Mercredi 26 février 2014

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Institutions européennes - Politique européenne et situation intérieure de la Slovaquie - Rapport d'information de M. Simon Sutour et de Mme Colette Mélot

M. Simon Sutour, président. - Nous nous sommes rendus en Slovaquie, Colette Mélot et moi-même, à l'invitation du jeune président de la commission des affaires européennes du parlement slovaque.

Mme Colette Mélot. - En effet, du 24 au 27 novembre derniers, nous sommes allés d'abord à Koice, la seconde ville du pays, dans la partie orientale, qui partageait avec Marseille le statut de capitale européenne de la culture 2013, puis à Bratislava. En peu de temps, la Slovaquie a accompli de très nombreuses réformes, et occupe désormais une place importante au sein de l'Union européenne. Issu de la partition de la Tchécoslovaquie, le 1er janvier 1993, le pays a d'abord été qualifié de « trou noir de l'Europe » par Madeleine Albright, en raison de la politique nationaliste et autoritaire menée par Vladimir Meciar. Une succession de gouvernements de coalition, souvent hétéroclites, a ensuite favorisé l'instabilité politique, comme en témoigne, à l'automne 2011, l'échec d'un gouvernement regroupant quatre partis de droite et de centre-droit à faire ratifier l'avenant au Fonds européen de stabilité financière (FESF). La crédibilité de l'engagement européen du pays en a été fragilisée. Cependant, les élections législatives anticipées du 10 mars 2012, remportées par le parti social-démocrate SMER-SD de Robert Fico, ont stabilisé la situation politique : pour la première fois depuis l'indépendance, un gouvernement bénéficie d'une majorité absolue au Conseil national, le parlement monocaméral slovaque, et cela jusqu'aux élections de 2016.

Le Premier ministre Robert Fico dispose d'une forte légitimité à la tête de son parti et exerce un réel ascendant sur la politique de son pays. Bénéficiant d'une image crédible et fiable, à l'intérieur du pays comme auprès de ses partenaires européens, il sera candidat à la succession du président Gasparovic, en mars prochain, élection qui devrait marquer une évolution pratique, sinon institutionnelle, dans l'exercice des pouvoirs présidentiels. L'opposition reste profondément divisée, entre six partis de droite et de centre-droit aux options parfois diamétralement opposées, notamment sur les sujets de société et sur l'Europe.

Les élections régionales de novembre dernier ont cependant été marquées par la percée électorale de l'extrême-droite populiste. Les huit régions slovaques devaient chacune y élire leur président et leur assemblée. Le SMER-SD a conservé la majorité dans toutes les régions, hormis celle de Banska Bystrica, dans le centre du pays, où le candidat d'extrême-droite a remporté la présidence. Le taux de participation, inférieur à 20 % - et traditionnellement faible en Slovaquie -, a facilité cette élection dont le résultat doit aussi être relativisé : le nouveau président n'a ni programme, ni majorité à l'assemblée régionale, son parti n'y ayant obtenu aucun siège. Des inquiétudes pèsent néanmoins sur les résultats des élections européennes du mois de mai.

L'économie slovaque, de taille relativement modeste, compte parmi les plus ouvertes au monde. Grâce à des mesures structurelles - privatisations et réforme fiscale de grande ampleur -, le pays est passé rapidement d'une économie planifiée à une économie de marché dynamique. Le produit intérieur brut (PIB) slovaque, en termes de parité de pouvoir d'achat, atteint 75 % de la moyenne européenne, au 18e rang de l'Union européenne. La situation est assez satisfaisante, mais cette économie reste fragile, car largement dépendante de la conjoncture européenne et centrée sur une mono-industrie automobile, la Slovaquie étant le premier producteur d'automobiles par habitant au monde. Le pays souffre aussi de la faiblesse de son administration, en particulier fiscale, et connaît d'importantes disparités régionales, entre l'Ouest relativement prospère et l'Est plus défavorisé.

L'objectif prioritaire du gouvernement est de consolider les finances publiques pour se conformer aux engagements européens du pays - la croissance est de 0,8 % en 2013 et devrait atteindre 2,2 % en 2014, après une récession de près de 5 % au plus fort de la crise. Le déficit budgétaire devrait être ramené à 2,64 % du PIB en 2014, contre 7,7 % en 2010. Aux mesures impopulaires de hausse des impôts ont succédé des réformes visant à réduire les dépenses publiques, comme celles des retraites, de l'assurance maladie ou de l'administration. Le principal défi reste celui de l'emploi, avec un taux de chômage de 14 %, et de 34 % pour celui des jeunes.

Bien que la Slovaquie soit un État de droit, elle est le pays de l'Union européenne où la population a le moins confiance en sa justice. La totale indépendance du système judiciaire est perçue par l'opinion publique comme excessive et propice à la corruption. La marginalisation persistante des Roms est une autre faiblesse dans l'application du droit slovaque. La communauté rom constitue, après les Hongrois, la deuxième minorité la plus importante de Slovaquie, soit entre 400 000 et 500 000 personnes concentrées dans l'Est du pays, représentant entre 7,5 % et 10 % de la population totale. Ils pourraient représenter au moins 16 % de la population active en 2030. L'intégration de cette communauté sédentarisée, extrêmement marginalisée, est l'un des grands défis à relever pour la Slovaquie.

M. Simon Sutour, président. - Ce pays s'affirme sur la scène internationale par une politique étrangère ambitieuse. Il a rejoint l'OTAN en 2004. Il s'implique dans les grands dossiers internationaux et s'engage à l'extérieur, notamment en Afghanistan où il a envoyé plus de 230 soldats, ou en Syrie, où il contribue au démantèlement de l'arsenal chimique.

Située géographiquement au coeur de l'Europe, la Slovaquie accorde une grande importance aux relations avec son voisinage immédiat, en particulier au sein du groupe de Viegrad, où elle retrouve la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Ce groupe informel, créé en 1991, constitue un format souple de coopération. Néanmoins, les relations bilatérales au sein du groupe restent inégales. Après des tensions sur le dossier de la citoyenneté, les relations entre la Slovaquie et la Hongrie, traditionnellement passionnelles, sont en voie d'apaisement. Prudentes dans leur traitement politique de la question des minorités, les autorités slovaques refusent de reconnaître l'indépendance du Kosovo. La Slovaquie soutient fermement la politique d'élargissement de l'Union européenne, dans les Balkans occidentaux et à l'égard de la Turquie. Elle est également très favorable au développement du Partenariat oriental, tout en entretenant avec la Russie des relations pragmatiques.

La Slovaquie figure aujourd'hui dans le « noyau dur » de l'Union européenne et compte parmi les États membres les plus favorables à l'intégration. Le 1er mai prochain, elle fêtera le dixième anniversaire de son adhésion à l'Union européenne, qu'elle avait rejointe à l'issue d'un référendum ayant accordé plus de 92 % au « oui ». Elle appartient à l'espace Schengen depuis décembre 2007. Elle est le seul membre du groupe de Viegrad à avoir rejoint la zone euro, depuis le 1er janvier 2009. Elle a incontestablement vécu ces étapes comme un signe de son appartenance à l'« élite » de l'Union européenne, dont elle exercera la présidence tournante, pour la première fois, au second semestre 2016. L'attribution à Koice du statut de capitale européenne de la culture 2013, avec Marseille, a contribué à accroître la visibilité de la Slovaquie en Europe. État membre « modèle », le pays entend participer au débat sur l'avenir de l'Europe, comme en témoigne la politique européenne claire et lisible de Robert Fico.

La crise économique a ramené les Slovaques, initialement « euro-optimistes », voire « euro-enthousiastes », à plus de réalisme. Lorsqu'il leur a fallu contribuer au plan d'aide pour la Grèce, ils ont pris conscience, de façon sans doute un peu brutale, de l'influence de la législation communautaire dans leur vie quotidienne et des conséquences de la solidarité européenne. Le sentiment pro-européen de la population a sensiblement diminué, passant de 65 % en 2009 à moins de 50 % depuis la fin 2012. L'opinion publique slovaque reste néanmoins l'une des plus pro-européennes. Elle a davantage confiance dans les institutions européennes que dans les institutions nationales, judiciaires en particulier. En janvier dernier, 59 % des personnes interrogées voyaient la monnaie unique de manière positive, légèrement plus qu'en novembre 2013. Même les partis politiques euro-sceptiques ne se prononcent pas en faveur de la sortie de l'Union européenne, mais contre l'approfondissement de l'intégration et pour une plus grande application du principe de subsidiarité.

En intégrant l'Union européenne et la zone euro, la Slovaquie a accéléré son développement économique. Le niveau de vie de sa population a augmenté, en dépit d'un creusement indéniable des inégalités sociales. Le pays bénéficie de la solidarité européenne. Il a reçu 11,63 milliards d'euros au titre des fonds de cohésion sur la période 2007-2013 et fait partie des bénéficiaires nets. Cette dotation est en hausse pour le cadre financier 2014-2020, à 13 milliards d'euros, malgré de sérieuses difficultés d'absorption de ces crédits - problème récurrent que l'on retrouve dans d'autres États membres... Ces fonds européens représentent 75 % de l'investissement public dans le pays.

Sur de nombreux dossiers européens, le gouvernement slovaque défend des positions proches de celles de la France. C'est le cas des mesures en faveur de la croissance et de l'emploi, notamment celui des jeunes, et du développement de la dimension sociale de l'Union économique et monétaire. Le gouvernement slovaque est partisan d'une meilleure coordination des politiques macroéconomiques dans le cadre du semestre européen, d'une mise en place rapide de l'union bancaire et du principe d'un budget de la zone euro ; il est favorable à une réforme des ressources propres. Dans la politique de sécurité et de défense, il a apporté son soutien politique à la mission EUFOR en République centrafricaine. Le voyage officiel du Président de la République en Slovaquie, le 29 octobre dernier - le premier d'un chef d'État français depuis l'indépendance du pays -, a été l'occasion de conforter nos relations bilatérales par la signature d'un nouveau plan d'action déclinant, pour les années 2013 à 2018, le partenariat stratégique conclu en 2008.

J'avais sympathisé dans les réunions internationales avec le très jeune président de la commission des affaires européennes du parlement slovaque - il est né en 1979. Il souhaitait notre venue. Je crois que nous avons bien fait de nous rendre sur place, confortant à notre niveau les bonnes relations entre nos deux Etats. Notre voyage a sans doute été trop rapide, dans ce pays que ses particularités culturelles et historiques rendent proche de la France.

M. André Gattolin. - Si l'on ajoute à la contestation d'une justice trop indépendante le fait que 75 % des investissements qui sont faits en Slovaquie viennent de l'Union européenne, peut-on vraiment dire qu'un État slovaque existe réellement ?

M. Simon Sutour, président. - Oui, il existe. Il y a une culture et un État slovaques. La justice pose problème, car elle est intouchable. Le gros des investissements se fait dans l'industrie automobile, qui emploie une main-d'oeuvre qualifiée et efficace. La France a beaucoup investi.

Mme Colette Mélot. - La population slovaque pense que la justice est plus corrompue que le système politique. Cela tient à l'adoption de dispositions législatives controversées, avant 2012 : par exemple, le ministre de la justice s'est vu accorder le droit de démettre de ses fonctions un président de tribunal sans aucun contrôle ni obstacle. Les magistrats prennent des décisions controversées et la déontologie ne semble pas être un impératif. Appréciations fondées ou non, en tout cas la crédibilité des magistrats est faible ; et c'est un sujet brûlant dans le pays. Pour le reste, la Slovaquie est un pays très structuré et très européen par son histoire et par sa culture.

M. Simon Sutour, président. - De grandes différences opposent l'Est et l'Ouest du pays. Bratislava, c'est Vienne, c'est l'ancien empire austro-hongrois. Koice, c'est la frontière ukrainienne.

Mme Colette Mélot. - J'ai été étonnée par les progrès intervenus dans ce pays, où je m'attendais à y trouver des infrastructures vieillies. L'aménagement urbain, par exemple, est remarquable.

Mme Françoise Boog. - Quelle est la situation des Roms ? Sont-ils sédentaires ? Quelles mesures sont prises pour favoriser leur intégration ?

Mme Colette Mélot. - Beaucoup sont sédentarisés, mais cela ne signifie pas qu'ils s'intègrent. Peu font des études ou ont un emploi.

M. Simon Sutour, président. - Ce sentiment anti-rom fait le lit de l'extrême-droite. Le président de la région de Banska Bystrica a été élu sur ce thème. Son parti n'a aucun siège à l'assemblée régionale - il y a deux scrutins distincts. Une réflexion est menée par l'Union européenne sur le sujet des minorités, mais ces efforts sont insuffisants.

Mme Françoise Boog. - Les Roms bénéficient-ils d'aides ?

M. Simon Sutour, président. - Ils reçoivent des aides, sans lesquelles ils ne pourraient pas vivre.

M. Pierre Bernard-Reymond. - La Slovaquie a-t-elle une position particulière dans le règlement de la crise ukrainienne ?

M. Simon Sutour, président. - Comme tous les pays de l'ancien bloc de l'Est, la Slovaquie est très favorable au Partenariat oriental. Néanmoins, les pays qui pèsent vraiment sur le règlement de la crise ukrainienne sont ceux qui y ont envoyé leur ministre des affaires étrangères - la France, l'Allemagne et la Pologne.

La commission autorise la publication du rapport de M. Simon Sutour et Mme Colette Mélot.

Institutions européennes - La Hongrie et l'Union européenne, quatre ans après la « révolution par les urnes » - Rapport d'information de M. Michel Billout

M. Michel Billout. - Les électeurs hongrois vont se déterminer le 6 avril prochain sur la « révolution par les urnes » entreprise par le gouvernement Orbán depuis quatre ans. Avec l'appui d'une majorité des deux tiers au Parlement, une nouvelle constitution et plus de huit cents lois ont en effet été adoptées depuis 2010. Elles ont suscité de nombreuses réserves de la part de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe, tant certaines remettaient en cause les normes communément admises en matière de droits de l'Homme. L'impression d'un repli identitaire s'est également fait jour, peu en phase avec les valeurs de ces deux organisations.

Notre commission, par la voix de Bernard Piras, s'était émue en juillet 2012 de certaines des mesures adoptées par le gouvernement hongrois. Le rapport publié à l'époque s'inquiétait de leur inadéquation avec les engagements européens du pays. L'adoption d'un Quatrième amendement à la Constitution en mars 2013 avait confirmé les doutes de notre rapporteur sur la stratégie menée et la sincérité du discours officiellement pro-européen du Premier ministre hongrois. Notre commission avait invité le Parlement européen et le Conseil à envisager de mettre en oeuvre l'article 7 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui prévoit la suspension des pouvoirs d'un État membre au Conseil dès lors qu'il contrevient aux valeurs fondamentales défendues par l'Union européenne.

La menace d'un nouveau contentieux devant la Cour de justice de l'Union européenne a heureusement conduit le gouvernement à réviser sa position, avec le vote d'un Cinquième amendement à la Loi fondamentale en septembre 2013. Dans le même temps, les autorités hongroises ont su mettre en avant leurs résultats économiques : retour de la croissance, levée de la procédure pour déficit excessif, pour légitimer en partie la politique non orthodoxe qu'elles mènent dans ce domaine. Le contexte a par ailleurs changé : si la question hongroise était à l'agenda des institutions européennes jusqu'à la fin du premier semestre 2013, elle ne fait plus aujourd'hui figure de priorité. L'attention européenne est en effet tourné vers l'Ukraine, pays voisin de la Hongrie, ou l'achèvement de l'Union bancaire, dans une période marquée par la proximité des élections européennes.

C'est dans ce cadre que nous avions souhaité nous rendre avec Bernard Piras en Hongrie afin de constater sur place la réalité de ces avancées supposées. Malheureusement notre collègue n'a finalement pas pu se joindre à ce déplacement organisé au mois de décembre dernier.

Je veux tout d'abord évoquer le Cinquième amendement. Le texte adopté cet automne revient sur l'essentiel des dispositions contestées du Quatrième amendement. La modification constitutionnelle supprime la possibilité pour le président de l'Office judiciaire national de dépayser un dossier. Le gouvernement se voit, par ailleurs, privé de la possibilité de créer une taxe ad hoc destinée à financer d'éventuelles amendes délivrées par une cour de justice internationale. L'interdiction pour les partis politiques de faire campagne dans les médias commerciaux est, elle aussi, levée. Médias publics et privés devront désormais assurer cette campagne à titre gratuit. La révision constitutionnelle revient également sur le statut des communautés religieuses, désormais autorisées à se former librement, sans autorisation du Parlement. Un tribunal sera chargé de déterminer si une communauté religieuse peut accéder au statut d'Église et donc disposer des avantages fiscaux concomitants, qui sont très importants en Hongrie.

Conçu comme un message d'apaisement à l'égard des Européens, le Cinquième amendement ne limite pas totalement la possibilité pour le gouvernement de réintroduire certaines des dispositions contestées dans la loi ordinaire ou au sein des « lois cardinales », qui sont à peu près l'équivalent de nos lois organiques. Elles sont adoptées à la majorité des deux tiers. Nous verrons donc bientôt si le Cinquième amendement n'a été qu'un subterfuge... La loi de stabilité financière en cours d'adoption devrait ainsi prévoir la taxe pour financer les amendes internationales. Le principe du dépaysement des procès est, quant à lui, maintenu au sein de la loi sur la structure et l'administration de la justice, qui est elle-même une loi cardinale. Elle ne pourra donc être révisée qu'avec l'appui d'une majorité représentant les deux tiers du Parlement. Or les élections de 2010 ont été les premières depuis la chute du bloc soviétique à voir émerger une telle majorité. Et cela ne devrait pas se reproduire de sitôt.

La pratique du pouvoir peut également laisser penser qu'un certain nombre de ces mesures contestées pourront être réintroduites d'une autre manière dans le corpus législatif hongrois. La procédure législative elle-même favorise l'adoption rapide de mesures contestables sans véritable débat, puisque l'examen du texte n'excède jamais 48 heures. Les propositions de loi ne donnent pas lieu par ailleurs à un examen en commission.

Reste le rôle des contre-pouvoirs. La Cour constitutionnelle joue pour l'heure pleinement son rôle alors que la modification de sa composition ou l'interdiction de pouvoir se référer à la jurisprudence antérieure à l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution semblaient devoir la brider. À ses côtés, la Cour suprême ou les tribunaux rendent nombre de jugements défavorables au gouvernement. Le Président de la République a également usé de son droit de veto sur plusieurs sujets, en dépit de sa grande proximité avec le Premier ministre. Les médias se trouvent quant à eux dans une situation plus délicate. Si les limites à l'exercice de la liberté de la presse constatées en 2012 ont été pour partie remises en question, les contraintes économiques sont, quant à elles, beaucoup plus prégnantes. Les médias privés sont marqués par une vague de concentrations en faveur de proches du pouvoir. Les médias publics, comme l'agence de presse hongroise, sont, depuis 2010, de véritables outils de communication au service du Gouvernement alors que les médias privés se concentrent sur le divertissement. Dans une récente interview, le Premier ministre hongrois a d'ailleurs estimé que 50 % de l'information politique consistait en de la communication. Malgré ces difficultés, la presse d'opposition demeure relativement vivante et cherche de nouveaux moyens de communiquer via Internet. Le lectorat des médias papier se concentre principalement à Budapest.

Abordons maintenant la question de la politique économique du gouvernement, jugée hétérodoxe par un certain nombre d'observateurs mais qui a reçu récemment le soutien du président du Comité économique et social européen, que notre commission vient d'auditionner.

L'année 2013 a été marquée en Hongrie par le retour de la croissance, + 0,7 % du PIB, l'exercice précédent ayant été marqué par une contraction de l'activité de 1,7 %. Tous les secteurs d'activité sont concernés. Les exportations, mais aussi la demande interne, constituent les moteurs de cette relance. La baisse des prix administrés - 30 % sur les prix du gaz par exemple -, l'augmentation des revenus au sein de la fonction publique, les mesures adoptées en faveur de l'emploi ou des PME, ainsi que la réduction du taux directeur de la Banque centrale, ont pu dynamiser la demande interne, atone lors des précédents exercices. La croissance devrait se poursuivre en 2014. La Commission européenne évalue un nouveau rebond à 1,8  % du PIB. Reste que le PIB demeure à un niveau inférieur à celui de 2010, et a fortiori de 2007.

La politique gouvernementale en faveur de la demande a été rendue plus aisée par la concentration, dans les mains du gouvernement, de tous les leviers de la politique économique suite à la nomination du nouveau gouverneur de la Banque centrale et le rattachement, le 1er octobre 2013, de l'Autorité hongroise de surveillance financière à la Banque centrale. On est loin du principe d'indépendance de la Banque centrale communément admis au sein de l'Union européenne...

Le pays n'est, en outre, plus sous le coup d'une procédure pour déficit excessif depuis le 29 mai 2013. Si elle respecte le seuil des 3 %, l'action du gouvernement en la matière s'apparente cependant plus à un pilotage à vue qu'à une stratégie à long terme. Sept collectifs budgétaires ont ainsi été adoptés en 2013, neuf ayant déjà été adoptés au cours de l'exercice précédent. L'impôt sur le revenu à taux unique - la flat tax de 16 % -, introduit en 2011, suscite encore des doutes quant à son efficacité et aurait débouché sur le quasi doublement de la pression fiscale sur les plus faibles. La TVA a également été portée à 27 %. La situation de 70 % des contribuables se serait ainsi détériorée depuis 2011.

Si la politique économique du gouvernement semble avoir de prime abord obtenu des résultats, il convient de s'interroger sur sa portée à moyen terme. Les instruments utilisés - taxes exceptionnelles, assouplissement monétaire - ne semblent pas reproductibles à l'envi. Certains observateurs relèvent néanmoins que le pouvoir pourrait continuer sur cette voie peu orthodoxe, encouragé par les résultats obtenus. La mise sous tutelle de l'ensemble des instruments de la politique économique limite toute possibilité de remise en cause de la stratégie suivie ou simplement de correction. La cohérence de l'action menée se fait au prix de l'absence de débat.

Cette concertation insuffisante semble par ailleurs présider à la mise en place de cette stratégie nationale. Les entreprises se plaignent ainsi de n'être pas suffisamment consultées en cas de réforme de la législation économique. L'inflation législative dans ce domaine conduit par ailleurs à une forme d'insécurité juridique, rendant délicate toute prévisibilité à moyen ou long terme, et fragilise de fait toute logique d'investissement. C'est particulièrement le cas dans le secteur de la distribution de l'énergie que le gouvernement entend transformer en un secteur non lucratif, en rachetant un certain nombre de sociétés étrangères et en imposant des baisses de tarifs. Cette politique séduisante au sein de l'opinion publique comporte des risques indéniables sur les infrastructures, les sociétés étrangères n'étant plus encouragées à investir, et pèse également sur l'endettement public. Cette stratégie vient par ailleurs de conduire le gouvernement hongrois à signer avec la Russie un accord sur la construction de deux nouveaux réacteurs nucléaires, Budapest empruntant près de 10 milliards d'euros sur 32 ans à Moscou pour mener à bien ce projet.

La politique bancaire du gouvernement n'est pas sans risque pour le secteur déjà affaibli par la crise économique et financière de 2008. La multiplication des taxes et le souhait de convertir en forint les prêts en devises étrangères ont fragilisé le canal du crédit, poussant aujourd'hui un certain nombre d'établissements étrangers à quitter le territoire. Les encours de prêts au secteur privé ont ainsi diminué de 17 % entre fin 2009 et fin 2012. L'atonie de l'activité hongroise enregistrée sur la même période en découle. Je rappelle que le secteur bancaire est détenu à 70 % par des établissements étrangers, principalement autrichiens et allemands. Les prêts en devises avaient été contractés au début des années 2000 à une époque où la parité entre le forint et l'euro ou le franc suisse était favorable aux Hongrois.

La stratégie énergétique du Gouvernement, comme son action en direction des banques, ont suscité un certain nombre de réserves de la part de la Commission européenne tant elles peuvent apparaître comme des éléments d'un plan plus vaste d'éviction des entreprises étrangères de certains secteurs. Le Premier ministre considère, et peut-être n'a-t-il pas complètement tort, que les entreprises étrangères ont fait d'énormes profits dans le pays au moment de la libéralisation de l'économie - la Hongrie était alors le bon élève d'Europe de l'Est - et qu'elles peuvent être mises aujourd'hui à contribution pour redresser le pays.

Tout cela n'est pas, bien évidemment, sans connotation politique. La population hongroise semble nostalgique du kadarisme, cette souplesse dont bénéficiait la Hongrie au sein du bloc soviétique qui garantissait une forme de sécurité et de protection sociale à la population. C'est sur ce souvenir que joue implicitement le gouvernement via son offensive en faveur de la baisse des charges domestiques ou la taxation des banques et des énergéticiens étrangers. Cette thématique rencontre un écho favorable au sein d'un pays qui demeure relativement pauvre. Toutes les régions, à l'exception de Budapest, sont ainsi classées par la Commission européenne parmi les moins développées de l'Union. Le salaire moyen atteint 450 €, près de 10 % de la population active étant au chômage. Le taux de chômage des moins de 25 ans s'élève à 29 %, contre 11 % en 2001. Il convient enfin de rappeler un certain nombre de paramètres qui compromettent à terme l'avenir du pays : 3,3 millions de retraités sur 10 millions d'habitants, un taux d'activité des femmes dépassant à peine 56 % contre plus de 90 % dans les années quatre-vingt-dix, et un taux de scolarisation au-delà de l'âge obligatoire relativement bas.

Pour conclure mon propos, je m'attarderai quelques instants sur la relation entre Budapest et Bruxelles. Des quatre années mouvementées qui viennent de s'écouler, il convient de retenir que jamais le dialogue entre l'Union européenne et la Hongrie n'a été rompu. De façon générale, l'Union européenne est critiquée par le gouvernement hongrois pour le rôle résiduel qu'elle laisse aux États membres. Décrite comme opposée à l'Église, à la religion et à la famille, l'Union européenne est présentée comme « antipatriotique » et très internationale. La Hongrie serait de fait victime d'une politique de doubles standards de la part de la Commission européenne, critiquant plus sévèrement les pays issus de l'ancien bloc soviétique que les États ayant adhéré avant 2004.

Le gouvernement a néanmoins pris en compte les réserves de la Commission européenne et a permis à la Hongrie de maintenir son lien avec l'Union européenne. Le double discours du Premier ministre hongrois ne saurait en effet totalement occulter la vocation européenne de son pays et son choix, maintes fois répété, d'oeuvrer en faveur de l'approfondissement de la construction européenne, via notamment le groupe de Visegrad qui réunit la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque. Je rappelle que la Hongrie dispose de frontières avec six pays ce qui lui confère un rôle particulier dans la région.

Budapest semble en réalité revendiquer un double droit : celui de maintenir son identité, fondée notamment sur sa langue, et celui d'expérimenter de nouvelles politiques en vue de répondre à la crise économique et sociale qui fragilise l'Union européenne en général et la Hongrie en particulier. C'est à l'aune de cette aspiration qu'il convient notamment d'analyser les prises de distance à l'égard de l'Union européenne dans le domaine énergétique et le rapprochement avec Moscou.

De cette appréciation de l'Union européenne, réputée avoir échoué, découle un refus d'une intégration trop poussée, comme en témoigne l'opposition de Budapest à la mise en place d'une taxe européenne sur les transactions financières - qui a pourtant été mise en place au niveau national -, à l'harmonisation fiscale en général, ou à l'émergence d'indicateurs sociaux. Si le gouvernement soutient un approfondissement de la zone euro, celui-ci doit en fait avoir pour contrepartie une plus grande flexibilité accordée aux pays qui ne sont pas membres de l'Union économique et monétaire dans la conduite de leur politique économique. Seule cette plus grande liberté permettra une adhésion graduée à la zone.

De notre côté, continuer à oeuvrer en faveur de l'arrimage de la Hongrie à l'Union européenne, en dépit des contingences politiques, doit faire figure de priorité. Cette option n'interdit en rien, bien évidemment, de maintenir une grande vigilance sur les valeurs que l'Union européenne défend.

M. Michel Delebarre. - La Hongrie est revenue dans le jeu européen. En dépit des critiques que l'on peut formuler contre la politique de M. Orban, c'est une chose positive. Je ne vois rien, dans le rapport, concernant les relations franco-hongroises. Qu'en est-il ?

La Hongrie a des frontières avec beaucoup de pays de l'Union européenne. Elle est un des pays qui a le plus développé la coopération transfrontalière avec ses voisins. C'est une initiative intéressante.

M. Michel Billout. - Le groupe d'amitié France-Hongrie s'est déplacé en Hongrie en septembre dernier et a développé la question des relations bilatérales dans son compte rendu de mission. Dans les discussions qui ont eu lieu alors, il a beaucoup été question de francophonie. La Hongrie a une forte tradition francophone, il est dommage que la France ne prenne pas plus d'initiatives pour la renforcer - pourtant, il n'y a qu'à prendre exemple sur l'ambassadeur de Hongrie en France, un universitaire assez connu qui a mis en place des diplômes bi-nationaux.

M. Jean-Paul Emorine. - Vous donnez des chiffres intéressants, mais certains sont à vérifier. La densité de la Hongrie avoisine les 100 habitants au kilomètre carré, n'est-ce pas ? Avec un PIB national de 98 millions d'euros, le PIB par habitant serait donc de l'ordre de 10 000 euros. Or, ce n'est pas le chiffre indiqué. Quelle est votre méthode de calcul ?

M. Michel Billout, rapporteur. - Le PIB par habitant est exprimé en standard de pouvoir d'achat (SPA). Il s'agit de la norme retenue par Eurostat. Le chiffre est obtenu après correction des effets de change et de prix. La densité au kilomètre carré s'élève précisément à 108.

La commission autorise la publication du rapport de M.  Michel Billout.

Institutions européennes - Autorisation de la publication du rapport d'information de M. Pierre Bernard-Reymond sur les perspectives de la construction européenne

M. Simon Sutour, président. - Il nous reste à autoriser la publication du rapport de M. Bernard-Reymond sur les perspectives de la construction européenne, dont nous avons déjà débattu de manière approfondie.

M. Jean Bizet. - C'est un rapport très important, un énorme travail.

M. Simon Sutour, président. - J'ai souhaité qu'il serve de base à un débat européen en séance publique dans la perspective des élections européennes du mois de mai prochain.

Le 19 mars, après l'examen d'un projet d'avis motivé, au titre de la subsidiarité, présenté par Richard Yung sur le texte du commissaire européen Michel Barnier concernant la réforme bancaire, se tiendra par ailleurs le débat préalable au Conseil européen, non en séance publique bien sûr, mais sous la forme originale d'une réunion de notre commission à laquelle tous les sénateurs sont invités.

La commission autorise la publication du rapport de M. Pierre Bernard-Reymond.

La réunion est levée à 16 h 10.