Mardi 10 décembre 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Ville et cohésion urbaine - Audition de M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l'égalité des territoires et du logement

La commission auditionne M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l'égalité des territoires et du logement, chargé de la ville, sur le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

M. Daniel Raoul, président. - Nous examinerons la semaine prochaine en commission le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, afin d'adopter un texte qui passera en séance publique mardi 14 janvier après-midi et soir et, éventuellement, mercredi 15 janvier après-midi. Ce texte est soumis à la procédure accélérée.

M. Jean-Claude Lenoir. - Encore !

M. Daniel Raoul, président. - Le délai limite pour le dépôt des amendements en commission est fixé au vendredi 13 décembre à 11 heures.

Je suis donc heureux, Monsieur le ministre, de vous recevoir pour que vous nous exposiez les grandes lignes de ce projet de loi, ainsi que les modifications apportées par l'Assemblée nationale qui l'a examiné en séance publique le 22 novembre.

Ce texte tire les conclusions du bilan en demi-teinte de la politique de la ville dont vous nous direz certainement quelques mots. Les maîtres-mots de cette réforme sont : programme national de renouvellement urbain, géographie prioritaire de la politique de la ville et contrats de ville.

M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l'égalité des territoires et du logement, chargé de la ville. - Merci de m'accueillir.

Quelques mots sur la genèse de ce projet de loi : à mon arrivée au gouvernement, j'ai reçu le rapport de la Cour des comptes sur une décennie de la politique de la ville, dont le bilan était contrasté. Cette politique a en effet souvent été critiquée mais en séance publique, M. René Vandierendonck a demandé, à juste titre, ce que seraient devenus les quartiers populaires s'il n'y avait pas eu de politique de la ville. Reconnaissons cependant que depuis 30 ans, on a toujours ajouté à cette politique sans jamais rien retrancher. En matière de géographie prioritaire, les zonages se sont superposés - zones urbaines sensibles (ZUS), zones de redynamisation urbaine (ZRU), zones franches urbaines (ZFU), contrats urbains de cohésion sociale - ce qui a fait perdre en cohérence.

Autre constat plus alarmant : la mobilisation des différentes politiques publiques est insuffisante. À chaque fois qu'une politique de la ville a été lancée dans un quartier, les autres administrations, agents, opérateurs de l'État, voire collectivités, ont eu tendance à s'en retirer.

Ce projet de loi, qui répond à ces difficultés, a fait l'objet d'une importante concertation d'octobre 2012 à janvier 2013 entre tous les acteurs concernés et certains d'entre vous y ont participé. Elle a permis de concrétiser certains objectifs fixés par le conseil des ministres du 22 août 2012. Nous sommes parvenus à un consensus entre les élus, les professionnels de la politique de la ville, le monde associatif, les représentants des habitants et des différentes administrations, ce qui a ouvert la voie à ce texte. Comme vous, je regrette la procédure accélérée, mais je voulais que les élus municipaux connaissent les règles du jeu au sortir des élections municipales. En outre, le futur contrat de ville est le volet territorial des plans État - régions qui doivent être signés en 2014.

Ce projet de loi a fait l'objet d'une convention avec toutes les associations d'élus : Association des régions de France (ARF), Assemblée des départements de France (ADF), Association des maires des grandes villes de France (AMGVF), Fédération des villes moyennes (FVM), communautés d'agglomération et communautés urbaines. Seule l'Association des maires de France (AMF) n'a pas encore signé de convention, compte tenu de son emploi du temps chargé, mais il n'y a pas de désaccord entre nous.

Après le vote de ce projet de loi, nous publierons la liste des quartiers prioritaires de la politique de la ville avant l'été 2014. Les futurs contrats de ville pourraient donc être signés entre fin 2014 et mi 2015.

J'en viens au projet de loi en tant que tel.

Tout d'abord, la géographie prioritaire sera remise à plat. Les ZUS, qui étaient à l'origine caractérisées par la présence de grands ensembles et un fort taux de chômage, ont progressivement intégré l'habitat horizontal. La méthodologie a parfois mené à des absurdités lorsque champs et forêts figuraient dans des ZUS. Du fait des divers contrats de ville et de cohésion sociale signés au milieu des années 2000, nous en sommes arrivés à une sorte de patchwork, retenant divers critères comme le taux de chômage, le nombre d'étrangers ou encore les familles monoparentales. Ces critères sociaux permettaient de déterminer la concentration de difficultés dans les villes.

Ce projet de loi vous propose de ne retenir qu'un critère indiscutable : le taux de pauvreté, calculé en fonction des revenus de la population rapportés au revenu médian, dans des carreaux de 200 mètres de côté. Ce critère unique est totalement objectif et ne permet pas de déplacer le curseur en fonction des humeurs : il couvre 80 à 85% des ZUS de 1996 et fait émerger des quartiers qui n'avaient pas été détectés auparavant. Les villes qui pourraient sortir du dispositif s'inquiètent, mais une centaine de villes moyennes et des territoires ruraux, dont les difficultés sociales sont proches de celles des banlieues, vont bénéficier du nouveau dispositif.

Pour les outre-mer, une méthodologie différenciée sera utilisée. La Réunion et la Martinique connaissent ainsi des problématiques communes, mais aussi spécifiques.

Pour les villes qui sortiraient de la politique de la ville, les crédits pour 2014 resteront identiques, puisque la réforme s'appliquera à partir de janvier 2015. En outre, elles pourront continuer à contractualiser avec l'État dans le cadre du futur contrat de ville qui constitue le deuxième axe de la réforme. Ce contrat, unique et global, comprend à la fois des opérations de renouvellement urbain et des actions de cohésion sociale et mobilise les collectivités : j'ai signé une convention avec l'ADF et l'ARF afin qu'elles engagent leurs adhérents à signer ces contrats de ville, car à l'heure actuelle seuls un tiers des départements et des régions ont signé des contrats urbains de cohésion sociale. Je souhaite aussi mobiliser les opérateurs et les administrations de l'État : les préfets, les agences régionales de santé (ARS), les caisses d'allocations familiales (Caf), Pôle emploi, la Caisse des dépôts - car le développement économique sera un axe majeur du développement social de ces quartiers - et les procureurs de la République qui mènent la politique de prévention.

Ce contrat sera signé au niveau intercommunal, afin de définir des politiques plus structurantes, notamment en matière de transport ou de développement économique. Le maire restera bien sûr l'opérateur de proximité chargé de mettre en oeuvre la politique de la ville dans sa commune, qu'il s'agisse des opérations de rénovation urbaine, d'actions de cohésion sociale ou de mobilisation du droit commun.

Ce projet de loi a été enrichi à l'Assemblée nationale et je souhaite qu'il en soit de même au Sénat.

Ces contrats de ville devront aussi mobiliser les fonds européens, via les régions et les départements. L'ADF et l'ARF s'engagent à mobiliser au moins 10 % de ces fonds, alors qu'elles ne perçoivent pour l'instant que 2 % du fonds social européen (FSE) et 7 % du Fonds européen de développement économique et régional (FEDER).

Pour la région Île-de-France, le texte relatif aux métropoles précise que le préfet pourra y déterminer des périmètres différents des intercommunalités existantes. Cette loi fera aussi passer la compétence politique de la ville aux conseils de territoires. Je m'entretiendrai avec M. Jean-Claude Gaudin de la métropole Aix-Marseille, car le dispositif est particulier et l'urgence manifeste.

J'en viens au nouveau programme national de renouvellement urbain (PNRU). Les financements du PNRU-I sont sanctuarisés et son existence prolongée jusqu'en 2015. Toutes les communes pourront ainsi signer des conventions avec l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). En outre, celle-ci sera dotée de 5 milliards pour le nouveau PNRU, afin de lever 20 milliards sur dix ans. Le renouvellement urbain doit être repensé : sans doute faudra-t-il à l'avenir moins démolir pour reconstruire. La convention ANRU mettra en oeuvre les contrats de ville et rapprochera l'urbain de l'humain. Une liste des quartiers prioritaires sera proposée par le conseil d'administration de l'ANRU et arrêté par le ministre en charge de la ville. L'objectif du nouveau PNRU est d'achever la rénovation des quartiers dont les travaux ont commencé et de rénover ceux qui ne l'ont pas été lors du PNRU-I. Enfin, une enveloppe spécifique sera réservée aux opérations de proximité dans les quartiers mais aussi aux franges de ceux-ci.

L'Assemblée nationale a rajouté un article sur la politique de peuplement : des conventions intercommunales permettraient de fixer des objectifs de peuplement sur la base du critère revenu, à l'intérieur des quartiers prioritaires. La mixité sociale est en effet un objectif majeur.

L'intervention citoyenne a fait l'objet de nombreux débats à l'Assemblée nationale : comment mieux associer les habitants des quartiers à l'élaboration des contrats de ville et aux rénovations urbaines ? Les conseils citoyens permettront de faire émerger le sentiment d'appartenance à la collectivité, afin de lutter contre l'abstentionnisme, le populisme et le fondamentalisme. La reconstruction de la démocratie locale est indispensable.

Sur proposition du député Daniel Goldberg, l'Assemblée nationale a fait de la discrimination à l'adresse le vingtième critère opposable. Le refus d'un logement ou d'un emploi sous prétexte d'habiter tel ou tel quartier deviendra un délit.

M. Claude Dilain, rapporteur. - Les nombreuses auditions que nous avons menées démontrent que ce projet de loi recueille l'assentiment de tous les acteurs de la politique de la ville : élus, professionnels, mais aussi habitants et même la Cour des comptes. La réforme de la géographie prioritaire est appréciée, notamment le critère objectif. Depuis de longues années, le contrat global était attendu. Vous mettez fin à cette fausse querelle entre l'humain et l'urbain. La réhabilitation du droit commun va devenir la priorité de la politique de la ville. Nous allons aussi passer de la rénovation urbaine au renouvellement urbain. Enfin, la participation des habitants franchit une étape : pour la première fois, le mot « co-construction » figurera dans un texte de loi, ce qui a une valeur symbolique très forte. Tiendrez-vous bon, monsieur le ministre ? Irez-vous encore plus loin dans cette participation active et non conflictuelle des habitants ?

En dépit de l'étude d'impact, certains se sont inquiétés que l'ANRU puisse créer des filiales afin d'intervenir sur le développement économique. Pouvez-vous nous en dire plus ? Pourriez-vous également développer sur l'outre-mer ?

Il faudra aussi mieux définir la notion de cohésion urbaine : j'espère que vous visez l'ensemble des dispositifs sociaux et urbains.

Présidence de M. Martial Bourquin, vice-président

M. Jean Germain, rapporteur pour avis de la commission des finances. - La politique de la ville est sans doute critiquable, mais elle est essentielle. Le zonage prévu mettra fin à de nombreux faux débats : un critère qui repose sur le revenu médian permettra de définir une carte incontestable.

Sur la gouvernance, je serai plus nuancé que mon collègue Dilain. S'il est bon d'être « gouvernancé », il est préférable d'être gouverné. Les vrais habitants, et non pas les spécialistes associatifs de la solidarité, devront s'exprimer : de la même façon qu'il existe un lobby de la charité, il en existe aussi un en ce domaine.

Comment seront mobilisés les crédits de droit commun en faveur des quartiers ? Retrouverons-nous trace de cette politique dans les bleus budgétaires des différents ministères ? Comment se traduira la territorialisation des crédits de droit commun ?

L'ANRU va mobiliser 20 milliards sur dix ans : comment se fera la répartition entre les bailleurs sociaux, les régions, les départements, les agglomérations ? Comment assurer le financement de l'ANRU dans les années à venir ? Avec le 1% logement ? Mais s'il est trop mis à contribution, la construction de logements diminuera. Avec la réforme globale de la fiscalité, le 1% ne risque-t-il pas, en outre, de disparaître ? Quid, alors du financement de l'ANRU ?

La création de sociétés mixtes ou de sociétés publiques locales (SPL) par l'ANRU est préférable au recours aux partenariats public-privé (PPP). Pour qu'un quartier redevienne « normal », l'économie doit reprendre ses droits.

Le projet de loi supprime la dotation de développement urbain (DDU) au 1er janvier 2015 et renvoie à un rapport d'information pour la mise en place de la dotation de la politique de la ville (DPV). La commission des finances apprécie peu qu'une subvention disparaisse sans qu'une autre soit créée, alors que l'État va réduire d'un milliard et demi les dotations versées aux collectivités, tout en augmentant la péréquation.

À l'Assemblée, le curseur de la péréquation a été modifié : les 40 % les plus riches payeront pour les 40 % les plus pauvres : les mécontents se compteront par légion.

Les députés ont décidé qu'une communauté de communes ou une communauté d'agglomération qui ne passerait pas un contrat de ville devrait payer un malus de cinq euros par habitant. Certes, ce malus sera plafonné à 1% des dépenses de fonctionnement, mais le coût peut s'avérer très élevé. Cette disposition vise-t-elle une communauté précise ? Quel serait l'intérêt pour une communauté d'agglomération de ne pas signer un contrat de ville ?

Une fondation sera créée : qui l'alimentera, quelles actions financera-t-elle ?

Enfin, si la dotation de solidarité communautaire (DSC) n'est pas obligatoire, elle est versée par de nombreuses agglomérations. En revanche, dans les communautés de communes, le sujet est d'importance, surtout en pleine réforme de la DGF.

M. François Lamy, ministre délégué. - Je suis très attaché à la co-construction. À l'Assemblée nationale, on s'est beaucoup interrogé sur la réelle participation des habitants. Tout le monde croit à la participation, mais les pratiques diffèrent : parfois, il ne s'agit que d'une simple information sur des décisions déjà prises.

Qui d'entre nous accepterait qu'on lui dise qu'il va devoir quitter son logement pour cause de démolition, qu'il va être relogé ailleurs, sans savoir quand ni où ? Personne, et aucun des habitants de quartiers huppés. Or, c'est bien ce qui se passe lorsqu'on démolit une tour. Avec les conseils citoyens, nous créons un cadre. Nous proposerons une méthodologie commune qui tiendra compte de la réalité locale. Contrairement aux comités de quartiers qui sont présidés, dans les villes de plus de 80 000 habitants, par des élus, ces conseils seront organisés par les habitants eux-mêmes, avec le soutien financier de la collectivité et de l'État. La moitié des représentants devra venir du monde associatif de proximité et l'autre moitié de vrais habitants, qui veulent participer à la dynamique d'animation de leurs quartiers. La démocratie locale est fragile et si les maires sont encore les élus préférés de nos concitoyens, cela risque de ne pas durer. Ces dispositifs d'intervention citoyenne mobiliseront la démocratie locale.

L'ANRU pourra prendre des participations dans des sociétés spécialement dédiées à la rénovation urbaine. Elle pourra aussi se doter de compétences à l'international, puisqu'elle bénéficie d'un savoir-faire reconnu qui pourrait profiter à d'autres pays. Il y a trois semaines, l'ANRU a signé une convention avec l'Agence nationale de rénovation urbaine tunisienne et je serai avec le Premier ministre et le directeur de l'agence cette semaine en Algérie pour proposer notre savoir-faire.

Pour les outre-mer, une géographie spécifique s'impose : en Guyane, des bidonvilles apparaissent en quelques jours. Une géographie prioritaire figée n'aurait aucun sens dans ce département. En outre, l'intercommunalité y est inégalement mise en place.

J'en arrive à la mobilisation des politiques de droit commun : le document de politique transversal (DPT) ne reflète que partiellement la réalité de la mobilisation. Nos administrations ne sont pas habituées à sectoriser ni à territorialiser leurs politiques qui sont menées pour les usagers des services publics et non pour les territoires. Avant d'espérer des bleus budgétaires, je préfère signer des conventions avec les autres ministères. J'en ai déjà conclu onze. Ainsi, d'ici la fin 2014, 20% des emplois d'avenir seront réservés aux quartiers prioritaires, alors que ces jeunes ne représentent que 12% de la jeunesse de notre pays. Pour la scolarisation des deux et trois ans, 25% des créations de postes seront fléchées vers les quartiers prioritaires. Ministère par ministère, nous allons quantifier les besoins et nous réexaminerons les conventions chaque année.

En augmentant le nombre de signataires de contrats de ville, les actions dans les territoires vont s'accroître. Ainsi, les recteurs ayant signé des contrats de villes devront se préoccuper de réussite éducative en mobilisant les moyens de l'éducation nationale sur un territoire donné. Même chose pour la convention signée avec Pôle emploi : 400 des 2 000 postes créés iront aux quartiers prioritaires. La priorité est donnée au pragmatisme.

Je ne puis dire dès maintenant quel sera le pourcentage des interventions de l'ANRU. Lorsque l'agence subventionne une opération de rénovation urbaine, elle tient compte du potentiel financier de la commune et de la situation des bailleurs. En moyenne, elle subventionne à hauteur de 25%, mais cela va parfois jusqu'à 50%. L'ANRU est en train de réviser son règlement pour être plus souple que dans le PNRU-I.

Parallèlement, le secrétariat général du comité interministériel des villes (SGCIV) va repenser le renouvèlement urbain. Peut-être faudrait-il moins de démolitions compte tenu de l'évolution des techniques. Nous devrons être plus attentifs au désenclavement, au développement économique mais aussi à l'accueil des jeunes enfants, à la sécurité...

En Île-de-France, pourquoi l'ANRU ne participerait-elle pas à la construction de logements spécifiques pour les policiers de proximité qui travaillent dans les quartiers pour les fidéliser ?

Courant 2014, un accord sera signé avec Action logement pour sanctuariser la fin du PNRU-I et financer le nouveau PNRU. Comme le deuxième plan sera moitié moindre que le premier, Action logement ne financera plus que la rénovation urbaine.

En deux ans, la dotation de développement urbain (DDU) a été doublée par le gouvernement et étendue à 120 communes. Elle sera transformée en dotation de la politique de la ville (DPV) lors de la loi de finances pour 2015. Nous devons donner plus de lisibilité aux élus locaux et mieux accompagner les communes les plus pauvres.

À l'Assemblée nationale, le rapporteur a voulu sanctionner les présidents d'intercommunalités qui, en raison de désaccords, bloquent la signature d'un contrat de ville pour ennuyer tel ou tel maire. La sanction prévue est assez lourde pour être dissuasive.

M. Jean Germain, rapporteur pour avis. - Elle est disproportionnée.

M. François Lamy, ministre délégué. - Vous pourrez y revenir.

Les acteurs associatifs des quartiers ont demandé la création d'une fondation. Rappelez-vous l'annonce du fonds franco-qatari, qui n'a d'ailleurs jamais existé pour les quartiers. Pourquoi ne pas créer une fondation qui pourrait mobiliser des fonds privés et publics pour l'animation et l'expérimentation sociale des quartiers ?

Enfin, il est difficile d'en appeler à la solidarité nationale lorsque la solidarité locale n'existe pas. Le maire de Sevran a fait la grève de la faim pour que l'État l'accompagne : à cette occasion, nous avons découvert, alors que les deux autres communes de son agglomération étaient riches, qu'aucune DSC n'avait été créée. La solidarité nationale est indispensable, mais la solidarité locale intercommunale l'est tout autant.

M. Michel Bécot. - Je regrette la procédure accélérée sur un sujet aussi important que la politique de la ville. Vous prévoyez avec raison la participation des habitants : il est normal qu'ils soient partie prenante d'un processus qui les concerne au plus haut point. Cependant, la précédente majorité avait mis au point un programme national de renouvellement urbain (PNRU) de douze milliards d'euros. Vous manquez d'ambition lorsque vous prévoyez cinq milliards d'euros seulement de 2014 à 2024 à l'article 2. Vous souhaitez un amaigrissement de la géographie prioritaire, mais les critères que vous définissez à l'article 4 ne prendront pas en compte les quartiers les plus nécessiteux : les territoires urbains seront caractérisés par un nombre minimal d'habitants et par un écart de développement économique et social mesuré par leur revenu. Il aurait fallu prendre en compte, comme précédemment, le taux de chômage et la présence de grands ensembles. Même si ce n'est pas encore fixé dans le texte, l'aide serait réservée aux quartiers dont la moitié de la population a des revenus de moins de 60% du revenu de fiscal médian. Cela aboutirait à inclure 1 300 quartiers de plus et à en exclure 1 200. Pouvez-vous apporter des précisions ? Les quartiers prioritaires ne seront connus qu'après les élections municipales. Nous, parlementaires, ne pouvons pas voter un texte aussi important que celui-ci sans connaître cette liste.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Ce projet de loi répond à une nécessité. Si tout n'est pas à jeter dans la compilation qu'on peut faire des politiques de la ville - si elles n'avaient pas existé, la situation serait bien pire - elles avaient grand besoin d'être toilettées et simplifiées. Alors que certains procédaient à la disqualification hâtive des conseils généraux dans leurs compétences sociales, vous les réhabilitez, y compris en milieu urbain, ce qui réjouit le conseiller général de quartier populaire que je suis.

M. Marc Daunis. - C'est ce qu'on appelle un plaidoyer pro domo !

M. Jean-Jacques Mirassou. - Faire entrer dans le dispositif les zones rurales, où les dysfonctionnements sont réels même s'ils sont vécus avec plus de pudeur et de discrétion, est une très bonne chose. Sans cela, nous assisterions à une translation de ce que nous connaissons en milieu urbain vers le milieu rural ou semi-rural.

M. Marc Daunis. - C'est déjà le cas...

M. Jean-Jacques Mirassou. - Concernant la participation des habitants, ceux qui se sont organisés comptent depuis longtemps, y compris parfois en faisant preuve d'un corporatisme de quartier ; vous prévoyez avec raison d'impliquer le plus grand nombre dans une dynamique citoyenne. Or, c'est la puissance publique - au sens large des signataires des contrats de ville existants - qui incitera les invisibles, ceux qui ne parlent jamais, à y adhérer. C'est primordial, y compris dans le domaine de la sécurité. Vous superposez avec raison les zones déterminées par la méthodologie du carroyage - qu'il nous faudra apprivoiser - et les zones de sécurité prioritaire.

Un certain nombre de quartiers, restés trop longtemps en marge des dispositifs précédents, ont basculé du mauvais côté. Sous prétexte de nous concentrer sur les quartiers qui sont incontestablement concernés, n'oublions pas ceux qui pourraient l'être à très court terme. Comme à tous les ministres, lors de votre visite à Toulouse, on vous a fait faire une belle tournée de Bagatelle à Empalot et au Mirail, avec - peut-être, mais cela a lieu une fois sur trois - une excursion aux Izards ; mais jamais par les quartiers Est, qui sont pourtant sur le point de basculer. Il est plus efficace de traiter les problèmes à la racine.

M. Martial Bourquin, président. - Ce texte est bienvenu. Les quartiers ont besoin d'une politique de la ville volontariste. Baisser la garde sur ces questions, c'est baisser la garde sur l'essentiel, sur l'esprit républicain. Sans politique de la ville, dans quel état seraient ces quartiers ? Si les associations n'étaient pas soutenues, quel serait le lien social dans ces quartiers ? Sans doute en dehors de la République, dans le non-droit. Notre société doit résorber ses poches d'exclusion. J'ai peur que les quartiers qui ne sont pas pris en compte par l'ANRU, et ne sont donc réhabilités que sur les fonds propres des bailleurs, ne soient l'objet d'une ghettoïsation encore plus importante. Il faudra mieux manier le triptyque démolition- réhabilitation-reconstruction, pour éviter les ratés y compris sur le bâti. Le nord de la Franche-Comté connaît un problème de reconstruction ; on y démolit aussi trop facilement. Les architectes de l'ANRU conditionnent parfois le financement d'un projet à la démolition d'une barre, où l'on ne vit finalement pas si mal et dont les problèmes pourraient être résolus par une bonne réhabilitation, notamment thermique, beaucoup moins chère que la reconstruction. L'exclusion n'a pas reculé dans ces quartiers : il faut manier en parallèle le bâti et le social.

Faisons un audit des zones franches. À une exception près, dans ma ville, la zone franche a été un moyen, parfois scandaleux, de défiscalisation pour des professions libérales, qui, souvent, n'ont pas embauché une seule personne du quartier. Dans la situation budgétaire actuelle de la France, évitons les effets d'aubaine de ce type : restreignons les aides à l'embauche de jeunes du quartier. Les rapports entre intercommunalités et maires sont à manier avec dextérité. Le Sénat propose que le passage aux plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI) soit volontaire. La politique de la ville a trouvé un bon équilibre entre des intercommunalités responsables de la contractualisation et des maires au premier rang pour l'appliquer. Ce texte n'est pas de l'affichage ; c'est une politique pensée d'inclusion sociale.

Mme Mireille Schurch. - Si je salue la concertation que vous avez menée, je m'interroge sur l'absence de liste des quartiers concernés, qui nous fait légiférer à l'aveugle. Comment conciliez-vous cette politique généreuse et le gel des aides personnalisées au logement (APL) dans les quartiers ? Comment parler de mobiliser des institutions de droit commun - Caf, ARS -lorsque les dotations aux collectivités territoriales baissent ? Quel sera l'accompagnement aux territoires sortant de la géographie prioritaire ? Pouvez-vous préciser à ce propos la notion de territoire de veille ? Nous sommes très attachés au niveau communal et regrettons votre choix de l'échelon intercommunal. Vous ferez des carreaux de cent mètre de côté pour aller au plus fin, mais vous confierez à l'intercommunalité une contractualisation que les maires devront appliquer, eux dont le rôle de proximité est si important. Donnons le choix aux intercommunalités de contractualiser à leur niveau ou au niveau municipal. Nous sommes favorables à la participation des habitants, placés précédemment dans une situation très douloureuse par la démolition de certaines barres. Le rôle des conseils municipaux devrait être revalorisé. En revanche, ne craignez-vous pas que les fondations se créent autour de valeurs communautaristes ou religieuses ? Y aura-t-il des garde-fous ? Un cahier des charges précis ? Il y a eu précédemment plus de démolitions que de constructions. On peut à l'avenir davantage réhabiliter. La DPV sera-t-elle aussi importante que la DDU ? Pourquoi la Caisse des dépôts ne consentirait-elle pas des prêts à taux zéro pour financer le PNRU ? Tous les financements de l'ANRU n'avaient pas été consommés ; pourquoi, et comment comptez-vous faire pour doper à l'avenir la consommation des crédits ?

Mme Valérie Létard. - La concertation, à laquelle j'ai eu l'occasion de participer, vous a permis de prendre la mesure de tous les aspects du problème. La sanction financière introduite par M. Pupponi me rend perplexe. Il s'agit de punir le non-respect par l'intercommunalité d'une compétence qui lui est transférée. D'autres moyens existent : le préfet peut intervenir... C'est très différent de l'article 55 de la loi SRU, qui fixe un objectif, et pose une sanction pour les collectivités qui ne l'atteignent pas. Cela fragilise le dispositif en laissant entendre qu'une collectivité peut s'affranchir de sa compétence obligatoire. D'ici le débat en séance, mon groupe fera des propositions en faveur d'une démarche positive d'incitation, et non de coercition.

La concertation avec les habitants est une évidence. Prenons en compte l'histoire des quartiers : dans chacun d'entre eux, sur mon territoire, des associations de gestion des fonds de participation des habitants gèrent des sommes affectées par la région ou les autres collectivités, qui les contrôlent a posteriori. Ne recréons pas une instance obligatoire alors que des structures existent déjà. Nous aimerions connaître les conditions de transition entre la DDU et la DPV. Nous garantissez-vous que nous serons dans une épure acceptable ?

M. Marc Daunis. - Je salue votre méthode. Nous devons nous recentrer sur des priorités pour éviter une dilution inefficace. Il est urgent que le travail en cours sur les zones franches aboutisse. La question que soulève Valérie Létard sur les sanctions mérite d'être examinée de plus près. Il est dommage - et c'est vrai aussi pour le droit commun - que le critère des ressources des collectivités l'emporte de plus en plus sur la composition de la population. Dans les Alpes Maritimes, des villes qui ont une attitude très distante vis-à-vis de la loi SRU - seules trois communes y satisfont dans le département - faisant partie d'intercommunalités riches, peuvent être bénéficiaires de fonds de droit commun, voire de fonds prioritaires. Or construire des logements sociaux est un impératif en France, et d'autant plus dans des zones tendues où l'accession à la propriété, de plus en plus inaccessible, est responsable d'un enkystement dans le logement social. La situation devient dramatique pour les couches les plus fragiles. On voit parfois fleurir des résidences étudiantes sociales ou du prêt locatif social (PLS) pour afficher un pourcentage plus élevé... La question de la répartition du logement social doit redevenir centrale, avec une politique qui ne soit pas seulement pénalisante, mais intégrée dans la politique générale du gouvernement.

M. François Lamy, ministre délégué. - Je comprends vos remarques sur la procédure accélérée ; mais ce texte a fait l'objet d'une large concertation et ne devrait pas soulever de graves problèmes. L'important est que les collectivités aient les règles du jeu après les élections municipales. Savez-vous que le principal opposant à mon texte, parmi d'autres députés UMP, s'est abstenu ? Les 44 milliards d'euros dont 12 pour l'ANRU n'étaient pas prévus au départ et sont le résultat d'une montée en puissance. Le résultat, c'est que seuls 80 % de ces crédits sont engagés et 50 % sont payés. Il faut tuiler les deux dispositifs et éviter ce qui avait été introduit dans les débats parlementaires à l'article 6 : la possibilité de s'exonérer des obligations en fait de politique de la ville pour réaliser telle ou telle opération, naturellement toujours présentée comme indispensable. Il faut terminer la rénovation des quartiers là où elle a commencé ; commencer celle de quartiers qui n'ont pas du tout été touchés ; tenir compte des possibilités des acteurs pour assurer les financements croisés et ne pas se contenter des affichages. Vingt milliards est un chiffre ambitieux et réaliste. Le carroyage est très simple : la France est divisée en carreaux de 200 mètres de côté. Autrefois, les îlots regroupés pour l'information statistique ou Iris pouvaient regrouper des zones urbaines et agricoles ; les carreaux ou les agrégats de carreaux choisis à partir d'un critère simple nous feront reprendre, d'après les simulations, 80 à 85 % des zones urbaines sensibles et inclure d'autres quartiers. À Amiens, si nous avions utilisés les critères habituellement retenus, nous aurions fait apparaître les trois quartiers déjà pris en compte. Avec notre méthode, nous avons fait apparaître un quatrième quartier en centre-ville, sans problèmes apparents, mais dont les élus nous ont confirmé la grande difficulté. Grâce à cette méthodologie, des quartiers seront repérés dans des départements jusqu'à présent peu connus pour avoir besoin de la politique de la ville, comme à Auch où j'étais avec le Président de la République, et où un quartier, le Grand Garros, complètement déconnecté du centre pour des raisons liées à l'histoire industrielle de la ville, présente les mêmes stigmates qu'un quartier de grande agglomération.

Tous les élus qui s'inquiètent auprès de moi n'ont pas de raison de le faire. Lorsqu'ils doivent sortir du dispositif, ils le savent déjà : souvent - disons-le brutalement - ils n'auraient jamais dû en bénéficier. Ma propre commune, Palaiseau, recevait entre 35 000 et 80 000 euros chaque année, parce que je m'étais ému auprès du préfet que la commune d'à côté, Massy, bénéficie, à l'inverse de la mienne, d'un contrat de ville. La plus grande de mes cités compte 300 logements, elle est située au milieu d'un quartier pavillonnaire, qui permet une mixité sociale à l'école, et la mairie a les moyens nécessaires pour l'accompagnement social. Autre exemple : en Guadeloupe, les vraies difficultés se situent à Pointe-à-Pitre, aux Abymes, et aux deux communes mitoyennes de Grand-Bourg et de Baie-Mahault. Mais comme elles se situent uniquement sur la Grande-Terre, il a fallu aussi une zone sur la Basse-Terre, qui capte 40 % des crédits. La précédente majorité avait tenté de faire une réforme en 2009 ; mais la liste des quartiers, prenant en compte les critères du taux de chômage et de la présence de grands ensembles, n'incluait plus Vénissieux et Vaulx-en-Velin. Je comprends pourquoi le Premier ministre a reporté la réforme à 2014.

Pourquoi ne pas publier la liste ? D'abord par respect du Parlement, qui doit voter en faveur du critère unique pour qu'elle soit fixée, ce qui amène à la fin du mois de janvier. Je ferai ensuite des allers et retours entre préfets et élus. Il faudra prendre en compte des situations où le maire nous dit voir la concentration de pauvreté et neutraliser les effets de seuils comme pour un quartier de 950 habitants, situé pourtant sous le seuil de 1 000. Une simulation serait forcément imparfaite. Si une ville n'est pas reprise dans le périmètre, c'est soit qu'elle n'aurait jamais dû y entrer, soit que le travail des élus a profité aux quartiers ; je leur conseille dans ce cas d'en faire un élément de leur campagne électorale. Ne vous inquiétez pas ; cette carte sera la première carte de la déconcentration de la pauvreté dans le pays, utile à d'autres géographies prioritaires comme celle de l'éducation nationale.

Les communes sortantes pourront contractualiser sur le droit commun ; les contrats d'adultes relais iront à leur terme ; les dispositifs de réussite éducative seront examinés et le cas échéant perdureront. Il n'y aura pas de discontinuité. Vous verrez peut-être que les acteurs de droit commun - ARS, recteur, Caf - feront lever plus de fonds que les seuls crédits politique de la ville pendant des années. S'il y a des quartiers prioritaires, c'est qu'il y en a qui ne le sont pas. Je proposerai dans le texte que la carte soit revue après chaque renouvellement électoral. Les conseils généraux ne se sont pas suffisamment engagés. Dans la convention que j'ai signée avec l'ADF, les départements prévoient d'agir sur deux sujets très précis : les familles monoparentales et les retraités, sujet nouveau que la politique de la Ville ne traitait pas jusqu'à présent.

M. Martial Bourquin, président. - Y compris sur le plan de l'accessibilité.

M. François Lamy, ministre délégué. - En effet. Nous avons démoli trop souvent. L'année 2014 sera l'occasion d'une réflexion sur la question. Nous disposons maintenant de techniques plus adaptées aux enjeux thermiques mais aussi aux enjeux sociaux. Les habitants se disent souvent attachés à leurs appartements : ils sont plus grands que les appartements actuels, plus élevés, plus proches de leurs amis... Il faut limiter les démolitions au désenclavement, ou aux bâtiments dont la structure ne permet pas une rénovation à des coûts raisonnables. Sur la répartition entre l'intercommunalité et les maires, nous pourrons clarifier les choses encore plus dans le texte du Sénat : je crois qu'il faut jouer non sur la subsidiarité mais sur la complémentarité.

M. Claude Dilain. - Tout à fait.

Mme Valérie Létard. - Très bien.

M. François Lamy, ministre délégué. - La liberté de choisir entre les niveaux, ce serait permettre à des communes membres d'un EPCI non concernées de laisser à une seule commune qui le serait cette compétence. Cela doit être une compétence obligatoire des intercommunalités. Les lignes de transport en peuvent pas être gérées commune par commune : voyez la situation à Marseille. L'ingénierie humaine serait aussi plus facile : les intercommunalités ont davantage les moyens de payer des cadres de qualité.

Le texte ne comporte pas de risques sur les fondations, qui doivent respecter des valeurs - liberté, égalité, fraternité et de laïcité - que des fondamentalistes ne pourraient pas reprendre. Il s'agit de répondre à une demande d'acteurs des quartiers. Le rapport parlementaire de MM. Michel Sordi et Henri Jibrayel sur les zones franches urbaines (ZFU) est intéressant, mais leur regard est peut-être d'autant plus positif qu'ils en ont dans leur circonscription. J'ai demandé une évaluation au Conseil économique social et environnemental (Cese), qui me sera remise fin décembre ou début janvier. Il y a deux types de ZFU : celles qui ont fonctionné, comme l'une des deux à Marseille, parce que le quartier est sécurisé, que l'espace public est de qualité, que des locaux peuvent accueillir les entreprises, qu'il y a du transport et du logement ; et les autres, où l'on s'est contenté de regarder les emplois pousser ; sauf qu'ils n'ont pas poussé. En fonction du rapport, on aura quelques mois en 2014 pour remplacer les ZFU, dont l'arrêt a été décidé par le précédent gouvernement. Les conditions imposées aux collectivités devront être plus contraignantes en matière de désenclavement ; certaines professions pourront en être exclues ; l'accent devra être mis sur le commerce de proximité et l'artisanat.

M. Martial Bourquin, président. - Très juste.

M. François Lamy, ministre délégué. - Ce sont des vecteurs de création d'emploi. Demain, je présenterai au Conseil des ministres un plan d'accompagnement au développement d'entreprises dans les quartiers avec le soutien de la BPI. Les ZFU sont-elles destinées à soutenir le développement économique, ou à créer de l'emploi pour les habitants ? Dans ce cas, les emplois francs, qui montent actuellement en puissance, sont une solution : toute entreprise, où qu'elle soit, qui recrute un jeune de 18 à 30 ans de zone urbaine sensible, bénéficie d'une subvention de 5 000 euros.

La compétence politique de la ville est obligatoire, mais pas la signature d'un contrat de ville. Il faudra peut-être assouplir la sanction pour les cas où il pourrait y avoir un blocage, qui inquiètent les parlementaires. Une fois ce cadre posé, consacré au traitement de l'existant, d'autres étapes seront nécessaires, comme par exemple la répartition des logements sociaux, et globalement la manière dont nous construisons nos villes. Mon ambition, qui sera sans doute atteinte par mes successeurs, c'est que le ministère de la ville - c'est-à-dire des quartiers populaires - devienne le ministère de la cohésion et de la solidarité urbaine.

M. Claude Dilain et M. Marc Daunis. -Très bien !

M. Martial Bourquin, président. - Je vous remercie.

Mercredi 11 décembre 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Audition de M. André Marcon, président de « CCI de France »

M. Daniel Raoul, président. - Monsieur le président, plus de trois ans après son adoption, quel bilan tirez-vous de l'application de la loi de 2010 relative aux réseaux consulaires ? Son examen avait créé des tensions et des inquiétudes au sein du réseau des CCI. Les esprits sont-ils apaisés ? Les craintes d'une perte de proximité du terrain se sont-elles concrétisées ? Le coût administratif du réseau a-t-il été réduit ? Le niveau des moyens affectés vous astreint d'ailleurs à une obligation de résultats...

Les chambres de commerce et d'industrie assurent un rôle d'appui, d'accompagnement et de conseil auprès des entreprises. L'appui à la création d'entreprises et à leur transmission - je préfère ce terme à celui de reprise, qui suppose un accroc... - nécessite un accompagnement dans la durée, sous la forme d'un mentorat ou d'un tutorat. Quelle place les CCI occupent-elles dans cette évolution ?

Les études sur la création d'entreprises mettent en avant l'insuffisance de la formation des entrepreneurs. La nécessité d'augmenter le niveau de qualification des salariés et des cadres est l'un des sujets des négociations sur la formation professionnelle qui se tiennent en ce moment. Comment ont été utilisées les sommes initialement affectées à cet objectif et dont Le Monde daté d'hier donnait une ventilation très suggestive ?

Vous pourrez nous éclairer sur l'articulation entre l'action des CCI et celle des autres dispositifs d'appui au développement des entreprises, notamment la BPI et Ubifrance.

Enfin, quelle analyse portez-vous sur la situation actuelle de la trésorerie des entreprises et les difficultés qu'elles ont à accéder au financement bancaire de court terme ? La frilosité des banques, alimentée par celle de la Banque de France, met en danger nombre de TPE, PME et ETI à l'heure où se dessine une reprise encore timide.

M. André Marcon, président de CCI de France. - Entrepreneur de terrain dans le secteur du tourisme, en milieu rural, j'ai monté une quinzaine de petites structures au cours de ma vie professionnelle. Depuis vingt-cinq ans, je suis maire d'un petit village de 240 habitants, dans le Massif central.

Je suis tombé très tôt dans le réseau des CCI et, après y avoir été formé, je leur rends ce qu'elles m'ont apporté. J'ai été président de la CCI de Haute-Loire puis de celle du Massif central, avant d'accéder à une responsabilité nationale. Le réseau se compose de 27 chambres régionales et 123 chambres territoriales, s'appuyant sur près de 5 000 élus bénévoles et 22 000 collaborateurs pour 2,5 millions d'entreprises du commerce, de l'industrie et des services inscrites au répertoire des sociétés du commerce. Il porte leur voix auprès des ministères et des collectivités locales, mais s'interdit de parler du paritarisme, qui relève des organisations professionnelles. Il remplit des missions de service public pour lesquelles il perçoit la taxe.

Les résultats de notre dernier sondage sur le moral des chefs d'entreprises montrent une aggravation de leur pessimisme, en cette fin d'année 2013 : 82 % d'entre eux ne sont pas confiants pour l'économie française. Mais ce chiffre doit cependant être pondéré, car si un chef d'entreprise sur trois n'est pas confiant dans l'avenir de sa propre entreprise, à l'inverse deux sur trois le sont. Le discours est paradoxal : tout va mal, sauf en ce qui les concerne.

Les attentes des chefs d'entreprises sont simples. La stabilité règlementaire et fiscale leur est indispensable pour prévoir et organiser l'avenir. Les Assises de la fiscalité devront respecter cette donnée. Nous sommes les rois de la norme ; leur simplification lèvera les entraves qui gênent la vie quotidienne des entreprises. C'est pourquoi les CCI sont très engagées dans le dispositif « Dites-le nous une seule fois » ou les tests PME. L'allègement du droit du travail est un autre chantier prioritaire pour les dirigeants des TPE et des PME : 1 500 pages de code du travail, ce n'est pas acceptable, d'autant qu'il a augmenté de 40 pages par an depuis dix ans. Si vous voulez décourager un créateur d'entreprise de se lancer, donnez-lui un code du travail !

L'accès au financement devrait également être facilité. Bâle III impose des grilles et des paramètres qui invalident systématiquement les dossiers présentés. De plus, l'éloignement des interlocuteurs bancaires empêche l'instauration d'un rapport de confiance entre les banques et les entreprises, d'autant que les interlocuteurs changent très souvent.

Enfin, pour valoriser l'entrepreneuriat dans la société, les CCI ont proposé un parcours entrepreneurial dès l'école, afin que les jeunes prennent conscience des possibilités qu'une telle voie peut leur offrir.

Le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi marque une étape intéressante, qui doit être complétée, notamment sur la compétitivité des PME et ETI. Le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) nous semble un outil intéressant, nous en avons fait la promotion. De même, les chefs d'entreprise sont sensibles au projet de la Nouvelle France industrielle, et à la valorisation des productions locales. Il convient d'y associer systématiquement les PME.

Nous avons participé à l'élaboration du nouveau plan à l'export et entendons pleinement contribuer à l'accompagnement des entreprises grâce aux 77 chambres françaises installées à l'étranger. Enfin, après avoir consacré 2013 à l'industrie, nous ferons de 2014 l'année de l'innovation.

La loi de 2010 visait à concilier rationalisation et proximité, anticipant ainsi les réformes de décentralisation. Les 27 chambres de région, dont 22 en métropole, sont devenues le pivot de notre organisation : elles ont la maîtrise du budget comme de l'ensemble des collaborateurs. Les budgets ne sont plus attribués individuellement avec de grandes variétés de taux (de 0,50 à 2,50%). Cette harmonisation, avec un taux national sur la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (TACVAE) et un taux régional sur la taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises (TACFE), n'a pas été sans difficulté, car les disparités du système précédent faisaient coexister des politiques inconciliables, comme, pour prendre l'exemple aquitain, celles de la chambre de Mont-de-Marsan, favorable à une baisse de la pression fiscale, et de Bayonne dont la politique expansionniste faisait grimper les taux : le président de la chambre régionale est comme une enclume sur laquelle les présidents de chambres territoriales frappent pour forger le nouveau système...

Si le fait régional s'est renforcé pour gérer les fonctions support, le maintien d'une action de proximité est un point positif de la réforme. Les chambres territoriales, avec leur statut de chambres rattachées, conservent un droit d'initiative qui trouve sa réalisation dans la promotion de travaux d'équipement, dont le Pont de Normandie réalisé par la chambre du Havre est un bel exemple. Cependant, l'absence de ressources suffisantes rend de plus en plus difficile sa mise en oeuvre.

La régionalisation des chambres a assuré aux salariés une plus grande sécurité : ils ne craignent plus la suppression de leur CCI. Même si elle n'a pas été sans difficulté, en raison de la diversité des systèmes statutaires, des primes non statutaires ou des avantages comme les tickets-restaurant, la remontée des personnels vers les chambres régionales constitue une réussite. Imaginez un mouvement des personnels analogue au niveau des communes : cela nécessiterait de belles parties de manivelle...

Enfin, la réforme a renforcé CCI France, la tête de réseau, non pas en termes de moyens, mais de pouvoir et de droits : pouvoir d'entreprendre des actions ou d'édicter des normes par un vote aux deux tiers de l'assemblée (nous l'avons fait pour la gestion des ressources humaines), droit de procéder à des audits, même s'il est délicat d'auditer ceux qui nous payent, et devoir de mettre en place des tests PME lors de la mise en place des mesures gouvernementales.

Sur le terrain, le changement rencontre des résistances fortes. Certains directeurs généraux ont craint de perdre leurs prérogatives, alors que dans les faits, ils continuaient à diriger leur personnel. La gestion des budgets a donné lieu à des combats homériques. Peu à peu, ces inquiétudes se sont dissipées. Des projets novateurs ont vu le jour ; de sept chambres en Seine-Maritime on est passé à six, puis nous passerons à quatre, avec une seule chambre régionale pour les deux régions normandes en 2016. C'est la décision des élus et d'autres fusions volontaires sont prévues.

Au-delà, les apports de la loi sont importants. En un temps difficile, fait d'instabilité, il était important d'améliorer la lisibilité de l'action des CCI et d'en clarifier les missions pour les élus. J'ai entamé avec le président de la République et avec le Premier ministre un dialogue qui a débouché sur la signature d'un pacte de confiance, le 28 mai dernier. Il reconnaît le rôle des CCI comme corps intermédiaire au service des entreprises, en particulier des PME, avec pour cela, une taxe affectée.

Deuxième étape, un contrat d'objectifs et de performance formalise les actions des chambres en les recentrant sur les thèmes importants. Ce contrat se déclinera sur le territoire en contrats d'objectifs et de moyens. Il sera l'armature autour de laquelle les chambres s'organiseront et mèneront une action homogène au service des entreprises. Les domaines retenus sont d'abord la création et la transmission des entreprises, mais aussi la formation, qui représente le tiers de notre budget et où il reste tant à faire : nous sommes de fervents militants de l'apprentissage et nous tenons à en combler les lacunes. Les grandes écoles françaises, qui ont été créées par les CCI font notre fierté, car elles font bonne figure dans le classement de Shanghai. Loin d'être anormales dans la vie de notre pays, elles représentent un outil pour les entreprises. L'innovation constitue également un domaine d'action important pour les CCI, ainsi que pour le territoire dans lequel elles se sont largement investies, même si aujourd'hui elles ne gèrent plus que les équipements qui sont en perte. Un certain nombre de pistes restent néanmoins ouvertes, comme la création de data centers au service des entreprises locales. Nous voulons être plus transparents, rendre des comptes et mettons en place des indicateurs de performance.

M. Daniel Raoul, président. - Toutes les CCI n'ont pas le même rayonnement : je connais une Belle au bois dormant...

M. Claude Bérit-Débat. - J'ai travaillé dans une CCI et, depuis trente ans, j'entends le même discours quant aux attentes des chefs d'entreprises. Elu aquitain, je constate que le travail d'information sur la mise en place du CICE n'a pas été fait : en Dordogne, les chefs d'entreprises ne sont au courant de rien.

J'étais contre la réforme de 2010, dont j'ai dit à la tribune que c'était une aberration. Créer de toutes pièces des CCI régionales et y transférer la gestion du personnel ne va pas sans difficultés. En Aquitaine, la majorité des CCI sont locales et mènent une politique de proximité que la mise en commun des ressources rend inefficace. Ainsi, les parcs des expositions dont se sont dotés presque tous les départements de ma région sont gérés par des CCI. Ils vivent grâce aux recettes de salons professionnels liés au territoire. La régionalisation fait perdre leur intérêt à ces salons, asséchant le dynamisme des politiques de proximité. Qu'a produit cette loi par rapport aux objectifs fixés et aux craintes de ses opposants ?

L'Aquitaine propose un exemple intéressant de fusion. Les chambres de Bergerac et de Périgueux ont fusionné avant 2010, harmonisant leurs services et s'intégrant même à un pôle interconsulaire de sorte que la chambre de commerce, celles des métiers et de l'agriculture ont abandonné leur siège social et mis en commun leurs ressources dans une même logique au service des entreprises. La loi n'avait rien de nécessaire.

Le recours aux collectivités locales pour financer une action de service public qui découle de tels regroupements m'interpelle néanmoins, car sous prétexte d'un manque de moyens, les collectivités sont amenées à financer des services que les chambres de commerce devraient rendre. Quel est le résultat concret de l'application de la loi de 2010 ? Sur notre territoire constatez-vous la persistance de disparités entre le nord et le sud ? La gestion des ressources humaines a-t-elle été améliorée par la centralisation régionale ?

M. Daniel Raoul, président. - Voilà un beau sujet pour la commission pour le contrôle de l'application des lois...

M. Gérard César. - Après la loi de 2010, quelle action mener pour poursuivre l'indispensable restructuration des chambres ? Le partenariat de la chambre de commerce avec les chambres des métiers et d'agriculture est très important au niveau local. La chambre économique que nous avions créée en Gironde ne marchait pas trop mal. Le rôle que vous jouez avec les communautés de communes m'apparaît très utile pour les bassins économiques.

L'export est très important pour les entreprises. Des CCI interviennent en partenariat avec Ubifrance, avec les régions, parfois les départements. Les PME, TPE, ETI ont besoin de cet apport essentiel que représentent les chambres de commerce.

M. Gérard Bailly. - L'interconsulaire est capital. Il faut le développer, parce qu'il regroupe des secteurs très liés. Le cloisonnement entre la chambre de commerce et celle des métiers est problématique. A la CCI, coexistent le monde du commerce et celui de l'industrie. Souvent le commerce est beaucoup plus proche de l'artisanat que de l'industrie. Une réflexion est-elle en cours sur ces sujets ?

Quand les effets du CICE seront-ils perceptibles ? Qu'en est-il de la crise agro-alimentaire, en Bretagne principalement ? Enfin, le monde de l'industrie est sous-représenté dans nos assemblées. Pourquoi ne pas inciter davantage les chefs d'entreprises à y participer ?

M. Yannick Vaugrenard. - Ces derniers jours, l'Europe a avancé sur le sujet des travailleurs détachés, afin de lutter contre une concurrence déloyale. Mais, parfois, la présence des travailleurs détachés tient au manque de formation professionnelle et à la mauvaise image des métiers de l'industrie auprès des jeunes générations. Quelles sont aujourd'hui les marges d'amélioration de la formation professionnelle ? Comment atteindre une meilleure adéquation entre les offres et les demandes d'emploi ?

Les chambres de Nantes et de Saint-Nazaire se sont réunies pour gagner efficacité. Cet exemple a été à l'origine de la métropole Nantes-Saint-Nazaire. Le développement de l'Europe à l'est repousse l'ensemble des régions de l'ouest à la périphéricité de l'Europe. Ne serait-il pas intéressant que les CCI de Pays-de-Loire, de Bretagne et de Poitou-Charentes se réunissent autour d'un projet commun ?

Les représentants des lycées professionnels publics se plaignent parfois que la taxe d'apprentissage n'est pas suffisante. Le rapport est équitable entre privé et public, sauf si l'on considère que les élèves sont plus nombreux dans le public. Disposez-vous des éléments d'information à ce sujet ?

M. Michel Bécot. - Cette réforme était importante ; n'est-ce pas votre sentiment ? Les chambres régionales sont au bon niveau, en particulier pour être efficaces à l'export. A l'échelon d'un département ou d'un demi-département, il est difficile de disposer des techniciens nécessaires. La diminution des ressources ne devra pas être ressentie sur le terrain, où les chambres ont un rôle utile de relais des évolutions législatives et réglementaires ; dans les Deux-Sèvres, par exemple, la chambre informe sur le CICE. Attention à la réduction du personnel !

Utiles à la formation des jeunes chefs d'entreprises, les chambres pourraient aussi nous aider dans le domaine du tourisme, pour répondre au problème dramatique des jeunes recrutés à bac +4 ou bac +5, qui n'ont pas de connaissances suffisantes en géographie - j'en parlerai au Conseil national du tourisme et avec la ministre.

Les TPE et les PME ne trouvent pas de relais auprès des banques, qui ne jouent pas leur rôle, pas plus maintenant que par le passé. Vous devez les aider ! Jeune chef d'entreprise, j'ai connu des banquiers dignes de ce nom ; maintenant, ils ne connaissent pas leur travail et refusent de s'engager sur quoi que ce soit. Je compte beaucoup sur les CCI, cet outil très important.

M. Martial Bourquin. - Vous avez décrit le moral des chefs d'entreprise à travers deux chiffres contradictoires. Un grand quotidien a parlé de BFMisation de la vie économique et politique : la culture de l'instantané n'est pas bonne. Ici, au Sénat, nous avons besoin de recul, par exemple sur cette réforme. La crise a touché l'économie réelle, à tel point que certains évoquent un changement de monde : même de petites entreprises se confrontent à la concurrence au niveau mondial. L'information aux entreprises est capitale. Je ne me fais pas de souci pour les grandes, qui sont très bien informées et disposent d'une foule d'avocats et de techniques de vente et d'achat exceptionnelles ; les PME et TPE, elles, ont besoin de vous. Or, lorsque les 400 entreprises qui se trouvent sur ma commune se posent des questions sur le crédit impôt recherche (CIR) ou le CICE, c'est moi qui les renseigne. Si le préfinancement de ce dernier n'a été que de 900 millions d'euros, il va monter en charge. Enfin, nous venons de voter ce lundi une habilitation à prendre des ordonnances - les parlementaires ne le font jamais volontiers - pour alléger les obligations comptables d'un million de TPE ainsi que les procédures d'immobilier d'entreprise, simplifier l'information sur le droit du travail sans mettre en cause les droits des salariés, favoriser le recours aux procédures amiables pour les entreprises en difficulté, rendre obligatoire la facturation électronique pour l'État.

Dans un cas sur quatre, les difficultés d'une entreprise ont à voir avec des paiements en retard. Le problème s'aggrave. Dans le projet de loi relatif à la consommation, plusieurs amendements du Sénat tentent d'ailleurs d'apporter des réponses, notamment en permettant aux commissaires aux comptes de jouer tout leur rôle. J'ai fait un point à la CCI du Doubs il y a une semaine : de nombreux chefs d'entreprises sont heureux d'entendre ce que nous disons sur cette question, par exemple quand nous leur expliquons le rôle de la médiation interentreprises proposée par Pierre Pelouzet. Les CCI ne devraient-elles pas se saisir de ce problème et faire un point tous les ans lors de leur assemblée ?

Vous avez une action de terrain très importante, qui exige de la proximité par rapport aux entreprises : dans ces conditions, la régionalisation est-elle une bonne chose ?

M. Jean-Jacques Lasserre. - Troisième Aquitain à s'exprimer, je ne suis pas un partisan forcené de la régionalisation, adoptée en plein débat sur la révision générale des politiques publiques (RGPP). La situation des CCI est très contrastée, plus encore que celle des autres institutions du monde consulaire, chambres d'agriculture et chambres des métiers. Je suis proche de la CCI de Bayonne, qui a porté de nombreuses initiatives : une école d'ingénieurs ; une école de commerce ; la gestion de la pêche, d'ailleurs revenue de 12 000 tonnes à 3 000 tonnes... ; la concession du port, propriété du conseil régional, qui ne fonctionne bien que grâce à la tempête Klaus ; des opérations très intelligentes dans le domaine transfrontalier. La régionalisation ne risque-t-elle pas de « raboter » les initiatives sans assurer la solidarité en fait de prises de risques ? Les ports, les aéroports, qui représentent des risques d'exploitation considérables, obligent les CCI à demander à la collectivité publique de les partager. Le montage actuel permettra-t-il aux CCI qui sont porteuses d'initiatives de continuer à répondre à leur vocation originelle et très originale ?

M. Alain Chatillon. - Je serai provocateur. À l'heure de la simplification administrative, où les élus et nos concitoyens s'interrogent sur celle du « millefeuille » et attendent de la simplification et de la clarté, on peut s'interroger sur la raison d'être des CCI. Le monde de l'entreprise compte déjà le comité économique et social européen, les syndicats professionnels de branche, les pôles de compétitivité, Ubifrance, les régions et leur rôle important dans la formation. Le Français moyen se demande à quoi elles servent. Le plus souvent, leurs agents sont dans des bureaux dont ils ne sortent pas. Martial Bourquin l'a dit, nous sommes obligés d'informer nos chefs d'entreprises tous les six mois. Ce n'est pas normal !

Une simplification des procédures devrait vous aider à aller à l'essentiel. Vous nous parlez de votre action sur la création, l'accompagnement et la transmission des entreprises. Si je vous concède les deux premiers points, vous n'intervenez pas sur la transmission pour une bonne raison : qui veut vendre son entreprise ne le dit pas ; seul l'expert-comptable, le notaire et le conseiller fiscal, et peut-être le commissaire aux comptes le savent. Le seul moyen de réunir les chefs d'entreprise est de leur proposer un projet ; on peut le faire autour de la transmission, mais ce n'est pas un acte majeur.

En ce qui concerne l'apprentissage et la formation professionnelle, en Midi-Pyrénées, Airbus est contraint de créer sa propre structure parce que l'offre ne répond pas à ses besoins propres. L'aéronautique n'est pourtant pas un petit business ! Et la CCI est à Blagnac, à côté d'Airbus ! À l'international, des chambres de commerce accompagnent des entreprises sur les salons, c'est vrai ; mais ne faudrait-il pas plutôt collaborer avec Ubifrance, dont c'est le métier, plutôt que de chercher à s'y substituer ? Quant à l'innovation, les pôles de compétitivité s'en occupent ; dans un domaine que je connais, l'agroalimentaire, ce sont les associations régionales et l'association nationale des industries alimentaires (les Aria et l'Ania), ou l'Alliance 7. Comment voulez-vous que des chefs d'entreprises saturés d'information, concentrés sur leur affaire, vous identifient ? Je crois aux CCI, mais aussi à la lisibilité et à la simplification.

M. Pierre Hérisson. - En tant que membre de la commission sénatoriale de contrôle de l'application des lois, je crois qu'il y a urgence à contrôler l'application de cette réforme, qui est d'ailleurs critiquée plus fortement par ceux qui l'ont votée que par ceux qui s'y étaient opposés.

M. Daniel Raoul, président. - Ce n'est pas totalement faux...

M. Pierre Hérisson. - Voilà longtemps qu'il n'y a qu'une chambre de commerce en Haute-Savoie. J'entends parler d'une harmonisation des statuts des différentes chambres, y compris sur les ressources humaines ; au moment où l'on débat du travail le dimanche, une chambre ne devrait-elle pas faire figure de symbole et s'abstenir de rester fermée du vendredi soir au lundi matin ? Vous pouvez transmettre mon observation...

Certains ont évoqué le cloisonnement entre industrie, commerce et services. Communément, on appelle les CCI les chambres de commerce, ce qui en dit long.

Je participe à l'élaboration des documents d'urbanisme depuis des décennies : schémas de cohérence territoriale, plans locaux d'urbanisme communaux ou intercommunaux. Je ne veux pas critiquer la présence des CCI ; mais en ayant été membre de chambre et ayant présidé l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (Unicem), je peux vous dire que vos représentants, malgré toute leur compétence et leur honnêteté, laissent les fonctionnaires de l'État fixer les règles du jeu. Soyez moins discrets !

S'agissant de toutes les structures - pour ne pas dire les machins - créées ces dernières années sur la compétitivité, vous auriez gagné à être plus agressifs pour devenir incontournables entre le politique et l'industriel ou le commerçant. Vous exercez une compétence donnée par la loi ; vous n'êtes ni un syndicat ni une institution issue du monde associatif, dites-le ! N'auriez-vous pas dû initier les pôles de compétitivité ? Au lieu de cela, les politiques ont pris la main ; ils sont allés au Japon où cela existe depuis 25 ans, ils ont fait du copier-coller et rédigé le texte avec un interprète franco-japonais, en le présentant comme une initiative française...

Enfin, concernant les difficultés de financement, je partage ce qui a été dit. Dans une interview à Paris-Match, un grand patron français décrit la différence entre la période de son entrée dans les affaires et maintenant : autrefois, j'avais un banquier en face de moi, dit-il ; maintenant, c'est un ordinateur qui autorise le crédit.

M. Michel Bécot. - C'est vrai !

M. Pierre Hérisson. - Si vous n'êtes pas capables de dire leur fait aux banques sur la question... Cela vaut aussi pour les banques mutualistes - j'en suis membre depuis quarante ans - qui se font applaudir en assemblée de la caisse locale ou régionale sur la rentabilité des placements, jamais sur le financement de l'économie locale. On ne peut pas gérer les banques françaises comme cela, et encore moins des banques régionales qui dépensent des fortunes en publicité pour expliquer que les fonds collectés s'investissent dans la région, ce qui est faux - sinon, une grande banque française n'aurait pas eu les problèmes que l'on sait avec sa filiale grecque. Soyez plus agressifs ; l'impertinence verbale est le moteur de la démocratie.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Oh !

M. Pierre Hérisson. - Ce n'est pas de moi, mais de Vaclav Havel, qui a fait dix ans en prison pour ne pas y renoncer.

M. Jean-Claude Lenoir. - Je tire un bilan positif de la réforme de 2010. La Normandie comptait un grand nombre de chambres pour une simple raison : chaque baron du textile voulait la sienne. La réforme a fait consensus ; elle a apaisé des relations qui ont été longtemps compliquées entre CCI et collectivités locales perçues comme des concurrentes, et favorisé de vrais partenariats, en particulier avec les communautés de communes et les pays. Tout cela va dans le bon sens.

Les chambres assurent un rôle important dans la formation plus que dans les équipements majeurs : centres de formation des apprentis et surtout mobilisation des entreprises pour que les jeunes trouvent des lieux d'apprentissage, ce qui peut être difficile, y compris pour les bacs pro. Enfin, dans une autre vie, j'étais en charge des questions de personnel des CCI au ministère de tutelle. Où en sommes-nous ? Y a-t-il un statut unique ?

M. André Marcon. - Vous me dites que certaines CCI sont des Belles au bois dormant ; c'est vrai. Comme certaines communes... Il y a aussi des séparatistes convaincus, l'arme au pied pour que les choses n'avancent pas et des régionalistes convaincus, sans parler des Jacobins !

Nous répétons la même chose au nom des entreprises depuis trente ans, parce que la situation n'a pas réellement changé - nous pourrions pleurer en nous comparant... Personne dans le réseau n'a considéré la réforme de 2010 comme une bonne loi ; c'est peut-être pour cela qu'elle a pu passer : elle prenait un peu chez les uns et un peu chez les autres. En tant qu'établissements publics, nous sommes légalistes. Lorsque j'ai été élu, à l'unanimité moins deux abstentions, j'ai déclaré que nous devions utiliser une réforme que nous n'avions peut-être pas souhaitée individuellement, pour servir au mieux les entreprises.

Le dynamisme territorial souffre plus du manque de moyens que d'un défaut de volonté. Les schémas sectoriels, s'ils peuvent progresser, assurent un service plus homogène. Un axe de notre contrat d'objectifs et de performance est d'accentuer la simplification ; il y a de remarquables réalisations interconsulaires : dans la chambre d'où je viens, le bâtiment est commun depuis les années 70. Il faut aussi favoriser l'interrégionalité. Nous sommes même allés - et nous nous sommes fait tirer à trois pas à cause de cela - jusqu'à envisager la coopération voire une fusion avec la chambre des métiers. Les opposants nous objectent les TPE, alors que nous en avons beaucoup plus que les chambres des métiers !

La taxe est payée à 90 % par 5 % des entreprises, 90 % de notre travail sert aux TPE. Édouard Michelin me disait : « vous nous coûtez très cher, mais c'est pour la bonne cause ». Les CCI passent pour être riches ; il est vrai qu'elles disposent d'un fonds de réserve important. Leur budget avoisine les 4 milliards, dont 1,2 milliard de taxe. Nous avons d'autres activités qui ne s'autofinancent pas totalement, comme la formation, qui représente 30 % du budget, ou la gestion des équipements. Sur 2 milliards d'euros de réserves, seuls 600 millions d'euros ne sont pas gagés, le reste l'étant sur les investissements, le système de retraite et les trois mois de fonctionnement que nous demande notre tutelle. Comme nous ne percevrons pas 20 % de la taxe cette année, nous puiserons dans les réserves et le fonds de roulement. Il est normal que nous participions à l'effort collectif. Mais si cela se reproduit, ce sera au détriment du service aux entreprises. Nous ne percevons pas de subvention de fonctionnement des collectivités, contrairement aux chambres des métiers, qui en ont besoin. En revanche, il nous arrive d'engager des chantiers ensemble et, dans ce cas-là, il peut y avoir des cofinancements entre chambres et collectivités. Nous sommes très transparents. Le partenariat est essentiel.

M. Michel Bécot. - Bien sûr !

M. André Marcon. - Or notre culture est héritée du temps où les CCI étaient les bras armés de l'État sur les territoires. Il nous a fallu discuter avec Ubifrance et avec les régions, qui défendaient une mainmise jacobine ou régionale sur l'export. Là, nous avons été agressifs : nous négocions avec Mme Nicole Bricq pour faire cause commune avec Ubifrance, et même avec les régions, sauf celles qui veulent à tout prix faire cavalier seul.

À ceux qui disent que nous n'agissons pas ou que nous n'agissons pas assez, je dirais que nous sommes une institution à bas bruit : nous ne crions pas sur les toits ce que nous faisons, et les entreprises que nous aidons ne le font pas non plus. Mais quand Bercy leur demande à quelle institution elles associent l'export, elles répondent les CCI à 75 %. Nous avons accompagné 10 000 primo-exportateurs.

Je ferai la même remarque sur la transmission d'entreprise : allez sur internet voir Transcommerce et Transartisanat, qui sont les outils par lesquels passent l'essentiel des transmissions de TPE. Pour les PME, qui peuvent être fragilisées en période de transmission, nous mettons en place des bourses d'opportunités. Nous organisons des réunions à partir de l'âge de cinquante ans pour sensibiliser les chefs d'entreprises à ce problème.

Concernant le CICE, c'est est un bel outil... que nous aurions préféré plus simple ! Pierre Moscovici nous a publiquement félicités pour notre action sur ce point. Bien sûr, pour une TPE, il ressemble parfois à une kalachnikov pour écraser une fourmi ; oui, le dispositif peut créer quelques d'aubaine, mais il est souvent utile.

Les industriels sont très présents dans les CCI grâce aux règles de nos collèges électoraux. Les CCI forment un creuset formidable rassemblant des petites entreprises, des grandes, et des cadres salariés. Lors des discussions sur l'urbanisme commercial auxquelles nous participions, nous créions de la valeur ajoutée avec des positions plus nuancées que les chambres des métiers, qui ont une empreinte syndicale très forte.

Les dispositions de la loi de finances sur la taxe d'apprentissage nous inquiètent. Nous sommes très attachés à la libre affectation par le chef d'entreprise de sa taxe : il est le mieux fondé à savoir quelle formation peut être la plus utile pour ses collaborateurs. Le président d'Airbus ne dit pas la même chose que vous quand il est dans mon bureau : il nous félicite pour certaines de nos formations qui sont excellentes.

Nous adaptons nos formations à la demande des chefs d'entreprises et 85 % de nos apprentis sont présents dans l'entreprise quatre ans après. Un tiers de cette ressource va partir directement aux régions : cela ne garantira pas, comme nous le faisons, le juste retour sur les établissements qui forment. Notre taux de gestion du système est de 1 %, contre 7 % pour d'autres collecteurs.

L'image de l'apprentissage s'est améliorée, parce que nous l'avons développé au niveau de l'enseignement supérieur. Nous sommes censés l'ouvrir en priorité aux publics défavorisés ; c'est déjà le cas à 70 %. Les entreprises ont aussi besoin de jeunes au niveau bachelor ou BTS. Si nous n'avons pas de retour de la part des régions, il y aura 10 000 apprentis de moins et non pas 65 000 de plus comme prévu. Sans crier au loup avant de l'avoir vu, nous restons sur nos gardes.

La collaboration des CCI à Nantes et Saint-Nazaire n'a pas plus été imposée par la loi, que la délégation des CCI du littoral qui est en visite à Brême pour étudier l'éolien offshore. La présence territoriale dépendra des ressources. Si elles sont asséchées, nous continuerons à faire de la formation mais nous aurons du mal à continuer à investir - sur 1,35 milliard de taxe, nous consacrons 600 millions aux CFA, et autres zones d'activités ou pépinières.

Nous misons sur la BPI pour améliorer l'accès au crédit. Notre seule crainte est que ses représentants ne soient pas aussi banquiers que les autres. Le monde change, nous en sommes à la troisième révolution industrielle : il n'est pas facile de convaincre une population aux cheveux blancs que s'approprier les nouvelles technologies est une nécessité.

Nous avons travaillé sur la simplification avec le député Thierry Mandon en testant au fur et à mesure ses propositions. Vous avez raison sur les délais de paiement : il faudrait que les entreprises règlent plus vite. Cependant, dans cette chaîne, chacun préfère attendre d'être payé plutôt que de déclencher la procédure.

Vous critiquez le rôle des CCI dans le millefeuille... mais ce dernier a été créé par qui ? Les CCI ont une mission centenaire. Ou bien elles ne les remplissent pas, et il faut les dégager ; ou bien elles rendent un service sans que cela ne coûte rien à l'État. En Auvergne, la nouvelle présidence de la région a mis en place une agence régionale de développement des territoires dont les 45 agents demandent à nos 39 collaborateurs comment s'y prendre... De même, pour travailler avec Ubifrance, nous nous efforçons d'ajuster nos interventions respectives.

Nous ne faisons rien sur l'innovation, comme me l'avait reproché Alain Rousset ? Il avait changé d'avis lorsque je lui avais démontré que nous étions les seuls correspondants locaux de l'European Enterprise Network, système européen de veille stratégique et concurrentielle. Les couteliers de Thiers, en concurrence mondiale, travaillent avec nous pour être au courant de ce qui se passe.

Certains pôles de compétitivité ont été mis en place avec la logistique des CCI. Des chambres ont dormi, certes. Cela ne nous empêche pas d'être également présents dans les pôles d'excellence ruraux. Etre agressif est parfois difficile pour des établissements publics ne pouvant s'exprimer sur le paritarisme ; mais nous joignons notre voix à celle des chambres des métiers et des greffiers pour dire notre mécontentement sur le guichet dématérialisé. Notre statut est en évolution ; on discute au sein de notre commission paritaire nationale. Selon moi, il n'est pas assez marchand et trop fonctionnarisé.

M. Jean-Claude Lenoir. - Depuis trente ans, le sujet est toujours d'actualité !

M. André Marcon. - Il a évolué et est unique sur le territoire, ce qui n'était pas le cas auparavant.

M. Daniel Raoul, président. - Je vous remercie de vos réponses et retiens de ce débat que notre commission et la commission sénatoriale de contrôle de l'application des lois pourraient se pencher sur la réforme de 2010 et sa mise en oeuvre.