Mardi 18 novembre 2014

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30

Rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable - Examen des amendements

La commission examine les amendements sur la proposition de loi constitutionnelle n° 779 (2013-2014), présentée par M. Jacques Mézard, visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable.

M. Hugues Portelli, rapporteur. - La semaine dernière, notre commission a rejeté la proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir le septennat, mais on ne peut pas présumer du vote en séance publique. Nous devons donc formuler un avis sur l'amendement n° 1 de M. Leconte, qui porte sur le droit de dissolution.

L'article 12 de la Constitution permet au Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale, sous deux réserves : l'interdiction de dissoudre à nouveau dans l'année suivant une dissolution et l'interdiction de dissoudre pendant le recours à l'article 16. Il s'agit donc d'un droit que le Président exerce souverainement, voulu comme tel par le constituant.

Sous la IIIème République, le droit de dissolution n'a été utilisé que par Mac Mahon, de sorte que son usage a été perçu comme antirépublicain. La Constitution de 1946 a, elle aussi, prévu la dissolution mais dans des conditions draconiennes. Il fallait deux crises ministérielles dans les formes constitutionnelles pour qu'elle soit possible. Cette configuration ne s'est rencontrée qu'une seule fois, avec Edgar Faure.

M. Philippe Bas, président. - Edgar Faure est tombé sur un texte visant à avancer la date des élections législatives, ce qui lui a permis de demander la dissolution au chef de l'État, ce qui a conduit à avancer les élections...

M. Hugues Portelli, rapporteur. - Edgar Faure a ensuite été exclu du parti radical, permettant à Pierre Mendès France d'en prendre la tête.

En 1958, Michel Debré et le Général de Gaulle ont voulu donner au Président de la République le droit souverain de dissoudre quand il le jugerait utile, conformément à sa fonction d'arbitrage.

Limiter le droit de dissolution va à l'encontre de l'esprit des institutions comme en témoigne la pratique du septennat avant 2002. On recense cinq dissolutions, qui correspondent à quatre types d'utilisation : en 1962, en réponse au renversement du Gouvernement par l'Assemblée nationale, en 1968, pour faire face à une situation de grave crise sociale, en 1981 et 1988, pour trouver une nouvelle majorité parlementaire après l'élection présidentielle, et en 1997, pour avancer la date des élections. Ainsi, l'usage du droit de dissolution dépend uniquement de l'appréciation du Président de la République, en fonction des circonstances. Limiter son usage à une fois par mandat présidentiel, comme le propose l'amendement, est donc tout à fait contraire à l'esprit des institutions.

Je veux faire un parallèle avec l'usage du troisième alinéa de l'article 49, que l'on a restreint en 2008, après un usage excessif par Raymond Barre, Pierre Mauroy ou, encore, Michel Rocard. Cette restriction a été possible car le Premier ministre dispose d'autres armes pour intervenir dans la discussion parlementaire, par exemple le vote bloqué. En revanche, le Président de la République n'a que l'arme de la dissolution : en limiter l'usage, ce serait porter lourdement atteinte à ses prérogatives constitutionnelles.

Je propose un avis défavorable à l'amendement.

M. Jean-Yves Leconte. - Je ne regrette pas d'avoir déposé cet amendement, même si la commission a déjà rejeté la proposition de loi la semaine dernière. Je sais que sa durée de vie sera sans doute très brève.

M. Mézard justifie explicitement sa proposition de loi constitutionnelle en disant qu'il faut déphaser l'élection présidentielle et les élections législatives, en vue de renforcer la fonction présidentielle. Dans cette configuration, sauf en cas de crise, le Président de la République n'a donc pas vocation à être le chef de la majorité parlementaire, mais seulement le chef de l'État, ce qui explique mon amendement.

De plus, cet amendement apporterait une clarification permettant à nos institutions d'être plus en cohérence avec celles de nos partenaires européens.

Je présente donc cet amendement pour contribuer à la réflexion sur l'évolution de nos institutions.

M. Philippe Kaltenbach. - Notre collègue a présenté un amendement d'appel pour ouvrir le débat sur le droit de dissolution, en complément de la proposition de loi sur le rétablissement du septennat. Nos institutions méritent mieux qu'un texte qui n'aborde que quelques aspects de la question. Nous avons besoin d'une réflexion plus large sur l'avenir de nos institutions, pour en approfondir le caractère démocratique, en évitant qu'elles ne reposent que sur un seul homme, en donnant plus d'espace au Gouvernement. Je ne sais pas si la mission créée par M. Bartolone sera suffisante.

Cette proposition de loi constitutionnelle lance le débat, mais n'a pas vocation à prospérer, et je ne voterai pas cet amendement.

M. Hugues Portelli, rapporteur. - Un argument de M. Leconte m'a beaucoup surpris : dans l'Union européenne, on aurait vocation à avoir des institutions semblables à celles de ses voisins. Mais l'Union européenne n'est pas un État fédéral ! Lorsque nous élisons le Président de la République, nous n'élisons pas le gouverneur du Texas. Et quand bien même, la Constitution américaine n'interdit pas aux États fédérés d'avoir des institutions différentes, mais seulement de rétablir la monarchie.

M. Jean-Yves Leconte. - Si vous l'avez compris de cette manière, je le regrette. J'avais dit que c'était un devoir pour nous d'avoir les institutions les mieux adaptées pour peser auprès de nos partenaires européens, c'est-à-dire adaptées à leurs propres systèmes politiques. Tout faire procéder de l'élection présidentielle ne nous permet pas de nous faire comprendre de nos partenaires. Ce n'est pas l'Union européenne qui nous dicte de changer nos institutions, mais c'est un devoir pour nous.

M. Philippe Bas, président. - Laisser le Gouvernement responsable devant l'Assemblée nationale sans ouvrir l'accès au droit de dissolution, c'est créer un grave déséquilibre dans nos institutions. Les pouvoirs du Président de la République sont conçus pour soutenir le Gouvernement face à une Assemblée nationale sans majorité solide. L'actualité récente nous montre d'ailleurs que l'arme virtuelle de la dissolution peut faire réfléchir une majorité parlementaire.

Vous auriez dû présenter un deuxième amendement pour éteindre la disposition permettant d'engager la responsabilité du Gouvernement.

M. Jean-Yves Leconte. - Je ne l'ai pas supprimée !

M. Christophe Béchu. - La plupart du temps, c'est plutôt l'opposition au Président de la République qui propose d'en réduire les pouvoirs. Cet amendement me paraît donc assez singulier.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie, mon cher collègue, pour ce commentaire indispensable !

La commission émet un amendement défavorable à l'amendement n° 1.

La réunion est levée à 9 h 50

Mercredi 19 novembre 2014

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 9 heures

Simplification de la vie des entreprises - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède tout d'abord à la désignation de candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte pour les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises.

MM. Philippe Bas, André Reichardt, Mme Elisabeth Lamure, MM. Jean-Marc Gabouty, Martial Bourquin, Alain Richard, Mme Cécile Cukierman sont désignés en qualité de membres titulaires et Mme Nicole Bricq, MM. Olivier Cadic, Pierre-Yves Colombat, Gérard Cornu, Philippe Dominati, Jean-Jacques Filleul et Mme Catherine Procaccia sont désignés en qualité de membres suppléants, pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte pour les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises.

M. Philippe Bas, président. - Cette commission mixte paritaire se réunira au Sénat le mardi 25 novembre à 14 heures.

Missions d'information de la commission - Nomination des co-rapporteurs

La commission procède ensuite à la désignation des co-rapporteurs des missions d'information de la commission des lois (session 2014-2015).

MM. Christophe-André Frassa et Michel Delebarre sont nommés co-rapporteurs de la mission d'information « Le droit des entreprises : enjeux d'attractivité internationale, enjeux de souveraineté».

Mme Catherine Tasca et M. Yves Détraigne sont nommés co-rapporteurs de la mission d'information « Assistance médicale à la procréation et gestation pour autrui : le droit français face aux évolutions jurisprudentielles ».

Mme Catherine Troendlé et M. Pierre-Yves Colombat sont nommés co-rapporteurs de la mission d'information « Situation et évolution des services départementaux d'incendie et de secours et des secours sanitaires d'urgence dans le cadre de la réforme territoriale ».

MM. François Pillet et Thani Mohamed Soilihi sont nommés co-rapporteurs de la mission d'information « Le droit pénal à l'heure d'Internet ».

MM. François Bonhomme et Jean-Yves Leconte sont nommés co-rapporteurs de la mission d'information « Usage de la biométrie en France et en Europe ».

Nouvelle-Calédonie - Examen du rapport d'information

La commission procède ensuite à l'examen du rapport d'information de Mme Sophie Joissains, M. Jean-Pierre Sueur et Mme Catherine Tasca relatif à la Nouvelle-Calédonie.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Comme d'autres sénateurs l'avaient fait avant nous, nous nous sommes rendus en Nouvelle-Calédonie pendant une semaine. Nous y avons été accueillis par de nombreux responsables locaux, notamment notre collègue Pierre Frogier. Nous avons entendu l'ensemble des responsables politiques, les services de l'État, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, le président du Congrès, les présidents des trois provinces, des élus municipaux, les représentants des organisations patronales et syndicales, les chefs de cour et de juridictions locales, les autorités coutumières, les représentants de la sécurité civile, soit une trentaine d'auditions.

Les accords de Matignon en 1988 puis celui de Nouméa en 1998 ont initié un processus institutionnel inédit qui a ramené la paix civile après des troubles graves. Nous nous sommes appuyés sur les rapports de Christian Cointat et Bernard Frimat de 2011 ainsi que sur celui de nos collègues députés Urvoas, Bussereau et Dosière de 2013. Nous avons reçu Alain Christnacht et Jean-François Merle, auxquels le Gouvernement a confié une mission d'écoute et de conseil. Le président de la République vient de se rendre sur l'archipel où il a tenu des propos extrêmement équilibrés.

La transcription de l'Accord de Nouméa par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998 a doté le territoire d'une autonomie sans équivalent dans notre pays. Depuis 1946, la Nouvelle-Calédonie a connu huit statuts différents. Celui qui est issu de l'Accord de Nouméa conforte les provinces qui apparaissent désormais comme l'instance décisionnaire principale. Malgré des ressources fiscales propres restreintes, les provinces font preuve d'une vitalité incontestable.

S'agissant des élections provinciales, le droit de vote est restreint. Le Conseil constitutionnel a imposé un corps électoral « glissant ». Évoquant avec nous la situation des 23 000 résidents calédoniens sans droit de de vote, qu'il qualifie de « sujets calédoniens », par opposition aux citoyens, M. Gaël Yanno, le président du Congrès, a souligné l'importance de la question de la composition du corps électoral.

Le Congrès, autrefois divisé entre indépendantistes et non-indépendantistes, comprend aujourd'hui cinq groupes différents.

Comme l'a rappelé avec fierté le président Yanno, le Congrès, doté de la faculté de voter des lois du pays soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, constitue la troisième assemblée législative française.

Mme Cynthia Ligeard, présidente du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, nous a décrit celui-ci comme une machine lente. Le consensus doit y être assuré à chaque instant afin d'éviter le blocage. Malgré la bonne entente des membres du gouvernement, la coexistence en son sein de deux camps ne favorise pas l'efficacité de l'institution. Nous reviendrons sans doute sur « l'affaire des deux drapeaux ». Selon Mme Ligeard, la réalité du pouvoir se situe dans les provinces. Le décalage entre l'affichage institutionnel et la réalité suscite l'incompréhension de la population.

S'agissant de l'exercice des compétences de l'État, la distance avec Paris est compensée par une entraide des services déconcentrés entre eux, par exemple la police et la gendarmerie. De même, une forte solidarité existant avec les services de l'administration pénitentiaire en raison de ce qu'il appelle l'éloignement du camp de base qui a été soulignée par le directeur de la prison de Nouméa. Le rapport de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, n'a pas seulement marqué les esprits. Il a été fort utile et a débouché sur des travaux. Des progrès restent à faire dans les quartiers disciplinaires et d'isolement qui reçoivent les détenus dans des conditions indignes. Par ailleurs, les moyens budgétaires sont alloués en fonction des standards métropolitains sans égard pour le coût plus élevé des achats, ce qui débouche sur des impayés. Comme cela est souvent le cas, l'établissement s'adapte à son budget et non l'inverse. Le projet de déménagement de la prison, fort coûteux, a été heureusement abandonné. Enfin, sujet d'étonnement, 95 % des détenus sont Kanaks, 5 % sont européens.

La répartition des compétences entre l'État et les autorités locales dans les domaines régaliens - justice, formation professionnelle - n'est pas toujours cohérente et appelle des ajustements. Sur de nombreux sujets, tels l'entrée et le séjour des étrangers, la délivrance des visas, le maintien de l'ordre, la communication audiovisuelle, les contrats d'établissement avec les universités, la coopération est prévue. Partisan de l'indépendance, M. Paul Néaoutyine, président de l'assemblée de la province Nord, a regretté que le transfert des compétences régaliennes ne soit pas préparé dans la perspective d'une réponse positive au référendum d'autodétermination. Les autorités de l'État exercent encore un magistère d'influence important. Notre collègue Pierre Frogier souhaite qu'elle demeure et que l'État garde toute sa part dans le processus en cours.

Le transfert des compétences non régaliennes est bien avancé. Il est achevé en ce qui concerne la police, la sécurité de la circulation aérienne, la sécurité maritime interne, la sauvegarde de la vie en mer, l'enseignement primaire et secondaire public, l'enseignement privé, le droit civil et commercial, la sécurité civile. Nous avons d'ailleurs été alertés lors de notre visite du centre de crise de Nouméa sur un certain nombre de difficultés. Les disparités en matière d'équipements sont très importantes entre les communes. L'établissement public d'incendie et de secours dont la création était prévue par l'ordonnance du 15 février 2006 n'a pas vu le jour. Selon le directeur de la sécurité civile et de la gestion des risques, les compétences ont été transférées administrativement sans réflexion sur l'incidence pratique et financière de ces transferts.

En matière d'éducation, le vice-recteur nous a déclaré que le paiement du salaire des enseignants par l'État était un frein à l'indépendance. Cela dit, le transfert de compétences est réalisé avec un accompagnement de l'État pour l'enseignement primaire et secondaire.

MM. Frogier et Yanno s'inquiètent de la soutenabilité de certains transferts ; ils ont évoqué la « vitrification » du droit du travail et des assurances relevant de longue date de la compétence des autorités calédoniennes et les difficultés concernant le droit civil et le droit commercial.

Le transfert a également été réalisé pour les établissements publics de l'État : l'office des postes et télécommunications, l'institut de formation des personnels administratif, celle de développement de la culture kanak, le centre de documentation pédagogique sont déjà sous tutelle calédonienne, mais pas l'agence de développement rural et d'aménagement foncier.

L'article 27 de la loi organique du 19 mars 1999 suscite des débats. Les non-indépendantistes estiment que le transfert prévu par ce texte des dernières compétences en matière de communication audiovisuelle, d'enseignement supérieur, des règles relatives à l'administration des provinces, au contrôle de légalité et au régime comptable et financier des établissements publics, est optionnel. Les indépendantistes jugent au contraire qu'il s'impose.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. - La consultation référendaire doit avoir lieu, en tout état de cause, avant 2019 si elle n'est pas demandée avant par la majorité des trois cinquièmes des membres du Congrès, ce qui est hautement improbable au regard des résultats des dernières élections provinciales. A défaut de demande d'ici fin 2018, l'État devra l'organiser.

Les indépendantistes et une partie des non-indépendantistes, comme Calédonie ensemble, sont favorables à l'organisation du référendum. L'autre partie du camp non-indépendantiste, dont notre collègue Pierre Frogier, souhaite un troisième accord négocié de manière consensuelle sur le modèle de ceux de Matignon et de Nouméa pour éviter les risques de tension et de ralentissement des investissements, liés selon eux à l'organisation d'un référendum dont les résultats peuvent au demeurant être anticipés.

En 1998, lors de la signature de l'Accord de Nouméa, l'État s'est engagé à organiser un référendum. En dépit de l'ouverture de M. Jean-Marc Ayrault, il n'y a pas de consensus sur une alternative au référendum. Comme le souhaite la majorité des forces politiques, le référendum aura sûrement lieu. Le président de la République a rappelé ce cadre.

Le rapport établi par MM. Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien à la suite d'une mission confiée par M. François Fillon puis confirmée par M. Jean-Marc Ayrault, rappelle qu'aucun modèle institutionnel ne peut être plaqué sur la situation calédonienne dont l'évolution institutionnelle sera nécessairement originale et créative. Plusieurs solutions sont possibles dont celle évoquée d'un accès à la pleine souveraineté assorti du maintien d'un lien privilégié entre une Nouvelle-Calédonie souveraine et la France ; un accord de partenariat pourrait être conclu sur un pied d'égalité entre ces deux nouveaux pays, comme pour Monaco, le Liechtenstein ou la Micronésie, et un statut privilégié pourrait être accordé aux ressortissants de l'État partenaire constitue une seconde voie crédible. Un statut d'autonomie étendue, à l'instar de celui des îles Cook par rapport à la Nouvelle-Zélande, avec une révision de la Constitution française pour pérenniser des dispositions particulières à la Nouvelle-Calédonie sur l'exercice des compétences régaliennes, sur la représentation du territoire au niveau national, sur l'équilibre des pouvoirs et le fonctionnement des institutions ou encore les droits attachés à la citoyenneté calédonienne.

Dans la perspective de ce référendum, la question de l'élaboration de la liste électorale des citoyens appelés à y participer - qui est distincte de la liste pour les élections provinciales - soulève plusieurs interrogations.

Les représentants des formations politiques ne remettent pas en cause les critères d'admission à voter fixés par la loi organique du 19 mars 1999 qui a fidèlement traduit l'Accord de Nouméa sur ce point. Il y a localement un consensus sur la nécessité d'élaborer cette liste au plus tôt, préoccupation que nous partageons afin d'éviter des polémiques sur les conditions du vote. Une divergence existe sur le rôle de la commission administrative chargée d'élaborer cette liste au niveau de chaque commune. Certains indépendantistes récusent son intervention. Le Gouvernement envisage le dépôt d'un projet de loi organique début 2015 pour modifier la procédure.

Si la question institutionnelle focalise les débats de la classe politique, les questions d'ordre social et économique méritent une certaine attention. La Nouvelle-Calédonie est en effet engagée dans un processus de rééquilibrage et de décolonisation inédit ; 30 % de la population calédonienne est d'origine européenne, plus de 40 % d'origine mélanésienne ; environ 10 % est originaire des îles Wallis et Futuna - il y a davantage de Wallisiens et Futuniens vivant en Nouvelle-Calédonie que dans ces deux îles.

L'Accord de Nouméa affirme que l'identité kanak doit être préservée. Plusieurs rencontres ont été précédées d'un geste coutumier. La coutume est un aspect essentiel de l'organisation sociale kanak même si les plus jeunes, attirés par la vie en ville plutôt qu'en tribu, lui accordent moins d'intérêt. La coutume évolue et doit prendre compte leurs aspirations, ainsi que celle des femmes.

Longtemps synonyme d'inégalité par rapport aux citoyens français, le statut de droit coutumier a été consacré par l'Accord de Nouméa. Droit commun et droit coutumier sont désormais appliqués par la justice, les assesseurs coutumiers apportant aux magistrats la connaissance de ce droit qui, du fait de son oralité, n'a jamais été codifié. La loi organique du 15 novembre 2013 a instauré une « passerelle procédurale » pour remédier à la situation des victimes relevant du droit coutumier qui devaient, après la condamnation définitive des auteurs de l'infraction, introduire un recours civil pour obtenir réparation. Désormais, la juridiction pénale compétente, dans sa formation de droit commun et en l'absence de demande contraire de l'une des parties, peut statuer sur les intérêts civils. En cas d'opposition de l'une des parties, cette juridiction est complétée par des assesseurs coutumiers. Des solutions équitables sont trouvées pour la prise en compte du statut coutumier.

Le préambule de l'Accord de Nouméa rappelle l'appropriation des terres coutumières au cours de la colonisation. Les accords de Matignon ont créé l'Agence de développement rural et d'aménagement foncier (ADRAF) qui acquiert des terres coutumières pour les restituer aux clans auxquels elles appartenaient. Depuis sa création, l'ADRAF a attribué 97 000 hectares. Ainsi, les terres coutumières occupent désormais 17 % de l'espace de la Grande Terre. L'Accord de Nouméa prévoit le transfert de l'ADRAF, avec son personnel et ses missions, à la Nouvelle-Calédonie sur demande à la majorité simple du Congrès. Malgré la concertation menée pour préparer ce transfert, ni une demande formelle, ni un calendrier précis n'ont à ce jour été transmis à l'État qui exerce encore la tutelle sur l'ADRAF. Cela suscite des interrogations sur les missions de l'ADRAF dans l'avenir et l'achèvement de la réforme foncière. Plusieurs autorités coutumières préfèrent que cette question soit résolue sous la tutelle de l'État jugé plus impartial, un besoin d'État qui nous a surpris.

Les autorités coutumières jouent un rôle éminent dans la régulation de la vie sociale. Le Sénat coutumier, composé de 16 membres désignés selon les usages de la coutume et dépourvu de rôle décisionnel, est toujours en quête de sa légitimité depuis sa création. Son initiative de publier une charte des valeurs kanak est de nature à favoriser une meilleure compréhension de la culture kanak et à conforter l'utilité de l'institution. Les membres du Sénat coutumier ont regretté que l'approche du pluralisme normatif, assurant la coexistence du droit écrit et du droit coutumier, ne soit pas encore aboutie ; la charte pourrait y contribuer. Les autorités coutumières souhaitent participer à la médiation pénale, comme l'évoque explicitement l'Accord de Nouméa.

La construction d'un destin commun est l'objectif partagé par toutes les communautés qui composent la population calédonienne.

Mme Catherine Tasca, rapporteure. - Les accords de Matignon et de Nouméa ont fait du rééquilibrage du territoire un objectif central, compte tenu de l'inégalité de développement des provinces. La réalisation de certains équipements, tels que la route transversale de la province Nord, y contribue.

L'instauration d'une clé de répartition des moyens financiers des provinces établit une solidarité entre elles. Les dotations versées par l'État sont ainsi réparties non en fonction du poids démographique mais de façon à corriger les déséquilibres. Les dotations en fonctionnement profitent pour 50 % à la province Sud, pour 32 % à la province Nord et pour 18 % aux îles ; 40 % des dotations d'équipement sont versées à la province Sud, 40 % à la province Nord et 20 % aux îles Loyauté. Cette clé de répartition est contestée par la province Sud qui connait une importante croissance démographique (les trois quarts de la population calédonienne habitent le grand Nouméa). Toutefois son maintien s'avère nécessaire, d'autant que les dispositifs de défiscalisation bénéficient au Sud et que la province des îles Loyauté demeure pénalisée par la distance, la division en trois îles et le coût des transports. Le maintien de ce correctif apparaît légitime.

Une politique active de formation constitue une seconde voie de rééquilibrage. La nécessité de préparer l'accès des jeunes aux fonctions d'encadrement figure dès les accords de Matignon. Les programmes « 400 cadres » et « cadres avenir », élargis au secteur privé, ont favorisé l'insertion d'une élite locale. Ces efforts doivent être renforcés, notamment dans le domaine des professions juridiques qui restent l'apanage des non calédoniens. La préférence locale étant difficile à mettre en oeuvre dans la fonction publique d'État en raison des règles constitutionnelles, appelle imagination et souplesse, notamment pour les postes d'encadrement.

La Nouvelle-Calédonie réalise 6 % des extractions mondiales de nickel et disposeraient de 17 % des réserves mondiales de ce minerai. L'exploitation de cette richesse, dont l'encadrement relève de la compétence des provinces, doit être organisée de manière équitable afin de contribuer au développement territorial. Le secteur est très concentré au niveau mondial. La consommation de nickel augmente. En Nouvelle-Calédonie, quatre sociétés majeures se partagent le marché, dont la SLN est la plus ancienne. Une stratégie commune de l'ensemble de ces acteurs devrait être mise en oeuvre. En outre, afin d'éviter les dangers d'une mono-industrie, Mme Anne Duthilleul a plaidé pour que les ressources financières du nickel servent aussi à la diversification économique.

La construction de l'usine de Koniambo, portée avec conviction et persévérance par M. Paul Néaoutyine, répond à une attente de tous les Calédoniens. Nous avons constaté l'ampleur impressionnante du projet et la bonne insertion du chantier dans l'environnement. L'emploi local y a été privilégié. L'environnement n'a pas été oublié.

Le rééquilibrage est en marche. Il est loin d'être achevé. Les défis de la « vie chère » restent à l'origine d'inégalités sociales. La Nouvelle-Calédonie pâtit de son insularité, du faible nombre de ses habitants - 250 000 - de l'habitude prise par ces derniers de consommer des produits métropolitains comme de sa situation à l'écart des grands circuits de distribution. Les prix très élevés qui en résultent ont provoqué des mouvements sociaux durs en 2011 et 2013. Les négociations entamées entre le patronat et les syndicats, sous l'égide de l'État, y ont mis fin. En 2013, un protocole d'accord a prévu le gel immédiat des prix, la baisse de 10 % du prix des produits de première nécessité et des mesures de contrôle des prix. Une autorité locale de la concurrence a été créée. Une loi du pays « anti-trust » a été adoptée. Selon les représentants syndicaux, les progrès sont dus à la forte mobilisation sociale. La question sociale est plus importante pour l'opinion que la question institutionnelle qui mobilise tant la classe politique.

Les fortes inégalités sociales se superposent aussi aux différences ethniques. L'accès au logement est au coeur des difficultés, notamment dans l'agglomération de Nouméa. La conférence économique, sociale et fiscale tenue les 20 et 21 août 2014 à Nouméa a élaboré un agenda des réformes nécessaires. Le chantier, qui concerne la fiscalité, les frais bancaires, la protection de l'emploi local, est immense. Des lois du pays devront être votées. Un travail considérable attend les institutions calédoniennes et l'État qui les épaule.

Ce déplacement a été l'occasion d'évaluer sur place le devenir de la Nouvelle-Calédonie. Des progrès importants ont été effectués depuis 1988 et surtout 1998. La Nouvelle-Calédonie a retrouvé la paix civile. Elle a posé les jalons pour construire le destin commun de la société calédonienne. Le rééquilibrage en cours produit ses premiers effets tangibles ; un vivier d'élus locaux, actifs et compétents a émergé dans toutes les provinces. Par-delà la question institutionnelle, la Nouvelle-Calédonie doit affronter de nouveaux enjeux économiques ainsi que le défi social et ethnique du processus de décolonisation. Le respect de l'identité kanak est une composante essentielle du destin commun. La jeunesse kanak est attirée par les modes de vie urbains. Les formations politiques locales devront prendre en compte ses aspirations. L'éducation et la formation professionnelle seront déterminantes pour l'avenir et le partage du territoire. Les Calédoniens doivent prendre le chemin de la réconciliation et bâtir ensemble les conditions de la concorde.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie pour ce rapport très complet. La Nouvelle-Calédonie de 2014 est différente de celle de 1988 et de 1999, du point de vue démographique, économique, institutionnel et politique. Nos rapporteurs ont rappelé les récentes tensions sociales que l'État a apaisées après avoir réuni les parties prenantes. La question du logement a revêtu une grande acuité dans certaines parties du territoire.

Le référendum prévu par les textes a contribué à rétablir la paix sur le territoire. La question de l'indépendance, dont l'on avait différé la formulation, se pose désormais dans de nouveaux termes. L'on n'est plus dans la perspective univoque qui avait été conçue. Décidément, les déplacements outre-mer sont utiles à notre commission.

M. Pierre Frogier. - Je vous remercie pour l'attention que vous portez à la Nouvelle-Calédonie, dont je ne saurais traiter avec le même recul que vous. Elu local depuis 1977, j'ai été maire du Mont-Dore à partir de 1984. Entre cette date et 1988, j'ai dû affronter des barrages et des balles ont sifflé à mes oreilles.

Si l'on veut comprendre la situation, il faut remonter au 18 novembre 1984, lorsqu'Eloi Machoro a brisé une urne à Canala. Thio a ensuite été pris en otage par le FLNKS pendant plusieurs semaines ; les gendarmes ont été désarmés. Hier, 400 personnes y ont manifesté en tenant des propos assez agressifs.

L'Accord de Nouméa, que j'ai négocié et signé, prévoit d'ici 2019 un référendum d'autodétermination et je crains que ce choix manichéen ne réveille une lutte bloc contre bloc. Je me battrai de toutes mes forces pour éviter cet affrontement. Avant de quitter la Nouvelle-Calédonie, le président François Hollande a prononcé un discours devant les élus puis il a été interviewé par France Ô : il a dit que la France serait toujours présente en Nouvelle-Calédonie, quel que soit son statut. Il a estimé que son rôle n'était pas d'imposer sa solution, mais qu'il valait toujours mieux parvenir à une solution consensuelle. Il espère que la consultation pourra ressembler plutôt que diviser. J'approuve bien évidemment ces propos - je tiens à votre disposition la lettre ouverte que je lui ai adressée, mais comment imaginer que la consultation va réduire l'antagonisme fondamental entre les pro et les anti-indépendantistes ? Comment croire à une solution qui exclurait la France alors qu'en mai 2014, le rapport de forces donnait 60 % en défaveur de l'indépendance ?

Le corps électoral est contesté. L'Accord de Nouméa prévoyait qu'il serait « glissant ». Comme la loi du 19 mars 1999 n'était pas claire, le Conseil constitutionnel l'a interprétée. La majorité de l'époque a alors voté, à la demande des indépendantistes, la révision constitutionnelle de 2007. Aujourd'hui, la jurisprudence de la Cour de cassation va plus loin que la volonté du constituant. Une loi organique sur la procédure ne suffira pas. Les indépendantistes ont porté le débat sur le corps électoral provincial devant l'ONU. Tant que cette question ne sera pas réglée, il ne sera pas possible d'organiser un référendum. Contrairement à ce qu'a indiqué le Gouvernement lors du dernier comité des signataires, ce n'est pas en créant une nouvelle commission administrative qu'on résoudra ce problème avant tout politique. En début d'année, j'ai proposé au Premier ministre de convoquer un comité des signataires extraordinaire, mais il n'a pas donné suite.

Je regrette que les gouvernements successifs ne se soient pas plus impliqués dans ce dossier. Les réunions du comité des signataires ne servent pas à grand-chose. Un haut fonctionnaire m'a dit être là pour nous expliquer comment nous passer de ce dont nous avions besoin...

Pour revenir sur les propos de Mme Tasca sur la clé de répartition : depuis 1988, l'État verse en effet une dotation d'investissement. Mais la dotation de fonctionnement repose sur la fiscalité locale qui est répartie entre chacune des provinces. Cette clé de répartition peut aussi être modifiée par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Or la province Sud, soit les trois-quarts de la population, consacre 60 % de ses dépenses de fonctionnement à la santé et à l'enseignement. L'exercice 2015 sera un numéro d'équilibriste. Un rééquilibrage de cette clé est donc nécessaire.

Je partage les propos de mes collègues sur l'identité kanak, au centre de l'Accord de Nouméa. Il est essentiel que le drapeau kanak soit devenu celui de l'identité, et non de la violence. Le Sénat coutumier, auquel je l'avais remis avec Charles Pidjot, l'a voulu ainsi et il doit flotter à côté du drapeau bleu blanc rouge. Je regrette que la majorité ne soit pas capable de reconnaître cette réalité : contrairement à l'Australie qui n'a pas su reconnaître sa population originelle, notre République prend acte de l'identité particulière - kanak, mais aussi océanienne - de la Nouvelle-Calédonie. Voilà la réalité sur laquelle nous construirons une nouvelle solution évitant un scrutin d'autodétermination qui dresserait les uns contre les autres, car la revendication indépendantiste est avant tout identitaire et non pas en rupture avec la France.

M. Jean-Jacques Hyest. - Je remercie Pierre Frogier d'avoir exprimé ce qu'il a vécu de cette histoire complexe, que la commission des lois a toujours suivie avec une grande attention.

Pour ma part, je considère que le Conseil constitutionnel a mal interprété notre volonté en 1999 et nous avons dû y revenir avec une révision constitutionnelle en 2007. Certains craignent des violences à l'occasion du référendum, mais nous savons tous quel en sera le résultat. Je suis en revanche inquiet de l'évolution de la société calédonienne, notamment chez les jeunes. Comment parler de rééquilibrage entre les provinces alors que la concentration de la population s'accentue dans l'agglomération de Nouméa ? Certes, de beaux immeubles sortent de terre, mais aussi des bidonvilles, tandis que l'alcool et la drogue se répandent. Je ne suis pas sûr que le nickel offrira des emplois à tous les jeunes.

Cette collectivité, qui a beaucoup de potentialités, doit encore trouver sa place : ce débat me semble bien plus important pour l'avenir que celui sur le corps électoral.

M. Simon Sutour. - Merci à nos collègues pour cet excellent travail. Les choses changent, dites-vous. Sans doute, mais pas si vite que cela, car lorsque nous sommes allés en Nouvelle-Calédonie avec Jean-Jacques Hyest et Christian Cointat en 2003, les constats que nous avions formulés étaient sensiblement identiques aux vôtres. Il est vrai qu'à l'époque, le débat sur la consultation était bien plus apaisé, car encore lointain. Le centre pénitentiaire connaissait déjà une situation dramatique.

M. Jean-Jacques Hyest. - Un nouvel établissement était prévu.

M. Simon Sutour. - Ce n'aurait peut-être pas été une mauvaise option. Depuis, M. Delarue est venu et les choses se sont améliorées.

Lorsque nous sommes allés à Nouméa, M. Pierre Frogier était président du gouvernement et il nous avait fort bien reçus. Nous avions été la première délégation à nous rendre à Ouvéa après les événements dramatiques qui s'y étaient déroulés.

Comme le dit Jean-Jacques Hyest, le problème n'est pas l'indépendance : il n'est qu'à constater la situation du Vanuatu pour s'en persuader. La question centrale est celle de l'identité kanak. Même s'ils ne sont pas parfaits, les accords de Matignon et de Nouméa ont été signés : si l'on ne parvient pas à une solution consensuelle après avoir accompli les gestes nécessaires, le référendum devra avoir lieu. Pour ce qui est du corps électoral, nous devons respecter les grands principes républicains, à savoir que les citoyens sont égaux entre eux.

M. François Grosdidier. - Bien que n'ayant jamais été en Nouvelle-Calédonie, j'ai le sentiment que la question sociale a quelques similitudes avec celles que nous rencontrons en métropole : des minorités se sentent bafouées dans leur identité et sont confrontées à des problèmes sociaux. Pour ce qui est du référendum, nous devons respecter notre parole. Il n'est pas possible de différer éternellement ce scrutin. Enfin, il serait choquant que, lors du vote, le corps électoral ne soit pas celui des citoyens : nous serions en totale contradiction avec les principes fondamentaux de notre République.

- Présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente -

M. Pierre-Yves Collombat. - Nous ne pouvons pas ne pas organiser ce référendum. Cela dit, la question sera évidemment clivante. Enfin, nous devrons faire en sorte que le résultat de cette consultation soit acceptable par ceux qui n'auront pas gagné. Pensez-vous que nous serons prêts ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Tous les syndicats de Nouvelle-Calédonie nous ont dit que leur principal problème n'était pas le référendum, mais la question économique et sociale.

Les perdants auront sans doute du mal à accepter le résultat du vote, mais il me semble difficile de ne pas procéder à cette consultation. D'ici deux ans, il est indispensable de parvenir à un accord sur la composition du corps électoral. La clef est politique, sans accord sur le corps électoral, il y aura une élection sur l'élection. Il faut trouver un accord maintenant.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Notre collègue Pierre Frogier nous a dit que des conflits pourraient intervenir en Nouvelle-Calédonie à l'occasion du référendum, mais le risque n'est-il pas plus fort en l'absence de scrutin ? On ne peut oublier que 40 % de la population est favorable à l'indépendance. S'il est très important de ne pas arriver à une solution binaire, il me paraît compliqué de faire autrement. La Cour européenne des droits de l'homme a autorisé seulement un gel temporaire du corps électoral.

Mme Catherine Tasca, rapporteure. - Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait franchir l'étape du référendum pour que ce ne soit plus l'unique objet du débat politique. Après quoi, le chantier des réformes sera colossal.

Je suis néanmoins optimiste car les communautés ont appris à travailler ensemble et les élites des deux camps se connaissent bien. Une fois purgé la question référendaire, les communautés pourront bâtir ensemble leur destin commun, car elles n'ont pas d'autre choix. N'oublions pas l'histoire : un peuple d'origine a été colonisé par des colons venus d'ailleurs. J'espère que les communautés se mettront autour de la table pour apporter des réponses concrètes aux questions qui se posent, quelle que soit l'issue du référendum.

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

Mme Sophie Joissains, rapporteur. - En période électorale, un camp a travesti le message initial des « deux drapeaux », si bien que ce message n'a pas été aussi important qu'espéré.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Si l'on renonce au référendum, il n'y aura pas d'accord. Le référendum ne pourrait-il pas être le prélude à un nouvel accord ?

La commission autorise la publication du rapport d'information relatif à la Nouvelle-Calédonie.

Îles Wallis et Futuna - Examen du rapport d'information

Puis la commission procède à l'examen du rapport d'information de Mme Sophie Joissains et M. Jean-Pierre Sueur relatif aux îles Wallis et Futuna.

Mme Sophie Joissains, rapporteur. - Notre mission n'est pas allée à Futuna en raison des difficultés des moyens de transport mais nous avons reçu les représentants des deux rois.

Situées à plus de 19 500 kilomètres de la métropole, les îles Wallis et Futuna, isolées dans l'océan Pacifique, se trouvent à 3 000 kilomètres au sud-ouest de la Polynésie française et à 2 200 kilomètres à l'est de la Nouvelle-Calédonie, avec laquelle Wallisiens et Futuniens conservent un lien privilégié, fruit de l'histoire. L'île de Wallis est elle-même distante de Futuna de 240 kilomètres.

Futuna a été découverte en 1616 par un navigateur hollandais et Wallis en1767 par un capitaine anglais qui lui a donné son nom. L'arrivée des puissances européennes dans la région s'effectue à la faveur d'une concurrence aiguisée entre les missions religieuses dans le Pacifique Sud. En 1837, les pères maristes installent les premières missions catholiques. Ils joueront un rôle moteur dans la demande des autorités locales pour solliciter la protection de la France.

Une demande de la reine Amélia de Wallis et du roi de Futuna aboutit en 1886. Le protectorat français unit l'île de Wallis et celle de Futuna qui connaissaient jusque-là des histoires distinctes. Le décret de 1909 réglant l'organisation administrative et financière des îles Wallis et Futuna crée, pour la première fois, officiellement le « protectorat des îles Wallis et Futuna » et lie ainsi le sort des Wallisiens et Futuniens.

La création, en 1942, d'une base arrière américaine dans la perspective d'une percée japonaise dans le Pacifique central entraîne subitement Wallis-et-Futuna dans l'ère des biens matériels et de l'économie monétaire, période aussi faste qu'éphémère car la base ferme à la fin de 1943 - une grande quantité de matériel américain a d'ailleurs été noyée dans un lac volcanique de Wallis. Une crise économique intervient alors, provoquant des tensions politiques au gré de la succession rapide de rois contestés. Lors du référendum du 22 décembre 1959, Wallisiens et Futuniens choisissent l'adhésion à la France par un vote sans ambiguïté : 94,12 % des suffrages exprimés, et près de 100 % pour la seule île de Wallis, approuvent l'intégration dans la République. Conformément à ce souhait, les îles Wallis et Futuna sont érigées en territoires d'outre-mer par la loi du 29 juillet 1961 qui constitue encore le statut du territoire. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 n'a pas conduit à la refonte de ce statut d'une grande stabilité.

Nous nous sommes rendus du 28 au 30 juillet à Wallis, en recevant également les premiers ministres des rois de Futuna. C'était le quatrième déplacement d'une délégation de notre commission à Wallis. Les rapports de nos collègues et anciens collègues de 1985, de 1993 et de 2003 attestent de l'intérêt que notre commission porte à ce territoire.

Les institutions locales résultent d'une alliance surprenante mais réussie entre la coutume et la République. Les grands équilibres du statut de 1961 n'ont pas été remis en cause et nous avons, lors de la fête du territoire organisée le 29 juillet, date de la promulgation de la loi, mesuré la ferveur patriotique des Wallisiens et partagé le kava avec le roi et les dignitaires du territoire.

L'assemblée territoriale, organe délibérant de la collectivité, dispose d'attributions encore limitées. Elle est élue au suffrage universel direct, tous les cinq ans, dans le cadre de cinq circonscriptions à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne. Les élections de 2012 ont marqué un profond renouvellement de sa composition politique. Il existe depuis un ballet des majorités qui nuit à son fonctionnement, le président changeant pratiquement chaque année.

L'exécutif de la collectivité est assuré par le représentant de l'État. L'administrateur supérieur est donc également le chef du territoire. Il existe même une tutelle administrative puisqu'il doit approuver les délibérations de l'assemblée territoriale pour les rendre exécutoire, ce qui est une fragilité constitutionnelle au regard des articles 72 et 74 de la Constitution quand bien même l'usage qui en est fait est éclairé.

L'autorité coutumière est associée à la gestion des affaires territoriales. Il existe trois royaumes : Uvéa situé à Wallis, Alo et Sigave à Futuna. Ces rois, désignés par les familles nobles, exercent le pouvoir coutumier avec leurs ministres et les chefs de district et de village qu'ils désignent. Les rois perçoivent une dotation de l'État et ils ont un rôle éminent et une influence plus importante encore. Ils ont parfois des prétentions qui excèdent leurs compétences : le président du tribunal de première instance nous a ainsi expliqué comment le porte-parole du roi de Wallis lui avait demandé de libérer les prisonniers auxquels le roi avait accordé sa grâce à l'occasion de Pâques.

Les communes sont remplacées à Wallis-et-Futuna par des circonscriptions territoriales, correspondant aux royaumes. Chaque circonscription est dirigée par un conseil présidé par le roi et dispose d'un budget autonome pour assurer les missions qui relèvent traditionnellement d'une commune. À cet égard, il faudra veiller à ce que le budget reste suffisant. L'absence de commune ne constitue pas un amoindrissement démocratique : les affaires du village sont gérées par les assemblées d'habitants qui décident collectivement et peuvent même déchoir les chefs de village.

A Wallis-et-Futuna, l'Église assure une mission de service public en matière d'enseignement. En effet, l'État concède l'enseignement primaire à la mission catholique des îles Wallis et Futuna à laquelle il est lié par convention. Ce n'est pas un enseignement privé, comme le précisait l'évêque de Wallis-et-Futuna, mais bel et bien un enseignement public, contrôlé par l'éducation nationale, assuré par la mission catholique pour le compte de l'État qui compense d'ailleurs la charge financière.

Les juridictions judiciaires et administratives sont représentées à Wallis-et-Futuna mais avec des spécificités. Un tribunal de première instance juge tous les contentieux civils, commerciaux et pénaux. Il ne comporte qu'un juge et une fonctionnaire territoriale de grand talent qui fait office de magistrat du Parquet. Sans doute faudrait-il la nommer magistrat. Les moyens matériels et humains sont dérisoires. L'appel se fait devant la cour d'appel de Nouméa ou devant la cour administrative d'appel de Paris : dire qu'il y a des obstacles matériels à son exercice est un doux euphémisme.

Autre particularité, le territoire ne compte aucune profession judiciaire : ni avocat, ni huissier, ni notaire. Des adaptations ont ainsi été prévues : la compagnie de gendarmerie locale assure parmi ses missions celle de « fonctionnaire-huissier », les personnes agréées par le président du tribunal de première instance, de « citoyens défenseurs », peuvent faire office d'avocat, même s'ils ne disposent pas de formation juridique.

La coutume a une place prépondérante. Ainsi nous a-t-on dit qu'un divorce « civil » pouvait être prononcé pour un mariage civil « coutumier ».

La prison de Wallis qui compte six places à Mata'Utu est située dans l'emprise de la caserne du commandement de la gendarmerie locale. Cependant, les mineurs sont envoyés à Nouméa, ce qui soulève encore une fois la question de l'éloignement et met en relief la difficulté des visites familiales comme du coût du transfèrement.

Enfin, la Cour des comptes est toujours compétente pour le Territoire de Wallis-et-Futuna. Il y aurait sans doute lieu de confier cette mission à la chambre territoriale des comptes de Nouméa ou à une chambre distincte mais rattachée à celle de Nouméa.

Le président du tribunal de grande instance nous a dit que le droit applicable à Wallis-et-Futuna est complexe et obsolète pour l'essentiel. Une réflexion sur la portée du principe de spécialité législative serait bienvenue.

Les trois rapports d'information précédents ont conclu à des ajustements nécessaires du statut de 1961. La tutelle administrative soulève ainsi une question de constitutionnalité mais les habitants sont attachés à l'équilibre des pouvoirs institués en 1961 - c'est par référendum, à rebours de la décolonisation des années 1960, que les Wallisiens et Futuniens ont choisi librement de devenir Français sans que le territoire ait jamais été colonisé par la France. Le protectorat devient territoire d'outre-mer : ses habitants accèdent à la nationalité française et au droit de vote. Ils peuvent dès lors participer aux scrutins nationaux et ont un représentant à l'Assemblée nationale et un autre au Sénat. La clef de voûte de cet accord est l'article 3 de la loi du 29 juillet 1961 : « La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu'elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi. »

Les termes de l'adhésion à la République ont été négociés par Jacques Soustelle, avec les rois en place. Les réflexions sur l'avenir institutionnel n'ont pas abouti, essentiellement à cause des réserves des autorités coutumières sur un possible affaiblissement de la place reconnue à la coutume dans le statut. La discussion doit se poursuivre car la coutume évolue. En 2005, une grave crise politique a éclaté à l'occasion de la condamnation judiciaire pour homicide du petit-fils du Lavelua. Pour échapper à la justice, ce dernier s'est réfugié au palais royal, provoquant de fortes dissensions au sein des familles aristocratiques tiraillées entre le devoir de solidarité familiale et le respect de la légalité républicaine. Après une tentative de destitution du roi par l'administrateur supérieur, un médiateur envoyé par le gouvernement a finalement maintenu sa reconnaissance de l'autorité du Lavelua en place. Cet épisode a laissé des traces : coexistent les tenants d'une lecture réformatrice de la coutume et ceux soucieux de préserver la coutume des atteintes de la modernité. Nous avons ainsi assisté à un débat étonnant sur l'opportunité d'un réseau de téléphonie mobile sur Wallis. La coutume est très riche : on ne peut la réduire à une interprétation monolithique.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Pour la première fois, une délégation de notre commission assistait à la grande fête du 29 juillet, date à laquelle Wallis-et-Futuna a été déclaré territoire d'outre-mer. Reçus par le roi, nous avons bu le kava. Mon discours, dans lequel j'ai mis toute ma conviction, a satisfait le roi, puisque j'ai eu droit à une deuxième coupe. Le Monde nous a appris peu après que le roi avait été destitué, si bien que notre collègue Robert Laufoaulu aurait pu y prétendre plutôt qu'à un mandat de sénateur.

Le poids de la coutume est très important. La majeure partie de la population n'est pas intégrée dans une économie monétarisée. La solidarité entre les familles, qu'il s'agisse d'agriculture ou de pêche, joue à plein. L'administration publique représente 54 % du PIB. La contribution du secteur privé est relativement faible.

La principale question est l'exode puisque la population a diminué de 2 000 habitants depuis 1996 : il y a plus de Wallisiens en Nouvelle-Calédonie qu'à Wallis. Une fois partis, les jeunes ne reviennent pas. Certes, un lycée agricole a été créé, mais les choses n'ont pas fondamentalement changé ; le bateau de pêche, financé par l'État reste à quai ; le tourisme pourrait être développé, mais le coût du transport est dissuasif.

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont une des clés de la réussite de ce territoire : un réseau de téléphonie mobile ainsi que des liaisons satellitaires sont indispensables. En outre, des câbles sous-marins avec les iles Samoa et Fidji devraient relier ces îles au reste du monde.

Nous demandons que la desserte aérienne des îles Wallis-et-Futuna se diversifie et qu'un navire mixte assurant une liaison à plus faible prix entre les îles soit envisagé.

L'offre bancaire devra également se développer : pour l'instant, il n'y a que la banque de Wallis-et-Futuna, détenue à 51 % par BNP-Paribas Nouvelle-Calédonie, avec un guichet permanent à Wallis et un guichet périodique à Futuna. Une seconde banque, publique par exemple, pourrait intervenir. L'association pour l'initiative économique (Adie) a déjà octroyé des micro-crédits à des personnes ayant des difficultés à accéder aux prêts bancaires.

Le rapport de 1993 de notre commission dressait un constat toujours d'actualité : l'inaliénabilité des terres coutumières, l'absence de cadastre et de propriétaires identifiables et la non-applicabilité du droit de la prescription et de l'expropriation à ces terres demeurent. La Cour des comptes demande une évolution, ce qui a suscité de fortes craintes localement. Il faudra nous appuyer sur des projets économiques pour faire évoluer les règles foncières.

Il y a deux établissements hospitaliers à Wallis-et-Futuna, mais pas de système de garde. En cas de prescription urgente, il est possible de se fournir dans la pharmacie de la salle d'urgence. La ministre des outre-mer souhaite doter ce territoire d'un scanner, d'une mammographie et d'une salle d'obstétrique : 9 millions d'euros sont prévus, ce qui représentera une économie étant donné les frais de transport économisés pour les évacuations sanitaires.

Les relations financières entre l'agence de santé de Wallis-et-Futuna et le régime d'assurance maladie calédonien est, selon Mme Pau-Langevin, « un sujet qui empoisonne les relations des Wallisiens et Futuniens avec la Nouvelle-Calédonie depuis trop longtemps ». L'agence de santé est effectivement recevable d'une année de fonctionnement envers le régime d'assurance maladie calédonien. Les conséquences financières de cette situation conduit à une dégradation des rapports entre les acteurs sanitaires des deux territoires, laquelle pourrait à terme entraîner une limitation de l'accueil des patients de Wallis-et-Futuna à la seule prise en charge des évacuations sanitaires urgentes. Plusieurs mesures ont été adoptées par l'État, qui assure la tutelle de l'agence de santé, pour circonscrire le montant de cette dette. Ainsi, le ministère de la défense a accepté d'abandonner les créances détenues sur l'agence de santé, soit une aide financière indirecte de 1,4 million d'euros. Afin d'éviter que la dette ne se reconstitue chaque année, il a été mis fin, dans le projet de budget pour 2015, à la sous-évaluation chronique des crédits versés à l'agence de la santé. Reste à la tutelle d'apurer l'arriéré de la dette selon un plan de remboursement réaliste et soutenable.

Je veux rendre hommage à l'action remarquable menée par Mme Marie-Ange Gerbal contre la vie chère. Elle préside l'observatoire des prix, des marges et des revenus, qui a montré l'importance des marges. Appliquer l'ensemble des règles pour favoriser la concurrence est nécessaire pour avancer.

La réalité coutumière encore prégnante doit se concilier avec les principes républicains, sans constituer une cause d'immobilisme. Le développement économique reste indispensable pour enrayer la diminution de la population et son exil.

M. Philippe Bas, président. - Nous vous remercions pour la qualité de votre travail et sommes très sensibles à l'accueil que vous avez reçu à Wallis-et-Futuna.

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. - Je signale qu'un cochon et une natte ont été offerts à la délégation par le roi de Wallis.

M. Philippe Bas, président. - Nous sommes sensibles au témoignage d'amour de nos compatriotes de Wallis-et-Futuna à l'égard de la France. Votre rapport illustre le souci du Sénat de favoriser le développement économique des îles, en travaillant les questions des télécommunications, de la desserte maritime, des services bancaires, du foncier, de la santé, de la lutte contre la « vie chère ». J'espère que son écho parviendra jusqu'à Wallis-et-Futuna.

M. Simon Sutour. - Je regrette que vous n'ayez pu vous rendre à Futuna où vous auriez pu rencontrer les deux autres rois. J'attire votre attention sur les dégâts écologiques dont souffre Wallis. Il n'y a plus de sable sur les plages ; il a été utilisé pour les constructions. J'avais avec le Président Hyest et notre ancien collègue Christian Cointat participer à la délégation de notre commission qui s'était rendue à Wallis et Futuna.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Il est crucial que nos collègues de l'hexagone se déplacent dans les outre-mer, où les choses évoluent très vite et de façon déconnectée des autres territoires.

La demande d'une intervention plus importante de l'État peut sembler paradoxale sur un territoire qui revendique son autonomie. On la comprendra le jour où l'on étudiera les fondements de cette demande.

M. Pierre Frogier. - Je félicite nos collègues pour la qualité de leur rapport. Il existe un accord particulier entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. La population de ces deux îles - 12 000 habitants - diminue. Les habitants s'exilent en Nouvelle-Calédonie. Ils y sont 35 000 et bientôt 45 000. Ils peuvent y rencontrer des difficultés en matière d'accès à l'emploi local. Les dispositions de l'accord particulier sur ce sujet ne sont pas respectées. L'existence de cette communauté n'est pas neutre pour l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie.

La commission autorise la publication du rapport d'information relatif aux iles Wallis et Futuna.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Thani Mohamed Soilihi sur le projet de loi de finances pour 2015 (mission « Outre-mer »).

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - Il me revient, pour la première fois, de vous présenter l'avis budgétaire sur les crédits de la mission « outre-mer », succédant ainsi à notre collègue Félix Desplan, à qui je tiens à rendre hommage, et à notre ancien collègue Christian Cointat qui a mené cet exercice pendant une décennie au nom de notre commission. C'est l'occasion pour moi, comme la ministre des outre-mer lors de son audition, de saluer son engagement pour les outre-mer, nourri d'une passion et d'une expérience précieuses pour le Sénat.

Sans revenir sur les éléments budgétaires que la ministre des outre-mer a présentés en commission mercredi dernier et qui seront approfondis lors de la discussion en séance publique, j'insisterai sur deux points.

D'une part, la mission « outre-mer » ne regroupe pas l'ensemble des crédits de l'État qui sont affectés en faveur des populations ultramarines puisque ces crédits sont ventilés au sein des autres missions budgétaires : le « document de politique transversale » permet d'avoir une vision consolidée ;

D'autre part, conformément à l'orientation du Président de la République, la mission « outre-mer » connaît une hausse de ses crédits : à périmètre constant, l'augmentation est de 2,7 % pour 2015 et 8,3 % pour le budget triennal. L'équilibre retenu est simple : faire participer à l'effort financier les collectivités ultramarines en prenant en compte leur situation actuelle pour calculer leur part de l'effort. Cette différence est justifiée par la situation socio-économique difficile dans laquelle se trouvent les territoires ultramarins.

Ces éléments me conduiront à vous proposer un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

Au-delà de ce cadrage budgétaire, compte-tenu des délais contraints, j'ai souhaité m'intéresser à un sujet particulier : les difficultés d'application de la législation outre-mer. Sujet récurrent pour notre commission, cette question a d'ailleurs été évoquée par notre collègue Alain Richard lors de la réunion du Bureau de notre commission.

Ce sujet n'est pas sans incidence budgétaire. En effet, le droit ultramarin - le statut de ces collectivités mais aussi les règles de fond qui s'y appliquent - est foisonnant. Il correspond à du « sur-mesure » pour reprendre l'expression de la ministre des outre-mer. On peut a priori se féliciter que dans une logique de subsidiarité le droit soit adapté au fait.

Cependant, manier des règles différentes d'une collectivité à l'autre, jongler avec les régimes d'entrée en vigueur des lois et règlements variant d'une collectivité à l'autre, suppose d'avoir une expertise interne suffisante. Or les effectifs du ministère des outre-mer à la suite de la réforme de 2007 à 2009 de son administration centrale ont drastiquement diminué. De même, les collectivités territoriales disposent-elles des moyens pour exercer leur compétence normative ?

Je vous propose de parcourir les quelques particularités ultramarines en matière d'application de la loi, sans épuiser la réflexion que notre commission pourrait poursuivre.

Tout d'abord, les collectivités situées outre-mer ont davantage de compétences que leurs homologues métropolitaines, ce qui est particulièrement vrai pour les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie dont le statut et les compétences sont fixées par une loi organique.

Si le législateur empiète sur cette compétence, le Conseil constitutionnel le censure, au besoin d'office. Cependant, les lois relatives à l'outre-mer font rarement l'objet d'une saisine du Conseil et échappe donc à son contrôle. C'est pourquoi en 2003 le constituant a prévu une procédure inédite : la demande de « déclassement » au Conseil constitutionnel des dispositions législatives qui seraient intervenues dans le domaine de compétence d'une collectivité d'outre-mer. Cette procédure s'applique pour la Polynésie française, Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Longtemps, elle fut une « belle endormie » : on comptait une seule décision - en 2007 - qui plus est de rejet. En 2014, la Polynésie française a décidé de saisir le Conseil constitutionnel de 7 requêtes. 5 décisions ont été rendues et 4 d'entre elles ont constaté, en tout ou partie, que l'État avait excédé sa compétence. C'est ainsi que le Conseil a admis la compétence de la Polynésie française pour fixer elle-même les règles en matière d'accès et de motivation des actes administratifs. Il nous faudra, en tant que législateur, en tirer toutes les conséquences.

Je souligne que dans les quatre cas où le Conseil a « déclassé » des dispositions législatives, trois étaient issues, dans leur dernière rédaction, d'ordonnances, ce qui démontre que le recours aux ordonnances, même pour des sujets prétendument techniques, n'est pas un gage absolu d'infaillibilité.

J'en viens à une seconde particularité qui concerne, cette fois, les régions d'outre-mer. L'article 73 de la Constitution leur permet de disposer d'un pouvoir législatif délégué. L'assemblée délibérante, dans le cadre de l'habilitation consentie par le Parlement, peut être habilitée à adapter sur leur territoire les lois et règlements dans les matières où s'exercent leurs compétences. Elle doit formuler une demande à l'État qui peut accorder ou non une habilitation qui ne vaut que pour la durée du mandat en cours. L'assemblée délibérante peut alors adapter les règles de droit commun par délibération. Ces délibérations obéissent à un régime particulier : elles ne peuvent être adoptées qu'à la majorité absolue des élus, elles sont publiées au Journal officiel et peuvent être déférées au Conseil d'État.

Ce mécanisme a été sollicité depuis 2007 à plusieurs reprises, le législateur y ayant donné suite dans au moins six cas, à chaque fois, en faveur de la Martinique et de la Guadeloupe qui semblent demanderesses de ce mécanisme.

Aucun bilan n'a été dressé de l'usage que ces collectivités ont fait de ces habilitations : ont-elles été complètement utilisées ? Des délibérations ont-elles déjà été déférées au juge ? Comment faire pour que le droit applicable localement reste lisible ? Nous n'avons pas de retour réel, ce qui pourrait pourtant nous éclairer lorsque ces collectivités territoriales saisissent le Parlement de nouvelles demandes d'habilitation.

Sur la lisibilité du droit en particulier, il faudrait sans doute mieux préciser la coordination de l'intervention du législateur et de l'assemblée délibérante. Actuellement, de manière concrète, il y a la loi ou le code national et, à côté, une délibération qui vient y déroger. Il n'est pas sûr que cette manière de « légiférer » assure un droit facilement lisible et accessible.

Après avoir évoqué les pouvoirs normatifs des collectivités territoriales, je voudrais présenter les difficultés d'application du droit édicté par l'État dans ces collectivités.

Se pose la question délicate du principe de spécialité législative auquel nous sommes confrontés avec l'article final de la plupart des lois qui prévoit, comme une ritournelle, que les articles sont applicables « en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna ».

Cette précision est nécessaire puisque la loi n'y est applicable que sur mention expresse. Le législateur doit donc prévoir d'étendre l'application d'un article lorsqu'il le crée mais aussi chaque fois qu'il le modifie. À défaut, on peut aboutir à une « fossilisation » du droit : le droit se fige et devient en décalage par rapport au droit applicable en métropole.

Je ne présenterai pas l'historique du principe de spécialité législative qui remonte, au moins, aux lettres royales de 1744 et 1746. Il était à l'origine une manière de s'assurer que le droit applicable outre-mer était adapté ou devait l'être avant d'y être étendu. Il a progressivement décliné.

D'une part, il a été abandonné pour une large partie des outre-mer : les départements d'outre-mer puis - ce qui est plus notable - certaines collectivités d'outre-mer sont régies par le principe d'identité législative.

D'autre part, dans les collectivités où il s'applique réellement - Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Terres australes et antarctiques françaises -, le législateur organique a prévu des dérogations en permettant que certaines dispositions s'y appliquaient sans nécessiter de mention expresse.

Enfin, le juge constitutionnel lui-même a forgé la notion de « loi de souveraineté » qui implique que les lois appartenant à cette catégorie sont directement applicables.

La question se pose : faut-il maintenir le principe de spécialité ? En effet, il crée une complexité particulièrement forte dans le droit applicable localement. Nos collègues qui se sont rendus en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna ont été alertés par les magistrats de cette difficulté. Les juridictions doivent parfois, avant tout examen au fond, se demander quelle est la rédaction applicable de la disposition en cause.

L'utilité de ce principe de spécialité n'est plus évidente. En effet, l'État n'est compétent dans ces collectivités que pour des matières essentiellement régaliennes : le besoin d'adaptation ne s'impose pas a priori dans ces matières. En outre, même dans le cadre du principe d'identité législative, les adaptations restent possibles. Dès lors, on pourrait sérieusement s'interroger sur la possibilité de renverser le principe de spécialité et de prévoir l'application directe de la loi, sauf dans certaines matières qui appellent par principe des adaptations.

Je conclurai mon propos avec le recours massif aux ordonnances pour l'application et l'adaptation de la loi outre-mer. Il est quasiment devenu traditionnel qu'une habilitation accompagne chaque projet de loi pour prévoir le « volet outre-mer » de la loi. Le constituant lui-même a, d'une certaine manière, reconnu cet état de fait avec l'article 74-1 de la Constitution qui habilite de manière permanente le Gouvernement à étendre et adapter, par ordonnance, le droit dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie. Je rappelle que c'est à l'initiative de notre commission qu'en 2003, il a été prévu que ces ordonnances devraient être ratifiées de manière expresse, ce qui fut fait seulement en 2008 pour les ordonnances de l'article 38.

Le Gouvernement utilise indistinctement l'article 38 et l'article 74-1 pour adopter des ordonnances spécifiques aux outre-mer ou comportant une adaptation outre-mer.

Depuis 2009, sur le fondement de l'article 38 - et pour ne retenir que les projets de lois que notre commission a examinés au fond ou pour avis -, 87 habilitations ont été accordées au Gouvernement. 25 n'ont pas été utilisées avant leur terme, ce qui pose tout de même question sur l'inertie de l'action gouvernementale. Sur les 50 habilitations qui ont donné lieu à ordonnances, 12 d'entre-elles sont en attente de ratification.

Je préciserai que 31 habilitations accordées depuis 2009 ont eu pour objet exclusif Mayotte, notamment du fait de sa départementalisation, ce qui représente plus d'un tiers des habilitations concernées sur la période examinée.

Depuis 2007, sur le fondement de l'article 74-1, les 20 ordonnances - à l'exception d'une - ont été ratifiées car c'est une condition pour les faire échapper à la caducité.

Ce recours aux ordonnances donne parfois un sentiment de relégation des outre-mer qui font l'objet d'un traitement à part. Pourtant, le recours quasi-systématique aux ordonnances pourrait être évité si le ministère des outre-mer était davantage associé en amont à la rédaction des projets de loi, ce que la ministre a admis lors de son audition. Ce serait surtout un moyen pour le Parlement de se prononcer sur les adaptations qui sont prévues pour chaque projet de loi. Je crois que le Gouvernement devrait se tenir à cette discipline dans le dépôt de ses projets de loi.

M. Philippe Bas, président. - Puisque nous sommes à la commission des lois, il est utile que l'on soulève des questions juridiques lors de l'examen des avis budgétaires. Notre rapporteur l'a fait sur un certain nombre de procédures qui apparaissent davantage formalistes que substantielles et qui, pour certaines, finissent par devenir des procédures parasitaires.

M. Jean-Pierre Sueur. - D'abord, il faut saluer l'effort de notre rapporteur d'aborder ces questions. Il est très utile que nous puissions ratifier effectivement et que nous soyons associés en amont à l'élaboration de ces ordonnances qui sont fréquentes pour les outre-mer.

Ensuite, il faut souligner que le budget des outre-mer est en hausse, ce qui est remarquable compte tenu du contexte.

Enfin, qu'en est-il de l'immigration très importante à Mayotte en provenance des Comores ? La situation a -t-elle évolué ? Cette question ne se résoudra pas seule.

M. Alain Richard. - Notre rapporteur a souligné, de manière argumentée la dysfonctionnalité de notre système Le principe de spécialité législative trouve ses sources dans l'histoire de la colonisation française, et plus spécifiquement dans l'histoire de la République colonisatrice qui a voulu, en permanence, adapter les principes républicains à des réalités sociales et des modes de pensée radicalement opposés. Si l'on retrace l'histoire institutionnelle de la colonisation française, ce que l'on ne fait pas suffisamment, on constate que le législateur républicain a fait le choix, par exemple en 1905, de ne pas appliquer partout dans l'empire colonial le principe de séparation de l'Église et de l'État. On a appliqué le protectorat pour protéger des institutions non républicaines, à la fois une royauté et une théocratie au Maroc, par exemple. Nous avons une responsabilité d'État qui fait que l'on ne peut pas balayer cela d'un geste de la main. Nous avons des intérêts nationaux et une volonté de la population de ces territoires d'être dans un ensemble français. Nous rencontrons trois obstacles.

D'abord, nous demandons à ces territoires de construire un système de droit complet à partir de rien. Cela pose un problème de disproportion écrasante des moyens entre l'État central et ces collectivités. Qui, dans les administrations locales de territoires aussi petits, peut participer à la construction d'un système aussi abouti ? Comment demander à ces territoires de construire aussi rapidement un système de droit que nous avons mis deux cents ans à construire.

Ensuite, se posent des problèmes conceptuels. Ces systèmes de représentation de la société sont radicalement opposés au système français traditionnel. En même temps, il me semble que la piste de la révision constitutionnelle n'est pas à ouvrir. En revanche, il faudrait appliquer le principe de spécialité avec moins de dommages. Je me demande s'il ne faut pas chercher du côté des modalités de décision des assemblées délibérantes de ces collectivités. J'avance une piste. Si, dans un délai donné, l'assemblée délibérante ne s'est pas prononcée sur un texte législatif national qui vient d'être adopté, alors seulement le législateur national se substituerait à elle. On demanderait en fait à la collectivité éventuellement de renoncer à adapter plutôt que de demander au législateur national de tout régler.

Enfin, les territoires de la collectivité concernée ne parviennent pas à construire le droit qui serait nécessaire. Quand le droit n'est plus repérable, c'est la voie de fait, donc la raison du plus fort, qui l'emporte. Si on laisse ce « droit à trous » se développer, on créera de la conflictualité.

M. Félix Desplan. - Notre rapporteur a parfaitement compris sous quel angle orienter sa mission, en tant que bon juriste. Il a souligné certaines incohérences législatives. Il a également souligné l'augmentation des crédits alloués aux outre-mer, c'est le cas depuis deux ou trois ans, ce sera également le cas dans les deux ou trois années à venir. Cela ne doit pas masquer qu'il existe une légère diminution, si l'on tient compte de la répartition territoriale, des crédits affectés aux départements d'outre-mer. Il ne faudrait pas que cette diminution des crédits gêne la continuité territoriale, en particulier en raison de l'impact sur les politiques publiques à destination des jeunes et des étudiants. D'ici à 2017, on attend jusqu'à 6 000 stagiaires du service militaire adapté. Beaucoup d'entre eux, selon la spécialité choisie, viennent en métropole se former. Il ne faudrait pas que la diminution de ces crédits contrarie ce plan de formation pour les jeunes.

Il faut aussi aborder la situation carcérale. J'ai visité en 2013 le centre pénitentiaire de Baie-Mahault, qui est une prison relativement récente par rapport à d'autres mais victime de la surpopulation : il faut mettre deux à trois matelas supplémentaires par cellule pour y faire face. J'ai également visité la maison d'arrêt de Basse-Terre, qu'un ministre avait qualifié il y a quelques années de « honte de la République ». Aucune amélioration n'a été apportée et ce n'est pas possible au regard de sa situation initiale. Je sais que les prisons de Guadeloupe n'ont pas été retenues parmi les établissements concernés par les trois premières années du plan d'amélioration et de construction de prisons. Souhaitons qu'elles le soient par la suite, car cette situation est inhumaine.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis. - Sur la politique carcérale outre-mer, je partage votre analyse, Monsieur Desplan. Rien de nouveau n'est intervenu depuis ce rapport. Un groupe de travail a été mis en place au ministère de la Justice sur les prisons outre-mer. Ces travaux seront, je l'espère, suivis d'effets.

S'agissant de la spécialité législative, la question est posée. Faut-il maintenir ou aménager ce principe ? Il y a en tout cas unanimité sur la nécessité d'améliorer son application.

Enfin, sur l'immigration clandestine à Mayotte, rien ne semble avoir évolué. J'insiste sur le fait que ce n'est pas un problème qui concerne seulement Mayotte, car Mayotte est en fait une porte d'entrée ponctuelle vers le reste de la France.

Parmi les menaces à l'humanité, il y a le virus Ébola et la radicalisation religieuse. Si on ne contrôle pas davantage les entrées sur le territoire, cela posera des problèmes. Le virus Ébola pourrait entrer par ce territoire. Nous avons recensé des immigrés clandestins venant du Bhoutan, via l'Afrique puis Mayotte ! C'est une menace réelle et non virtuelle.

Pour ce qui concerne la radicalisation religieuse, en particulier musulmane, il faut souligner que c'est récent et intense à Mayotte où 95 % de la population est musulmane. Il existe une longue tradition musulmane, pour des raisons historiques. Des signes de radicalisation apparaissent pour la première fois. La problématique de l'immigration concerne donc tout le territoire français.

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-Mer » inscrits au projet de loi de finances pour 2015.

Loi de finances pour 2015 - Mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », programme « Fonction publique » - Examen du rapport pour avis

La commission procède enfin à l'examen du rapport pour avis de M. Hugues Portelli sur le projet de loi de finances pour 2015 (mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », programme « Fonction publique »).

M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. - Ce programme « fonction publique » concerne la formation et l'action sociale interministérielles.

Pour 2015, le plafond des emplois des ministères s'établit comme suit : 10 601 ETP sont créés dans les secteurs prioritaires tandis que 11 879 sont supprimés par ailleurs, soit un solde négatif de 1 278 ETP. Les créations interviennent principalement dans l'éducation nationale (10 561) conformément à la promesse présidentielle de créer 60 000 emplois dans l'enseignement. La Police et la Gendarmerie bénéficient de 405 postes et la Justice 635, dont 35 seulement au bénéfice de la juridiction administrative, ce que l'on peut regretter.

Les ressources humaines sont marquées par une évolution des départs en retraite. En baisse en 2012, ils sont en hausse en 2013. On peut envisager un nouveau ralentissement de la tendance, certains personnels pouvant faire valoir leurs droits à la retraite optent pour un départ plus tardif.

Le programme 148 comprend deux actions : la formation des fonctionnaires et l'action sociale interministérielles. La formation est pour l'essentiel assurée par les ministères. Les crédits de formation inscrits au programme 148 sont quant à eux destinés à financer principalement l'ENA et les cinq IRA. Le reste de l'enveloppe revient sous forme de subventions aux organisations syndicales, centres de préparation, Institut européen d'administration publique et classes préparatoires intégrées.

Ce programme a aussi pour objectif de renforcer l'aide sociale, grâce à des prestations individuelles (chèques-vacances) et collectives qui complètent l'action de chaque ministère, diverse de l'un à l'autre.

En conclusion, les orientations de ce programme pour 2015 sont les mêmes depuis cinq ans. Je suis favorable à l'adoption de ses crédits

M. Philippe Bas, président. - C'est un programme qui se situe dans la continuité des précédents. C'est la continuité de l'État et du Parlement.

M. Pierre-Yves Collombat. - La continuité est parfois discutable. J'ai l'impression que la théorie est de mutualiser par des programmes interministériels mais que la LOLF et le découpage en missions sont un obstacle à la compréhension et à la mise en oeuvre de ces objectifs de mutualisation et polyvalence. Est-ce que vous partagez ce sentiment M. le rapporteur ?

M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. -Les ministères, notamment les plus puissants, mènent leur propre politique à laquelle se superpose la politique interministérielle.

M. Pierre-Yves Collombat. - C'est exactement ce que je pense.

M. René Vandierendonck. - On peut regretter qu'il n'y ait aucune projection sur les mouvements susceptibles d'être observés, avec la logique de la clarification des compétences, comme par exemple pour les DIRECCTE. Concernant la politique de la ville, les préfets sentent que la recentralisation n'a jamais été aussi efficace. Il y a beaucoup à attendre de ce que M. Thierry Mandon, secrétaire d'État à la réforme de l'État, va produire en synchronisation avec la réforme territoriale.

M. Christian Favier. - Nous sommes dans la continuité avec 150 000 emplois en moins depuis 2008. Dans l'éducation nationale, les créations ne compensent pas les suppressions de postes. L'État doit jouer un rôle important ; ce ne doit pas être un État « rabougri », replié sur ses compétences régaliennes, et ce afin d'assurer l'égalité des citoyens sur le territoire. Pour ma part, je ne donnerai pas un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

M. Yves Détraigne. - On constate une évolution inquiétante des services de l'État. On sent sur le terrain que les préfets ont de moins en moins de liberté d'appréciation. C'est le retour à l'État central avec des normes et des contraintes qu'on nous impose sur le terrain et qui nous paralysent et nous gênent. Nous avons un problème de cohérence dans le fonctionnement de l'État entre les discours et les réalités. Élu local depuis plusieurs années, je constate un retour à la norme centrale sur la mise en oeuvre des politiques sur le terrain.

M. Philippe Bas, président. - Effectivement l'inquiétude se manifeste sur l'état d'un certain nombre de services déconcentrés de l'État.

M. Hugues Portelli. - Mon point de vue est purement technique sur les crédits du programme. Je note une fidélité de ces objectifs par rapport à ce qui se passe depuis plusieurs années. Je donne donc un avis favorable à la cohérence.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Fonction publique » de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » inscrits au projet de loi de finances pour 2015.

La réunion est levée à 11 h 50

La réunion est ouverte à 18 h 30

Loi de finances pour 2015 - Missions « Administrations générale et territoriale de l'État », « Immigration, asile et intégration » et « Sécurités » - Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, sur le projet de loi de finances pour 2015 (missions « Administration générale et territoriale de l'État », « Immigration, asile et intégration » et « Sécurités »).

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. - Vous avez souhaité m'entendre sur les grandes lignes du budget du ministère de l'intérieur pour 2015.

En préambule, je voudrais évoquer le contexte budgétaire global. Alors qu'entre 2002 et 2011, la dépense publique a crû à un rythme annuel moyen de 2 %, puis de 1,7 % par an entre 2007 et 2011. Elle a été stabilisée en 2014 avec une croissance en volume de + 0,9 %. Cette stabilisation est confirmée en 2015 à + 0,2 % en volume, soit un effort historique.

Alors que dans tous les ministères hors Justice, Éducation nationale et Intérieur pour sa mission de sécurité voient leur budget diminuer, l'effort de réduction de la dépense publique est majeur, et, dans ce contexte, le budget du ministère est stabilisé, les effectifs et les moyens de la police et de la gendarmerie sont renforcés, la baisse des effectifs de l'administration territoriale est fortement atténuée par rapport aux années précédentes, les effectifs dédiés aux traitement de la demande d'asile sont renforcés, la réforme destinée à réduire les délais d'instruction de la demande d'asile est engagée.

En premier lieu, j'ai souhaité préserver les crédits de la mission « Sécurités », définie comme une politique prioritaire par le Président de la République. Ainsi, les crédits de la mission sont stabilisés, en légère hausse, à 12,2 millions d'euros hors dépenses de pensions.

Cela traduit la volonté du Gouvernement de préserver la capacité opérationnelle des forces de sécurité à répondre aux missions régaliennes qui sont les leurs. L'État assume sa mission de protection, au coeur des préoccupations de nos concitoyens, dans un contexte de menaces sérieuses et multiformes.

En termes d'emplois, dès son arrivée aux responsabilités, la majorité actuelle a fait un choix très clair : elle a stoppé l'effondrement des effectifs des forces de sécurité subi entre 2007 et 2012, équivalent à -12 500 postes dans la police et la gendarmerie. Comme en 2013 et en 2014, nous créons des postes : en 2015, 405 postes sont créés, cet effort se poursuivra sur la durée du budget triennal. Les effectifs d'inspecteurs du permis de conduire sont stabilisés pour accompagner la réforme du permis de conduire.

S'agissant des conditions de rémunération et des conditions sociales des personnels de la mission « Sécurités », une enveloppe catégorielle de 21 millions d'euros dans la police, de 16 millions d'euros dans la gendarmerie est prévue, mais également un renforcement de 2,4 % de la masse salariale de la sécurité civile. Ces crédits permettront de mettre en oeuvre la dernière phase de revalorisation de différentes catégories d'agents, notamment des catégories B et C.

Ces mesures de renforcement net des effectifs et du pouvoir d'achat des personnels, n'auraient que peu de sens si les moyens de fonctionnement et l'investissement de la mission « Sécurités » n'étaient pas renforcés. Ces moyens ont trop longtemps été négligés et l'avenir n'a pas été préparé dans ce domaine. Pour mémoire, ces crédits ont dramatiquement diminué entre 2007 et 2012 avec une baisse de 17 %.

Nous avons donc décidé d'inverser la tendance et de fixer de nouvelles priorités. Pour la police, ce sont 34 millions d'euros supplémentaires dédiés au fonctionnement et à l'investissement, par rapport à la loi de finances pour 2014. Cela représente une hausse très nette de 3,7 % et par ailleurs une hausse très forte des crédits immobiliers, de 22 % en AE et 9,7 %. Cette tendance à la hausse sera poursuivie jusque la fin du quinquennat.

Pour la gendarmerie, les crédits de fonctionnement et d'investissement sont préservés en 2015. D'ici 2017, un renforcement de 24,5 millions d'euros est prévu. Au-delà de ce renforcement des moyens et des investissements courants, ce gouvernement répond à une attente forte et ancienne des gendarmes : un plan triennal de réhabilitation de l'immobilier domanial, doté en tout de 79 millions d'euros par an, est mis en oeuvre pour stopper la détérioration du logement et du lieu de travail des gendarmes.

Dès 2014, l'acquisition de quelque 2 000 véhicules supplémentaires a été permise pour chacune des forces de police et de gendarmerie et ces efforts se poursuivront en 2015 avec 40 millions d'euros par force, soit encore 2 000 nouveaux véhicules pour chacune des deux forces.

Concernant la sécurité civile, les moyens prévus en 2015 permettront de poursuivre le développement de son réseau de transmission ANTARES, intégré au réseau INPT, avec pour objectif d'achèvement en 2017, grâce à un effort de 36 millions d'euros. Par ailleurs, la sécurité civile se voit allouer les moyens de moderniser le système d'alerte aux populations à hauteur de 6 millions d'euros. Elle pourra ainsi poursuivre le déménagement de sa base d'avions à Nîmes.

Dans la même logique de préparation de l'avenir et afin de répondre aux menaces multiples auxquelles nous sommes confrontées, un plan d'investissement de modernisation technologique des forces (police, gendarmerie et sécurité civile) sera déployé à hauteur de 108 millions d'euros sur trois ans.

Nous devons poursuivre les mutualisations et les efforts de dématérialisation pour redonner des marges opérationnelles aux forces de sécurité, dans le respect de leurs spécificités. Nous rechercherons également des sources alternatives de financement, par exemple en mobilisant les saisies d'avoirs criminels. Nous souhaitons réaffecter une partie de ces sommes aux forces de sécurité.

Dans le cadre du budget pour 2015, j'ai également tenu à accompagner la réforme territoriale par la réforme des services de l'État qui sont sous mon autorité, les préfectures et sous-préfectures. Cette réforme de l'État est fondamentale pour réussir la réforme territoriale dans son ensemble. Elle est une condition du renforcement du service public sur les territoires, dans un contexte où aucune réforme importante de l'administration territoriale de l'État n'est intervenue depuis de nombreuses années. Cette réforme permettra d'assurer la pérennité des services publics, alors que ces derniers connu des déflations importantes avec la révision générale des politiques publiques.

Ainsi, je tiens à souligner que les effectifs de l'administration territoriale portés par le ministère de l'intérieur, qui, depuis plusieurs années, subissaient de fortes réductions, voient leur contribution à l'effort de redressement des finances publiques passer de -550 postes en 2014 à - 180 postes en 2015. J'ai d'ailleurs veillé à ce que ces 180 postes puissent être déflatés sans préjudice pour le fonctionnement des services de l'administration déconcentrée de l'État. Cette marge de manoeuvre est dégagée notamment par un effort de mutualisation, avec la mise en place par exemple de plates-formes interdépartementales de naturalisation. L'effort est donc en 2015 du tiers de celui effectué en 2014.

Il aurait en effet été incompréhensible pour les agents de lancer la réforme de l'administration territoriale de l'État qui est en cours en continuant d'absorber des réductions d'effectifs importantes.

Quelques mots sur la philosophie de cette réforme territoriale. Nous allons d'abord poursuivre la revue des missions, qui est conduite par le secrétariat d'État à la réforme de l'État, le ministère de l'intérieur et le secrétariat général du gouvernement, en association étroite avec les secrétariats généraux des administrations centrales, à faire, ministère par ministère, la part de ce qui doit être confiée à l'administration déconcentrée et ce qui reste entre les mains des administrations centrales. Aux termes de cette revue des missions, fin 2014, nous élaborerons début 2015 une charte de la déconcentration, qui définira les conditions de transfert des missions vers l'administration déconcentrée. L'objectif est aussi de donner plus de pouvoirs au préfet, dans un cadre interministérialisé, en matière budgétaire et en matière de gestion des personnels. Je tiens à rappeler ici que ce qui sera transféré vers les administrations territoriales de l'État ne fera pas par un processus de recentralisation au détriment des collectivités locales.

Nous allons également donné un mandat de négociation aux préfets de région, à l'instar de ce qui a été fait en Alsace et dans la Moselle, qui les conduira à engager avec les élus locaux et les organisations syndicales, pour déterminer les sous-préfectures à fermer, si elles doivent l'être, substituer à des sous-préfectures des Maisons de l'État et moderniser le réseau infra-départemental, avec comme objectif qu'il y ait plus de services publics et non pas moins. Il y a des territoires qui se sont désertifiés qui ont des sous-préfectures, des territoires qui se sont densifiés qui n'en ont pas assez. Je souhaite que ce travail de négociation fasse l'objet d'un rendu régulier devant les parlementaires.

Ainsi, en 2015, comme je l'ai précédemment indiqué, les agents bénéficieront des mesures transversales décidées par le Gouvernement au plan interministériel, en particulier pour ce qui concerne les personnels de catégories B et C.

Enfin, je veillerai à ce que, dans le cadre de la réforme de l'administration territoriale et des efforts d'optimisation et de mutualisation, les moyens de fonctionnement et d'investissement de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » soient protégés. Je souhaite atteindre ce résultat grâce au recentrage engagé par les préfectures et sous-préfectures sur les missions qui sont au coeur de leurs métiers, grâce à la rationalisation immobilière, pour dégager les marges nécessaires au financement des besoins de fonctionnement et d'investissement dont l'État a besoin au plan local.

S'agissant enfin de la mission « Immigration, asile, intégration », ce Gouvernement souhaite afficher des objectifs clairs : la lutte déterminée contre les filières et l'immigration irrégulière, le renforcement de notre attractivité pour les migrations de l'excellence, de la connaissance et du savoir, et l'harmonisation et la simplification des conditions d'accueil et de séjour pour une meilleure intégration des étrangers qui ont vocation à nous rejoindre.

Au plan global, les crédits de la mission progressent de 2,7 millions d'euros par rapport à la LFI 2014. Par ailleurs, les crédits du programme 303 portant sur la politique d'immigration et d'asile, qui représentent 91 % des crédits de la mission, sont globalement stabilisés par rapport à l'an dernier. Le projet de loi de réforme de l'asile répond à la nécessité de transposer les directives communautaires dites « paquet asile » et de refonder notre dispositif national de prise en charge des demandeurs d'asile. Cette réforme apporte des garanties nouvelles par la généralisation du recours suspensif, la présence d'un conseil juridique lors de l'entretien à l'OFPRA, et la détection des personnes vulnérables.

Le Gouvernement entend réduire les délais d'instruction des demandes d'asile, au bénéfice des demandeurs, dont l'attente est trop longue, et des services. Cet objectif sera atteint notamment en affectant 55 agents supplémentaires à l'OFPRA pour faciliter l'instruction des dossiers et en portant la subvention de l'Office à 46 millions d'euros. En outre, il est prévu d'étendre les procédures accélérées, d'encadrer les délais de jugement de la CNDA, de simplifier le régime de l'aide juridictionnelle et de prévoir le passage de certains dossiers en juge unique.

Une nouvelle allocation pour demandeur d'asile sera également mise en place. Le principe retenu est celui d'une unification des barèmes pour les demandeurs d'asile, compensée par un caractère plus directif et obligatoire de l'hébergement ainsi qu'une plus grande efficacité des sanctions, permettant des économies importantes. La baisse de la dotation de l'allocation temporaire d'attente est le reflet de la réforme de l'asile dont l'un des objectifs est de réduire les délais d'instruction et donc les coûts associés.

Enfin, la réforme s'appuie sur la poursuite de la création d'un nombre important de places de CADA, après la création de 4 000 places en deux ans, en 2013 et 2014. Si, comme le souhaite le Gouvernement, la réforme est votée d'ici mi-2015, nous ambitionnons de créer 5 000 places supplémentaires en CADA, par transformation de 1 000 places d'hébergement d'urgence et grâce à l'unification et à la simplification du système d'allocation.

Malgré un contexte de crise en Méditerranée, je tiens à rappeler que la France est moins touchée que ses voisins par la hausse des demandes d'asile : ces dernières devraient être stable en 2014 en France alors qu'elle augmente de plus de 50 % chez nombre de nos partenaires. Par ailleurs, nous agissons au niveau de l'Union européenne : à notre initiative, des réponses collectives sont désormais apportées au travers de l'action de Frontex ou du lancement de l'opération Triton. L'Union européenne va également intensifier le dialogue avec les pays source et de transit de la Corne de l'Afrique et veiller à ce que l'ensemble des États membres respectent leurs obligations, notamment d'identification. Je pense ici notamment à l'Italie. C'est le résultat de la démarche que j'ai faite à la fin du mois d'août et dont les propositions ont été reprises lors du dernier conseil des ministres Justice et affaires intérieures de l'Union européenne.

Au plan budgétaire, les crédits destinés à la lutte contre l'immigration irrégulière sont stabilisés en 2015. En particulier, l'investissement immobilier dans les centres de rétention administrative est préservé et servira notamment à terminer la construction du nouveau centre de rétention administrative de Mayotte, que j'ai récemment visité, constatant qu'il est d'une indignité totale.

Enfin je tiens à rappeler les résultats significatifs obtenus en matière de lutte contre les filières d'immigration clandestine : ils ont augmenté de 26 % entre 2013 et 2014. Nous avons vu ce qu'il s'est passé récemment en Libye. Les filières qui y opèrent sont de véritables filières de la traite des êtres humains, tenues par des acteurs du crime organisé. Ces derniers mettent un nombre de plus en plus important de migrants, qui sont de plus en plus vulnérables, sur des embarcations de plus en plus frêles, en leur faisant payer un impôt de plus en plus significatif, et les conduisent souvent vers la mort. L'opération « mare nostrum » conduite par les italiens, qui s'est tenue au plus près des côtes libyennes et a sauvé des vies, mais a conduit les passeurs à mettre de plus en plus de monde sur les embarcations. Cette opération a donc conduit, paradoxalement, à plus de sauvetages mais aussi plus de morts. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à ce que cette opération prenne fin, et que se substitue à cette opération une opération de contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne.

Je vous remercie et suis maintenant à votre disposition pour échanger.

Mme Esther Benbassa, rapporteur pour avis des crédits affectés à l'asile. - Je vous remercie pour votre présentation. Je souhaiterais tout d'abord observer que si l'objectif de création de 4000 places supplémentaires en centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) fixé en 2012 pour la fin 2014 est apparemment en passe d'être atteint, ce qui porterait le nombre de places à 25 689, cela reste pourtant insuffisant au regard de la demande d'asile. Le rapport sur l'hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d'asile établi en avril 2013 par l'inspection générale des finances, l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration fixait comme objectif-cible un parc de 35 000 places à l'horizon 2019, mais dans le PLF 2015, seule la pérennisation du parc existant au 31 décembre 2014 semble être prévue. Quelles sont les intentions du Gouvernement à cet égard ?

De même, si l'on ne peut que souligner le réalisme consistant à ré-augmenter le nombre de places en hébergement d'urgence des demandeurs d'asile, prévu par le projet de loi de finances pour 2015, pourquoi ne pas consacrer une partie de cette somme à la poursuite de la création de CADA ?

On constate une augmentation du financement de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile mais, en même temps, une baisse de la dotation de l'allocation temporaire d'attente (ATA). Pourquoi cette divergence concernant des dépenses visant grosso modo le même public ?

La sous-budgétisation de l'ATA reste une constante du budget de l'asile, et ce, en dépit des efforts de sincérité budgétaire menés depuis 2012, salués par notre commission. Aujourd'hui, Pôle Emploi ne peut assurer la distribution de l'ATA qu'au prix d'une avance de trésorerie mais l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) sera-t-il en capacité de faire de même ?

Enfin, l'OFII voit ses missions profondément remaniées et accrues par le projet de loi relatif à la réforme de l'asile : détection de la vulnérabilité, gestion du dispositif d'orientation directive des demandeurs d'asile, en sus de la reprise de la gestion de l'ATA. Sera-t-il en mesure d'assumer ses missions ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis des crédits affectés à l'immigration, l'intégration et la nationalité. - Monsieur le ministre, je souhaiterais insister sur la question de la sous-dotation de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Par ailleurs, je note que le renforcement des moyens en personnels de l'OFPRA permettra de faire diminuer le délai d'instruction des demandes. C'est le seul type de solution possible pour résorber le flux et, même si je n'aime pas trop ce terme, le stock des demandes.

Dans votre propos introductif, vous avez répondu à la question que je me posais à propos de l'échéance des travaux au centre de rétention administrative de Mayotte.

Je souhaiterais savoir si vous pouvez nous faire état des conclusions menées sur les cahiers des charges communs de travaux et de maintenance des centres de rétention administrative par le groupe interministériel constitué sur ce sujet ?

En outre, peut-on disposer de précisions sur l'avenir du centre de rétention administrative de Coquelles ?

Enfin, j'ai une remarque d'ordre plus général : la lutte contre l'immigration irrégulière passe par la lutte contre les filières de l'immigration clandestine mais il existe aussi le cas d'étrangers entrant sur le territoire avec un visa touriste et restant sur le territoire à l'expiration de celui-ci.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - En tant que rapporteur de la mission « Administration générale et territoriale de l'État », je n'épiloguerai pas sur la thèse, qui me surprend, selon laquelle avec moins de personnels et moins de crédits, l'administration est plus efficace.

Ma première question est relative à la réforme de l'administration territoriale de l'État. L'un des objectifs de cette réforme est d'adapter cette organisation à l'évolution des compétences des collectivités territoriales mais au regard des incertitudes pesant sur l'organisation territoriale, est-ce possible ? Par exemple, après avoir restauré le rôle des départements et des régions, en leur accordant notamment une clause générale de compétence, le Gouvernement a successivement entendu redécouper les régions, dévitaliser les départements, puis restaurer partiellement ces derniers et abandonner la clause générale de compétence, ce à quoi la gauche s'était opposée quand elle était dans l'opposition, sans parler des évolutions récentes et variables quant au rôle des départements. Dès lors, comment voyez-vous l'articulation entre l'administration territoriale de l'État et la réforme des collectivités territoriales ?

Ma deuxième question porte sur l'évolution du rôle du préfet. La Cour des comptes a consacré un rapport qui porte un bilan contrasté de la gestion des préfets, proposant en conséquence la suppression des préfets et leur remplacement par des emplois fonctionnels. Le Premier ministre ne m'a pas semblé opposé à cette conclusion. Mais peut-on sans danger politique majeur, oublier qu'un préfet, avant d'être un directeur général des services de l'État, est l'affirmation de la présence de la République, une et indivisible, sur tout le territoire national ?

Ma dernière question est relative à la pérennisation du déploiement d'un hélicoptère de la sécurité civile en Centre Var, sur la base du Cannet. Votre prédécesseur, à trois reprises et vous-même, en juin 2014, m'avez affirmé que ce serait le cas. Pourtant la direction de la sécurité civile ne semble pas en avoir été informée, et ne fait rien en ce sens.

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis des programmes « Police nationale » ; « gendarmerie nationale » ; « sécurité et éducation routières » de la mission « Sécurités ». - Monsieur le ministre, vous avez répondu dans vos propos d'introduction à un certain nombre de questions que je souhaitais vous poser. J'ai trois questions, deux relatives aux moyens, par lesquelles je commencerai, et une, relative à la gestion et à la direction du personnel au sein de la police nationale.

Les syndicats s'inquiètent de l'état des véhicules, dont l'état les rend inaptes à l'utilisation par les services. Le nombre de véhicules, qui est certes en augmentation par rapport aux autres années, ne permettra pas de lutter contre le vieillissement du parc automobile.

Ma deuxième préoccupation est relative à l'immobilier, certains commissariats étant dans un état indigne, comme nous l'ont rapporté les syndicats de policiers. En ce sens, il serait souhaitable de permettre aux collectivités territoriales de participer au financement de la construction de certains bâtiments relevant de la police nationale, comme cela a été fait pour la gendarmerie. Ne pourrait-on pas reconduire le mécanisme instauré par la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure 2 consistant à permettre aux collectivités territoriales de participer au financement d'immeubles affectés à la police ou à la gendarmerie nationale ? Cela permettrait notamment d'avoir des commissariats aux normes pour l'accueil des handicapés.

Ma dernière question, sur laquelle je m'attarderai plus longuement, porte sur la gestion et le commandement des personnes dans la police. J'ai trois observations. En premier lieu, les personnels, à tous les niveaux, ont le sentiment d'un accroissement continu des tâches administratives à effectuer. La démotivation qui s'ensuit a pour effet de rendre moins attractifs les services de police judiciaire. N'est-il pas possible de limiter ces tâches administratives ? Des réflexions sont-elles menées avec la Justice sur ce sujet ? En deuxième lieu, une certaine défiance des échelons inférieurs vers les échelons supérieurs semble se manifester. En effet, l'échelon supérieur ne peut plus prendre le temps nécessaire pour écouter, accompagner l'échelon inférieur. Enfin, il semble y avoir une certaine méfiance à l'égard de l'administration centrale, qui se concrétise par une augmentation des recours contentieux. Quelles sont les mesures que vous envisagez de prendre en la matière ?

M. Philippe Bas, président. - Je vais poser à la place de Mme Catherine Troendlé, rapporteur pour avis, qui est empêchée, trois questions relatives au programme « Sécurité civile ». Pouvez-vous nous fournir un bilan du volontariat, de l'accès prioritaire des sapeurs-pompiers au logement social et de sa pérennisation au regard de la directive « Temps de travail » ? La deuxième question a trait au secours en montagne ; comment pourrait-on réguler les interventions actuellement concurrentes des sapeurs-pompiers, des CRS et de la Gendarmerie nationale ? Enfin Mme Catherine Troendlé souhaiterait que vous lui fassiez un point de situation à propos de la rationalisation des interventions des commissions consultatives de sécurité.

M. Jean-Pierre Sueur. - Monsieur le ministre, votre tâche est considérable. Je souhaiterais vous interroger tout spécialement sur la question de la lutte contre le terrorisme. En premier lieu, quel bilan pouvez-vous tirer du passage de la direction centrale du renseignement intérieur à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ? En particulier, quelles ont été les dispositions prises pour qu'entre les échelons locaux de la DGSI et l'échelon central une parfaite coopération soit assurée : l'histoire a montré que c'était essentiel. Dans le même ordre d'idée, Existe-t-il une synergie totale entre la préfecture de police de Paris et la DGSI ? La lutte contre le terrorisme est d'actualité, j'estime qu'il est légitime d'aborder le sujet. Je souhaiterais également connaître les dispositions prises au titre de la police de l'air et des frontières, dans le cadre du renforcement de la lutte contre le terrorisme.

M. Jacques Mézard. - Ma question porte sur le budget de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». Nous avons bien entendu les déclarations de M. le Premier ministre concernant la réforme territoriale, nous indiquant que des efforts conséquents seraient faits pour renforcer les services de l'État dans nos départements, en considérant qu'il y avait eu beaucoup de transferts des préfectures de département vers les préfectures de région et qu'il fallait désormais enclencher un mouvement inverse pour renforcer les services de l'État, afin de pallier à certaines difficultés résultant de la réforme territoriale. Or, je constate que dans les objectifs du budget triennal il est indiqué comme objectif l'« allégement et la simplification des missions des préfectures », certes concomitamment à l'allégement des procédures pour les usagers, dans le cadre du choc de simplification que nous attendons tous ; d'autre part, quand je regarde les crédits, sur un point précis, par exemple le contrôle de légalité et le conseil aux collectivités territoriales, je relève une diminution des crédits, alors que dans la période allant de 2015 à 2017, les collectivités auront à instruire directement les autorisations d'urbanisme, les permis de construire et un certain nombre d'autres opérations. Au vu de ces chiffres, je n'ai pas le sentiment que la pratique corresponde aux objectifs sagement déterminés par le Premier ministre et le Gouvernement. Je souhaiterais donc savoir ce que vous comptez faire pour être en harmonie avec ce qui a été annoncé.

M. Jean-Yves Leconte. - La durée de validité de la carte nationale d'identité a été allongée de cinq ans pour des raisons de simplification affichées, mais en réalité pour des questions d'économie. Serait-il possible de permettre à ceux qui le souhaitent de disposer d'une carte nationale d'identité faisant apparaître sa véritable durée de validité ? Est-ce envisageable ?

Le Président de la République a annoncé la possibilité de renouveler son passeport en ligne en 2015. Cela sera-t-il possible ? Quels sont les effets budgétaires de cette annonce ?

Une question sur les visas biométriques qui seront mis en place définitivement l'an prochain. L'ANTS va être conduite à développer beaucoup de dispositifs en recourant notamment à des prestataires extérieurs. Je n'ai pas l'impression qu'il est prévu de leur faire payer l'usage des machines qui seront mises à leur disposition. Pourquoi ? Et quel est le coût de cette opération ?

La réforme de l'asile. L'OFPRA va devoir faire face à la réduction des délais et à des besoins nouveaux, en particulier au moment des entretiens. Question : le fléchage des hébergements impose d'en disposer pour les proposer. Les contraintes budgétaires vous permettent-elles de transposer la directive « procédures » dans de bonnes conditions ?

M. Alain Richard. - Quelques questions sur la situation de la gendarmerie.

En 2013 - ce sera peut-être vérifié en 2014 -, la gendarmerie nationale n'est pas arrivée à honorer ses engagements avec les crédits de fonctionnement dont elle dispose. C'est une situation de rigidité : une partie très substantielle de ces crédits est consacrée à des loyers. Cette information correspond-elle à la réalité ? Et des mesures d'efficacité permettent-elles qu'avec des crédits qui n'augmentent pas et des effectifs qui augmentent un peu, la gendarmerie nationale puisse faire face à ses responsabilités dans des conditions opérationnelles adaptées ?

L'immobilier ensuite. Le mécanisme des relations contractuelles immobilières avec les collectivités locales s'est singulièrement affaibli. La plupart des conseils généraux ne proposent plus de locaux à la gendarmerie. Certaines intercommunalités relativement importantes peuvent le faire encore mais la carte des intercommunalités importantes ne coïncide pas avec celle de la gendarmerie. On voit s'engager des négociations pour la construction de bâtiments qui sont des investissements lourds avec des communautés qui n'ont pas la surface financière pour y faire face. Y a-t-il une réflexion d'ensemble au ministère pour réamorcer la pompe de relations contractuelles pour des financements équilibrés avec les collectivités territoriales ?

La France est un peu en difficulté pour faire face à de multiples engagements d'affluence en matière de coopération technique internationale. Pour certaines de ces opérations au moins, certains financements internationaux compensent ces difficultés. Qu'en est-il au ministère de l'intérieur ?

M. René Vandierendonck. - Vu de Roubaix, on constate une amélioration des délais de réponse aux demandes d'asile et aux demandes de naturalisation. Les effectifs de police nationale que j'ai vu chuter s'améliorent également.

Je sais qu'un secrétaire d'État réfléchit et consulte sur la révision des missions de l'État. On dit : le projet de loi NOTRe est un vrai texte de décentralisation. Alors je dis : chiche ! Que ce texte soit amendé tant qu'il est encore temps pour qu'il le soit véritablement.

Le Sénat a organisé hier un débat sur la ruralité. En ce qui concerne l'ingénierie territoriale, dans certains endroits, on marche dessus ; dans d'autres, c'est le désert le plus complet.

J'ai connu un nombre de préfets considérables et je continue à discuter avec eux dans le Nord-Pas-de-Calais et ailleurs. Il y a un recul préoccupant de la déconcentration. Je milite en conséquence pour que, par un amendement du Gouvernement, vous puissiez dire les choses très clairement sur la déconcentration et l'autorité à reconstituer chez les préfets. Beaucoup de décisions maintenant remontent dans les ministères.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. - Je vais tout d'abord répondre à la première série de questions de la sénatrice Esther Benbassa.

Le nombre de places en CADA : l'objectif de 4 000 places sera atteint fin 2014. Cet effort, dans un contexte budgétaire difficile, mérite d'être souligné. 3 066 de ces 4 000 places créées sont déjà ouvertes, le reste sera effectif avant la fin de l'année. En 2015, 5 000 places supplémentaires seront créées, dont 1 000 par transformation de places d'hébergement d'urgence grâce à la simplification des systèmes de location en 2015 et 2016.

Je sais bien que les milieux associatifs disent qu'il faudrait 35 000 places, mais vous connaissez les contraintes.

J'insiste sur l'importance de ce que nous faisons pour que la France retrouve sa vocation en matière d'asile. Avec franchise, je dis que les déboutés du droit d'asile n'ont pas vocation à rester sur le territoire sinon, il n'y a plus d'asile. Mais il faut que ceux qui sont déboutés puissent quitter le territoire dans de bonnes conditions avec des garanties de destination. Je ne suis pas naïf et je pressens que lors des débats parlementaires, toutes les dispositions visant à améliorer les droits aux demandeurs d'asile seront approuvées par tous, mais que celles tendant à améliorer l'efficacité des mesures d'éloignement ne le seront que par une partie des parlementaires.

Pour ce qui concerne l'ATA, je souhaiterais, Madame Benbassa, vous fournir des éléments très précis qui, je l'espère, vous rassureront. En 2011, les crédits d'ATA en loi de finances initiale représentaient 34 % de la dépense réelle ; l'inquiétude que vous avez formulée dans votre question était donc légitime. En 2013 - et je pense que cela sera encore plus significatif en 2014 -, 93 % de la dépense est satisfaite. Vous mesurez donc le progrès accompli. L'objectif du Gouvernement est de faire en sorte que ce nous budgétons corresponde effectivement à ce que nous dépensons. Dans la mesure où la réforme de l'asile devrait permettre de réduire les délais, nous pouvons légitimement espérer que tout ce que nous ferons en termes de réduction des délais aura un impact sur le volume de l'enveloppe. Cela ne sera certes pas instantané, mais la tendance est bien celle-ci. Tel est le pari de la réforme que nous proposons au Parlement.

Pour ce qui concerne l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile et la baisse de l'ATA, vous avez exprimé une préoccupation globale à laquelle je viens de répondre en vous renvoyant à la réforme de l'asile.

Pour ce qui concerne l'OFII, qui a des missions extrêmement importantes, nous confortons ces missions comme nous confortons celles de l'OFPRA. L'OFPRA verra ainsi ses effectifs croître de 55 ETPT, effectifs qui viendront s'ajouter à des efforts de réorganisation interne de l'Office, conduits par le très remarquable directeur général de l'OFPRA, M. Pascal Brice. Cela permet d'améliorer les délais de traitement des dossiers.

Pour le reste des réponses à vos questions, Madame Benbassa, vous les recevrez par écrit.

Monsieur Buffet m'a interrogé au sujet des centres de rétention administrative.

Je saisis cette occasion pour vous indiquer que sont parus aujourd'hui dans la presse quelques articles sur les durées de retenue dans ces centres, qui mériteraient presque des communiqués de correction tant ils laissent à penser que nous sommes dans une situation très dégradée par rapport aux autres pays de l'Union européenne. Ce n'est absolument pas le cas puisque nous sommes au contraire l'un des pays pour lesquels la durée en centre de rétention est la plus courte possible. Je souhaite d'ailleurs, compte tenu de ces articles d'aujourd'hui, que tous les membres de la commission des lois disposent d'un document extrêmement précis sur ce qu'est la réalité des conditions de rétention dans les CRA, car je constate sur ce sujet, comme sur d'autres, que le décalage est abyssal entre ce qu'on lit dans la presse et la réalité. J'invite d'ailleurs, sans vouloir m'ingérer dans des affaires qui ne me regardent pas, les rapporteurs pour avis du budget à venir vérifier la véracité de ce que j'avance par des contrôles sur pièces et sur place, et autres procédés de contrôle de l'action de l'administration à leur disposition.

Un groupe de travail interministériel a été mis en place pour étudier, dans un souci d'économies de gestion, les possibilités d'améliorer les conditions de gestion des marchés de maintenance, d'entretien des locaux et de restauration. Sur ce dernier point, le projet de rattacher pour la fourniture de plateaux-repas le marché des CRA à celui des gardés-à-vue a été abandonné, les plateaux ne constituant pas des repas adaptés aux conditions de rétention. Je vais vous faire passer toute une série d'éléments sur les marchés relatifs au fonctionnement des CRA qui vous permettront de constater, poste par poste, les économies que nous nous efforçons de réaliser.

Monsieur Collombat me pose des questions de toute nature. Je vais commencer par celles auxquelles il attend des réponses depuis longtemps sans les avoir obtenues.

Vous avez souhaité la remise en service sur votre territoire d'un hélicoptère de la sécurité civile pendant la période estivale. Ce qui a été fait durant cette période pour des raisons de risque spécifiques. Puis l'hélicoptère est reparti.

De fait, il nous faut reconnaître qu'il y a un problème dans ce pays sur la gestion des flottes d'hélicoptères. Nous disposons d'hélicoptères bleus relevant de la gendarmerie, de blancs relevant du ministère de la santé et de rouges de la sécurité civile, auxquels correspondent autant de contrats de maintenance et autant de gestion qu'il y a de ministres fiers de la flotte d'hélicoptères dont ils disposent dans un contexte où pourtant on demande des sacrifices à chacun. Il n'existe pour l'heure aucune réflexion sur une éventuelle mutualisation de la maintenance ou sur la mise en commun d'éventuels marchés de location ou d'acquisition, ce qui, en tant qu'ancien ministre du budget et actuel ministre de l'intérieur gestionnaire d'une flotte, m'agace au plus haut point. Si nous avions une gestion commune des hélicoptères, nous pourrions répondre plus facilement aux sollicitations dans un cadre plus rationnel. Je souhaite pour ma part que nous fassions cet effort de rationalisation. Les hélicoptères, qui sont des moyens de secours d'urgence à la personne et auxquels tiennent beaucoup les élus, ne sont pas forcément nécessaires sur les territoires dès lors qu'il existe d'autres moyens de secours à la personne mobilisables. C'est le cas par exemple au Touquet où les moyens très importants qui peuvent être mobilisés n'empêchent pas le maire du Touquet de m'adresser un mot à chaque séance de questions d'actualité au Gouvernement. Mais dans le contexte de contrainte budgétaire qui est le nôtre, on ne peut fournir autant d'hélicoptères qu'il y a d'élus pour en réclamer.

C'est pourquoi, actuellement j'essaye de rationaliser l'utilisation de la flotte d'hélicoptères, de regarder bassin de vie par bassin de vie les moyens de secours d'urgence à la personne dont les territoires ont besoin afin d'identifier les zones dans lesquelles un hélicoptère est indispensable et celles dans lesquelles on peut mobiliser d'autres moyens moins coûteux. Sans cela, je manquerais à mon devoir de responsabilité eu égard aux contraintes budgétaires, mais également de l'efficacité du service public.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre patience et n'insiste pas. Mais outre le problème de fond, je tiens à rappeler que j'ai déjà obtenu par le passé des réponses précises mais que je ne vois toujours pas d'hélicoptère venir !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. - La question du secours d'urgence à la personne est un sujet important qui est d'autant mieux traité qu'il est examiné sur place. Aussi je vous propose de me déplacer afin de pouvoir poursuivre les expertises et prendre une décision définitive.

Concernant la question des préfets, je me rendrai dans quelques jours à l'assemblée générale du corps préfectoral pour faire un certain nombre de propositions sur la base du rapport de la Cour des comptes. Je peux toutefois d'ores et déjà vous indiquer qu'il est hors de question de remettre en cause le corps préfectoral contrairement à ce que j'ai lu dans la revue Acteurs publics après que le Premier ministre a dit simplement qu'il prendrait en compte les recommandations de la Cour des comptes pour améliorer la gestion du corps, qui en a besoin.

Je voudrais d'ailleurs saisir l'occasion que m'offre votre question pour tordre le cou à certaines idées qui courent quand bien même elles ne correspondent pas du tout à la réalité. On a le sentiment qu'il existerait au ministère de l'intérieur d'immenses placards dans lesquels seraient entreposés des préfets hors cadre qu'on oublierait et dont on s'efforcerait de faire oublier qu'on les rémunère. C'est faux. Le nombre de préfets hors cadre sans affectation et sans mission au ministère de l'intérieur est actuellement de six. Dix-neuf se sont vus confiés des missions pour lesquelles l'appui d'un haut-fonctionnaire était nécessaire. Je vous citerai deux exemples d'actualité : accueil des minorités chrétiennes et yézidis de Syrie en France et Ebola. Ces préfets remplissent des missions de service public à temps plein. Je souhaite rendre publiques les conditions de mobilisation de ces préfets qui sont des hauts-fonctionnaires engagés en faveur du service public, possèdent le sens de l'État et font un travail remarquable.

Les trois directions dans lesquelles je vais engager la réforme du corps préfectoral sont : la suppression de la notion de préfet hors cadre - je rendrai public chaque année le tableau des emplois et des missions de chacun des préfets -, le renforcement de la professionnalisation, de la gestion, de l'accompagnement des préfets et des sous-préfets, la formation et l'évaluation, notamment par le CSATE auquel je souhaite donner des pouvoirs plus importants afin de décrisper les préfets par rapport à l'évaluation dont je pense, de manière générale, qu'elle est une excellente chose, enfin une réflexion sur la durée des carrières et les conditions de titularisation de manière à améliorer la fluidité, la lisibilité de la gestion du corps préfectoral.

Je répondrai à la question de Monsieur Buffet sur la prolongation du séjour des personnes entrées avec un visa de tourisme par écrit.

Sur la situation du parc automobile de la police nationale en 2015 : 28 190 véhicules, près de six ans d'âge moyen, un budget de renouvellement estimé à 40 millions d'euros - tels sont les trois chiffres-clé. Aujourd'hui des directeurs généraux de la gendarmerie et de la police nationale essayent de faire fonctionner une voiture en en démontant deux qui ont 250 000-300 000 kilomètres. À mon arrivée au ministère de l'intérieur, je me suis demandé si ce n'était pas une forme de bizutage d'un ancien ministre du budget que de me raconter cela. Puis je me suis rendu compte que c'était vrai. Je me suis d'abord battu pour que le dégel de la fin de l'exercice 2014 permette l'acquisition de 2 000 véhicules pour la gendarmerie nationale avant la fin de l'année. Pour 2015, j'ai obtenu 40 millions d'euros par force, ce qui revient à l'achat de 2 000 véhicules par force. Voici la ventilation par type de véhicule : 34,4 millions pour les quatre roues, 2,6 millions pour les deux roues et 3 millions sur les poids lourds.

Quant aux relations entre la gendarmerie nationale et la police nationale d'une part, et la justice d'autre part, on est face à des procédures qui s'alourdissent et une démotivation qui gagne. J'ai engagé un travail avec la Garde des sceaux pour identifier tout ce qui peut faire l'objet d'une simplification des procédures. Les services ne peuvent en effet à la fois trouver, élucider et interroger dans le cadre de procédures de plus en plus lourdes, qui fournissent autant d'occasions pour les avocats de déceler des vices de forme susceptibles d'aboutir à la remise en liberté de personnes arrêtées au terme de longues procédures.

S'agissant du management des forces de police et de gendarmerie, la mise en place de comités techniques départementaux permet aux personnels de s'exprimer, de même que le CHSCT pour évoquer les conditions de travail. Je signale également la mise en place de cellules de prévention de risques médico-sociaux. Nous déplorons en effet depuis le début de l'année 2014 46 suicides dans la police et 19 dans la gendarmerie. Toute la violence qui s'exerce à l'encontre des forces de l'ordre finit par atteindre les policiers et les gendarmes au plus profond d'eux-mêmes. La théorisation de la consubstantialité de la violence à la police n'arrange rien, permettez-moi de le dire. L'espace public est effectivement saturé d'un discours selon lequel il y aurait derrière chaque policier, chaque gendarme, chaque ministre de l'intérieur une espèce d'avidité répressive. Cela ne correspond pas à la réalité de l'état d'esprit des forces de l'ordre. Les policiers, les gendarmes sont de véritables républicains, de même que le ministère de l'intérieur. Ils subissent des violences constantes qu'ils doivent intérioriser. C'est pourquoi il y a un gros travail à faire sur le management, d'autant que certaines conditions de travail contribuent à dégrader davantage l'état d'esprit des agents. L'effort consenti en termes d'effectifs et de moyens hors titre 2 vise à donner à ceux-ci les moyens de remplir leur mission dans ce contexte.

Concernant la question de l'immobilier dans la gendarmerie, nous mettons beaucoup de moyens sur la rénovation du parc immobilier, 70 millions d'euros. C'est un effort considérable, par rapport aux importantes baisses d'investissement intervenues sur la période 2007-2012.

Les relations avec les collectivités locales se modifient pour des raisons liées à la contrainte budgétaire. La diminution des effectifs, le départ de pelotons dans un certain nombre de territoires, l'inadaptation de certains locaux conduit a conduit les collectivités territoriales à financer le maintien des pelotons, dans le cadre de partenariats public-public. J'ai eu l'occasion d'expérimenter ce partenariat dans la ville dont j'ai été le maire. Je souhaite développer ces montages.

Enfin, les avoirs récupérés par la police et la gendarmerie ont représenté l'an dernier 357 millions d'euros. Si nous parvenons à récupérer ne serait-ce qu'un tiers de ces avoirs pour abonder le budget d'investissement, cela n'est pas négligeable. Je suis déterminé à mener ce combat.

Je réponds maintenant à Mme Troendlé sur le volontariat des sapeurs-pompiers. La plupart des 25 propositions de l'« accord de Chambéry » sont engagées ou réalisées. Concernant le logement, nous travaillons avec les grands organismes bailleurs et le ministère du logement pour faciliter l'accession au logement social des sapeurs-pompiers volontaires à proximité du lieu où ils interviennent.

Sur le secours en montagne, je répondrai précisément par écrit, mais j'indique d'ores et déjà que nous allons rationaliser les modes d'intervention entre la gendarmerie et les pompiers.

En réponse à M. Sueur, nous créons 436 postes à la DGSI, sur 3 ans, et nous mettons 12 millions d'euros chaque année pour moderniser ses moyens, afin de lui permettre, notamment dans la lutte contre le terrorisme, de faire son travail.

Pour M. Mézard, il y a un enjeu de la présence territoriale important, notamment au plan départemental. C'est au niveau départemental que se fera la grande part de l'opération de déconcentration que j'ai évoquée. Le maintien des effectifs dans l'administration déconcentrée sera assuré par plusieurs moyens. Tout d'abord, le rythme des baisses d'effectifs ralentit, et l'effet de la mutualisation des back-office devrait permettre de neutraliser la baisse de 180 EPTP. Il y aura aussi des mutualisations sur les fonctions support. Il y a encore l'effet de la simplification et de la numérisation : un ordinateur ne peut remplacer un fonctionnaire, mais il y a de grandes possibilités de progrès. Par exemple, l'inscription numérique sur les listes électorales, pour laquelle nous visons un objectif de 60 à 80 % des inscriptions. Nous souhaitons par ailleurs autoriser l'inscription jusqu'à la veille du jour de l'élection.

Je répondrai à M. Leconte sur les passeports biométriques, ainsi que sur les visas.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie, Monsieur le ministre.

La réunion est levée à 20 heures

Jeudi 20 novembre 2014

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 9 heures

Nouvelle organisation territoriale de la République - Audition de confédérations syndicales

Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède tout d'abord à l'audition, au cours d'une table ronde, de confédérations syndicales.

M. Philippe Bas, président. - Nous remercions ce matin les confédérations syndicales françaises les plus représentatives qui ont accepté notre invitation à échanger sur la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et tirant les conséquences du remodelage de la carte des régions. L'un des deux rapporteurs, M. René Vandierendonck, a auditionné en septembre les fédérations syndicales de la fonction publique territoriale. Avec Jean-Jacques Hyest, l'autre rapporteur, nous avons souhaité adopter une approche plus globale cette fois-ci, en auditionnant les confédérations. Les forces vives représentatives des salariés français ont en effet des choses à dire sur l'organisation territoriale la plus appropriée à une politique porteuse de croissance et d'emploi. Les régions ont en la matière un rôle moteur, certes, mais les métropoles, les agglomérations, les villes, articulées aux départements, ont également leur rôle. Le législateur ne peut ignorer leur point de vue. Vous pouvez naturellement ajouter toutes les considérations sur la fonction publique territoriale qu'il vous plaira.

M. Frédéric Gousset, conseiller fédéral de la CFTC. - Merci de nous recevoir. La CFTC a déjà eu l'occasion, notamment lors de la grande conférence sociale de juillet dernier, de donner un avis favorable au principe de la réforme territoriale. Notre pays a besoin de clarifier les compétences de ses territoires pour une meilleure administration, lisible par les citoyens et les 1,8 million d'agents territoriaux chargés de la faire fonctionner. Mais à quel prix ? Nous sommes nombreux à ne pas y voir clair, et la présentation en trois tronçons législatifs successifs ne nous aide pas. Mme Lebranchu était favorable à une seule loi.

Le mille-feuille reste peu lisible, et n'a pas profité du choc de simplification
- nous saluons à ce propos les récentes déclarations du président du Sénat M. Gérard Larcher en faveur de la clarification des compétences. Le mauvais exemple de la métropole lyonnaise renforce nos craintes : la loi devait préciser le régime des agents, mais à quelques semaines de la mise en oeuvre du nouveau dispositif, les agents du conseil général du Rhône ne savent toujours pas quel sera leur avenir. Alors que ces changements ont des conséquences directes sur la vie familiale, la mobilité fonctionnelle, l'organisation du temps de travail, le droit syndical, les avantages sociaux - parfois durement négociés - M. Gérard Collomb a indiqué qu'il n'avait « pas les moyens de préserver le régime antérieur des agents » - dont le coût a été évalué à 20 millions d'euros pour la métropole.

Les agents territoriaux sont à 75 % des cadres de catégorie C, dont la rémunération est souvent très proche du Smic, les fonctionnaires n'étant pas tous privilégiés. Certains perdront, selon leurs calculs, presque un mois de traitement. Est-ce la réforme que vous nous proposez ? La mise en oeuvre du premier volet de la réforme territoriale tourne au fiasco. Marseille Métropole demain, le Grand Paris et ses sous-territoires après-demain, préparent de nouvelles usines à gaz. Pour les régions, nous craignons le pire.

Nous ne rentrerons pas dans le débat politique entre élus locaux, car c'est votre prérogative. Nous pensons plutôt aux agents publics qui font tourner les services publics. Combien seront concernés à terme par les différents volets de la réforme ? Sans doute des centaines de milliers, dont un quart ou un tiers de contractuels. Or ils n'y sont pas associés ! Et comment pourraient-ils l'être lorsque les informations d'un jour sont démenties le lendemain, que le puzzle est monté, démonté, remonté autrement, et que la complexité des régimes juridiques s'accroît ? Nous applaudissons à la fusion de collectivités pour un meilleur service rendu à la population, mais quid des doublons de postes, quid des cadres dont les fonctions d'encadrement croîtront, quid des agents mis au placard et des risques psycho-sociaux qui vont avec ? La mutualisation des services implique certes la diminution des effectifs, mais selon quel protocole procéder à cette saignée ? Il aurait été préférable de se poser toutes ces questions plus tôt...

Les mobilités peuvent certes être un accélérateur de carrière pour ceux qui sauront saisir les opportunités, mais les agents de catégorie C - largement majoritaires - privilégient leur lieu de vie et leurs choix familiaux : quel accompagnement, quel plan de formation, quelles compensations à la mobilité a-t-on prévu pour eux ? Certains articles du texte seraient de nature à nous rassurer, mais l'expérience en la matière n'incite pas à la confiance... Car non seulement les agents publics sont depuis plusieurs années la première variable d'ajustement - les études montrent que leur pouvoir d'achat est en berne - mais ils vont se voir imposer des changements à l'impact très lourd sur leur carrière et leur vie.

Pour ces raisons, nous appelons les parlementaires à intégrer dans la loi les mesures d'accompagnement social indispensables à la mutation nécessaire de nos territoires, dont les agents publics territoriaux vont être les premiers à subir le choc alors qu'ils devront en même temps en être les moteurs.

Mme Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT. - Merci de nous recevoir. Nous représentons les agents publics, mais aussi les salariés, partenaires sociaux et assurés sociaux. Tous ont une attente très forte. Les agents estiment majoritairement que l'action publique n'est plus ce qu'elle a été, n'est pas ce qu'elle pourrait être, ni ce qu'elle devrait être. Tous expriment une forte attente de sens et de qualité de service rendu. Ils rejoignent en cela les usagers, citoyens et salariés des entreprises qui comptent, pour le développement économique de leurs territoires, sur une action publique lisible et démocratique. Voilà l'enjeu premier de cette réforme, la condition de la cohésion sociale et du consentement à l'impôt.

Le redécoupage territorial est à notre sens un faux débat, dont l'aspect politique a quelque peu décrédibilisé ceux qui l'ont animé, en faisant passer les intérêts particuliers avant l'intérêt général.

La réforme ne doit pas se faire contre l'État. Nous sommes plutôt dans une dynamique de construction positive, non pas en opposant les pans de l'action publique les uns aux autres, mais en trouvant une cohérence entre eux. Bref, il faut dépasser les logiques de chapelles. Ce qui peut conduire à remettre en question les rôles respectifs des régions et des services de l'État. Prenons le temps de réfléchir à la nouvelle organisation que nous ciblons, et de détailler le processus permettant d'y arriver.

Du reste, la question de la transition entre l'ancienne organisation territoriale et la nouvelle est peu abordée. Or il y a un risque de superposer des complexités, de brouiller le message envoyé à nos concitoyens. Sur tous ces points, écoutons les agents publics, professionnels concernés au premier chef.

La question de l'équilibre des territoires est importante. Mais que prendre en compte ? Le PIB ? L'équité régionale ou infrarégionale ? Se retrouver loin du centre de décision de sa région peut être un problème. Réfléchissons aux inégalités entre territoires urbains et territoires ruraux, et aux outils de péréquation. Rediscutons du sens de l'action publique avec les citoyens. Le débat public a été quelque peu instrumentalisé : qui parle au nom de qui ? Les tentatives de mariage forcé entre territoires ont fait émerger un certain rejet de l'autre. La qualité du débat public comptera dans la réussite de la réforme.

Les métropoles soulèvent un certain nombre de questions. Quel équilibre trouver dans les régions à plusieurs métropoles ? Comment les régions dépourvues de métropole survivront-elles ? Comment les choses se passeront-elles hors des métropoles ? Certaines compétences restent partagées entre les régions et les métropoles : qui décidera ? Comment faire émerger l'intérêt général ? Les choses, en la matière, ne sont pas si claires.

Pacte d'avenir pour la Bretagne, Pacte Lorraine : l'État, les collectivités, les partenaires sociaux ont commencé à travailler ensemble et sont déjà parvenus à prendre des décisions intelligentes et consensuelles. Nous devrons nous en inspirer, et faire en sorte que la réforme ne casse pas cette dynamique.

Les transferts de compétences sont à envisager à un double point de vue : l'efficacité de l'action publique, d'une part ; la mise en oeuvre par les agents, d'autre part. Nous devrons nous donner des moyens financiers et entreprendre le dialogue social indispensable pour réussir la transition. Ces transferts auront aussi un impact sur le secteur privé, sur les conventions collectives des entreprises de transport ou sur la capacité des entreprises à répondre à des marchés publics dont le périmètre se sera agrandi. Anticipons : réalisons des études d'impact, mettons l'accent sur la responsabilité sociale de la commande publique.

L'action sociale des départements est un filet de protection majeur en période de crise : préservons-le. Du reste, séparer totalement l'économique et le social, n'est-ce pas réduire notre capacité à agir ? Attention également aux politiques structurantes pour la cohésion sociale, et qui feront l'objet de schémas prescriptifs : petite enfance, prise en charge du vieillissement... Nous ne pourrons faire l'impasse sur les questions financières et fiscales. Ayons le courage d'une véritable réforme de la fiscalité locale, qui ne se limite pas à du rafistolage.

Les regroupements d'acteurs publics ne conduiront pas mécaniquement à des structures plus efficaces. Regrouper pour faire des économies, peut-être, mais encore faut-il le faire intelligemment. Cela impose d'intégrer tous les partenaires sociaux à la réflexion. C'est pour l'heure une grande faiblesse de la réforme. Son aspect européen ne peut non plus être éludé. Il faudra réorganiser le recours aux fonds européens comme le Feder, et réfléchir globalement au financement de l'économie et du social.

N'oublions pas que chaque territoire est différent, et soumis à des contraintes qui lui sont propres : territoires regroupés, non regroupés, territoires d'outre-mer... Examinons les processus de transfert de compétences en en tenant compte.

M. Pascal Pavageau, secrétaire confédéral de FO. - La position de la confédération Force ouvrière et de l'ensemble de ses fédérations et unions départementales est la même depuis 2012 : nous sommes catégoriquement opposés à la réforme territoriale et à une logique de République des territoires. Le bloc constitutionnel que forment l'État, les régions, les départements et les communes est progressivement remplacé par une association Europe-régions-intercommunalités-grosses communes. Ni le président de la République, ni un président de conseil régional n'ont, seuls, mandat pour redécouper un territoire. Le référendum local par lequel les Alsaciens ont refusé la fusion de leurs départements en une collectivité unique sera abrogé par la réforme : c'est un scandale du point de vue de la démocratie.

Après dix années de retrait des services publics de proximité et de désertification, cette réforme annonce un abandon encore plus grand des territoires par la puissance publique. Les élus locaux, conseillers généraux, maires et conseillers municipaux sont les derniers représentants de la puissance publique à proximité du citoyen. Refuser de passer d'un élu pour 104 habitants à un élu pour 2 000 habitants est d'autant plus important que nous n'avons plus de services publics de proximité. Faire des intercommunalités à plus de 20 000 habitants aggraverait le phénomène et ouvrirait la porte à tous les poujadismes, à tous les extrémismes et à tous les communautarismes.

Nous sommes attachés au maintien de régions à taille humaine et anti-communautaristes. La procédure retenue ne nous convient guère, mais l'attribution aux régions de capacité d'adaptation réglementaire nous inquiète davantage encore : il est hors de question de se réveiller demain ou après-demain avec un Smic alsacien et un autre breton. Ce serait l'anéantissement de l'égalité de droit républicaine. Or c'est bien ce vers quoi nous allons : les élus favorables à la collectivité alsacienne unique arguaient de l'absence de salaire minimum en Suisse et en Allemagne et du besoin d'accroître la compétitivité de leur
- admirable possessif - territoire !

Au vu de tous les textes de transfert de missions de l'État vers les collectivités, votés ou en préparation - formation professionnelle, santé, transition énergétique -, nous serons très attentifs à ce que le mandat des conseils départementaux pour 2015-2020 ne soit pas celui de la disparition totale des missions départementales. La réforme de l'administration territoriale de l'État (Réate) a transformé le préfet de département en sous-préfet de région, au point que d'aucuns se demandent s'il existe encore un représentant de l'État au niveau départemental. Constitutionnellement, la suppression des conseils départementaux entraînerait celle des départements. Plus de préfets, plus de conseils généraux : la disparition institutionnelle serait scellée.

Nous revendiquons avec fierté le principe d'un élu pour 104 habitants. Dans certains départements, il faudrait regrouper plus de 200 communes pour parvenir à 20 000 habitants, chèvres et vaches comprises. C'est une aberration totale !

Le personnel des collectivités n'aura jamais connu un tel mouvement de mobilité forcée, géographique ou fonctionnelle. En 2005, nous avons négocié un cadre national pour le transfert des agents de l'État aux conseils régionaux ou généraux. Les mobilités à venir sont incertaines au niveau local et dépourvues d'encadrement au niveau national. Les conférences territoriales de l'action publique pourront de surcroît faire évoluer les missions des collectivités tous les trois ou six ans... Ce mouvement brownien de l'ensemble du personnel privera celui-ci de toute garantie de respect de ses droits fondamentaux. Cette évolution, je doute que le Parlement l'accepterait pour le secteur privé. Et pour cause : elle est inadmissible.

Si cet abandon devait malgré tout être validé, le minimum serait qu'un cadre national protège tous les agents publics - contractuels ou agents sous statut pour ceux qui ont la chance d'en avoir un - des mobilités géographiques non consenties, comme de toute dégradation de son contrat ou de son statut. Mon organisation m'a donné à l'unanimité mandat pour employer des mots forts : cette réforme est antirépublicaine.

M. Jean-Michel Pecorini, secrétaire national de la CFE-CGC. - La CFE-CGC est attentive aux évolutions de la cartographie des régions susceptibles d'améliorer la situation économique, l'emploi, les services publics et la cohésion sociale. La société civile doit être entendue et quel que soit le découpage envisagé, les moyens nécessaires doivent être donnés aux organisations syndicales pour remplir leur mission auprès des salariés.

Parmi les missions des représentants des salariés de l'encadrement et des agents de la fonction publique, la protection sociale collective et individuelle dans le milieu professionnel constitue des préoccupations intemporelles. Quelles que soient les nouvelles configurations, nous demandons que le pouvoir d'achat des salariés ne soit pas obéré par des levées locales d'impôts en sus de la fiscalité nationale, déjà fort lourde. Enfin, nous serons vigilants à ce que les liens entre les citoyens et l'État, et entre les grandes métropoles et les milieux ruraux, ne soient pas distendus.

Les objectifs du projet de loi ne divergent pas nécessairement des nôtres, mais nous portons sur le texte un regard critique. L'organisation territoriale et la cohérence de l'action publique doivent certes être améliorées, mais la réforme doit rester lisible par les citoyens. Davantage de clarté est nécessaire pour les acteurs de la puissance publique comme pour les organismes sociaux paritaires, les corps intermédiaires et les citoyens, afin de faciliter l'accès aux services publics de proximité que sont, prioritairement, l'assurance maladie, l'assurance chômage et l'assurance vieillesse.

La réorganisation territoriale ne sera pas sans conséquence sur les services rendus aux salariés par les organismes sociaux paritaires. Les articles 2 et 3 du projet de loi rendent les régions compétentes en matière de soutien économique. Elles devront pouvoir s'appuyer sur les partenaires les plus proches des entreprises que sont les organisations syndicales, et notamment la seule organisation syndicale représentative des salariés au niveau de l'encadrement. La CFE-CGC disposant d'une implantation dans chaque région, elle est au plus près des problèmes de financement des entreprises.

Le texte autorise la délégation de compétence à d'autres collectivités territoriales ou groupements, ce qui est contraire aux objectifs de clarté et de cohérence. La possibilité offerte aux régions d'entrer au capital de sociétés commerciales est louable, mais il faudra préciser les conditions d'entrée, le taux de détention de capital maximal et de cession par la région afin d'éviter certaines dérives clientélistes et de faire de la région le dirigeant de fait d'une entreprise privée.

Le chapitre 1er du titre II traite de la suppression de la clause de compétence générale et définit strictement les compétences dévolues au département. La fin du chevauchement de compétences est une nécessité, mais les possibilités de dérogations restantes sont trop nombreuses. Le chapitre 4 fait du sport, de la culture et du tourisme des compétences partagées entre les collectivités territoriales. L'article 29 crée un guichet unique pour les aides et subventions qui devaient être limitées à ces compétences partagées. Cependant, les collectivités pouvant déléguer l'instruction, la gestion et l'attribution de subventions et d'aides relevant de leurs compétences propres, les effets de la suppression de la clause de compétence générale sont annulés... Pour rendre cet article efficace, sans doute pourrait-on créer des guichets uniques transparents et identiques dans toutes les régions. L'égalité citoyenne et territoriale serait assurée et l'article 29 plus en cohérence avec l'article 26 créant les maisons de service au public.

Le titre IV est relatif à la transparence financière des collectivités territoriales. L'intention est bonne. Elle permettra aux contribuables de mieux cerner la pertinence du rapport adressé par la collectivité à la chambre régionale des comptes. Le chapitre 2 précise la responsabilité financière des collectivités territoriales et prévoit leur participation au paiement des condamnations prononcées sur le fondement des traités européens. Or, en l'absence de sanction des décideurs, c'est en définitive le contribuable qui en assume le coût.

La CFE-CGC estime que ce texte ne répond pas à l'ensemble des questions que pose la réunion de plusieurs régions. Beaucoup d'organismes sont découpés à ce niveau : caisses d'assurance retraite, centres des relations avec les entreprises... La fusion de régions réduit-elle le nombre de ces organismes ? Modifie-t-elle leur composition ?

Mme Jacqueline Donnedu, représentante de la CGT, membre du Conseil économique, social et environnemental. - Merci de nous recevoir. La CGT a déjà exprimé au niveau confédéral son désaccord avec les finalités de cette réforme, qui reprend le sens et les contenus d'un certain nombre de réformes successives. Nous pourrons vous faire parvenir nos propositions en matière sociale, économique, environnementale et démocratique : elles répondent aux défis d'aujourd'hui et de demain.

La restructuration de la puissance publique s'accélère, entraînant un bouleversement du vivre-ensemble et du faire-société. Le présent texte prolonge une logique d'organisation du territoire autour de quelques grands pôles d'excellence et du couple métropole-région - où doivent se concentrer les activités économiques et la production de richesses - au service d'une finalité supposée universelle quoique mal définie : la compétitivité. Pôles de compétitivité, autonomie des universités, loi hôpital patients santé territoires - bientôt prolongée par une autre -, création des métropoles, transition énergétique - qui se résume à ouvrir la maîtrise de la production d'énergie au secteur marchand... Le big bang institutionnel se profile, avec la création des métropoles, le redécoupage des régions, la remise en cause des conseils généraux, le renforcement des intercommunalités, la redéfinition des missions et des prérogatives respectives de l'État et des collectivités territoriales, la réorganisation des administrations centrales et des services déconcentrés... Tout cela participe d'une vision élitiste de l'organisation territoriale qui attise des volontés régionalistes et remet en cause l'unité républicaine, l'égalité territoriale et la cohésion sociale.

Les réformes devraient avoir pour objectif de corriger les inégalités sociales et territoriales, de renforcer les services publics, de promouvoir un aménagement équilibré des territoires, le progrès social et le développement économique. Au lieu de cela, ses résultats sont la paupérisation, la précarisation du salariat, l'explosion du chômage, l'intensification de la pauvreté, le rétrécissement des services publics, le recul du potentiel industriel, le renforcement des inégalités et la mise en concurrence des territoires et des femmes et des hommes qui y vivent et y travaillent.

Simultanément, la réforme de l'État remet en cause les fonctions de régulation économique et de redistribution sociale du service public. L'État s'est désengagé de bon nombre de ses prérogatives, a abandonné ses leviers d'intervention économique et n'a plus, faute de personnel en nombre suffisant, les moyens d'assumer certaines de ses missions, en particulier de contrôle. Nous avons moins d'État, et l'État s'est placé au service des intérêts financiers en établissant un environnement législatif, réglementaire, fiscal et social propice à l'essor marchand et à la financiarisation de l'économie. Les exonérations sociales et fiscales, les mesures de simplification, les milliards d'euros d'aides nouvelles accordées aux entreprises au moyen du pacte de responsabilité - que le gouvernement finance par une amputation équivalente des dépenses publiques - en sont quelques illustrations.

La réforme est préparée dans une opacité bien peu démocratique. Les consultations engagées par le Gouvernement depuis le début de l'automne ne sont pas à la hauteur des enjeux. Vous-mêmes, vous auriez pu solliciter l'avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui aurait pu s'appuyer, pour émettre des préconisations qui fassent consensus, sur les débats des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser). Enfin, la reconquête de la confiance de nos concitoyens ne peut faire abstraction d'une consultation des organisations syndicales.

Ce projet de loi ne renforce pas la démocratie sociale dans les territoires. Les conseils de développement sont insuffisants et leur composition doit être revue. Qu'est-il prévu pour l'avenir des Ceser ? Certes, des réformes sont souhaitables. Mais lesquelles ? Quels seront les leviers de l'État pour conduire une véritable politique industrielle, ou une véritable politique écologique des transports ? C'est pourtant l'État qui est censé fixer les objectifs stratégiques déclinés par les collectivités territoriales. Il ne suffit pas de distribuer des aides financières aux entreprises... La CGT réclame d'ailleurs une évaluation et un contrôle systématiques de toute aide publique versée à une entreprise.

Les décisions prises actuellement auront des conséquences négatives sur la qualité du service public, sur l'investissement public et donc, sur l'économie et l'emploi. Les réformes engagées ont pour vocation d'inscrire les territoires dans la compétition économique mondiale pour appliquer le dogme de la baisse du coût du travail sans s'attaquer à celui du capital. Elles auront pour conséquence une baisse inédite des dépenses sociales et publiques et l'ouverture au secteur marchand de nouveaux espaces. Pourtant, c'est l'intérêt général qui devrait être la clé de voûte de la refonte de l'action publique. Celui-ci réclame une vigoureuse réindustrialisation, porteuse d'une nouvelle croissance assise sur le travail, la consolidation et le renforcement des services publics, un aménagement équilibré et solidaire des territoires, la mise en place d'une démocratie sociale effective et une réforme fiscale incluant la fiscalité locale.

La réorganisation territoriale doit répondre de manière durable aux besoins sociaux, économiques et environnementaux. Pour cela, il faut mettre l'accent sur la coopération et la mutualisation au lieu d'inciter à la mise en concurrence qui aboutira à la balkanisation des territoires, entre espaces urbains drainant les richesses et les financements publics et espaces ruraux voués à la désertification. Une telle politique requiert un État stratège garant de l'intérêt général et de l'effectivité des droits fondamentaux.

M. Philippe Bas, président. - Merci pour ces propos, qui ont révélé certaines préoccupations partagées, portant sur les garanties sociales lors des mutualisations et des regroupements, sur la nécessité de maintenir la solidarité entre les territoires et la proximité des services publics, ou sur la question de l'accès des PME aux marchés publics. Le débat sur la carte des régions a pu vous paraître réducteur : à nous aussi ! C'est pourquoi le Sénat a insisté pour que le Premier Ministre vienne remettre en perspective cette réforme au cours d'une journée de débats au sein de notre assemblée. La carte des régions ne peut pas être établie indépendamment d'une réflexion sur la répartition des compétences.

Nous sommes sensibles au souci que vous avez exprimé de maintenir un maillage suffisant d'élus dans notre pays, qui reste très jacobin. À certains égards, l'élu local reste l'antidote à la culture centralisatrice. Nous souhaitons une bonne articulation entre la réorganisation des collectivités territoriales et la réforme de l'État. Bien sûr, nous veillons à ce que cette réforme ne soit pas un mécano administratif élaboré à huis clos par les représentants des collectivités territoriales et de l'État. C'est pourquoi vous êtes ici ! Nous aurions aimé saisir le Cese. Malheureusement, le Parlement inscrit ses travaux dans un calendrier qu'il ne maîtrise pas. C'est le Gouvernement qui aurait pu saisir ce Conseil. Nous essayons de compenser cette lacune par le présent échange. De plus, nous recevrons tout à l'heure M. Delevoye, président du Cese, qui est la troisième assemblée de notre République.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Vous n'avez pas cédé à la tentation de défendre des intérêts catégoriels, tout en évoquant les préoccupations des quelque 1, 8 million d'agents territoriaux. Ceux-ci disposent d'un statut commun, ce qui devrait faciliter les mutations et transferts. À la faveur de la réorganisation des compétences, ne pouvons-nous pas envisager de nouvelles avancées de la décentralisation ? Par exemple, ne serait-il pas cohérent de confier aux régions, qui sont déjà chargées de la formation professionnelle, la politique de mobilisation pour l'emploi ? Le RSA est payé par le département et géré par les CAF : baroque ! Il paraît que le revenu d'activité remplacera à la fois le RSA et la prime pour l'emploi (PPE). Comment organiser cela ?

M. René Vandierendonck, co-rapporteur. - Sans en être surpris, je suis impressionné par la qualité de votre réflexion collective. Vous avez soulevé la question de l'équité territoriale : un rapport a été rendu à Mme Pinel sur l'ingénierie territoriale. Comment un chef-lieu de canton peut-il espérer pérenniser une fonction publique territoriale de qualité ? « Je suis condamné aux débuts de carrière et aux rebuts », se désole l'élu d'une collectivité reculée. Réfléchissez-vous à la manière de rendre les postes plus attractifs ? Faut-il passer par une bonification indiciaire ? Y attacher des missions spécifiques ? Comment gérer la fonction publique territoriale en échappant au système de l'escalator ? Il est presque impossible, par exemple, de recruter sur profil une équipe enseignante pour un collège du 93 sur la base d'un projet dérogeant aux critères des commissions paritaires. Est-il normal que la liberté d'administration des collectivités territoriales conduise à de telles disparités dans les régimes indemnitaires ? Entre un poste d'attaché dans une commune de grande ruralité et un poste de 32 heures tranquilles dans un conseil régional, l'écart peut être de 600 euros !

Mme Catherine Tasca. - Je me réjouis que votre réflexion soit aussi approfondie. Nous avons besoin de vos contributions ! Comment gérer au mieux la période de transition inhérente à l'application de cette réforme ?

Mme Jacqueline Doneddu. - La politique de l'emploi dépend de l'État et doit rester de sa compétence exclusive. Les dépenses publiques et sociales décidées par l'État doivent être assurées par l'État. Les politiques d'accompagnement social et professionnel des publics en difficulté peuvent être prises en charge par les collectivités territoriales, et en particulier par les conseils généraux, à condition qu'on leur en donne les moyens : il s'agit d'éviter que ne se reproduisent des transferts de dépenses sociales sans compensation, comme ceux de l'APA ou du RSA. La préparation des assises du travail social est l'occasion de réfléchir à la thématique « quelle politique de travail social » ?

Des conférences territoriales de l'action publique existent : n'est-ce pas dans cette enceinte que doivent être définies les mesures transitoires ? Cette réforme est précipitée, improvisée. Il faut approfondir le débat. En réalité, c'est la deuxième loi qui comptera : l'important, c'est la répartition des compétences. Le découpage, en lui-même, est accessoire. On a mis la charrue avant les boeufs...

M. Philippe Bas, président. - Sur ce point, nous sommes tous d'accord !

M. Laurent Caruana. - Les schémas régionaux prévus par le projet de loi ne clarifient pas suffisamment les compétences. Les classes moyennes, que nous représentons, ne veulent pas d'un accroissement de la fiscalité. Comment la transition sera-t-elle financée ? L'objectif de ce projet de loi est de dégager des économies d'échelle.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - On nous annonce des merveilles...

M. Laurent Caruana. - Le préfet de la région Rhône-Alpes a indiqué récemment que la mise en place de la métropole de Lyon générerait des surcoûts plus importants que toutes les économies à prévoir... La période de transition nous réserve des surprises !

M. Pascal Parageau. - Il serait intéressant de faire la liste des missions effectivement transférées par l'État aux régions depuis l'acte II de la décentralisation en 2004. Ces transferts interviennent parfois discrètement, de manière perlée, par des amendements ou des cavaliers législatifs qui ne donnent lieu à aucune concertation, à la faveur de lois thématiques. C'est ainsi que la territorialisation de certaines politiques publiques - l'école, l'énergie, la santé - progresse sans le moindre débat. Le projet de loi dont nous discutons crée un droit d'adaptation normatif ou réglementaire pour les treize régions, dont les exécutifs pourront adapter les règles nationales « à leur territoire ». Souhaitons-nous que treize barons puissent adapter à leur guise, sur « leur territoire », les règles de la République ? Nous sommes viscéralement attachés à l'égalité des droits, tout particulièrement en matière sociale. Nous ne sommes pas jacobins, mais Républicains, oui ! Nous défendons une décentralisation obligatoire : un conseil général ne doit pas « pouvoir décider » de gérer le RSA, ou les routes, selon sa fantaisie. L'État peut décentraliser certaines missions, à condition qu'il s'assure qu'aucune adaptation ou privatisation n'est possible. Nous sommes totalement opposés à une décentralisation de la politique de l'emploi.

Nous avons abordé la réforme du RSA avec le Gouvernement pour la première fois en février dernier lors des assises de la fiscalité. Nous sommes tous d'accord avec les conclusions du rapport Lefebvre : une fusion entre le RSA et la PPE est de fait impossible, car elle susciterait des difficultés sans nombre. Pourtant, on nous a annoncé cette semaine que la décision était prise ! On fusionne d'abord (au mépris du consensus dégagé) et on avise ensuite... Cette décision est à l'image de cette réforme territoriale. À quoi sert la concertation ?

De 2005 à 2008, l'État a garanti un cadre national. Nous ne remettons pas en question la libre administration des collectivités territoriales, mais souhaitons que l'État fournisse un cadre national à la fonction publique territoriale, dont nous défendons la spécificité et où nous souhaitons voir se multiplier les titularisations. Toute mobilité doit respecter le statut. Nous risquons d'avoir treize APA différentes dans treize zones régionales, gérées tantôt par les intercommunalités, tantôt par les métropoles, tantôt par les conseils généraux. Il ne s'agit plus d'une réforme territoriale mais d'une déformation de l'État, qui met en péril l'égalité.

M. Johann Laurency. - L'intégration totale ou partielle du régime indemnitaire dans le traitement soumis à pension réduirait les inégalités entre collectivités.

Mme Jocelyne Cabanal. - Il ne s'agit pas de s'interdire toute fiscalité supplémentaire mais de reposer la question fiscale toute entière. Que financer en priorité ? Les salariés sont prêts à faire des efforts, s'ils savent pourquoi. Le flou qui règne sur la liberté du pouvoir réglementaire nous alerte : place à l'intelligence collective ! Certes, les frontières entre les responsabilités de l'État et celles des régions bougent, mais il ne faut pas les figer. Ce qui compte, c'est la qualité de la relation entre l'État et les régions. En matière d'emploi, il faut garantir l'égalité nationale et prendre en compte les réalités locales. État, région, partenaires sociaux doivent réfléchir ensemble. Les frottements entre l'État et la région ne se régleront pas uniquement par une profusion de textes réglementaires ou législatifs.

La première problématique, sur le RSA, avant la question de sa fusion avec la PPE, c'est de s'intéresser à la personne. Nous devons avoir une vision globale des allocataires et ne pas aborder le RSA avec une logique de guichet. Simplifier le dispositif est bienvenu, pourvu que cela n'occulte pas la question de son financement, qui n'est assuré qu'à 40 %.

Nous pouvons interpeller les collectivités territoriales sur leur responsabilité en tant qu'employeurs. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est un outil précieux, qu'il faut utiliser ! La liberté d'administration ne garantit pas la capacité à gérer les parcours professionnels...

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - La mutualisation peut l'être !

Mme Jocelyne Cabanal. - Certes. Le dialogue social est essentiel également, au sein de la fonction publique territoriale. Il peut prendre la forme d'accords, pas forcément nationaux. La discussion avec les agents les aide à parler des difficultés qu'ils rencontrent. La départementalisation des CAF pourrait être un exemple inspirant.

M. Frédéric Gousset. - La loi s'adresse à tous les citoyens avant même de s'adresser aux fonctionnaires. Pour autant, il est parfois difficile de comprendre qui fait quoi, et la situation ne va pas s'arranger avec ce projet de loi, qui crée encore plus de niveaux de décentralisation sans clarifier totalement les compétences - d'autant qu'il y aura toujours des compétences partagées. C'est ce qui explique la désaffection de nos concitoyens pour la politique. Quant à donner de nouvelles compétences économiques aux régions, lesquelles envisagez-vous effectivement de transférer : Pôle Emploi ?

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Les régions sont chargées de la formation professionnelle. Pourquoi ne s'impliqueraient-elles pas aussi dans les politiques de soutien à la recherche d'emploi ?

Mme Jacqueline Doneddu. - S'il y avait de véritables dispositifs territoriaux de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, cette question-là serait réglée.

Mme Jocelyne Cabanal. - Nous devons intégrer la GPEC dans la définition des politiques publiques. Quel est l'impact sur l'emploi des schémas régionaux de santé ?

M. Frédéric Gousset. - Si l'on considère que, pour l'entreprise, le bon niveau d'intervention est la région, pourquoi ne pas raisonner de même pour l'emploi ? Les conseils généraux ont eu du mal à gérer le RSA, dans son aspect paiement comme dans son aspect accompagnement. La gestion d'un dispositif législatif revient naturellement à l'État, et relève plus de la déconcentration que de la décentralisation.

L'évolution du statut, voire sa disparition - annoncée par nombre de leaders politiques, surtout à droite - font l'objet d'un travail avec les syndicats, sous l'égide de Mme Lebranchu. La variation des régimes indemnitaires est liée à l'inégalité des territoires. Intégrer le niveau indiciaire dans le calcul des retraites éviterait que les rémunérations soient beaucoup plus faibles dans les territoires les moins bien dotés. Comment gérer au mieux la période de transition ? Elle est très anxiogène pour les agents, qui devront bénéficier d'un accompagnement individuel des mobilités.

M. Philippe Bas, président. - Merci à tous.

Nouvelle organisation territoriale de la République - Audition d'organisations patronales et d'organismes consulaires

La commission procède ensuite à l'audition, au cours d'une table ronde, d'organisations patronales et d'organismes consulaires.

M. Philippe Bas, président. - Nous entendons à présent les représentants des forces vives - employeurs, organisations syndicales, associations intervenant dans le domaine social et médico-social - sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Nous ne souhaitons pas débattre de ce texte entre élus uniquement, mais entendre les attentes des acteurs économiques à l'égard des collectivités territoriales. Comment améliorer l'efficacité des politiques publiques ?

M. Alain Griset, président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat. - Cette réforme est très importante pour les entreprises d'artisanat et les chambres des métiers et de l'artisanat, pour qui la proximité, la réactivité, la rapidité de décision et la simplification des procédures sont fondamentales.

La fiscalité représente un coût pour les entreprises. Les collectivités se plaignent des baisses de dotations de l'État : il ne faudrait pas qu'elles augmentent les impôts locaux, qui viseraient en priorité les entreprises... Il faut rationaliser. Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous avons une chambre unique pour la région : nous avons fusionné les trois établissements pour mutualiser les fonctions de back-office. C'est un exemple à reprendre ailleurs.

M. Benoît de Charette, président de la chambre régionale de commerce et d'industrie de Bourgogne. - Merci pour cette audition, et pour cette réforme, qui est une occasion historique. Les missions importantes des collectivités doivent être articulées avec celles que nous assumons pour l'Etat et les entreprises. Nous avons le désir ardent de voir se préciser qui fait quoi dans les territoires régionaux. Deux questions se profilent : comment prendre en compte les missions des chambres de commerce et d'industrie, réaffirmées par la réforme de juillet 2010, par rapport aux compétences nouvelles des régions et des métropoles ? Comment prendre en compte la proximité et l'équité entre territoires ?

Cela passe d'abord par la nécessaire co-construction des politiques publiques économiques avec la région. Le leadership régional est sain ; il ne doit pas être remis en cause, mais nous revendiquons une participation effective - elle est du reste inscrite dans le texte dans le cadre du schéma régional du développement économique et de l'innovation et du schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire. Dans l'élaboration des schémas de développement du tourisme ou pour l'accessibilité des services, nous sommes un peu oubliés... Evitons également les doublons, que nous ne pouvons plus nous permettre, comme la prolifération des agences, souvent redondantes avec les services des chambres.

M. René Vandierendonck, co-rapporteur. - Tout à fait.

M. Benoît de Charette. - Il faut faire confiance au réseau consulaire, avec qui les régions ont l'impérieuse obligation de contractualiser. Cela se fait déjà : j'ai là la convention que j'ai signée avec la région Bourgogne. Mais il faut continuer, autour du triangle : « définir, dérouler, évaluer les politiques » - car il s'agit de fonds publics des deux côtés.

En tant qu'établissement public de l'État, nous devons appliquer sa politique, tout en contractualisant avec les régions : sans doute y a-t-il une petite ambiguïté à lever dans le texte. Nos missions gagneraient à y être réaffirmées, afin qu'elles soient claires pour tout le monde !

M. Patrick Bernasconi, vice-président du Mouvement des entreprises françaises. - Le MEDEF et les entreprises soutiennent une réforme qui apportera plus d'efficacité, diminuera le nombre de strates territoriales et facilitera le développement économique et social. Le découpage des régions doit avoir du sens, et non suivre des logiques électorales. Nous en attendons une définition du « qui fait quoi ». Nous le savons bien dans les entreprises, une décision, même sous-optimale, vaut mieux qu'une absence de décision. Ce débat a été lancé il y a longtemps : il y a urgence. Pour assumer des responsabilités plus importantes en matière économique, il faudrait associer ces non-électeurs que sont les entreprises, qui ont parfois des solutions à préconiser et ont besoin d'être informées rapidement, sur la fiscalité par exemple. Nous voyons donc d'un très bon oeil le principe du rendez-vous tous les trois ans. Les économies se font par la mutualisation, mais aussi par la réduction, comme celle des organismes de développement, au nombre de 600 en Rhône-Alpes !

M. René Vandierendonck, co-rapporteur. - Nous sommes d'accord pour promouvoir le recentrage des actions de développement économique et la rationalisation du paysage institutionnel, sans cacher nos objectifs d'optimisation des coûts. Les rapports des juridictions financières abondent sur la prolifération des organismes - soit dit sans préjudice de leur savoir-faire : notre pays ne peut plus se payer le luxe de cette dispersion. L'image du millefeuille territorial fait oublier que dans l'angle mort des différentes couches se logent les agences qui vivent sur la bête.

M. Patrick Bernasconi. - Dans cet angle mort se situent aussi nombre de syndicats intercommunaux dont la petite taille pose problème : je le vois bien dans mon domaine d'activité.

M. Philippe Bas, président. - La région vous semble être le bon échelon à condition qu'il soit ouvert à la co-construction. Mais les entreprises ont aussi besoin d'interlocuteurs locaux : villes et intercommunalités. La région peut être le planificateur stratégique, mais la mise en oeuvre - la mobilisation du foncier, par exemple - nécessite d'autres interlocuteurs. Vous nous dites que lorsqu'ils sont trop petits, ils manquent d'ingénierie, cela vous pénalise ?

M. Alain Griset. - Un bon exemple des bénéfices à tirer de la régionalisation est la formation. Les conseils régionaux ont développé l'apprentissage - très important pour l'artisanat - après une analyse préalable des besoins ; ils en ont ensuite confié la gestion à des opérateurs tels que les chambres de métiers et de l'artisanat. Ce schéma pourrait être étendu à l'économie : la stratégie définie par la région s'appliquerait à travers des conventionnements.

Un autre échelon légitime est celui des métropoles ou des communautés de communes, qui ont la proximité suffisante pour adapter les politiques aux territoires.

M. Benoît de Charette. - La question du niveau de compétence pour assurer l'équité des territoires se pose : à trop limiter la région à un rôle purement stratégique, nous risquons de décliner sa vision dans le désordre ; il faut donc que cette stratégie soit suffisamment prescriptive. Cela se pose dans les mêmes termes entre chambres de commerce et d'industrie régionales et territoriales. Le problème est d'autant plus important que les régions sont plus grandes.

M. Patrick Bernasconi. - La politique de formation doit être co-construite avec les partenaires sociaux. J'ai peur que les relations entre les régions et les métropoles soient compliquées et que les deux entités se fassent la guerre...

M. Philippe Bas, président. - Les chambres consulaires doivent savoir que nombre de nos collègues se préoccupent de leurs capacités d'investissement en termes de formation : des amendements seront déposés pour les sauvegarder.

M. Jean-Pierre Vial. - Nous partageons tous, même les départementalistes, le constat qu'il y a trop d'acteurs sur le terrain. Mais dans votre discours, entre les régions et les intercommunalités, le fait départemental semble avoir disparu : le même raisonnement doit-il s'appliquer pour les chambres consulaires départementales ? Puisque la région est le pôle principal de la politique de formation, ne faut-il pas qu'elle le soit aussi pour la politique de l'emploi, ainsi que pour les universités et la recherche ? Les pôles de compétitivités ont été une vraie chance ; les liens entre entreprise et recherche sont un facteur de réussite. Vous parlez de réglementation : pensez-vous qu'une décentralisation du pouvoir réglementaire au niveau régional améliorerait les choses ?

M. Alain Griset. - Il ne peut pas y avoir de déconnection entre la formation et l'activité économique. Former pour former n'a pas de sens ! Notre logique consiste à être suffisamment souple pour nous adapter aux évolutions des besoins : beaucoup d'emplois ne sont pas pourvus et c'est cela qui doit guider la politique de formation.

Concernant les chambres départementales, la question se pose plus en termes d'organisation que de structure : dans le Nord-Pas-de-Calais - pour montrer l'exemple, peut-être - nous avons une chambre unique, mais tout en maintenant des sites dans tous les arrondissements, pour préserver des interlocuteurs de proximité. D'autres régions ont préféré garder une chambre par département, mais, dans tous les cas, les fonctions support sont mutualisées. Pourquoi garder des structures départementales ? Parce qu'il y a toujours un préfet de département et des politiques économiques départementales. La chambre unique du Nord-Pas-de-Calais a ainsi une convention avec le Nord et une autre avec le Pas-de-Calais.

M. Benoît de Charette. - Sur la question de la politique de l'emploi et de la formation, effectivement liées, entre niveaux national et régional, l'exemple de la Bourgogne est éclairant : nous devons faire face à la problématique très particulière des sous-traitants, très nombreux en milieu rural, mais sans perdre de vue la cohérence nationale de la politique de l'emploi.

M. Philippe Bas, président. - La politique de l'emploi recouvre des notions très différentes : les caractéristiques de l'indemnisation du chômage sont déterminées par les partenaires sociaux dans la convention de l'UNEDIC - cela ne peut pas être délégué à la région. La création de Pôle Emploi était fondée sur l'idée que le rapprochement entre l'indemnisation et le soutien à la recherche d'emploi aurait pour conséquence que l'institution ainsi créée aurait intérêt à être efficace dans la seconde fonction pour faire des économies dans la première : le caractère théorique de ce raisonnement n'échappe aujourd'hui à personne. Mais avec une telle articulation, quelle dimension pourrait-elle être confiée aux régions sans casser Pôle Emploi ? La gestion des contrats aidés dans le secteur médico-social marchand, associatif ou public, aujourd'hui du ressort des DIRECCTE, pourrait-elle être confiée aux régions ?

M. Alain Griset. - En Haute-Savoie, la vallée de l'Arve compte plusieurs dizaines d'entreprises artisanales sous-traitantes de grands groupes et dont l'efficacité est reconnue dans le monde entier. Elles appellent une politique adaptée localement, comme la région de Toulouse pour l'aéronautique. Sans mettre en cause la politique nationale, nous ne pouvons pas échapper à la nécessaire cohérence entre politique de formation et caractéristiques de l'emploi au niveau local.

M. Patrick Bernasconi. - La loi sur la formation nous permettra d'agir pragmatiquement. Nous sommes confrontés à un véritable défi : définir une politique adaptée aux besoins régionaux, pour que les 300 000 à 500 000 emplois actuellement non pourvus le soient. L'apprentissage est malheureusement victime de règles invraisemblables. Les Allemands ont été pragmatiques : ils ont réorienté des fonds consacrés à la formation longue vers l'apprentissage et l'ont autorisé dès quatorze ans. En France, il faut attendre dix-huit ans. À cause de ces règles absurdes, plus personne ne veut embaucher d'apprentis. Arrêtons de vouloir amener tout le monde à bac + 5 ; arrêtons d'attendre bêtement que les jeunes aient dix-huit ans et passent quatre ans à traîner dans la rue, au lieu d'être pris en charge pour apprendre savoir-faire et savoir-être. Mais je m'écarte peut-être du sujet...

M. Philippe Bas, président. - Au contraire, nous sommes au coeur du sujet.

M. Jean-Pierre Vial. - Absolument.

M. Philippe Bas, président. - Faut-il renforcer le pouvoir régional pour débloquer l'apprentissage, construire une osmose avec les entreprises et récupérer des moyens alloués aux filières longues de l'éducation nationale ?

M. Benoît de Charette. - Nous revenons à la co-construction. Les accords signés entre le réseau consulaire et les régions depuis deux ou trois ans intègrent de plus en plus la dimension de la formation.

M. Patrick Bernasconi. - Je ne veux pas la mort du département, mais je veux que les compétences soient clarifiées. Nous voyons bien que le social et la proximité relèvent du département. C'est à vous, et non au MEDEF, de décider ce qu'il doit faire exactement.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Mais lorsqu'une compétence a été confiée à un niveau, les autres ne doivent plus pouvoir y toucher.

M. Patrick Bernasconi. - Oui. Je suis à cent pour cent pour la fin de la clause de compétence générale. La proximité peut être très bien traitée par la mutualisation. Le rôle d'interlocuteur des entreprises est enfin reconnu pour la formation. Il faudrait que ce soit le cas aussi pour l'aménagement du territoire, le transport, la mobilité... d'autant que les entreprises sont de gros contributeurs dans ces domaines.

M. Benoît de Charette. - Vraie avancée dans ce domaine, nous travaillons avec les communes dans le cadre des écoles supérieures de commerce. Les pôles de compétitivité ont été une réussite, du point de vue de la liaison entre universités, entreprises et collectivités.

La question de l'échelon départemental se pose aussi pour le réseau consulaire ; à nous de voir quel est le bon maillage : le département ou le bassin - qui a plutôt ma faveur. Nous devons éviter la prolifération des agences. De 265 chambres, nous sommes arrivés à une centaine aujourd'hui, mais nous devrons redéfinir notre maillage en fonction des compétences dévolues aux nouvelles structures.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Nous l'entendons tous les matins : je cherche des gens, mais je n'en trouve pas, ou alors inadaptés. Sauf exception, Pôle Emploi ne résout pas ce problème. Nous avons fait les missions locales, les maisons de l'emploi pour les jeunes...

M. Benoît de Charette. - Les écoles de la deuxième chance !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - C'est extrêmement coûteux, surtout pour l'État. Ne pensez-vous pas que la région serait l'acteur adéquat - avec tous ses partenaires - pour assurer la politique de l'emploi consistant à permettre aux demandeurs d'emploi de trouver du travail ? Nous pourrions alors supprimer des structures annexes qui sont une source de dépenses publiques considérables, plus peut-être que les collectivités locales qui sont souvent mises en accusation.

M. Alain Griset. - Elles ont souvent à gérer une situation qu'elles n'ont pas créée et qui est due à l'absence de liaison entre la formation et les besoins d'emplois du territoire ; c'est donc cette dernière question qui est essentielle.

M. René Vandierendonck, co-rapporteur. - Les chiffres sont alarmants : le nombre de titulaires d'un bac professionnel qui s'inscrivent à l'université et ne finissent pas leurs cursus, le nombre de décrocheurs, inscrits en filière générale mais qui n'arrivent pas jusqu'au bac... Certes, nous pouvons connaître des années fastes où les crédits du Fonds européen de développement régional financent à 50 % l'école de la deuxième chance, mais cela ne durera pas. Le service public d'orientation et d'adaptation à l'emploi doit être au niveau régional, puisque c'est à ce niveau que - tout le monde le dit - seront concentrées les aides à la création d'emplois. Les organisations syndicales, que nous avons entendues avant vous, nous l'ont dit : elles suivront de près les futures conventions, qui ne devront pas seulement fixer un nombre de créations d'emplois, mais bien des actions spécifiques de formation et une gestion prévisionnelle des compétences par bassin d'emploi.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Le but de l'action publique n'est pas de conserver des fonctions et des fonctionnaires dans leurs ministères.

M. Jean-Pierre Vial. - J'avais posé une question sur la décentralisation du pouvoir réglementaire.

M. Benoît de Charette. - Oui, dans le cadre d'une cohérence nationale. Notre pays s'apprête à franchir une nouvelle étape dans la décentralisation. Passer de 22 régions à 13...

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Nous préférerions 14.

M. Benoît de Charette. - Disons entre 13 et 15. Cela renforcera les pouvoirs des régions. Notre réseau consulaire gère près d'un quart des apprentis de ce pays à travers ses centres de formation des apprentis, avec des résultats plutôt meilleurs que la moyenne ; il gère l'alternance, où un tiers des formations dispensées ne sont pas renouvelées, afin de les adapter constamment. Nous ne sommes pas installés dans un fromage, nous cherchons à coller à la réalité du terrain : nous formons ainsi des soudeurs pour Areva...

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - On en cherche partout !

M. Benoît de Charette. - Ce n'est pas la mode, mais c'est un métier très technique. Peut-être devrons-nous arrêter dans un ou deux ans.

M. Alain Griset. - Je suis plus réservé sur la régionalisation des normes : d'une part, bon nombre d'entre elles dépendent du niveau européen ; d'autre part, même les entreprises artisanales peuvent travailler dans plusieurs régions : se plier à une norme différente à chaque fois nous compliquerait la tâche. En fait, ce que nous réclamons, c'est moins de normes, plutôt qu'un changement de compétence.

M. Patrick Bernasconi. - Je comprends que vous ne vouliez pas gérer l'indemnisation du chômage et ainsi hériter d'un déficit d'une trentaine de milliards d'euros ; pourtant, la manière dont on la gère pourrait déterminer un plus ou moins rapide retour à l'emploi.

M. Philippe Bas, président. - Merci pour cette audition très riche : les chefs d'entreprise ont montré que leur efficacité se traduisait aussi par la maîtrise des horaires.

Nouvelle organisation territoriale de la République - Audition d'associations oeuvrant dans le domaine social

La commission procède enfin à l'audition, au cours d'une table ronde, d'associations oeuvrant dans le domaine social.

M. Philippe Bas, président. - Nous souhaitions entendre la voix des associations oeuvrant dans le domaine social, car le débat sur les collectivités territoriales ne peut pas rester dans l'entre soi de leurs représentants. Comment percevez-vous la réforme de l'organisation territoriale d'un point de vue social et médico-social ?

M. Dominique Balmary, président de l'Uniopss. - Merci de votre invitation : nous avons déjà eu l'occasion d'être entendus par la Commission des affaires sociales, jamais par celle des lois. Nous en sommes heureux, car la réforme qui se profile nous concerne au premier chef. Elle semble avoir cantonné un peu rapidement le domaine du social et du médico-social à la compétence de principe du département. Le projet de loi aurait pu aller au-delà d'une redéfinition des frontières des collectivités territoriales. Il aurait été souhaitable que les citoyens soient placés au coeur du système, dans une région soucieuse de la transparence et de la lisibilité de son offre d'aides et de soins. Nous aurions ainsi pu avoir une vision stratégique et gestionnaire plus affinée que ce que le texte nous propose. La politique sociale est en train d'évoluer. Il est impératif que l'organisation administrative du territoire ne vienne pas contredire cette évolution. Ceux qui s'adressent aux associations ont des demandes de plus en plus globales qui touchent à plusieurs domaines à la fois. Les réponses doivent se faire transversales, comme le plan de lutte contre la pauvreté, adopté dernièrement, qui prend en compte l'ensemble des phénomènes intéressant la pauvreté. La réforme devrait être une excellente occasion de décloisonner les secteurs pour répondre à la complexité de la demande.

La prévention est une donnée qui commence seulement à être prise en compte dans la mise en oeuvre des politiques sociales. Elle ne représente que 4 % des dépenses nationales de santé. Le projet de loi sur la santé de Mme Touraine corrige ce manque en fixant un objectif net et précis. Tous les acteurs des politiques sociales doivent intégrer cette vision de moyen terme. Quand il s'agit de handicap ou d'insertion, les mesures, réparatrices, sont souvent d'urgence. Il nous manque une vision plus structurelle de l'évolution des besoins. La réforme territoriale devrait se saisir de cet enjeu et doubler les politiques sociales d'une fonction de prévision. La question territoriale est accessoire ; l'essentiel, c'est le fond des politiques mises en oeuvre.

Sans avoir une vision claire des compétences qui seront attribuées aux régions, nous pouvons dégager un certain nombre de principes qui devront présider à leur répartition. Premièrement, il faut inscrire les politiques sociales dans la durée, au niveau local, territorial et national. Deuxièmement, face à la complexité croissante des besoins, l'accompagnement des citoyens est indispensable pour qu'ils ne s'égarent pas dans le labyrinthe de leurs droits. Je sais, pour avoir exercé les fonctions de délégué à l'emploi au ministère du travail, que l'accompagnement professionnel et social des demandeurs d'emploi a été très difficile à mettre en place. On en parle depuis trente ans, et c'est seulement aujourd'hui que Pôle Emploi commence à expérimenter son dispositif dans les régions. Troisièmement, rien ne pourra se faire sans décloisonner les politiques sociales pour qu'elles se complètent entre elles
- politique du logement, de la ville, du développement économique. La région pourra combiner ces différents domaines, favoriser la transversalité et leur désenclavement. Quant aux citoyens, il est important de les faire participer à la mise en oeuvre de ces politiques. La loi reste muette sur le sujet. Allons vers plus de démocratie participative.

Enfin, nous n'avons arrêté aucune position sur le sujet délicat de la clause de compétence générale. Il nous semble souhaitable de la faire disparaître, mais il est encore trop tôt. Les compétences sont trop enchevêtrées. Dans un contexte budgétaire contraint, il serait dangereux d'un point de vue financier de faire disparaître cette clause dès maintenant.

M. Arnaud de Broca, secrétaire général de la FNATH. - Votre invitation est une agréable surprise. La réforme touche l'ensemble de nos adhérents et nous y avons été peu associés. Nous n'avons pas d'opposition ni d'accord de principe sur les périmètres géographiques ; cependant, nous regrettons le manque de réflexion en amont. Par conséquent, nous considérons que le projet de loi en l'état actuel n'est qu'une première étape qui doit être suivie d'un travail sur les compétences. Elles devront être clarifiées pour gagner en efficacité. À l'heure actuelle, les écoles, les collèges et les lycées obéissent à des logiques différentes en matière d'accessibilité. Idem pour les transports ou l'emploi : une harmonisation est indispensable. On perdra également en efficacité si l'on éloigne les centres de décision, avec pour seul souci l'organisation géographique. Les agences régionales de santé n'ont pas montré tout leur potentiel. On peut les rendre plus efficaces sur un territoire plus vaste. Les personnes en situation de handicap ou les personnes qui souffrent d'isolement ont besoin de dispositifs de proximité. Il faut mettre le citoyen au coeur de l'action et des politiques. Enfin, je ne suis pas certain qu'en rapprochant des régions ou des collectivités en difficultés financières, on développera les moyens de l'action sociale. Nous souffrons déjà d'un déficit d'accompagnement financier. Ne le creusons pas. Certes, les grandes régions pourront bénéficier des fonds européens. Il faudra néanmoins veiller à ce que les besoins des personnes en situation de handicap soient pris en compte dans la répartition de ces fonds. C'est prévu dans les textes européens ; ce n'est pas toujours appliqué.

Ce projet de loi nous a été imposé sans concertation en amont. Reste à définir le périmètre dans lequel nous pourrons en examiner les conséquences, compétence par compétence.

Mme Malika Boubékeur, conseillère à l'Association des paralysés de France. - Au nom de l'APF et de son président M. Alain Rochon, je vous remercie pour cette invitation : nous n'avons pas été habitués à échanger avec la commission des lois.

Je souhaiterais vous faire part d'un certain nombre de constats, d'alertes et de points de vigilance face à un projet de loi qui veut donner une meilleure visibilité aux institutions territoriales. Les personnes en situation de handicap et leurs familles sont concernés ; pour autant, il est difficile de mesurer l'impact des nouvelles dispositions sur leur quotidien. Les maisons départementales des personnes handicapées sont gérées par le département. Elles offrent aux handicapés des solutions qui relèvent de leur droit spécifique
- accompagnement, soins, etc. - et ont un statut de groupement d'intérêt public que nous voudrions sauvegarder. Tous les acteurs sont représentés dans la commission exécutive de ces établissements - le conseil général, les services de l'État et les associations. Sur quelle collectivité départementale s'adosseront-ils financièrement et administrativement ? Pour nous, l'échelon de proximité le plus adéquat pour l'ensemble des usagers en situation de handicap est celui qui leur permet de se déplacer vers leur lieu d'accès au droit. Qu'adviendra-t-il également de la stabilisation des équipes dans laquelle la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie a tant investi ? Nous craignons que cet acquis se délite. À Lyon, à compter du 1er janvier 2015, les compétences sociales seront transférées du département vers la métropole. Nous nous retrouverons donc avec deux interlocuteurs dans les MDPH. Il faudra trouver de nouveaux agents pour une nouvelle instance, la Maison métropolitaine et départementale des personnes en situation de handicap.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Lyon reste un cas particulier où la métropole prend toutes les compétences du département. Dans l'éventualité d'une seule MDPH pour le département du Rhône et pour la métropole de Lyon, il faudra s'organiser, sans que cela relève du domaine législatif.

Mme Malika Boubékeur. - Je parlais des personnels.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Dans ce cas, oui, il ne sera pas facile de faire venir des fonctionnaires d'État. Toutes les MDPH ne fonctionnent pas idéalement.

Mme Malika Boubékeur. - Les moyens de fonctionnement posent problème. Un budget de 66,3 millions d'euros est prévu dans le PLF 2015, alors que la CNSA consacre 64 millions d'euros au fonctionnement des cent MDPH. Comment re-ventiler ce budget en cas de variation du nombre de ces établissements ? La CNSA joue un rôle important pour l'harmonisation des pratiques dans l'ensemble du territoire. La commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées garantit l'équité des droits accordés aux personnes dans l'ensemble du territoire. Il faut maintenir ces dispositifs. Vous examinerez dans quelques mois le projet de loi sur l'adaptation de la société au vieillissement. Nous saluons la création des conseils départementaux de la citoyenneté et de l'autonomie, dispositif qui reprendra a minima les prérogatives des actuels conseils départementaux consultatifs des personnes handicapées et des comités départementaux des retraités et personnes âgées. Il s'agit d'un dispositif consultatif distinct de celui d'accès au droit. Comment s'opéreront les transferts de compétences entre le département et la future collectivité territoriale dans le domaine de l'hébergement des adultes en situation de handicap ? C'est le premier poste budgétaire des conseils généraux. La question vaut aussi pour l'aide à domicile et les services d'accompagnement à la vie sociale. Quel impact le droit d'option des départements pourra-t-il avoir sur la gestion des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens, et sur les conventions élaborées par les agences régionales de santé avec leurs partenaires ? Enfin, le transfert des compétences transversales interroge la cohérence des interventions sociales sur un même territoire. Par exemple, les transports scolaires ne seront plus gérés par le département, mais par la région, au 1er janvier 2015. Pour un élève en situation de handicap, le département rembourse une aide aux familles ; il organise ce transport scolaire quand le service public échoue à répondre au besoin. Qui financera cela dans le nouveau système ? Le département au titre de la compétence sociale, ou la région au titre de la compétence des transports ?

M. Philippe Bas, président. - Vous êtes en attente d'éclaircissements ; ce n'est pas surprenant, car le projet de loi ne modifie pas les compétences du département en matière sociale. L'avenir des départements a été interrogé. Il est utile de savoir ce qui vous préoccupe.

Mme Malika Boubékeur. - L'équité territoriale ne doit pas être un vain mot, mais une réalité.

M. Thierry Nouvel, directeur général de l'UNAPEI. - Le secteur associatif dans le domaine du handicap s'est construit au plus près des personnes, dans un territoire restreint. Les associations ont ensuite grossi et se sont rapprochées les unes des autres. Le fait régional est nouveau en France, même s'il a des racines historiques profondes. La loi dite « Hôpital, patients, santé et territoires » a créé les agences régionales de santé, consolidant ainsi le fait régional dans notre domaine. Les lois de décentralisation des années 80 ont consolidé le mouvement associatif au niveau du département. Il n'est pas simple de structurer au mieux les réponses aux situations de handicap : il faut fédérer des personnels pour qu'ils travaillent ensemble, mettre en place des structures, etc. Toute modification de la logique des pouvoirs publics percute nos organisations. La question de l'organisation territoriale est présente dans nos réseaux, puisque nous avons été incités à nous rapprocher et à nous concentrer au-delà de l'échelle départementale. Le transfert des compétences aux métropoles ne se fera pas de la même manière selon que les organisations agissent au niveau du département ou sont implantées au coeur de la métropole. La métropole lilloise regroupe peu ou prou l'ensemble des associations ; ce n'est pas le cas dans le Rhône. La question du transfert des centres d'aide par le travail au département a fait débat, ces deux dernières années. Il est fondamental de définir une politique claire sur le sujet. Quel que soit le découpage des territoires, la question de l'égalité de traitement des personnes se pose. Elle n'est pas correctement assurée. Une solidarité financière entre les territoires contribuerait à améliorer la situation. La question de la région est centrale pour nous.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Vous êtes tous les jours au contact des collectivités et vous connaissez leur architecture. Le Parlement n'a pas envisagé de modifier les compétences du département dans le domaine social. Toutes les métropoles ne sont pas destinées à remplacer le département ; le cas lyonnais est spécifique. Rien n'a été décidé en Ile-de-France. Vous avez relié la réforme territoriale à celle de l'État, insistant ainsi sur la nécessité d'adapter les structures de l'État aux nouvelles donnes territoriales. Ce sont là des problèmes qui relèvent de l'administration ; malgré la décentralisation et le transfert de responsabilité au département, nous n'envisageons pas de toucher au bloc du médico-social. Les interlocuteurs resteront les mêmes. Le vrai problème est dans l'opposition d'une région en charge de l'insertion économique et d'un département responsable de l'insertion sociale. Vous redoutez que la compétence sociale soit donnée à de grandes intercommunalités, mais nous savons bien qu'on ne fait pas d'action sociale à 20 000 habitants.

M. Philippe Bas, président. - Comme toujours, les interlocuteurs du mouvement social ont réussi à prendre le pouvoir. C'est eux qui ont auditionné notre rapporteur ! Il n'y a pas lieu de porter la discussion sur la décentralisation, car aucun pouvoir n'est transféré de l'État aux collectivités locales. Au Sénat, nous souhaitions étudier les possibilités d'un rééquilibrage du texte par des mesures de décentralisation. Jusqu'à présent, notre réflexion s'est concentrée sur la région, dont on veut faire une collectivité en charge du développement économique et territorial. Il faudrait ajouter l'emploi aux compétences de la région. Il serait bon également de pouvoir mesurer l'effet qu'auraient des mesures de décentralisation dans le domaine des politiques sociales. Nous ne nous sommes pas engagés dans cette voie pour l'instant, car les départements sont asphyxiés par un service de prestations sociales sur lequel ils n'ont que peu de prise. Nous risquons d'avoir à faire face à des besoins considérables sans avoir les moyens suffisants d'y répondre. Dans les départements, l'expansion des charges sociales n'est pas compensée par des ressources qui sécuriseraient les besoins. Vous ne souhaitez pas que le domaine du social et du médico-social passe au département. Manifestement, vous n'êtes pas pressés de faire évoluer la décentralisation. C'est du moins ce que confirme votre silence sur ce point.

Mme Gisèle Jourda. - J'ai présidé l'Association pour adultes et jeunes handicapés, l'APAJH. Les lois successives ont mis les associations face à leurs responsabilités. En période de budget contraint, les départements se laissent parfois aller à une politique d'immixtion dans la gouvernance des associations. Il faudrait clarifier le rapport entre les associations et leur chef de file, département ou région. On ne peut pas mettre en danger le rôle et la mission publique des associations. Comment les préserver ?

M. Thierry Nouvel. - La relation entre les associations gestionnaires et leurs autorités de tarification est un vrai sujet. Le statut même de ces associations a fait l'objet de nombreux débats. Je n'ai jamais vu d'ingérence dans la gouvernance des associations que je dirige. Je doute que cela soit lié à la réforme de l'organisation territoriale.

M. Bas évoque la décentralisation. Nous nous posons plutôt la question de la recentralisation d'un certain nombre de compétences au niveau régional, notamment depuis la création des agences régionales de santé.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Les ARS ont des antennes locales...

M. Thierry Nouvel. - Elles ne décident rien. Le délégué territorial de l'ARS dialogue avec les associations, peut s'opposer à certaines décisions, mais ne peut en prendre.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Le médico-social reste financé par l'État.

M. Thierry Nouvel. - C'est plus compliqué. Certains établissements sont financés par les conseils généraux.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Il y a en effet des établissements à triple tarification, comme les établissements pour personnes âgées : tarification de l'hébergement et de l'allocation personnalisée par le conseil général, et tarification des soins par l'ARS. Mais comment faire autrement ?

M. Thierry Nouvel. - C'est pour cela que nous posons la question de la recentralisation de cette compétence au niveau régional. En matière de handicap, les sources de financement ont été empilées au fil du temps. Concrètement, l'impossible fongibilité des budgets pose problème, par exemple pour créer des places médicalisées dans les départements qui ne font que de l'hébergement. Pire : lorsqu'un département a trop de places en établissement et service d'aide par le travail, je ne peux les redéployer sur d'autres types d'établissements en raison de la nature différente des crédits - budget de l'État dans un cas, budget de la sécurité sociale dans un autre. Mais vous avez raison : la question de la recentralisation n'est pas d'actualité, compte tenu des craintes que vous avez mentionnées.

M. Jean-Pierre Vial. - Dans le fonctionnement des établissements, certains domaines relèvent du département, d'autres nécessitent une coordination régionale. Il serait utile de disposer d'une note détaillée sur tous ces sujets.

M. Philippe Bas, président. - Nous vous remercions. Vous trouverez dans les débats du Sénat la trace de vos interventions !

La réunion est levée à 13 h 20

La réunion est ouverte à 16 heures

Nouvelle organisation territoriale de la République - Audition de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental.

M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux d'accueillir M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental, que j'ai connu lorsqu'il était sénateur avant qu'il ne devienne un ministre de la fonction publique reconnu pour son attachement au dialogue social. Nous avons par ailleurs souhaité que la réflexion du Sénat sur l'organisation territoriale de la République ne soit pas déconnectée de la réalité, et c'est pourquoi nous avons auditionné un grand nombre d'acteurs, parmi lesquels les organisations syndicales, les présidents des assemblées permanentes des chambres consulaires, ou encore les chefs d'entreprises, dont la qualité d'investisseur en fait les interlocuteurs naturels des collectivités territoriales. Nous sommes également partis, hors nos murs, à la rencontre des élus locaux, afin de recueillir d'autres points de vue sur l'organisation territoriale que ceux présentés par les grandes associations d'élus.

Votre angle de vue, Monsieur le président, sur ces questions territoriales nous permettra d'alimenter notre recherche de solutions aux problèmes économiques et sociaux auxquels nos territoires sont confrontés : la lutte contre le chômage, le développement de la vie des entreprises, la mise en oeuvre de la meilleure politique de l'emploi possible et l'articulation des différents échelons territoriaux pour assurer le meilleur service à nos concitoyens et assurer la mise en oeuvre des grandes priorités nationales.

En outre, je me souviens que vous nous aviez précédemment alertés sur l'état de souffrance de notre démocratie. À ces raisons qui nous ont incités à vous inviter, j'ajouterai également la remarque formulée par la représentante de la Confédération générale du Travail (CGT) que nous auditionnions ce matin et qui a ouvertement regretté que notre commission n'ait pas saisi, à titre liminaire, le Conseil économique, social et environnemental. Après avoir signalé à cette personnalité votre audition de cet après-midi, il m'a fallu lui faire observer que nous n'étions pas maîtres de l'ordre du jour et qu'il eût mieux valu que le Gouvernement procédât lui-même à cette saisine en temps utile, avant de solliciter l'examen du Parlement.

M. Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental. - Mesdames et Messieurs les Sénateurs, c'est un plaisir de partager avec vous les questions ainsi que les attentes et les critiques qui sont les miennes. Il y a plusieurs façons d'aborder l'organisation du territoire et je regrette la méthode, quel que soit le gouvernement en cause, qui a été suivie par cette réforme.

La carte territoriale ne doit pas être un objectif, mais une réponse à la question de l'offre territoriale à mettre en oeuvre pour atteindre la meilleure performance économique et assurer la meilleure cohésion sociale possible dans l'économie de flux qui caractérise la mondialisation. En effet, on assiste à un double bouleversement - celui de la circulation de l'information et celui des modes énergétiques - qui va modifier en profondeur la géopolitique et l'organisation des territoires. Deux exemples me paraissent à cet égard illustratifs. Lorsqu'en 1945, les Américains estimaient que les relations commerciales permettaient d'instaurer la paix, ils utilisèrent principalement deux technologies : le téléphone, pour assurer la remontée de l'information, et le container, pour abaisser considérablement le coût des transports. Mais la transformation profonde induite aujourd'hui par le numérique implique une remise en cause déchirante de l'organisation verticalisée de notre société, qui est issue de la Monarchie et qu'a endossé notre République. Notre perception que, dans le monde moderne, nous pouvons maîtriser la circulation des capitaux, des idées, des marchandises et des hommes est désormais totalement erronée.

Il ne s'agit plus de conquérir de nouveaux territoires géographiques, comme du temps de la colonisation avec laquelle s'est amorcée la première forme de mondialisation, mais d'acquérir de nouveaux espaces d'innovation, en gérant non plus la richesse des sols et des sous-sols, mais désormais l'intelligence. L'économie n'est plus ainsi fixée sur un territoire et la puissance d'un État industriel ne réside plus dans la possession de la bombe atomique, mais désormais dans celle des banques de données : c'est pourquoi Mme Angela Merkel et M. Barack Obama ont pris acte de cette nouvelle conception de la performance économique qui repose sur la capacité de mesurer les besoins d'un marché et d'assurer le développement d'une offre singularisée et, par conséquent, d'une industrie qui permette de la proposer.

Fort de ce constat, deux questions doivent être posées du point de vue des territoires : quelles sont les mesures qui doivent être prises pour que les jeunes du monde entier aient envie de venir étudier en France et que les capitaux convergent également vers notre pays ? Aujourd'hui, le pouvoir d'attractivité d'un territoire est essentiel et attire l'intelligence et la recherche tout en demeurant un facteur de cohésion sociale.

Nous ne sommes plus dans une économie physique, mais chimique. Ainsi, l'organisation territoriale doit suivre cette évolution : alors que l'économie rurale reposait sur les villages et que l'économie industrielle s'organisait autour des villes, l'économie est désormais celle de l'innovation et de l'intelligence, impliquant de nouveaux modes de connexion et de collaboration. Une telle évolution implique nécessairement la disparition de mythes qui prévalaient jusqu'alors : on peut désormais inscrire toute activité économique dans n'importe quel territoire au monde et payer ses impôts dans n'importe quel État au monde. Une deuxième étape est d'ailleurs franchie avec la déconnection des finances de l'économie.

Rappelons-nous l'issue d'une bataille, qui a pourtant laissé totalement insensible la classe politique dans son ensemble, qui s'est livrée sur la question essentielle du maintien de la place financière de Paris. Un trader haute-fréquence assure vingt-sept mille opérations par seconde et quatre-vingt-dix-huit pour cent des échanges commerciaux mondiaux quotidiens sont financiers. Les donneurs d'ordre de la place de Paris sont ainsi partis pour Londres car la différence du temps, qui se mesure en nanosecondes, requis pour passer un ordre entre Paris et la City, crée une distorsion de concurrence qui nous est défavorable. Ainsi, quelle que soit l'offre territoriale proposée, l'absence d'attractivité et un retard technologique se solderont par des échecs pour les territoires incapables d'y remédier.

Une telle réalité remet en cause le mythe de l'égalité entre les territoires : dans une logique d'offre territoriale, il importe d'optimiser le développement des capacités d'attractivité des différents territoires en fonction de leurs caractéristiques. Il nous faut donc réfléchir à une offre territoriale qui ne soit plus celle du passé, mais qui contienne plutôt, et c'est une occasion qui me paraît manquée, une dimension prospective qui définisse une organisation territoriale moderne dans une société moderne.

Plusieurs faits nous conduisent à constater que la réforme territoriale proposée ne répond pas aux exigences actuelles. En effet, les trois sujets politiques abordés par l'ensemble des gouvernements du monde entier concernent le choc des territoires, à savoir la localisation des activités selon les territoires, la démographie et le choc des générations, ainsi que le choc des identités, comme en Europe qui a besoin d'accueillir une population d'origine extra-communautaire d'ici à 2030 pour assurer son développement économique. Il faut ainsi, d'un côté, assurer l'attractivité des territoires pour les investisseurs et, de l'autre, garantir la cohésion sociale afin d'éviter les chocs identitaires.

Autre élément qu'il me paraît important intégrer : la croissance est actuellement faible et devrait demeurer comme telle. Les taux de croissance sont bien souvent avancés pour équilibrer les budgets et ne reflètent nullement la réalité économique à laquelle ils sont censés correspondre. La faiblesse du taux de croissance avive la précarité de la cohésion sociale, dans un contexte où l'Europe représente 6 % de la population mondiale pour 20 % du produit intérieur brut mondial et 50 % des transferts sociaux. La question aujourd'hui réside dans celle d'un projet territorial : comment ancrer dans les territoires une performance économique de dimension mondiale tout en maintenant une cohésion sociale qui semble, notamment aux États-Unis, présenter de sévères risques de dislocation ? Il s'agit également de prévenir la désespérance des populations et les éventuelles occurrences d'une sorte d'« infarctus territorial » induisant l'irruption de la violence sociale et empêchant la stabilité des territoires et des personnes qui s'y trouvent.

Une autre mécanique doit également être intégrée par cette démarche de prospective territoriale : le développement de l'économie numérique et de la robotisation qui menace à terme 40 % des emplois américains et 52 % des emplois européens. Cette évolution illustre le bien-fondé de l'intuition de Keynes qui prévoyait la création de plus de richesses par de moins en moins de travail. Une telle tendance ne peut que bouleverser les relations sociales et les politiques fondées sur la solidarité. Aujourd'hui, l'offre territoriale, que promeut le projet gouvernemental, est abordée en termes d'organisation des pouvoirs républicains, issue de la Monarchie, et non d'optimisation des potentiels. Un certain nombre de questions aurait ainsi dû être posé, comme la place, dans le monde, de la régulation publique, issue du modèle européen et français, dans une économie de flux mondial de tendance ultralibérale. C'est un enjeu déterminant, puisque la dimension des défis impose la dimension des réponses et il eût fallu évaluer, avec exactitude, le niveau des régulations continentales et le rôle qu'y joue l'État, avant que d'envisager les déclinaisons territoriales à mettre en oeuvre pour renforcer l'attractivité.

Par ailleurs, le fait métropolitain - qu'envisageait d'ailleurs la précédente loi - est majeur : 30 % de la richesse mondiale sont captés par les soixante plus importantes métropoles mondiales alors que, dans les quinze prochaines années, ce seront 75 % de la richesse mondiale qui le seront par les six cents plus grandes aires métropolitaines. Ainsi, les aires métropolitaines sont en marche et il convient de construire des régions métropolitaines à l'échelle de la planète. D'ailleurs, celles-ci connaissent un seuil limite : au-delà de trois millions d'habitants, elles connaissent une réelle forme de saturation. Il importe d'y mêler les universités, les centres de recherche, les capitaux et les décideurs politiques ce qui, du reste, n'est pas le cas en Allemagne dont les collectivités territoriales ont réduit de près de cent milliards d'euros leurs investissements, ce qui devrait, à terme, amoindrir considérablement leur performance économique. À l'inverse, on constate, au niveau européen cette fois, une prise de conscience qui devrait conduire au déblocage de 300 milliards d'euros en faveur du développement des infrastructures.

M. Paul Krugman, Prix Nobel d'économie, déclarait qu'il fallait repenser l'économie numérique et je m'attendais à ce que l'État, alors qu'il engageait la réforme absolument nécessaire de la réorganisation territoriale, conduise cette analyse prospective qui prenne en compte l'évolution de la conjoncture internationale et aboutisse à reconfigurer le territoire de manière optimale. Or je crains qu'une approche extrêmement classique, consistant dans un premier temps à dresser une carte et à attribuer les compétences, ne soit suivie. Il faut ainsi aujourd'hui gérer la captation des flux qui passent par les territoires et la valeur ajoutée qu'ils créent : à cet égard, la Banque mondiale a annoncé l'inclusion, dans les trente années qui viennent, de près de 2,5 milliards de personnes dans la classe moyenne, dont un gain quotidien de 10 à 100 dollars représente le seuil d'inclusion. Ce chiffre comprend une centaine de millions d'Européens, peu de personnes en Afrique alors que la quasi-totalité des personnes concernées se trouve dans la région Asie-Pacifique. Si 10 % de cette nouvelle classe moyenne, soit 250 millions de personnes, se rendait en France, dont le nombre de touristes annuels est de 80 millions, comment bénéficier de cette manne ? Les défis qui se posent aux territoires résident bel et bien dans la capacité de capter la valeur ajoutée que génèrent les flux.

Cette perspective souligne la question de l'inadaptabilité de la fiscalité à un tel phénomène. Ainsi, toute la fiscalité des collectivités locales est fondée sur la propriété foncière issue de la société rurale ou sur l'outil économique ou industriel, et non sur les flux. En outre, avec le quinquennat, nous ne sommes pas en mesure d'ouvrir des « chantiers républicains » impliquant l'ensemble de la classe politique et assurant la stabilité des dispositifs notamment fiscaux. L'ensemble des investisseurs internationaux considère d'ailleurs la France comme un marché trop étroit et trop à risques, du fait des revirements que connaît la réglementation du fait des alternances politiques tous les cinq ans. Il eût fallu ainsi assurer la stabilité, dans le temps, de la réforme et veiller à ce que nul cycle électoral n'en perturbe la mise en oeuvre effective puisqu'il s'agit avant tout de préparer l'avenir et non de se livrer à je ne sais quel jeu de pouvoirs.

En outre, la réforme ne doit plus apparaître comme une punition mais porter plutôt une réelle espérance : une telle démarche doit ainsi être prospective et mieux prendre en compte l'opinion des citoyens.

C'est la raison pour laquelle privilégier la potentialité et la diversité des territoires implique de remettre en cause les idées d'égalité et d'uniformité. Ceux-ci pourraient ainsi se voir reconnaître des pouvoirs différents, voire des capacités dérogatoires, en fonction de leurs caractéristiques.

Enfin, s'agissant de ce que j'évoquais précédemment comme le choc des identités, il importe que les limites des territoires respectent l'histoire et la géographie. D'ailleurs, la prise en compte des seuls intérêts économiques pour délimiter les frontières, notamment par la France et le Royaume-Uni, demeure l'origine des conflits au Moyen-Orient. Lorsqu'on ne respecte pas la géographie, l'histoire et la culture des hommes, à un moment ou un autre, les frontières suscitent les heurts identitaires et avivent les violences. Je crains ainsi que l'actuel projet territorial relève d'une conception surannée qui ne saisisse pas les défis de l'avenir.

Il est naturel que les régions doivent devenir métropolitaines, tout en veillant au devenir des territoires interstitiels. À l'évidence, il importe que ces régions développent leur potentiel d'attractivité obéissant, en cela, à une conception moderne de la puissance qui ne se limite ni au nombre d'habitants ni à la superficie. Notre intelligence cartésienne est ainsi mise à mal : en Europe, par exemple, les petites régions d'Italie du Nord sont plus puissantes que les vastes régions peuplées du Sud de l'Italie ! En outre, l'évolution des aires métropolitaines mondiales illustre cette déconnection de la puissance avec la population et la superficie : alors que des aires de 10 à 12 millions d'habitants déclinent, des métropoles de 2 à 4 millions d'habitants connaissent un réel dynamisme. Dans une économie d'innovation, la capacité de recherche, favorisée par les partenariats entre les universités et les entreprises, est essentielle : le pouvoir des territoires doit ainsi assurer cette forme de maillage. L'offre territoriale de l'État, en matière d'université et de politiques de l'emploi, doit ainsi être très fortement corrélée aux caractéristiques des territoires. Il importe que les régions soient capables de mettre en oeuvre les transversalités plus nécessaires que jamais. En outre, les investissements privés doivent, à terme, se substituer aux dotations publiques dans une logique d'efficience et en offrant des garanties publiques aux capitaux privés.

Enfin, cette évolution doit également amorcer celle de la comptabilité publique qui doit aider l'État capitaliste, auquel je crois, à optimiser la gestion de son patrimoine. D'ailleurs, les collectivités locales devront, à terme, tirer leurs principales ressources non de la fiscalité, mais de l'optimisation de la gestion de leur patrimoine, fût-il privé. Aujourd'hui, les principes de la comptabilité publique, qui repose sur l'équilibre entre les actifs et le passif, le fonctionnement et l'investissement, ne peuvent rendre compte des investissements dans les territoires que les acteurs locaux devraient conduire afin d'instiller la dynamique que j'appelle de mes voeux. En effet, les régions qui vont pouvoir se développer, seront celles qui investiront les fonds publics dans des programmes de recherche qui ne sont cependant pas sans risque ! L'exemple de l'Institut Gustave Roussy, qui accueille des équipes de recherche nord-américaines et qui devrait devenir l'un des cinq premiers laboratoires de recherche au monde, le prouve : c'est en recherchant des modes de rémunération et des investissement alternatifs à ceux fixés par la comptabilité publique que cette entité publique française a considérablement renforcé son attractivité ! Alors que l'on souhaite libérer aujourd'hui les initiatives dans les territoires, il faut ainsi réfléchir à l'évolution des réglementations comptables et des structures budgétaires qui en freinent désormais le dynamisme.

L'éducation est aussi un domaine prioritaire pour le développement des territoires. Dans ce domaine, la centralisation nivèle manifestement l'innovation. Alors qu'il faudrait valoriser les initiatives des étudiants dans l'économie de l'innovation et de l'intelligence, le système éducatif ne sanctionne que les échecs ! Alors que le principe d'égalité est réaffirmé, on assiste à la marginalisation, voire à l'exclusion, d'un nombre grandissant d'étudiants ! L'expérimentation devrait ainsi être mise en oeuvre au niveau des territoires, sous réserve d'un encadrement préalable.

Si je suis tout à fait favorable à la fin de la clause de compétence générale, l'approbation par les préfets des schémas régionaux suscite, en revanche, ma réserve, car elle participe d'une forme de défiance alors que la confiance demeure le principe même de l'économie de l'innovation. Une telle démarche reflète une défiance analogue à celle éprouvée à l'encontre du marché dont l'encadrement est considéré comme prioritaire, ce qui nuit à son développement. Les Anglo-saxons en ont une conception plus saine : la régulation intervient a posteriori, ce qui n'entrave pas l'essor du marché !

Un tel état d'esprit nous condamne à ne pas profiter des potentiels que recèle notre pays ! Il importe de sortir du carcan décentralisateur pour libérer les initiatives des territoires et gagner la bataille du digital. Aujourd'hui, l'État ne doit plus contrôler mais réguler, et les régions doivent disposer de pouvoirs dérogatoires qui leur permettent de soutenir les initiatives innovantes. La force de la France réside dans l'inventivité et toute réforme la restreignant au motif d'économies budgétaires prises comme objectifs exclusifs est vouée à l'échec. Retrouver une société de confiance est un impératif. Or l'État central ne fait confiance ni aux territoires ni aux élus locaux ! Mais prenons aussi garde à ne pas substituer au centralisme de l'État celui de la région qui reviendrait à consacrer une gestion partisane du développement des territoires ! Il faut ainsi réfléchir à une nouvelle forme de contrôle garantissant l'équité de l'argent public et redéfinir les relations entre les élus et leurs administrés sur de nouvelles bases.

On peut également imaginer un partenariat très dynamique entre les régions et les départements dont l'évolution doit suivre les caractéristiques locales. ll faudrait ainsi que la fiscalité fasse l'objet d'un grand chantier républicain entre la majorité et l'opposition, afin que l'imposition ne devienne plus confiscatoire et contribue à aggraver les inégalités. La définition d'une fiscalité régionale, fondée sur la richesse économique, constituerait une première piste et si l'on suivait le principe de l'adéquation entre la nature des dépenses et des ressources, les départements devraient bénéficier, en matière de solidarité nationale, d'un impôt partagé sur la contribution sociale généralisée (CSG).

S'agissant du rôle du préfet, je souhaiterais que celui-ci dispose d'un droit de contentieux et non plus d'un pouvoir de contrôle qui traduit la défiance de l'État vis-à-vis des collectivités locales.

En ce qui concerne ces dernières, il importe de remettre en cause le mythe de la géographie et répondre aux deux questions essentielles que sont l'accès et la qualité des services publics. La technologie permet désormais de décrocher la géographie de la création de pôles d'intelligence administrative et de remédier ainsi aux écarts de qualité aujourd'hui constatés qui peuvent être sources d'insécurité juridique pour les élus. De tels pôles garantiraient d'ailleurs aux maires une même qualité sur l'ensemble du territoire. En outre, la réforme actuellement en discussion devrait apporter des outils pour activer les fusions de communes et favoriser l'émergence d'une logique de services administratifs aux compétences géographiques dépassant les circonscriptions politiques. D'ailleurs, on observe une démarche analogue dans les grandes entreprises qui accroissent simultanément leur puissance et la déconcentration de leurs entités locales dans un souci de proximité et d'efficacité. Pourquoi les grandes régions métropolitaines ne délégueraient-elles pas à des pôles départementaux un certain nombre de tâches, comme l'accompagnement local des politiques sociales, tandis que les communes pourraient déléguer les tâches administratives, dont le suivi leur est difficile, à des pôles de mutualisation de services à l'échelon intercommunal ?

Le seuil de 20 000 habitants ne devrait pas être retenu pour les établissements publics de coopération intercommunale puisque prendre le nombre d'habitants comme seul critère de légitimité relève d'un cartésianisme suranné. Il vaut mieux prendre en compte les bassins de vie et leurs interactions, ce que, du reste, ne fait pas l'actuel projet d'organisation territorial qui fait fi de l'histoire et des flux entre ces bassins et leurs habitants ! Seule une réflexion pertinente sur la notion d'offre territoriale aurait permis de redéfinir les contours des régions, en fonction de la réalité quotidienne de nos concitoyens et des perspectives de développement et d'attractivité. Je crains que la configuration bientôt retenue pour notre organisation territoriale ne réponde pas aux défis du monde de demain et qu'elle suscite l'incompréhension des Français qui seront tentés par des réflexes identitaires extrêmement lourds et considéreront cette réforme comme aiguillée par la recherche du pouvoir et non comme l'expression d'un projet de société.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie, monsieur le Président, pour votre intervention dont le contenu nous prouve que nous avions raison de vous entendre. Nous souhaitons donner en effet du sens à cette réforme territoriale qui ne doit pas se limiter à un transfert de compétences entre collectivités, mais contribuer au développement de notre pays. Je rappellerai, sur ces chantiers de l'avenir que vous appeliez de vos voeux, que la composition de notre commission, avec deux rapporteurs issus de la majorité et de l'opposition sénatoriales, reflète le souci qui est le nôtre, et que vous partagez, d'un consensus le plus large sur le contenu de cette réforme.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - L'audition du Président Delevoye nous incite, comme chaque fois, à placer la prospective au coeur de notre vision de législateur. Parmi les lois que nous avons votées, celles de 1982 présentaient cette dimension prospective dont les autres lois décentralisatrices ne sont, finalement, que la continuité. Le contrôle relève également d'une forme de propension naturelle de l'État, qui n'est plus un acteur du développement économique à part entière mais dont l'administration ne répond pas aux besoins exprimés localement. En outre, nous avons modifié la Constitution pour permettre aux collectivités ultramarines, dont chacune d'elles présente des spécificités institutionnelles, voire organiques pour la Nouvelle-Calédonie, de mieux s'organiser en fonction de leurs caractéristiques géographiques. D'ailleurs, les plus performantes d'entre elles ont choisi de fusionner le département et la région, ce qui a conduit à modifier la Constitution pour autoriser une telle démarche ! Si l'on ne peut supprimer un niveau de collectivités sans modifier la Constitution, il est possible de créer, par la loi, des collectivités spécifiques, à l'instar de la métropole de Lyon. On peut très bien créer une collectivité unifiée de l'Alsace par la loi ! Il n'y a donc plus d'obstacles constitutionnels pour assurer une telle démarche.

La fusion des départements, prévue par la loi du 16 décembre 2010, puis supprimée, devrait être autorisée à nouveau. Il est parfois difficile cependant d'entrevoir le lien entre départements et régions ; comme je le dis souvent, il y a des Picards, mais pas de Picardie ! Même si je suis très en faveur de la décentralisation, il me faut reconnaître que certains élus peuvent se tromper et qu'une forme de contrôle doit être maintenue et aller au-delà du contrôle a posteriori, voire de celui conduit par la Cour des comptes qui ne peut empêcher certains investissements aux finalités incertaines et aux conséquences désastreuses pour les finances des collectivités locales ! Les exemples abondent de ces investissements de prestige surdimensionnés par rapport aux collectivités où ils étaient conduits !

Il faudrait également s'interroger sur le contenu des schémas régionaux au caractère prescriptif. Certes, le schéma de développement de la régional d'Île-de-France est cohérent et l'ensemble des schémas de développement locaux des collectivités de cette région doivent s'y conformer. Cette exigence concerne également les plans locaux d'urbanisme. Cette réalité implique de doter la région de réelles responsabilités en la matière.

Il me semble enfin que le numérique ne peut pas tout régler. En effet, plus il y a de numérique, plus la présence humaine est nécessaire. Si cette condition n'est pas réunie, la diffusion du numérique devrait conduire à un appauvrissement de la démocratie au sein des territoires qui connaissent déjà de sérieuses difficultés. En effet, nombreuses sont les personnes pour lesquelles l'usage des nouvelles technologies est difficile et qui éprouvent le besoin d'un interlocuteur pour les guider dans leurs démarches.

M. Jean-Pierre Vial. - Suite aux propos fort intéressants et stimulants tenus par le Président Delevoye, j'aurai une question sur l'effet de la décentralisation. À la suite des Trente Glorieuses qui marquent le développement sans précédent de notre pays, on pourrait évoquer les « Trente heureuses » qui scandent le formidable développement économique conduit par les acteurs locaux, sous l'effet de la décentralisation amorcée en 1982. Il faudrait évaluer l'apport de la décentralisation dans la modernisation de notre pays et ce, tandis que la réforme que nous examinons actuellement conduit à une recentralisation rampante. Les propos tenus par le Président Delevoye nous exhortent à alléger le carcan administratif et s'inscrivent à l'opposé de ce qui nous est proposé. Alors que l'on constate que la réforme proposée renforce le paradigme de l'État centralisateur, quelle pourrait être la manière d'en modifier le dispositif afin d'assurer une plus grande décentralisation sans laquelle le développement des territoires me paraît compromis ?

M. Jean-Paul Delevoye. - Le numérique va en effet renforcer le besoin en contacts humains car si le numérique va individualiser l'offre administrative, la compréhension de son mode de fonctionnement implique un accompagnement. La décentralisation a en effet concouru à l'accélération du développement et de l'équipement de nos territoires. Mais force est de constater une fausse donne affectant initialement les relations entre l'État et les collectivités territoriales puisque, de 1982 à 1992, les dépenses de fonctionnement ont été valorisées au détriment de l'investissement public. Si une commune, par exemple, transférait la totalité de ses charges à l'échelon intercommunal, elle continuerait à toucher la même dotation communale tandis qu'augmenterait, dans le même temps, la dotation intercommunale.

J'aurais souhaité que l'évaluation de la décentralisation conduite de 1982 à 1992 concernât autant ses points positifs que négatifs. Le système reposant sur les compensations financières grève le budget des collectivités locales qui sont désormais soumises à l'arbitrage de l'État qui ne peut plus soutenir le développement local, engendrant une sorte d'auto-asphyxie du modèle institué à partir de 1982.

Comment faire en sorte que les dotations de l'État permettent d'optimiser les dépenses d'investissement et que les prochaines fusions entre échelons administratifs n'induisent pas, au final, une hausse des dépenses de fonctionnement ? Les départements qui se sont engagés dans la mutualisation, de façon volontaire, devraient être incités financièrement à la maîtrise des coûts de fonctionnement.

L'acceptation de l'impôt, sa nature, ainsi que sa dynamique même doivent également faire l'objet d'une réflexion. En effet, il me paraît évident que si la nature fiscale demeure différente de celle de la dépense, le risque d'une rupture d'égalité pourrait concerner certains départements connaissant un accroissement de la démographie des personnes âgées avec, en retour, une diminution de leurs ressources, vis-à-vis de la politique de solidarité nationale.

Enfin, il m'apparaît que d'autres questions n'ont pas été abordées, comme celle des services départementaux d'incendie et de secours : sommes-nous dans une démarche de responsabilisation impliquant un dialogue entre l'État et les départements ?

Les lois comme celle que vous examinez à présent devraient, au contraire de ce que nous constatons, jeter les bases d'un partenariat gagnant-gagnant entre l'État et les collectivités territoriales.

M. Philippe Bas, président. - Merci, Monsieur le président, pour votre contribution et celle du Conseil économique, social et environnemental que vous présidez, à la réflexion conduite par notre Commission des lois.

Nouvelle organisation territoriale de la République - Audition de M. Christian Vigouroux, président de la section du rapport et des études du Conseil d'État

La commission procède à l'audition de M. Christian Vigouroux, président de la section du rapport et des études du Conseil d'État.

M. Philippe Bas, président. - Je vous transmets les excuses de M. Sauvé, vice-président du Conseil d'État, qui ne peut être parmi nous aujourd'hui : nous aurons d'autres occasions de l'entendre. Nous recevons M. Christian Vigouroux, président de la section de l'Intérieur du Conseil d'État.

Nombre de nos interlocuteurs ont insisté sur la nécessité de simplifier, clarifier les compétences, renforcer la lisibilité des politiques publiques. Or les mêmes considèrent souvent qu'il faut accepter de ne pas mettre toutes les collectivités territoriales sous la même toise et qu'à l'exception des communes, qui doivent conserver la clause de compétence générale, il faut les transformer en collectivités territoriales spécialisées... à condition qu'elles coopèrent entre elles, ce qui requiert des schémas d'organisation, et que les délégations soient possibles. Simplicité ?

Nous souhaitons vous interroger sur des points précis et délicats. Faut-il adapter le droit aux spécificités des territoires ? Que signifie la délégation d'un pouvoir réglementaire aux régions ? S'agit-il d'adapter les modalités d'application de certaines lois ? De prévoir des procédures de déclenchement de l'initiative législative par le vote d'une collectivité territoriale ? De conférer aux collectivités territoriales une faculté d'expérimentation ?

Le texte que nous examinons comporte des schémas régionaux prescriptifs. L'approbation préalable de ces schémas par le préfet inquiète certains élus, car elle rappelle l'acte de tutelle le plus fort qui existait avant la décentralisation.

M. Christian Vigouroux, président de la section de l'intérieur du Conseil d'État. - Le Sénat dispose évidemment de toutes les lumières souhaitables en matière juridique. Nos avis ne sont pas publiés, je m'en tiendrai donc nécessairement à la loi. Mais depuis quelques années, nos rapports publics révèlent - avec l'aval du Gouvernement - une large part de nos avis, qu'ils soient rendus sur des questions ou sur des textes.

Le pouvoir réglementaire des régions est inscrit dans la Constitution. Si une question se pose, elle ne concerne donc que les modalités. Il nous arrive de refuser la mention du pouvoir réglementaire des régions dans un texte de loi : nous le faisons au motif qu'elle est inutile, ou qu'elle peut entraîner la nécessité d'ajouter la même précision pour les autres collectivités. Les gouvernements ont parfois du mal à entendre cette position, mais le Conseil d'Etat est adverse à la répétition des dispositions constitutionnelles dans les lois.

Ce pouvoir réglementaire se manifeste de mille manières : par exemple, dans un avis rendu sur une proposition de loi de simplification des normes, déposée par le sénateur Doligé, nous avons affirmé qu'une disposition donnant au président du conseil général le pouvoir d'adapter les critères d'agrément des assistants maternels ne se heurte à aucun principe de valeur constitutionnelle. La décision du Conseil constitutionnel de 2002 sur la loi relative à la Corse énumère les conditions dans lesquelles le législateur peut détailler les modalités du pouvoir réglementaire d'une collectivité territoriale. Il n'est ni originel ni autonome comme celui de l'article 21 de la Constitution. Notre avis de 2002 précise que c'est au législateur de moduler le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, matière par matière et au cas par cas. C'est une autre raison pour laquelle nous sommes réticents à le voir mentionner dans la loi. Ce pouvoir réglementaire ne s'exerce que pour les compétences des collectivités territoriales et sous réserve du respect des grands principes du droit. Lors du vote de la loi constitutionnelle de 2003, un amendement qui introduisait la réserve des collectivités territoriales à l'article 21 de la Constitution n'avait pas été adopté. Dans l'exercice de leur pouvoir réglementaire, les collectivités territoriales doivent respecter le principe d'égalité. Une collectivité peut exonérer les entreprises de certains impôts, mais dans un but général et en fonction des différences objectives de son territoire, comme l'a déclaré le Conseil constitutionnel le 20 avril 2012.

La loi module au cas par cas le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales : le RSA est entièrement défini par l'État, les exonérations d'entreprise, non. Notre avis du 15 novembre 2012 insiste sur la nécessité de bien articuler le pouvoir réglementaire d'une collectivité territoriale avec celui du Premier Ministre comme avec celui des autres collectivités territoriales. Lorsque le Gouvernement agit sur la base de l'article 37 car il n'existe pas de loi, il ne peut pas définir les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales peuvent agir : seul le législateur peut le faire. Nous avons affirmé en mai 2013 que celui-ci doit préciser les conditions dans lesquelles l'exercice du pouvoir réglementaire par une collectivité territoriale peut encadrer, coordonner ou influencer le même pouvoir réglementaire d'une autre collectivité territoriale, dans le cadre de schémas en particulier.

Les collectivités territoriales peuvent fixer les modalités d'application de la loi dans les limites de leurs compétences. Elles peuvent aussi compléter les orientations nationales, comme le précise l'article L 1311-1 du code de la santé publique. Elles peuvent même les adapter, comme notre avis de 2012 l'a laissé entendre, à condition que le législateur en ait ouvert cette voie. Le Conseil constitutionnel comme le Conseil d'État ont admis qu'une collectivité territoriale peut devenir chef de file sur une compétence donnée, ce qui donne à son pouvoir réglementaire une prééminence sur celui des autres collectivités territoriales. Le même avis envisage les cas dans lesquels le silence du législateur peut être interprété comme reconnaissant le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, dans le champ de leurs compétences.

Le schéma régional prescriptif est un mode d'expression fréquent du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Il peut avoir l'ambition de traduire la clause de compétence générale de la collectivité territoriale qui l'élabore. Avec les schémas d'aménagement régionaux, nous ne sommes pas loin de la clause de compétence générale... Si cette clause est supprimée, la question se simplifiera : chaque schéma traitera la compétence de la collectivité territoriale qui l'aura élaboré.

Nous avons dans notre rapport sur le droit souple dénoncé l'enchevêtrement des schémas et les expressions telles que « tenir compte de », « s'inspirer de », « être compatible avec » ou « être conforme à ». Pour dissiper ces perplexités, nous avons produit quelques lexiques illustrés - ce qui est toujours mauvais signe... La prescriptibilité des schémas régionaux frise la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre. Le Conseil d'État a donc, par précaution, demandé que soit substitué le terme de compatibilité à celui de conformité et, en cas de doute, a recommandé l'approbation par le préfet, non pour rétablir une tutelle de l'État mais pour introduire un tiers médiateur.

Notre rapport public de 2011, en sa page 389, rappelle que le Conseil d'État a estimé que le principe d'égalité faisait obstacle à l'adoption de dispositions spécifiques à la région Île-de-France en matière d'intervention foncière : tout écart au principe d'égalité doit être justifié. Nous avons validé - comme le Conseil constitutionnel - la théorie du chef de file, qui crée une faille dans le dogme de l'égalité absolue des collectivités territoriales : l'interdiction de la tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre ne fait pas obstacle à ce que le législateur organise les conditions dans lesquelles des collectivités peuvent exercer en commun certaines de leurs compétences. Toutefois, le Conseil constitutionnel a estimé le 9 décembre 2010 que l'institution du conseiller territorial, dans les formes qui lui étaient alors présentées, était une tutelle de la région sur le département. L'avis que nous avons rendu en juin 2011 sur le schéma corse a imposé que ce soit l'État qui définisse l'échelle et le degré de détail du schéma.

La clause de compétence générale est décrite dans certains traités de droit administratif, par Yves Jegouzo ou par Jean-Marie Pontier (dans son article Mort ou survie de la clause générale de compétence) comme un mort-vivant qui ne se porte pas trop mal... Nous ne voyons pas plus d'objection à son maintien qu'à sa suppression : c'est une question d'opportunité. En principe, la compétence relève de la loi. Sans méconnaître l'article 34 de la Constitution, qui réserve au Parlement les principes fondamentaux des compétences des collectivités territoriales, un article a été introduit dans le code général des collectivités territoriales pour rendre possible un transfert de compétences entre régions et départements. Certes, les collectivités territoriales n'ont pas la compétence de leur compétence, mais à travers les transferts, les délégations et les renvois, elles s'en approchent ! Le Conseil d'État s'en est ému, et a affirmé que la compétence des collectivités territoriales ne relève pas de délégations ou de contrats entre elles. Sur ce point, le Conseil constitutionnel s'est montré plus ouvert que le Conseil d'Etat - ce qui est rare. Du coup, nous ne bloquons plus des suppressions de clause de compétence générale assorties d'un rattrapage par délégation. À titre personnel, j'en reste cependant à notre position initiale.

La clause de compétence générale est supprimable, comme l'a affirmé le Conseil constitutionnel le 9 décembre 2010. Mais il n'est jamais question de la supprimer pour les communes ! Comme il est de tradition chez nous, nous prévoyons des amortisseurs à la réforme, en veillant à ce que la suppression de la clause de compétence générale ne dénature pas la collectivité territoriale, en l'assouplissant par des délégations ou des transferts, en ouvrant la possibilité de prendre toute compétence qui n'a pas été affectée à une autre collectivité territoriale et en conservant de multiples compétences partagées : le tourisme, la culture et le sport sont réputées être des compétences insécables.

M. Philippe Bas, président. - Il n'est pas question en effet de supprimer la clause de compétence générale des communes. Elles délèguent une partie de leurs compétences aux intercommunalités. Le département ne devrait-il pas avoir une compétence de solidarité territoriale ? De nombreux conseils généraux ont conclu des contrats de territoire avec des intercommunalité ou des villes : le département aura-t-il encore sa place dans les domaines concernés ?

M. Christian Vigouroux. - Ce fut un point d'achoppement lorsque nous avons examiné les textes dont nous parlons. Qu'allait-il rester au département ? Le social ? L'article qui traitait du soutien aux collectivités territoriales était abrogé. Nous nous sommes demandé si le département n'allait pas devenir une coquille vide. Comme une disposition faisait du soutien général aux communes une compétence spéciale forte, nous avons considéré que ce ne serait pas le cas.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Dans la région Île-de-France, le schéma directeur de la région Île-de-France est approuvé non par le préfet mais par décret en Conseil d'État. Tout schéma doit être porté à la connaissance de l'État, qui doit pouvoir défendre ses intérêts fondamentaux. La multiplication des schémas est étouffante. Président d'un syndicat mixte d'études et de programmation, j'élabore un Scot. Je suis confronté à quatre schémas contradictoires ! Si la région reçoit des compétences économiques, elle doit participer à l'aménagement du territoire. Je n'ai jamais cru à la clause de compétence générale : après tout, la compétence est donnée par la loi. Laissons donc vivre le mort-vivant...

M. René Vandierendonck, co-rapporteur. - Le Conseil d'État devrait se pencher sur l'hétérogénéité des intercommunalités et la diversité de leurs fonctionnements juridique et financier. La Cour des Comptes a affirmé que ce n'était pas la « collectivité territoriale » qui avait le mieux rationalisé ses dépenses... La notion de chef de file est un progrès. Quand le Conseil constitutionnel déclare que cela consiste à déterminer les modalités de l'action commune, c'est un peu faible ! La compatibilité est hautement nécessaire. Seuls 20 % de notre territoire sont couverts par des Scot. Comment lutter contre l'étalement urbain sans cet outil ?

L'idée en vogue actuellement est que les schémas peuvent être prescriptifs... s'ils sont élaborés en coproduction. Que signifie ce terme en droit ?

M. Éric Doligé. - Les amortisseurs ne doivent pas reproduire, après la suppression de la clause de compétence générale, des situations qui existent aujourd'hui. À cet égard, dans le cadre de la contractualisation État-région, d'autres collectivités sont invitées à apporter des financements pour des compétences qui leur sont étrangères ; mais pas question pour elles de se soustraire à cette contribution, elles seraient montrées du doigt, bannies peut-être. Écrire que les transports scolaires relèvent de la compétence des régions, mais qu'elles pourront déléguer cette compétence aux départements, c'est absurde ! Les décisions du Conseil constitutionnel peuvent-elles être renversées ? Parler de compétence sur l'économie, c'est comme évoquer la ruralité : ces termes sont trop vagues. Les compétences pourront-elles être adaptées à la taille des collectivités territoriales ? Définir un territoire en fonction de sa population et non de sa géographie pose des problèmes. Si j'admire moi aussi la qualité des études du Conseil d'État, je ne suis pas satisfait de ses décisions.

M. Philippe Bas, président. - Les sections administratives sont séparées du contentieux par une cloison étanche...

M. Éric Doligé. - Le fait que les avis ne soient pas publiés réduit la transparence de vos travaux. Bien souvent, vous convoquez le justiciable la veille pour le lendemain...

M. Christian Vigouroux. - Nous sommes attentifs à la cohérence des schémas. Nous rêvons d'un Scot qui soit une synthèse, car c'est la vocation de cet outil. Nous veillons à prendre en compte le rôle de l'État dans la préservation des grandes infrastructures et de leur cohérence. Une vue égalisatrice des intercommunalités serait réductrice. La notion de chef de file apporte une souplesse bienvenue. La coproduction, pourquoi pas ? Il faut simplement préciser clairement qui préside le groupe de travail, qui le réunit, quelle est sa composition et comment sont prises les décisions. Dès 1967, la loi d'orientation foncière prévoyait de la coproduction pour les plans d'occupation des sols. La délégation permet des modulations de responsabilité : une délégation peut être partielle, temporaire, répartie... Cette marge de souplesse est bénéfique, pourvu que les délégations ne volent pas en tous sens, ne soient pas données, reprises, rendues, redonnées. Les compétences, en effet, doivent être précisément définies. Que signifie la compétence sur l'économie : celle-ci inclut-elle les installations industrielles classées, la fiscalité, etc. ? C'est une de nos préoccupations : nous demandons souvent au gouvernement d'être le plus précis possible. Depuis quelques années, la mise à disposition de nos documents a progressé, ils sont même disponibles sur notre site internet.

M. Philippe Bas, président. - Merci. Transmettez également nos remerciements à M. Christian Vigouroux pour la contribution régulière du Conseil d'État à nos travaux.

Nouvelle organisation territoriale de la République - Audition d'entreprises de travaux et de services, partenaires des collectivités territoriales

La commission procède à l'audition, au cours d'une table ronde, d'entreprises de travaux et de services, partenaires des collectivités territoriales.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie d'être présents pour cette audition d'un genre nouveau que nous inaugurons aujourd'hui. Dans le cadre de l'examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, nous avons souhaité élargir le spectre de nos auditions en invitant un échantillon d'entreprises. De nombreux projets d'aménagement, de développement des réseaux de transport ou des voies de communication sont menés dans les collectivités territoriales, qui, de ce fait, sont amenées à traiter avec les entreprises.

La réforme territoriale doit permettre d'apporter de nouvelles réponses aux questions économiques et d'emploi notamment. Nous souhaitons donc connaître votre avis concernant l'impact de cette réforme et les améliorations que vous en attendez.

La commission des lois a d'ores et déjà rencontré les représentants des chambres consulaires et des organisations patronales. Nous nous sommes également rendus à Chartres où nous avons pu rencontrer les représentants de deux pôles pharmaceutique et cosmétique, qui se sont développés sur plusieurs départements et même plusieurs régions.

Avant de vous écouter, il me semble important de rappeler brièvement les grandes étapes du parcours législatif d'un texte au Sénat ou à l'Assemblée nationale. Le projet de loi est d'abord examiné par l'une des commissions permanentes. La commission des lois compte 49 sénateurs. C'est sur le projet de loi modifié issu de ses travaux que le Sénat se prononcera ensuite en séance publique.

La réforme territoriale concernant directement les collectivités territoriales, le Sénat en a été saisi le premier. L'Assemblée nationale délibèrera ensuite sur le texte transmis par le Sénat et non pas sur le projet de loi initial du Gouvernement.

La commission des lois a désigné deux rapporteurs sur ce texte : M. René Vandierendonck pour l'opposition sénatoriale et M. Jean-Jacques Hyest pour la majorité, traduisant ainsi l'esprit de recherche de consensus qui anime nos travaux.

Dans le court laps de temps dont nous disposons, je souhaite que chacun d'entre vous puisse s'exprimer, puisque nous puissions vous poser des questions complémentaires.

M. Bernard Hagelsteen, conseiller du président de Vinci Concessions.- Le groupe Vinci représente 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 190 000 collaborateurs, dont 108 000 travaillent en France, et 266 000 chantiers. Vinci est une grande entreprise ou, plutôt, l'équivalent de plusieurs petites et moyennes entreprises mises ensemble.

Nous nous sentons tout à fait concernés par les dispositions contenues dans ce projet de loi.

Selon une enquête de la Banque Postale, qui dispose d'un département consacré à l'investissement public, le secteur des travaux publics représente 18 % de la dépense totale des collectivités territoriales, tous types confondus.

Nous n'avons pas de commentaires à formuler sur la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités qui pourrait être décidée. Nous travaillerons avec les collectivités que le législateur nous désignera comme interlocuteurs.

Je tiens cependant à souligner trois points.

Tout d'abord, et ce n'est pas nouveau, la France se caractérise par une particulière complexité de son secteur public, avec une certaine lourdeur, alors qu'à l'inverse, dans le secteur privé, les entreprises peuvent prendre des décisions très rapidement. J'en parle d'autant plus librement que je viens moi-même du secteur public.

Ensuite, décider qu'une entité unique, la région, rassemblera l'ensemble des compétences d'entretien et de développement du réseau routier, ainsi que le réseau des transports collectifs, me paraît tout à fait positif et cohérent au regard des enjeux et des besoins dans le domaine des transports.

Enfin, les entreprises s'interrogent sur le temps que prendra cette nouvelle définition des compétences des collectivités territoriales. Les délais ne sont pas neutres. Nous avons un vrai besoin de décisions, d'actions économiques, d'investissements... Le temps qui sera pris pour désigner l'autorité publique compétente va avoir un effet de ralentissement sur la prise de décision et donc un impact économique, puisque les collectivités territoriales sont à l'origine de 70 % des dépenses d'investissement.

Comment sera répartie la dette publique attachée aux différentes compétences transférées ? Pour les lycées, par exemple, qu'adviendra-t-il si les départements ne sont plus compétents ?

Pour 2015, les dépenses d'investissement des collectivités territoriales vont être en baisse. Avec des taux d'intérêts particulièrement bas actuellement, de nouveaux outils pourraient être utilisés par les collectivités. Je pense par exemple à l'idée, développée par l'Institut de la Gestion Déléguée et l'Union patronale des industries routières et de transports, d'un nouveau contrat d'engagement global d'entretien, d'exploitation et d'investissement, portant sur l'ensemble du réseau de transports d'une collectivité territoriale. Un tel contrat générerait une réduction des coûts d'entretien et permettrait ainsi d'accroître les investissements.

Aujourd'hui, nous devons prendre en considération la baisse importante des investissements sur les réseaux routiers non concédés. Ces systèmes de gestion sont d'ailleurs très discutés. Peut-être faudrait-il prévoir leur ouverture, quand celle-ci se fait dans l'intérêt public et permet une amélioration de la qualité du réseau et des infrastructures ?

En dernier point, les discussions autour de la réforme territoriale doivent prendre en compte les évolutions concrètes et pratiques du pays. Aujourd'hui, la moitié de la population française vit en ville, mais la moitié n'habite pas dans les centres-ville. Si on regarde les vingt agglomérations les plus peuplées, les habitants des noyaux urbains bénéficient d'une desserte importante par les transports collectifs ferrés lourds. Plus on s'éloigne du centre, plus le taux de couverture par les transports en commun diminue et l'utilisation de la voiture augmente. Il existe aujourd'hui une véritable fracture sociale entre les habitants du centre et ceux de la périphérie des agglomérations. Nombreux sont les habitants des périphéries qui ont l'impression que les décideurs publics ne se préoccupent pas d'eux. L'utilisation de la voiture génère un véritable encombrement sur les axes routiers qui relient les domiciles aux bureaux.

À cet égard, nous avons deux propositions concrètes. En premier lieu, il serait nécessaire de faire une place plus importante à l'organisation de transports collectifs sur les routes. Les décisions récentes du Conseil d'État vont d'ailleurs dans ce sens, comme en témoigne la décision rendue à propos du tunnel de Toulon. En second lieu, il faudrait développer le covoiturage, qui n'est pas suffisamment utilisé sur les trajets entre domicile et bureau, en raison de la congestion. À ce propos, les véhicules de covoiturage pourraient être autorisés à utiliser les voies réservées aux transports collectifs.

M. Pascal Grangé, directeur général délégué de Bouygues Construction. - Monsieur le Président, je vous remercie de votre invitation. Je représente le groupe Bouygues Construction, qui est un groupe dont la taille est légèrement inférieure, en termes de chiffre d'affaires, à celle de mon prédécesseur.

Par ailleurs, à la différence de Vinci, nous n'exerçons qu'une partie de ses activités, à savoir les bâtiments, les travaux et les chantiers de service public. Nous représentons un chiffre d'affaires annuel de 11 milliards d'euros et la moitié de nos collaborateurs sont localisés en France.

Concernant le projet de loi, nous aurons trois commentaires généraux.

En premier lieu, nous adhérons à l'esprit du texte. Nous croyons en effet qu'aller dans le sens du regroupement et de la mutualisation améliorera la cohérence et l'efficacité des missions à accomplir.

En deuxième lieu, nous souscrivons à l'idée de supprimer les différents étages de compétence générale. En effet, la superposition de celles-ci engendre un flou et une désorganisation peu propices à l'efficacité. Néanmoins, nous sommes vigilants quant au risque de laisser certaines compétences orphelines. À vouloir être trop prescriptif, il ne faudrait pas provoquer chez certaines collectivités territoriales de l'immobilisme.

En troisième lieu, vous le savez, les entreprises visent à la fois le long terme et le court terme. Or, si nous sommes sensibles aux réformes, celles-ci nous inquiètent lors de la période de changement. Dans cette période économique difficile, cette réforme, dont certains ressorts peuvent être incompris, ne doit pas provoquer un immobilisme préjudiciable aux entreprises.

Mme Anne Gourault, directrice déléguée du développement et des relations institutionnelles de Suez Environnement. - Merci de nous avoir invités à cette table ronde. Notre entreprise a deux activités principales : la gestion et la distribution de l'eau, d'une part, et la gestion et le traitement des déchets, d'autre part. Nous avons une ambition internationale, même si 40 % de notre chiffre d'affaires est réalisé en France.

Nous avons deux principales contributions à apporter au débat sur ce projet de loi.

En premier lieu, nous sommes favorables à la régionalisation entreprise par ce texte, notamment le renforcement de la planification régionale en matière de prévention et de gestion des déchets.

En second lieu, nous saluons le renforcement de l'intercommunalité. À notre niveau d'expert des services de l'eau et des déchets, il importe de concilier les deux impératifs de proximité et de planification stratégique. Le renforcement de l'intercommunalité permettra de mieux répondre aux nouveaux enjeux d'investissement, dans un contexte où les collectivités territoriales voient leur budget contraint.

Enfin, ce débat pourrait être l'occasion d'aborder la question des partenariats public-privé, notamment les nouveaux modes d'investissement ciblés par la loi qui a instauré les SEM à opération unique.

M. Didier Imbert, directeur des relations institutionnelles de SITA France. - Je vais aborder en particulier le contenu de l'article 5, qui prévoit une remontée de la planification de la gestion des déchets au niveau régional. Cette disposition s'inscrit dans le contexte de la discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, en particulier de son titre IV relatif à l'économie circulaire. Notre métier demande un haut niveau de planification influencé directement par les directives européennes, qui prévoient à la fois des critères de proximité et d'autosuffisance minimale dans le traitement des déchets. Il nous appartient de définir les infrastructures et les capacités de traitement pour répondre aux besoins des populations en évitant aussi bien le surplus que la sous-évaluation.

Actuellement, la planification des déchets non dangereux se situe à l'échelle départementale et celle des déchets dangereux à l'échelle régionale. Une remontée au niveau régional permettrait d'avoir une vision partagée plus efficace, en particulier dans le domaine de l'économie circulaire. Cette planification intègre plusieurs schémas, dont celui visant à la promotion de la biomasse.

Alors que le débat persiste parmi les collectivités territoriales sur cette régionalisation de la planification, notre profession affiche une position partagée. En effet, l'évolution naturelle des flux de déchets incite à une mutualisation des flux plus intégrée. En effet, l'augmentation des déchets utiles va provoquer un éclatement des flux actuels. Or les centres de tri ne pourront faire face à l'accroissement de la demande d'automatisation que par la mutualisation des flux. Dans les dix prochaines années, la réduction des flux de déchets utiles réduira la rentabilité de certains centres de tri, qui nécessite un seuil critique de 100 000 tonnes.

Si l'effet de massification des flux existe, nous sommes également attachés aux critères de proximité. Dans deux régions, l'Île-de-France et l'Alsace, la planification régionale intègre déjà ces deux critères. Cette régionalisation de la planification pose néanmoins plusieurs difficultés, notamment en raison de la nouvelle carte territoriale.

Les grandes régions créent en effet un risque problématique d'éloignement des territoires. Aussi, nous proposons une transition en deux étapes : dans un premier temps, il s'agira de planification de l'ensemble des capacités de traitement des déchets au niveau d'un grand bassin de vie, voire du département. Dans un second temps, il s'agira de mettre en cohérence les différentes planifications des infrastructures nécessaires, en particulier, pour la stratégie de l'économie circulaire.

Aujourd'hui, nos régions ne sont pas nécessairement prêtes à accueillir un tel niveau de planification, aussi nous vous encourageons à mettre en place un calendrier différé pour ce transfert de compétences.

M. Igor Semo, directeur des relations institutionnelles de la Lyonnaise des Eaux. - Un des objectifs de l'article 14 du projet de loi est de regrouper les différents syndicats intercommunaux, « notamment dans les services de l'eau ». Selon la page 84 de l'étude d'impact, il existe 3 113 syndicats de gestion de l'eau pour un total de 4 600 syndicats intercommunaux. Je vous propose de comparer ces chiffres. Ainsi, 35 000 services publics de l'eau sont attachés aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale. Dès lors, un regroupement des syndicats de gestion de l'eau nous paraît favorable, afin de permettre un meilleur investissement dans le renouvellement du réseau. Nous souhaitons en effet porter cet investissement de 0,6 % par an à 1,5 % par an. Nous pensons que les services des communes isolées devraient être transférés vers des syndicats intercommunaux. Néanmoins, il ne faudrait pas obliger les syndicats intercommunaux qui ont bâti leur légitimité depuis plusieurs années à se regrouper au risque d'une explosion.

M. Thierry Durnerin, directeur général de la Fédération des entreprises publiques locales. - La Fédération des entreprises publiques locales rassemble 997 sociétés d'économie mixte, 217 sociétés publiques locales et bientôt les premières sociétés d'économie mixte à opération unique à la suite de l'initiative du Sénat, il y a un an, qui a abouti à l'adoption de la loi du 18 juin 2014.

Ces entreprises regroupent 60 000 personnes et représentent 13 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Les collectivités locales en sont les créatrices, les actionnaires de référence, les donneurs d'ordre. Bref, les élus en sont les patrons au quotidien. Ces sociétés ont toujours répondu présentes aux rendez-vous de la décentralisation. Elles entendent être, une fois de plus, à la disposition et au service des collectivités locales de demain, avec leurs compétences redéployées, d'autant qu'elles constituent un panel très large d'outils permettant de répondre aux différentes attentes des élus : SEM, SPL et SemOp.

Permettez-moi cependant d'évoquer l'inquiétude des 230 entreprises publiques locales dont l'actionnaire de référence est un conseil général. Elles emploient 10 000 personnes pour un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros dans l'aménagement, le logement, le développement économique, l'énergie, les transports, le tourisme, le haut-débit, etc. La moitié sont au service de l'ensemble des collectivités locales sur le territoire du département - communes, intercommunalités, département lui-même - et sont ainsi l'opérateur de proximité choisi pour mettre en oeuvre certaines compétences. L'autre moitié de ces entreprises travaillent quasi exclusivement pour le département qui les a créées. Dans la réforme à venir, il ne s'agirait pas de jeter le bébé avec l'eau du bain. Il faudrait donc, dans le futur texte, quelques dispositions pour sécuriser et accompagner ces entreprises publiques locales.

M. Alexandre Vigoureux, responsable juridique de la Fédération des entreprises publiques locales. - La fédération n'a pas vocation à se prononcer sur la répartition des compétences. Toutefois, deux éléments nous semblent fondamentaux.

D'abord, il faut avoir une répartition claire, pérenne et stable des compétences pour sécuriser les participations dans les sociétés existantes et à venir. Aujourd'hui se posent déjà des problèmes de nature organisationnelle et capitalistique ; il serait préférable de ne pas en ajouter de nouveaux.

Deuxième élément : dans l'hypothèse de nouveaux transferts entre deux collectivités, il faudra veiller à ce qu'il n'y ait pas de déperdition qui laisserait une société en déshérence, afin que le rôle d'autorité organisatrice des collectivités en charge des compétences puisse continuer à pleinement s'exercer par le biais de ces entreprises. Les entreprises publiques locales sont des opérateurs et non des autorités organisatrices, rôle qu'il revient aux collectivités d'exercer. Il faudrait donc que ces entreprises sachent quelle collectivité est l'autorité organisatrice au service de laquelle elles exercent leur mission. En tout état de cause, il convient d'éviter qu'il y ait des compétences orphelines, que des compétences ou fractions de compétence aujourd'hui investies par des collectivités puissent ne pas être prises en compte dans le spectre des nouvelles compétences.

La fédération accueille très favorablement les logiques de regroupement des compétences : ainsi, la compétence « mobilité », consacrée par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, permet de faire foisonner différents services publics, au bénéfice des entreprises locales, car cela favorise la mutualisation et la création d'entités de taille suffisante.

M. Jean-Jacques Hyest, co-rapporteur. - Sur l'article 5, le but de la loi est bien de clarifier les compétences. Vous avez dit vous-même que l'échelon régional était le plus pertinent, même s'il semble difficile de ne pas consulter les départements. Le schéma régional des déchets ultimes d'Ile-de-France a ainsi été rejeté par le conseil général de Seine-et-Marne. En tout état de cause, le transfert ne sera pas immédiat et laissera le temps de s'adapter.

Bien entendu, il y aura beaucoup d'amendements pour nous demander de tout changer pour ne rien changer, comme pour les lois de décentralisation précédentes...

Concernant les compétences qui seraient oubliées, supprimer la clause de compétence générale revient bien à attribuer une compétence à une collectivité, de sorte que les autres ne peuvent plus l'exercer. Mais si, pour un domaine de compétence précis, il n'y a pas de disposition particulière, les collectivités pourront toujours prendre des initiatives.

Concernant les entreprises publiques locales, vous êtes opérateurs. Il y aura peut-être des restructurations, mais cela s'est toujours fait : ainsi, dans le domaine du logement social. Imaginons une SEM locale ou départementale aménageur de zones d'activité pour des collectivités locales ; ce n'est pas parce que la compétence économique revient à la région que les communautés de communes ou d'agglomération ne vont plus opérer sur le terrain. La région planifie mais ce n'est pas elle qui va s'occuper de telle ou telle zone d'activité économique. Certes, si le département n'est plus compétent, ce sera peut-être la communauté d'agglomération qui prendra le relais. Mais c'est la vie, réforme territoriale ou pas ! Les SEM ont évolué, connu des heurs et des malheurs...

La dernière innovation du Sénat parle bien d'un objet unique : la collectivité ne créera pas une société si elle n'a pas la compétence correspondante. Il y aura peut-être quelques exemples où la société n'aurait plus de raison d'être à la suite de la réforme mais ce ne sera pas le cas le plus fréquent.

M. René Vandierendonck, co-rapporteur. - Le problème est de construire les évolutions à venir. Vous voulez sécuriser certaines choses à l'occasion de ce projet de loi. En janvier, il y aura également le projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte. Certains pourraient également en profiter pour suggérer des dispositions supplémentaires. Il existe également une directive européenne sur la commande publique : peut-être que sa transposition serait l'occasion de mettre en cohérence l'ensemble de ces questions. Quoi qu'il en soit, nous avons bien compris vos préoccupations.

La compétence économique va certes aller à la région, mais il y aura un débat sur les contours : qui sera chargé de l'insertion par l'économique, le département au titre de sa compétence sociale ou la région au titre de sa compétence économique ? Comment voyez-vous la place de l'économie sociale et solidaire et de l'insertion par l'économique dans cette nouvelle summa divisio entre région et département ?

M. Didier Imbert. - Nous pratiquons l'insertion par l'économique depuis très longtemps. Nous avons des partenariats avec des entreprises et des associations d'insertion, notamment dans le secteur du tri des déchets.

A l'occasion du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire, des dispositions sur la responsabilité élargie du producteur ont été introduites, obligeant les éco-organismes chargés de gérer les filières à prévoir, dans leurs cahiers des charges, une part réservée à l'insertion. Dans le volet « économie circulaire » du projet de loi relatif à la transition énergétique pour une croissance verte, il est également prévu que les activités liées au réemploi soient réservées à l'insertion. Je n'ai pas d'avis sur le niveau le plus pertinent d'exercice de cette compétence. Je remarque en revanche que les entreprises d'insertion ont compris qu'elles avaient besoin de sorties sur emploi marchand. Il ne faut pas arriver à un système qui détruirait des emplois marchands au profit des emplois solidaires, même si ceux-ci sont tout à fait nécessaires.

La réunion est levée à 19 h 15