulièrement en réinjectant du capital ou des subventions en investissement.

Un exemple particulièrement symbolique de l'utilité qu'eurent, par le passé, les dotations exceptionnelles de l'État à l'Agence est celui du succès du plan « photo internationale ». En 1985, l'AFP créait l'European Pressphoto Agency (EPA) en Europe, permettant d'échanger des photographies avec les agences de presse d'Europe occidentale, et constituait son propre réseau à l'international grâce à une dotation de l'État de 13,7 millions d'euros et à un prêt de 15,3 millions d'euros destinés à financer l'achat de matériels et d'équipements de transmission.

Le service « photo internationale », conçu initialement comme une offre complémentaire aux textes, est rapidement devenu compétitif en quantité et en qualité et concurrence, sur ce marché, Associated Press et Reuters. Ce succès a donné une exposition unique à l'AFP au niveau international et a contribué à l'attractivité des autres productions de l'Agence. En 2003, l'AFP a renoncé à sa participation à l'EPA et a conclu un accord d'échange avec Getty pour les États-Unis. Là encore, la réussite commerciale fut immédiate. En 2012, les recettes de l'Agence sur ces produits photographiques se sont élevées à 43,3 millions d'euros avec une marge d'exploitation de 8,7 millions d'euros en croissance régulière.

Dans le cadre du plan « photo internationale », l'État s'est donc comporté comme un investisseur avisé dont la participation s'est avérée rentable grâce à une marge d'exploitation devenue rapidement positive. De fait, la photographie dynamise le chiffre d'affaires de l'Agence depuis plus de 20 ans. Un tel succès pourrait, nous l'espérons, se reproduire avec le développement de nos productions vidéo.

Depuis 2009, l'AFP subit de plein fouet la dégradation de son environnement économique en France. En effet, la perte de vitesse des médias traditionnels - clients habituels de l'agence -, due à une mutation profonde des usages, n'est pas compensée par la croissance des nouveaux modèles d'information, qui ne sont pas à ce jour arrivés à maturité. Ainsi, la crise qui touche la presse quotidienne nationale et la presse quotidienne régionale depuis cette date a eu un effet amplifié sur l'AFP qui a perdu 17,3 millions d'euros de chiffre d'affaires. Pour conserver ses clients, l'Agence a dû proposer des offres de plus en plus diversifiées à des prix de plus en plus bas et développer une politique de remises commerciales. En conséquence, alors que la part des dépenses en faveur de l'AFP dans le chiffre d'affaires de la presse était restée stable, autour de 0,62 %, jusqu'en 2008, elle a ensuite diminué progressivement pour s'établir à 0,49 % en 2011. Cette dégradation doit désormais cesser.

En outre, les produits développés par l'AFP à l'international connaissent une faible croissance : les zones géographiques en extension, à l'instar de l'Afrique, restent modestes en valeur, tandis que les marchés dynamiques, comme celui des pays asiatiques, ne représentent encore qu'une maigre part de marché. En vue de développer son chiffre d'affaires à l'étranger, l'Agence a relancé son fil en portugais pour renforcer sa présence sur le marché brésilien et engagé une refonte de son fil en anglais pour lutter contre la concurrence sur le marché indien. Elle a également développé son offre en vidéo et en infographie.

L'AFP subit donc depuis 2009 un effet de « ciseau » lié à la dégradation de son environnement économique même si, d'un point de vue commercial, elle demeure efficace et agressive. La croissance des ressources issue de l'État a ainsi été plus faible, ces dernières années, que celle des recettes commerciales. Pour autant, l'Agence est essentiellement une entreprise de main d'oeuvre : ses charges sont constituées à près de 75 % par sa masse salariale. Si la croissance annuelle moyenne des charges est maîtrisée et converge vers 2 %, elles augmentent cependant, depuis 2009, plus rapidement que les ressources. En conséquence, la marge d'exploitation reste positive mais se dégrade progressivement.

Cette situation conduit l'Agence à disposer de capacités d'investissement fort limitées. Ce point constitue historiquement l'une de ses faiblesses en raison d'une marge d'exploitation moyenne insuffisante, de l'ordre de 5 %, et d'une difficulté à attirer des capitaux extérieurs. Mais la situation s'est aggravée avec la plainte déposée à Bruxelles pour aides d'État. L'Agence a certes pu financer, à hauteur de 40 % par la dette et de 60 % sur fonds propres, deux projets majeurs depuis 2010 - le nouveau système rédactionnel et de livraison aux clients (IRIS) pour 30 millions d'euros et la rénovation du siège Place de la Bourse pour 20 millions d'euros - mais l'État, qui devait verser une dotation de 20 millions d'euros pour IRIS, a transformé l'aide initialement prévue en prêt en raison de la plainte précitée. À la suite de ces deux investissements, la trésorerie de l'AFP ne lui permet désormais plus de financer d'autres développements pourtant nécessaires.

M. Pierre Laurent, rapporteur pour la presse. - Ma première question porte sur les débats relatifs à la modification du statut de l'AFP qui ont accompagnés votre entrée en fonction. Deux questions se posaient particulièrement à l'époque : celle de la gouvernance de l'Agence et celle de ses modalités de financement. À ce jour, estimez-vous que ces sujets doivent faire l'objet d'une nouvelle réflexion ? Quelles pourraient être les réformes envisageables ?

Ma deuxième question concerne le bilan de votre premier mandat, que vous aviez souhaité axer sur le renforcement des activités de l'Agence à l'international ainsi que sur le développement de nouveaux modes d'information, notamment vidéo. Plus largement, estimez-vous intégralement rempli le contrat d'objectifs et de moyens conclu entre l'Agence et l'État pour la période 2009-2013 ?

Ma troisième question porte sur vos projets pour les trois années à venir, après votre reconduction, le 4 avril 2013, par le conseil d'administration de l'Agence pour un deuxième mandat. Quelle stratégie sera celle de l'AFP dans un contexte de concurrence exacerbée avec les autres agences de presse ? Envisagez-vous par exemple de mettre à disposition du public certaines de vos dépêches ? Pouvez-vous à cet égard nous présenter les grandes lignes du prochain contrat d'objectifs et de moyens ?

J'estime que l'AFP représente un enjeu stratégique et culturel de première importance qu'il convient de préserver. C'est pourquoi ma quatrième question concerne les mesures qui seront prises pour clarifier les relations financières entre l'État et l'Agence dans le cadre de la procédure communautaire en cours. Comment seront notamment compensées les missions d'intérêt général dont elle est chargée, comme le prévoit la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives ? À quelle date cette compensation interviendra-t-elle ? Par ailleurs, la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la culture et de la communication envisage une remise à plat des abonnements souscrits par l'État. Quelle est votre opinion sur ce projet ? Quel est le seuil d'abonnement en-dessous duquel l'Agence pourrait se trouver en difficulté financière ?

Enfin, vous avez récemment annoncé vouloir mettre en place un nouveau « contrat social » pour les agents de l'AFP, destiné à harmoniser les différents statuts qui régissent les personnels. Depuis lors, les syndicats ont fait part à plusieurs reprises de leur inquiétude sur le contenu de la réforme envisagée, notamment s'agissant du maintien des droits sociaux et du pouvoir d'achat. Pouvez-vous nous présenter ce que pourrait être, dans votre esprit, ce nouveau « contrat social » ? De quelle manière envisagez-vous de le négocier et selon quel calendrier ?

Mme Corinne Bouchoux, rapporteure pour les arts visuels. - Ma question portera sur la photographie. L'AFP a conclu un accord de diffusion avec Getty. Je comprends qu'il procure une recette pour l'AFP et contribue ainsi à l'équilibre financier de l'Agence. Mais, parallèlement, sur le marché français, si j'en crois les informations qui m'ont été communiquées, il semble que Getty ait pour politique d'assurer gratuitement la couverture d'événements, par exemple les soirées organisées par les entreprises lors du festival de Cannes, au détriment des photographes pour lesquels elles constituaient une source de revenus non négligeables. Cette sorte de dumping social me paraît pour le moins éloignée des valeurs de l'AFP, du moins à sa création.

M. Emmanuel Hoog. - En guise d'introduction à mes réponses aux questions de M. Pierre Laurent, il me semble utile de préciser que, dès avant mon arrivée, le contrat d'objectifs et de moyens conclu entre l'État et l'AFP prévoyait de réformer le statut de l'Agence. S'était d'ailleurs tenue sur ce thème une table ronde au Sénat et plusieurs rapports traitant du sujet avaient été publiés préalablement à ma nomination. Dans ce contexte, il me semble avoir contribué à pacifier le débat et à intégrer, dans la loi du 22 mars 2012 précitée, la notion de compensation par l'État des missions d'intérêt général réalisées par l'Agence, l'État devenant « subventionneur » et non plus seulement client de l'AFP.

Il me semble également essentiel de rappeler que les enjeux de l'AFP sont d'abord industriels avant d'être institutionnels. Il faut traiter l'Agence comme un actif stratégique de la France - je partage sur ce point votre analyse, monsieur le rapporteur - aux prises avec de nouveaux défis numériques, technologiques et commerciaux. Les questions à caractère institutionnel apparaissent en arrière-plan lorsqu'il s'agit de donner à l'Agence les moyens de son développement et que se pose, à cet égard, le problème de ses capacités d'auto-financement et de son accès au crédit bancaire pour des raisons tant juridiques que réglementaires. À titre d'exemple, nous ne pourrons pas mener à bien notre plan de développement de la vidéo avec le modèle de financement qui nous est actuellement imposé : il faut inventer un système plus efficace. C'est tout l'enjeu de la mission confiée par le Premier ministre à M. Michel Françaix.

Quelle que soit la réforme qui sera appliquée aux modes de gouvernance et de financement de l'Agence, un point demeurera non négociable : son indépendance éditoriale. Comme le reconnaissait le Premier ministre lui-même dans la lettre de mission adressée à M. Michel Françaix, le personnel représente le premier actif de l'Agence. Le nouveau contrat d'objectifs et de moyens, à la différence de son prédécesseur, ne fera pas de la refonte du statut la condition de la réforme, plus large, du financement de l'Agence. Il prévoira également de renforcer substantiellement les capacités éditoriales en engageant de nouveaux journalistes afin de réduire l'écart, en personnels, avec nos concurrents et de permettre le développement de nouveaux produits.

Les vidéo et les photographies sont cruciales pour une agence mondiale revendiquant la place de numéro trois. Elles répondent à une exigence d'excellence et conditionnent aujourd'hui la dimension internationale de l'AFP, comme l'illustre la signature du treizième contrat avec l'Amérique latine sur la vidéo. Si nous avions conservé l'ancien rythme de production, soit 20 vidéo par jour, nous n'aurions pas pu nous développer dans le monde. En trois ans, nous sommes parvenus à une production quotidienne de 200 vidéo, ce qui doit nous pousser à réaliser encore quelques efforts pour conserver notre dimension mondiale, les agences Reuters et Associated Press en produisant 300 chaque jour.

Nous souhaitons évidemment conserver la base nationale de notre clientèle, mais celle-ci ne représente qu'un chiffre d'affaires limité, car la valeur économique du marché de la presse se réduit progressivement. La seule alternative consiste à conquérir des parts de marché à l'étranger, sur des produits nouveaux. Les chiffres montrent que cette stratégie fonctionne : depuis 2008 le texte a diminué de 1 % en moyenne annuelle, tandis que la photographie a crû de 15 % et la vidéo de 131 %.

Mon action s'inscrit dans un nouveau mandat de trois ans, et je crois, à cet égard, que la stabilité est essentielle à ce poste. En effet, ces 25 dernières années, huit présidents se sont succédé dont trois démissionnaires. À titre de comparaison, sur la même période, l'Associated Press n'a connu que deux présidents. La stratégie ne peut pourtant pas changer tous les trois ans dans l'industrie de l'information.

Concernant la plainte pour aide d'État déposée devant les autorités européennes à Bruxelles, nous attendons avec optimisme le dénouement de la situation, qui nécessite une dernière phase d'échanges entre le Gouvernement et la Commission européenne. Celle-ci porte un regard plutôt attentif et bienveillant sur notre cas. L'objectif est de trouver une solution juridiquement solide en cas de contentieux porté devant la Cour de justice de l'Union européenne.

Trois sujets doivent être traités :

- le premier consiste à quantifier notre mission d'intérêt général et le niveau de compensation qui en découle ;

- le deuxième est relatif à l'exonération de contribution économique territoriale. La presse étant globalement concernée, il s'agit d'une exonération sectorielle et non d'une exonération spécifique ;

- le dernier point concerne l'article 14 du statut de 1957 relatif aux conditions d'insolvabilité de l'Agence, l'objectif étant de déterminer s'il s'agit d'une aide d'État. C'est le sujet le plus délicat qui fait l'objet de débats internes à la France, le Gouvernement devant rendre prochainement un arbitrage qui concernerait également d'autres institutions. J'espère qu'il interviendra le plus rapidement possible compte tenu des effets sur notre contrat d'objectifs et de moyens.

Le montant total des abonnements d'État s'élève à 123 millions d'euros : il s'agit, sur ce total, de déterminer ce qui relève de l'activité commerciale, d'une part, et de la mission d'intérêt général, d'autre part. Je rappelle que l'achat d'abonnements par le Gouvernement britannique représente 26 millions d'euros. Il me semblerait normal de prévoir un taux de compensation de 100 % de la part correspondant à notre mission d'intérêt général, puisque la Commission européenne en accepte le principe.

Pour ce qui concerne la partie commerciale, l'État est client de l'AFP mais n'a pas de vision centralisée de sa consommation. Une cartographie des fils de l'AFP est actuellement en cours, afin de déterminer le niveau d'arborescence le plus fin possible de l'utilisation de nos produits par les services de l'État. Ces informations sont essentielles pour construire notre relation commerciale, au-delà de la question du montant global alloué à ces prestations.

Outre la remise à plat de sa stratégie commerciale et de ses relations avec l'État, l'AFP devra aussi s'attacher à l'élaboration d'un accord social adapté pour ses salariés, qui constituent, je l'ai déjà dit, le premier actif de l'entreprise. J'observe d'ailleurs que depuis 2009 notre masse salariale s'est accrue de 2,6 % en moyenne chaque année, à comparer à l'augmentation annuelle de 1,6 % de notre production. Nous nous appuyons actuellement sur un ensemble hétéroclite de conventions collectives, ce qui crée de la confusion et nous met en situation d'insécurité juridique.

S'agissant de la photographie, il est vrai que l'Agence a conclu un accord de revente avec Getty. Si l'AFP dispose de vendeurs et de revendeurs partout le monde, nous ne pourrions développer un chiffre d'affaires significatif aux États-Unis sans lui, avec le seul appui de nos deux commerciaux à Washington. Cet accord permet donc à l'AFP d'assurer une couverture de l'ensemble de l'actualité aux États-Unis. De même, si l'AFP dispose d'une équipe sur place, avec, par exemple, un de nos journalistes accrédité auprès de la Maison Blanche, il est clair qu'elle ne pourrait pas faire régulièrement la une du New York Times avec ses seuls moyens. J'observe d'ailleurs qu'à l'inverse, l'AFP est le revendeur de plus de 40 agences de presse à travers le monde. En tout état de cause, nous ne nous préoccupons en rien de la politique éditoriale de Getty et si ses pratiques sociales sont contestables, bien évidemment je les conteste.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Vous expliquez qu'en termes de chiffre d'affaires de l'Agence, la photographie tire l'écrit. Mais ceci ne peut se faire en tuant les photographes car s'ils ne sont plus rémunérés pour leur travail, il n'aura plus personne pour « tirer » l'ensemble.

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Comment envisagez-vous votre positionnement en Afrique et au Moyen-Orient ? Comment l'AFP, troisième agence de presse mondiale reconnue pour la qualité et l'impartialité de ses informations, se préserve-t-elle des influences politiques et des lobbies dont on a pu voir les effets sur la couverture des printemps arabes et sur les événements de Libye ou de Syrie ?

M. André Gattolin. - Votre présentation était très intéressante, mais les nombreuses informations qu'elle contenait défilaient vite : pourrons-nous disposer d'un document écrit.

M. Emmanuel Hoog. - Certainement. Pour répondre à Mme Sylvie Goy-Chavent, j'indiquerais que la qualité de l'information que nous délivrons est garantie par la concurrence mondiale, permanente et instantanée des autres agences. Si nous étions sensibles à une quelconque influence, ou si même il nous arrivait de nous autocensurer, nos clients, dont la diversité d'intérêt est extrême, se détourneraient immédiatement de notre offre. À cet égard permettez-moi d'évoquer un déplacement récent au Proche-Orient, au cours duquel j'ai pu rencontrer dans la même journée MM. Shimon Peres, Benyamin Netanyaou et Abou Abbas, qui m'ont tous fait bon accueil, non pas à titre personnel, mais comme représentant d'une agence de presse reconnue et respectée.

En Afrique, nous entretenons un réseau dense d'envoyés spéciaux, plutôt que permanents. Le marché africain est en expansion mais essentiellement pour la langue anglaise.

Permettez-moi de conclure en vous présentant mes deux collaborateurs : MM. Rémi Tomaszewski, directeur général et Emmanuel Marcovitch, directeur général adjoint.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Mes chers collègues, je remercie M. Emmannuel Hoog en votre nom et vous rappelle que nous nous réunirons demain matin dans la salle de la commission des finances pour la présentation du rapport de MM. Jean-Marc Todeschini et Dominique Bailly sur le financement public des grands équipements sportifs.

Jeudi 17 octobre 2013

- Présidence conjointe de Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, et de M. Albéric de Montgolfier,vice-président de la commission des finances -

Financement public des grandes infrastructures sportives - Communication de M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial, et M. Dominique Bailly, rapporteur au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication

La commission entend une communication de M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial, et M. Dominique Bailly, rapporteur au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sur le financement public des grandes infrastructures sportives.

M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances. - Nous souhaitons la bienvenue à nos collègues de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. J'ai l'honneur de coprésider cette réunion avec sa présidente Marie-Christine Blandin. Vous savez que notre président Philippe Marini participe avec Marc Massion, à la première conférence interparlementaire sur la gouvernance budgétaire prévue par l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) en Europe.

Nos travaux de ce matin s'inscrivent dans la tradition de contrôle exercé conjointement par nos deux commissions, qui nous avait déjà conduits à examiner au printemps, avec Dominique Gillot et Philippe Adnot, le bilan consolidé des sources de financement des universités. Jean-Marc Todeschini et Dominique Bailly nous présentent le financement public des grandes infrastructures sportives, sujet que M. Todeschini a déjà abordé sous le prisme du rôle du Centre national pour le développement du sport (CNDS).

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Merci de nous accueillir. Nous menons en effet de nombreux travaux communs. Nous apprécions l'expertise de la commission des finances : ainsi, s'agissant des aides à la presse, elle nous a été précieuse et je me félicite que les remarques que nous avions formulées quant à la situation des photographes aient été prises en compte.

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial de la commission des finances. - L'idée d'orienter mes travaux de contrôle vers le financement public des grands équipements sportifs m'est venue des difficultés posées par la participation du CNDS à la construction ou à la rénovation des stades de l'Euro 2016 de football. La question centrale était alors celle-ci : que doit payer l'État, que doit payer le CNDS ? Toutefois, cela est loin d'épuiser le sujet puisque l'essentiel des financements provient pour l'heure des collectivités territoriales. Les pressions qui s'exercent sur elles sont multiples. Quelques années après les travaux des commissions « grands stades » ou « grandes salles », ceux des députés David Douillet et Bernard Depierre, après la vaste étude de la Cour des comptes sur les rapports entre les collectivités territoriales et les clubs sportifs professionnels, nous avons donc souhaité étudier ces questions à notre tour.

Chacun connaît l'expertise de Dominique Bailly dans le domaine sportif et son expérience à la mairie d'Orchies, ville de basket-ball. Nous avons mené de nombreuses auditions - ministère, CNDS, fédérations, ligues, clubs, sociétés d'exploitation, consultants, etc. - et nous sommes déplacés à Lyon, Saint-Etienne ainsi qu'au Havre.

Les clubs d'élite des principaux sports pratiqués en France évoluent dans des stades ou des salles de capacité moyenne. En football, la capacité moyenne des stades de Ligue 1 s'élève à un peu plus de 29 000 places, contre plus de 38 000 en Premier league anglaise. En Pro A de basket-ball, la salle moyenne compte 4 569 spectateurs. En outre, nos deux plus grands équipements sportifs n'ont pas de club résident. Il s'agit en premier lieu du Stade de France, qui compte plus de 80 000 places. Cette absence de club résident a d'ailleurs valu à l'État de payer jusqu'à cette année une indemnité au consortium qui gère le stade.

Il s'agit également du Palais omnisports de Paris Bercy (POPB), seule salle française de plus de 10 000 places en configuration sport, qui n'abrite aucun club non plus. Ses dirigeants, qui nous ont exposé leur projet de rénovation à l'horizon 2015, considèrent d'ailleurs une telle absence comme un atout, sans renier la vocation sportive du lieu. Ainsi le sport est pour eux un événement comme les autres - au moins 35 jours par an -, qui se programme au milieu des spectacles, plus lucratifs, sans que le calendrier des compétitions d'un club ne puisse modifier la programmation de la salle.

En France, le modèle public prédomine : dix-neuf des vingt stades de Ligue 1 de football, douze des quatorze stades du Top 14 de rugby et la totalité des dix-huit salles utilisées en Pro A de basket-ball appartiennent à une collectivité. Les modes d'exploitation sont plus variés, mais le modèle dominant reste celui de l'exploitation par la collectivité elle-même, le club résident étant un simple locataire.

Les propriétaires, presque toujours des collectivités, font l'objet de pressions diverses, par exemple à l'occasion de grandes compétitions, pour agrandir ou améliorer ces équipements à leur frais. Les cahiers des charges des organisateurs de ces compétitions sont de plus en plus fournis : d'après le préfet Jacques Lambert, celui de la Coupe du monde de 1998 faisait 15 pages, contre 500 pour l'Euro 2016. Les villes peuvent certes renoncer à postuler...

Les fédérations et ligues, nationales ou européennes, ont également des exigences croissantes. Certes, aux termes de l'article R. 131-33 du code du sport, elles ne peuvent imposer des règles dictées par des impératifs d'ordre commercial, comme le nombre de places, les espaces affectés à l'accueil du public, ou les installations de retransmission audiovisuelle. Mais, outre les pressions informelles, émergent des cahiers d'exigences baptisés par exemple « licence club » ou « labels stades », fondés en partie sur des critères commerciaux. Le respect de certaines de ces normes conditionne, dans certains cas, l'attribution d'une partie des droits télévisuels.

En Europe, les organisateurs ont moins de scrupules et peuvent conditionner l'inscription de clubs au respect de normes commerciales ou télévisuelles dans l'enceinte d'accueil. Nos trois champions nationaux des principaux sports de salle de l'année en cours n'évoluent pas dans des lieux conformes au cahier des charges européen : en basket-ball, Nanterre devra quitter son Palais des sports municipal pour se rendre à la Halle Carpentier afin de jouer l'Euroligue ; en handball, le PSG Hand évoluera également à Carpentier et non à Coubertin pour disputer la Ligue des champions ; en volley-ball, le Tours volley a bénéficié d'une grâce pour la saison en cours mais devra avoir trouvé une solution dès l'année prochaine. Les pressions subies par les collectivités peuvent être simplement locales, le club pouvant faire valoir ses propres besoins de développement, avec parfois un fort écho médiatique.

M. Dominique Bailly, rapporteur de la commission de la culture. - Les évolutions récentes du stade de football montpelliérain de la Mosson illustrent parfaitement notre propos. Au cours des deux dernières décennies, Montpellier agglomération, son propriétaire, a réalisé de nombreux travaux. D'abord, une modification significative des plans du stade à l'occasion de la Coupe du monde de football dont Montpellier a été l'une des villes hôtes, avec la création d'un centre de presse et d'un salon officiel et d'autres rénovations, pour un coût total d'environ 20 millions d'euros. Ensuite, des adaptations de 4 millions d'euros pour accueillir la Coupe du monde de rugby de 2007 (nouvelle pelouse, rénovation des vestiaires, de l'éclairage et de la sonorisation, installations d'écrans géants, agrandissement de la tribune de presse). De nouveaux travaux de réfection, pour plus de 3 millions d'euros, ont porté sur la mise aux normes de l'UEFA de l'ensemble des sièges pour la Ligue des champions 2012-2013. Enfin, bien que la ville ne doive pas accueillir de matchs de l'Euro 2016 de football, l'agglomération a annoncé 50 millions d'euros de travaux pour faire de la Mosson un équipement haut de gamme : couverture de la partie du stade non encore abritée par un toit transparent, agrandissement des loges, mise aux normes handicapés et création de 3 000 places de stationnement.

L'État n'est pas complètement absent, mais ce n'est pas lui qui prend les initiatives. Le plan football lancé en vue de l'Euro 2016 n'implique aucune planification étatique mais un engagement de soutien juridique et financier aux initiatives locales, à hauteur de 160 millions d'euros, porté par le CNDS. Des dispositions législatives et réglementaires ont été prises afin que les stades exploités sous le régime du bail emphytéotique administratif (BEA) ou portés par un acteur privé soient éligibles à ce soutien. Un plan similaire devait concerner le handball dans la perspective du championnat du monde de 2017 organisé en France. Il a été suspendu par le conseil d'administration du CNDS fin 2012, dans le cadre du redressement de ses finances. Les demandes de soutien à la construction passent désormais par le canal ordinaire des demandes de subventions.

Notez que l'octroi de ces aides est suspendu à la décision de la Commission européenne, à laquelle a été notifié, au titre des aides d'État, le régime d'aide du plan football. La Commission ne s'est toujours pas prononcée sur sa compatibilité aux règles de la concurrence. Un examen aussi poussé est assez rare dans le domaine du sport. Le cas des stades de l'Euro 2016 pourrait éclaircir le droit communautaire en la matière, avec cette difficulté : les améliorations en partie financées par le CNDS, bien qu'effectuées à l'occasion d'un événement international, ont vocation à demeurer et à profiter en partie à des clubs professionnels.

Dans les projets en cours ou récemment achevés, nous constatons que la propriété publique de l'équipement demeure la règle, à l'exception bien connue de l'Olympique lyonnais (OL). Les modèles d'exploitation sont plus variés : au Havre, un club (HAC) occupant gère le nouveau stade au travers d'une filiale ; les partenariats public-privé (PPP) se répandent, notamment au Mans, à Marseille, à Dunkerque. Reste que dans tous les cas, un fort soutien public est indispensable pour mener les projets à bien, même à Lyon. En effet, le projet de l'OL n'aurait pu aboutir sans soutien public. Ainsi, les expropriations sur le site retenu ont été facilitées par la loi du 22 juillet 2009, qui déclare d'intérêt général les enceintes sportives ainsi que les équipements connexes, « quelle que soit la propriété privée ou publique de ces installations ». Ensuite, le CNDS a octroyé une subvention de 20 millions d'euros au projet lyonnais après modification des dispositions réglementaires interdisant les aides à des projets privés. A cela se sont ajoutés la garantie de 40 millions d'euros du conseil général du Rhône et un prêt obligataire de 20 millions d'euros de la Caisse des dépôts et consignations.

Un dernier mot au sujet de la Fédération française de rugby (FFR), qui ambitionne de se doter d'un stade de 82 000 places à Ris-Orangis, pour un coût de l'ordre de 600 millions d'euros. Le plan de financement reste à définir mais la FFR souhaiterait des apports uniquement privés. Au contraire des clubs, la fédération n'est pas soumise à l'aléa sportif, mais le nombre d'événements qu'elle pourra assurer est moins élevé que celui de clubs engagés dans des championnats réguliers. La FFR fait reposer l'équilibre financier de son ouvrage sur une hypothèse de 17 à 20 événements par an, dont 5 à 6 rencontres du XV de France. Elle souhaite un équipement multimodal, capable d'accueillir d'autres sports ainsi que des concerts.

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial.  - Dans notre rapport, nous avons préféré les propositions aux injonctions, car le contrôle parlementaire ne saurait empiéter sur l'autonomie des collectivités territoriales. Mieux vaut un recueil des bonnes pratiques comme des pièges à éviter. Chaque acteur impliqué sur ces dossiers doit demeurer à sa place et assumer pleinement ses responsabilités, sans se défausser sur les autres.

Commençons par les collectivités. Un calibrage adéquat de leur projet est un premier impératif. En un mot, elles doivent se garder de la « folie des grandeurs », en dépit de toutes les pressions et des illusions que font naître une ou deux années de résultats exceptionnels du club résident. Les stades de football d'Istres - le club est aujourd'hui en Ligue 2 -, de Grenoble et du Mans constituent des exemples d'infrastructures formatées pour la Ligue 1 sinon pour l'Europe, et que les collectivités propriétaires doivent entretenir bien que les clubs n'attirent pas un public suffisant.

Les collectivités doivent donc prendre une décision dégagée des événements et des succès immédiats et fondés sur de réels besoins de long terme. Les établissements financiers avec qui l'Olympique lyonnais a contracté des emprunts ont demandé un plan de financement fondé sur un scénario de présence de l'OL en Ligue 2 pendant trois ans. Un exemple à suivre. La lourdeur des investissements et la glorieuse incertitude du sport devraient conduire les futurs propriétaires à évaluer la rentabilité dans un scénario résolument pessimiste.

Idéalement, un échelon territorial modérateur - la région, dans certains cas - porterait un deuxième regard sur le projet envisagé. Les collectivités gagnent à partager leurs expériences plutôt qu'à prendre ce type de décisions isolément. L'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES) peut fournir le cadre de ces échanges.

Un mot sur les PPP : nous ne les condamnons pas en bloc. Ils permettent parfois de réaliser des projets dont la complexité dépasse la compétence de la maîtrise d'ouvrage publique, offrent des facilités de financement et optimisent la gestion de l'équipement. Mais ce modèle a des limites : un intermédiaire entre la collectivité et le club complique les relations ; et le club perd à long terme le contrôle de son équipement. Pire, ce modèle comporte des dangers : en étalant la charge dans le temps, le PPP incite les collectivités à voir trop grand, au risque de subir de graves déconvenues si le club résident périclite. Il favorise également souvent la prise en compte d'hypothèses sportives optimistes.

M. Dominique Bailly, rapporteur. - S'agissant du rapport entre les clubs et les collectivités, il n'existe pas de modèle idéal. L'agglomération Saint-Etienne Métropole pilote la rénovation du stade Geoffroy Guichard, partie intégrante du patrimoine public local. Les pouvoirs publics assument la dépense : charge à eux de maîtriser la taille et l'évolution du projet.

Néanmoins, dans de nombreux autres cas, l'implication des clubs dans l'exploitation, voire dans la propriété de « leur » stade serait une façon utile de les responsabiliser. Le cas lyonnais n'est guère incitatif au vu des difficultés rencontrés par ce club pourtant très structuré... mais il existe d'autres solutions, comme le BEA ou les conventions d'occupation, attribuant la gestion du stade ou de la salle au club résident. Ce modèle a été choisi au Havre : le club a été associé dès l'origine au projet de nouveau stade, décidé et financé par l'agglomération havraise. Le HAC en assure à présent l'exploitation au travers d'une filiale ad hoc. Il règle les charges d'entretien du locataire et verse une redevance de l'ordre de 1 million d'euros par an à l'agglomération en essayant de dégager ce revenu sur les activités extra-sportives.

Sous cette lumière, il serait opportun de faciliter des transferts de droits ou de propriété en permettant aux collectivités territoriales de soutenir financièrement les clubs à réaliser un projet privé ou à acquérir en tout ou partie un équipement public.

En revanche, quel que soit le modèle retenu, le principe de responsabilité impose de faire payer au club le juste prix de la location de l'équipement. A titre d'illustration, la chambre régionale des comptes de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a récemment pointé du doigt le cas de Marseille, pour le choix contestable d'un PPP et pour le très faible montant de la redevance réclamée à l'OM - 50 000 euros par an au lieu des 8 millions d'euros évalués par la chambre.

Quant à l'État, il doit rester à sa place. Il doit limiter son action au co-financement des enceintes destinées à accueillir de grands événements internationaux, dans l'attente de la levée définitive du risque communautaire. En outre, il devrait assumer ses décisions, sans les faire financer par le CNDS. Les engagements ont été pris pour l'Euro 2016 : il importe désormais d'apporter au CNDS la ressource correspondante, afin d'éviter la confusion des rôles et le blocage de certains projets.

Par ailleurs, nous nous félicitons bien sûr du récent accord avec le Stade de France, qui met fin, pour au moins quatre ans, aux pénalités pour absence de club résident - le Sénat les a critiquées à de nombreuses reprises. Et nous voulons souligner que si l'Ile-de-France comptait à l'avenir deux stades de plus de 80 000 places sans club résident, la concurrence serait féroce pour l'organisation des événements ; au bout du compte, l'un des ouvrages péricliterait sûrement, ce qui coûterait très cher. L'État doit par conséquent soutenir la conclusion d'un accord équitable et durable entre le Stade de France et la FFR.

Un dernier mot au sujet des fédérations et des ligues : elles ont trop souvent poussé les collectivités « au crime » en prescrivant des dépenses qui ne les engageaient pas et sans réfléchir à leurs conséquences pour les contribuables. Qu'elles s'interrogent : veulent-elles des championnats déséquilibrés où les mêmes gagnent à chaque fois, et peuvent ainsi s'équiper, comme Barcelone, Manchester ou le Bayern Munich ? Ou bien des championnats plus équilibrés, sans pouvoir exiger alors que chacun soit suréquipé ? Les organisateurs peuvent peser sur le modèle : en amont, avec la répartition de sommes comme les droits télévisuels ; en aval, en évoluant vers des modèles fermés à l'américaine qui anéantissent le risque de descentes - nous n'y sommes personnellement pas favorables mais le débat est ouvert ; à tout le moins en réduisant le nombre de descentes ou bien en accordant un droit à l'erreur ponctuel l'année suivant un investissement important dans un stade.

M. Roger Karoutchi. - Vous parlez du « rôle modérateur » de la région. Pour l'heure, la région Ile-de-France, que je connais bien, a surtout un rôle de financeur, et à contrecoeur qui plus est ! Le Stade de France nous avait été vendu avec le Paris-Saint-Germain comme club résident. En fait, il n'y est jamais allé, et, de surcroît, nous avons dû rénover le Parc des princes. L'entretien du Stade de France coûte cher. Quel club pourrait imaginer remplir régulièrement 80 000 places ? Résultat des courses : la région compense une partie des pertes, sous des formes diverses. Nous avons d'ailleurs payé davantage pour des spectacles comme le Roi Lion ou Cléopâtre que pour les événements sportifs. Ce n'est pas notre rôle. En attendant de rétablir l'équilibre du stade, nous trouvons des expédients, comme l'achat de places pour les scolaires : c'est un bricolage coûteux, pas une solution pérenne.

Puis la FFR a refusé de discuter sur la prolongation de sa convention avec le Stade de France : elle voulait le même équipement pour elle ! Nous avons dit stop : on ne va pas payer pour deux Cléopâtre ! De plus, le territoire retenu, dans l'Essonne, dispose déjà de capacités d'accueil de grands spectacles : le Grand Dôme de Villebon-sur-Yvette compte 15 000 places et n'arrive pas davantage à l'équilibre. Entre la demande sportive et les exigences des fédérations, il faut trouver une voie raisonnable.

Je pourrais aussi parler des fédérations de sport automobile, qui veulent également leur circuit en Ile-de-France... Revenons sur Terre : nous n'avons pas les moyens de payer tout cela. La vérité, c'est que l'État a pris des engagements en prévision des Jeux olympiques de 2012 et s'est désengagé aussi vite, une fois la candidature de Londres retenu par le Comité international olympique. Résultat : les fédérations se tournent désormais vers les collectivités. La région Ile-de-France a mis un terme à certaines conventions avec les fédérations, mais l'on ne tiendra pas longtemps si tout le monde exige son grand équipement.

M. Philippe Dallier. - Je salue à mon tour le travail réalisé par nos deux rapporteurs. À dire vrai, nous nous attendions un peu à leurs conclusions.

La Seine-Saint-Denis a la chance d'avoir le Stade de France. Celui-ci a longtemps vidé nos commissariats les soirs de match - heureusement, une autre organisation a été trouvée depuis pour assurer la sécurité... Mais, à côté de cela, ce département demeure avant-dernier dans le classement des équipements sportifs, alors qu'il a la population la plus jeune de France. L'État a généreusement monté un plan de rattrapage de 15 millions d'euros il y a deux ans, et l'on nous presse de solliciter le CNDS avant que ses subventions ne se tarissent...

Je pense, moi aussi, que le projet de stade de la FFR est une folie. L'agrandissement du Parc des princes dont j'entends parler est aussi une folie. Nous marchons sur la tête : nous n'avons pas les moyens de tout financer. Vous avez raison de souligner que les rôles respectifs de l'État, des collectivités et des fédérations sont à revoir complètement. La libre administration des collectivités territoriales est un principe dangereux s'il consiste à les laisser démunies face aux exigences des fédérations sportives et des ligues. L'État est la plupart du temps partie aux négociations relatives aux équipements, quoi que rien ne l'y oblige. Ne pourrait-on renforcer son pouvoir en la matière ?

Un mot sur les PPP, que l'on pourrait assimiler à une carte de crédit rechargeable pour les collectivités locales pauvres. En Seine-Saint-Denis, y ont eu recours ceux qui n'avaient pas les moyens ! À leurs débuts, on les vantait comme des « financements innovants ». A la vérité, ils consistent à ponctionner durablement les collectivités, qui paient un loyer, et à les déposséder de la maîtrise de leur endettement... C'est pourquoi j'ai toujours refusé d'en signer. Bref, ne peut-on élaborer un schéma national relatif aux grands équipements, en conférant un droit de veto à l'État ?

Mme Corinne Bouchoux. - Sans vouloir m'immiscer dans la politique francilienne, j'approuve totalement les propos de MM. Karoutchi et Dallier : nous marchons sur la tête. Nous ne sommes plus dans les années soixante, à l'époque où les élus voulaient tous leur stade - et une autoroute pour y accéder. L'expérience canadienne nous enseigne qu'il y a là une source majeure de risques pour la vie publique.

Philippe Séguin voyait effectivement dans les PPP une forme de crédit renouvelable susceptible d'assassiner les collectivités locales et les élus avec, mettant à mal notre modèle démocratique. Il avait parfaitement raison.

Soyons attentifs aux évolutions des modèles économiques sportifs : droits de retransmission, salaires des joueurs... Les circuits d'argent, dont l'origine est parfois délictueuse, sont opaques - voyez le rapport de la commission d'enquête dont le rapporteur est Eric Bocquet. Il n'est plus question de sport pour tous mais de dictature du football et du marché, et tandis que de nombreux jeunes sont privés d'équipements de proximité, nous allons construire de nouveaux « temples » qui resteront vides. Sans compter que l'aléa sportif peut tout faire basculer du jour au lendemain. Au Mans par exemple, le stade est superbe mais il ne sert plus à rien. Nos concitoyens nous demanderont des comptes : il est urgent d'agir. La constitution de la mission commune d'information sur le sport professionnel et les collectivités locales est bienvenue.

M. Michel Le Scouarnec. - Je vous rejoins sur le rôle de l'État et du CNDS. Il ne faut toutefois pas oublier les zones rurales. L'État doit viser un développement harmonieux des territoires et notre rôle de parlementaires est d'y veiller. Les crédits du CNDS n'appartiennent pas aux grandes villes. Le sport amateur concerne des millions de gens, et pour assister à des grands événements sportifs ou culturels, les habitants des petites communes doivent faire beaucoup de kilomètres. Par ailleurs, le PPP est un choix risqué, car lorsque le club disparaît, la collectivité doit bien sûr continuer d'honorer ses engagements.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Lorsque j'ai exigé que la rénovation du stade de Lens soit l'occasion de le rendre compatible avec la pratique du rugby, j'ai essuyé une manifestation. J'aimerais donc savoir si tous les nouveaux grands équipements créés pour le football sont aménagés pour accueillir des matchs de rugby.

Je rejoins Philippe Dallier : nous pourrions exiger qu'une étude soit formalisée préalablement au lancement d'un grand projet, qui répertorie les sites existants, leur capacité d'accueil et leur santé financière. L'État pourrait, sur ce fondement, exercer son droit de veto. Il est bon de rendre compatible certains équipements avec d'autres types de manifestations, et pas seulement le Roi Lion, car s'agissant des spectacles d'opéra, au Stade de France, on entend davantage les poids lourds des autoroutes voisines que les chanteurs sur scène.

Avez-vous connaissance de l'évolution des dépenses d'investissement dans les grands équipements, et peut-on les comparer aux dépenses d'investissement en matière de culture et d'éducation ? Soyons sévères dans nos préconisations : tout le monde se serre la ceinture, il n'y a pas de raison que certains se goinfrent de béton pour construire des équipements qui ne seront pas occupés.

Enfin, le CNDS a-t-il deux guichets distincts pour le soutien aux actions territoriales en matière de sport pour tous et le financement des grands équipements, et sont-ils suffisamment étanches ?

M. Albéric de Montgolfier, vice-président de la commission des finances. - Le CNDS, qui cofinance de nombreux équipements, ne pourrait-il pas jouer un rôle de modérateur en conditionnant son soutien au respect d'une forme de planification ? Le compte d'exploitation du Palais omnisports de Paris Bercy, salle multi-activités, est-il équilibré ? Le POPB peut-il constituer un modèle ?

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Je suis heureux de voir que nous sommes tous d'accord, sans doute parce que nous sommes tous soumis aux mêmes pressions. Reste que légiférer dans ce domaine n'est pas simple. La ministre des sports a été courageuse de n'inscrire aucun crédit au titre de la compensation pour absence de club résident au Stade de France en loi de finances pour 2013, puis d'engager une négociation serrée avec le consortium qui a abouti à l'abandon de cette compensation pour quatre ans. Juridiquement, ce n'était pas évident, mais le consortium a cédé. Il est certain qu'en 1995, l'État a contracté sous la pression de la Coupe du monde. Aujourd'hui, ce type de pression pèse sur les élus locaux.

Le CNDS a été saigné à blanc entre autres par les stades de l'Euro 2016 et les grandes salles dites Arénas. C'est pourquoi la ministre a décidé de supprimer l'enveloppe affectée à ces dernières au sein de cet établissement public. Par ailleurs, je ne considère pas que le CNDS a vocation à jouer un rôle de modérateur, c'est un outil de financement pour les infrastructures dans les territoires, non pour les équipements nationaux. Au dernier trimestre de l'an passé, le plan de redressement adopté par le conseil d'administration du CNDS a interrompu les financements sur tout le territoire, ce qui a posé de nombreux problèmes juridiques.

A propos du grand stade de rugby, même si je n'ai pas employé les mêmes mots que Roger Karoutchi, j'ai la même analyse que lui. Il est déjà heureux que Valérie Fourneyron ait réussi à remettre autour de la même table la FFR et le consortium Stade de France, qui ne se parlaient plus, et qu'un accord ait été trouvé entre les deux parties jusqu'en 2017. Sur son projet de grand stade, cette fédération m'a présenté un dossier alléchant. Mais au bout du compte, les spectacles artistiques de type Cléopâtre ne se produiront pas à la fois dans les deux grands stades, sans même parler du Grand Dôme de Villebon-sur-Yvette. Nous verrons si le projet avance. Cela dit, en pratique, même si la Fédération prévoit un financement sans argent public, nous savons bien que ce type d'équipement n'aboutit pas sans soutien public.

M. Albéric de Montgolfier, président. - L'État apporte au moins des garanties.

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - En effet. A Lyon, le conseil général a apporté les siennes. Monsieur Karoutchi, nous ne préconisons pas que la région soit le financeur. Ma région a refusé à Nancy comme à Metz de financer un stade pour l'Euro 2016. Nous penchons pour un rôle modérateur des régions, quoique dans certains endroits, les communautés urbaines pourraient le remplir plus efficacement. Il n'y a pas de modèle unique mais un principe : ne pas laisser les villes seules face aux décisions.

S'agissant des PPP, nous sommes tous d'accord. Le goût pour ces financements ne dépend pas de la couleur politique.

M. Philippe Dallier. - Les mauvaises idées sont les mieux partagées...

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Le scenario présenté par le maître d'oeuvre est toujours trop optimiste, et les détails masqués aux collectivités. Au Mans, l'aléa sportif était censé être couvert par Vinci : en réalité, du fait de la faillite du club, sa couverture risque de retomber sur la ville. Le législateur devra se pencher sur ces sujets.

Le Parc des princes sera agrandi dans la perspective de l'Euro 2016. Mais la coupe d'Europe 2020 se déroulera dans un réseau de grandes villes d'Europe sélectionnées avant le début de l'Euro 2016. L'UEFA choisira vraisemblablement des infrastructures existantes. Ensuite, ce qui est censé n'être qu'une opération ponctuelle deviendra peut-être la règle...

Établir un schéma national suppose de décider de l'implantation des grands clubs. Ce serait l'idéal, mais nous évoluerions de ce fait vers des ligues fermées. Si l'on veut responsabiliser les clubs, à l'image des clubs anglais et allemands, il faut qu'ils soient propriétaires de leur infrastructure ou au moins qu'ils l'exploitent - en France, le budget d'un club est composé pour l'essentiel de masse salariale, ils ne consentent aucune dépense d'investissement. Le droit européen nous amènera peut-être vers ce mode de fonctionnement.

M. Dominique Bailly, rapporteur. - Le constat est partagé sur tous les bancs. Nous pouvons le contrarier si nous faisons preuve d'une vraie volonté politique. La ministre a eu le courage de dire non à la fédération française de handball dans la perspective du championnat du monde de 2017. Ce volontarisme politique doit s'exercer à tous les niveaux, car rien ne peut se faire sans la puissance publique - l'exemple de l'Olympique lyonnais en témoigne.

Le cas du Havre est instructif : la communauté d'agglomération a associé très en amont tous les partenaires sur un projet de développement de long terme. La cuisine centrale du Stade Océane distribue par exemple plus de 2 000 repas dans l'agglomération, sur lesquels l'exploitant, donc le club, touche une commission. Voilà une gestion intelligente. Chaque année, la communauté d'agglomération touche un million d'euros pour rembourser son emprunt. Sommes-nous capables de faire cela à l'échelle nationale ?

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Le stade du Havre est équilibré alors que le club évolue en Ligue 2 car le projet a été conçu sur cette base.

Madame la présidente Blandin, la plupart des stades sont rugby-compatibles. En revanche, je ne peux répondre à votre autre question, ne disposant pas d'éléments précis sur l'évolution annuelle des dépenses des collectivités territoriales en matière de grands équipements sportifs.

S'agissant du POPB, il est bénéficiaire. Son agenda est rempli à l'avance, et la salle est très souvent pleine. Mais il s'agit d'un cas isolé, dans un environnement particulier : l'Ile-de-France, Paris....

M. Philippe Dallier. - Paris n'est pas l'Ile-de-France !

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Le modèle n'est pas transposable. Ceux qui s'y essaient n'y parviennent pas.

Madame Bouchoux, vous avez parlé de temple vide : notre rapport évoque des cathédrales vides...

M. Philippe Dallier. - C'est une question de chapelle !

Mme Corinne Bouchoux. - Je parlais de temple laïc...

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - On invoque souvent les exemples étrangers, mais les sociétés qui se trouvent derrière les clubs ne s'investissent pas toutes de la même façon, et n'investissent pas toutes dans les équipements. La Coupe du monde au Qatar précipitera une évolution vers la démesure totale.

M. Dominique Bailly, rapporteur. - Cela dit, même les Brésiliens s'interrogent sur l'opportunité de dépenser tant d'argent dans les stades de football de la coupe du monde de 2014 !

M. Albéric de Montgolfier, président. - Nous vous remercions. Je propose aux deux commissions de vous donner acte de votre communication et d'en autoriser la publication sous forme de rapport d'information.

Acte est donné aux rapporteurs de leur communication et il est décidé d'autoriser la publication du rapport.