Mercredi 16 décembre 2015

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Conséquences du traité transatlantique pour l'agriculture et l'aménagement du territoire - Examen du rapport et du texte de la commission

La réunion est ouverte à 10 h 03.

Mme Sophie Primas. - Ce n'est pas la première fois que notre commission examine le partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement (PTCI) entre l'Europe et les États-Unis et se penche sur le volet agricole des discussions.

Avant le lancement des négociations en juin 2015, une proposition de résolution avait été adoptée, pour demander, non pas l'exclusion de l'agriculture du champ des discussions, mais un traitement spécifique.

En février dernier, nous avons débattu en séance du PTCI (en anglais : TTIP) et adopté une résolution européenne réclamant davantage de transparence dans les négociations ainsi que la révision du volet relatif au règlement des différends entre investisseurs et États par la voie d'arbitrages privés. Depuis, l'Europe et les États-Unis ont avancé sur un nouveau dispositif de règlement des différends, permettant la poursuite des discussions.

Le mois dernier, la commission des affaires européennes a adopté une nouvelle proposition de résolution européenne centrée exclusivement sur les enjeux agricoles, sur la base d'une proposition de notre collègue Michel Billout.

L'enjeu agricole n'est certainement pas le plus lourd sur le plan économique : les exportations de produits agricoles des États-Unis vers l'Europe représentent 13 milliards de dollars sur les 140 milliards d'exportations américaines. Les exportations européennes vers les États-Unis pèsent presque 20 milliards de dollars sur les 117 milliards d'importations américaines.

La question agricole n'en reste pas moins sensible des deux côtés de l'Atlantique, avec le souci d'une part de développer les exportations mais d'autre part de ne pas déstabiliser l'économie agricole des deux zones.

Mon intervention sera divisée en trois parties : la première sur les risques pour l'élevage qu'entraîne le TTIP ; la deuxième sur les attentes (ou intérêts offensifs) de la France et de l'Europe ; la dernière sur les interrogations sur la méthode de négociation.

La libéralisation des échanges entre Europe et États-Unis constitue une menace directe et forte pour notre élevage allaitant.

La France détient un tiers du cheptel allaitant européen (4 millions de bêtes) et assure 20 % des abattages totaux dans le secteur de la viande bovine (y compris réforme laitière).

Le modèle européen est constitué de petites exploitations, avec des animaux essentiellement nourris à l'herbe alors que le maïs génétiquement modifié constitue la ration de base des gros bovins aux États-Unis. Le modèle européen est à la fois plus vertueux sur le plan environnemental, davantage pourvoyeur d'emplois et il contribue à l'occupation des territoires ruraux, en particulier dans les zones où les terres sont peu riches.

L'Europe est presque autosuffisante en viande bovine : elle consomme 7,6 millions de tonnes équivalent carcasse et n'importe que 330 000 tonnes (tout en exportant 240 000 tonnes).

De leur côté, les États-Unis produisent 11 millions de tonnes équivalent carcasse de viande bovine, ce qui correspond à peu près à leur consommation.

Ils n'exportent vers l'Union européenne que 23 000 tonnes, dans le cadre d'une filière spécifique de boeuf sans hormone qui peut accéder au marché européen sans droit de douane, dans le cadre d'un accord conclu en 2009 pour solder le contentieux ouvert sur le sujet à l'OMC.

Si la conjoncture est tout à fait particulière aujourd'hui aux États-Unis, avec des prix plus élevés qu'en Europe et des conditions de change défavorables, la filière de production de viande de boeuf américaine dispose d'avantages importants sur la filière européenne :

- une taille des élevages et des abattoirs beaucoup plus importante, qui permet de disposer d'économies d'échelle ;

- un système garantissant la sécurité sanitaire en fin de chaîne à travers l'application d'acide lactique sur les carcasses, alors que le système européen impose des exigences sanitaires tout au long de la chaîne d'abattage, plus contraignantes ;

- la possibilité d'utiliser des accélérateurs de croissance : hormones, antibiotiques ;

- une moindre attention au bien-être animal.

Au final, la production de viande bovine est beaucoup plus compétitive aux États-Unis qu'en Europe, le différentiel calculé par l'Institut de l'élevage entre France et États-Unis étant estimé dans une étude récente à 1,83  € par kilo de carcasse.

Il va donc de soi qu'une ouverture totale des marchés constituerait une menace majeure pour les producteurs européens.

Par ailleurs, les américains consommant davantage de morceaux issus des avants des bêtes et délaissant l'aloyau, ce seraient ces pièces nobles, surnuméraires pour le marché intérieur américain, qui arriveraient en premier sur le marché européen et feraient baisser les prix considérablement.

Outre l'élevage, d'autres productions comme les céréales ou l'amidon pourraient être menacées par une ouverture totale des marchés, à travers la suppression des droits de douane. La protection offerte aux sucres spéciaux venant d'outre-mer pourrait aussi être victime des négociations du TTIP.

Si la conclusion du TTIP est porteuse de risques, elle peut aussi créer des opportunités. L'Europe et la France ont en effet des « intérêts offensifs » dans le secteur agricole mais aussi en dehors :

On peut d'abord rappeler que l'Europe et la France exportent d'ores et déjà des vins et spiritueux, ce qui contribue positivement à notre commerce extérieur. Mais sur ce point, nos attentes consistent plutôt à mieux protéger non indications géographiques. L'intérêt offensif de l'Europe consiste donc à faire reconnaître notre système de protection collective des indications géographiques, là où les américains ne reconnaissent que les marques.

Il existe des attentes également en matière de produits laitiers, en particulier de fromages, qui sont aujourd'hui taxés ou qui font l'objet d'obstacles non tarifaires.

Enfin, l'Europe et la France peuvent attendre du TTIP une ouverture accrue du marché américain aux autres produits et services : les marchés publics ou encore les services bancaires ou d'assurance sont aujourd'hui difficiles d'accès pour des opérateurs économiques non américains.

J'en viens maintenant à nos interrogations sur la méthode de négociation.

Un accord a été trouvé pour supprimer les droits de douane sur 97 % des lignes tarifaires existantes. Les États-Unis souhaitaient une ouverture moindre des lignes tarifaires en début de négociation. Mais leurs droits sont en moyenne plus faibles que les nôtres (6,6 % contre 12,2 %). Cette ouverture de leur part constitue donc en apparence une concession importante.

Or, toute concession suppose des contreparties : les États-Unis souhaitent pouvoir exporter des produits agricoles génétiquement modifiés sans devoir le mentionner, ce qui se heurte aux « préférences collectives » de l'Europe.

Il paraît au final assez difficile de faire aboutir toutes nos revendications offensives comme défensives (reconnaissance des indications géographiques, obligation d'étiquetage des produits génétiquement modifiés, interdiction d'importation de boeuf aux hormones, maintien de contingents ou de droits de douanes sur les produits sensibles, levée des obstacles non tarifaires).

Une des inquiétudes de l'Europe pourrait résider dans le déséquilibre des engagements : la suppression de droits de douane en Europe faciliterait l'accès des américains à notre marché, mais en contrepartie, quelles garanties auraient les européens que les barrières non tarifaires seraient levées aux États-Unis ? Il est inutile de faire baisser les droits de douane si, au final, des raisons sanitaires empêchent d'exporter.

Le calendrier de la négociation constitue un autre facteur d'inquiétude : en juin dernier, le Congrès américain a décidé qu'il se prononcerait par un vote bloqué sur les traités transatlantique et transpacifique (fast track).

Les négociations sur le traité transpacifique ont abouti le 5 octobre dernier. Les négociations sur le TTIP devraient s'accélérer en vue d'aboutir avant la fin de l'administration Obama. Le Conseil des ministres de l'Union européenne de la fin 2014 avait appuyé l'idée d'une conclusion rapide du TTIP, si bien qu'il existe désormais une volonté d'aboutir des deux côtés, qui devrait se concrétiser à partir de mars 2016 avec le douzième « round » de négociation. 2016 sera une année décisive.

Or, les questions agricoles constituant un point de blocage, elles sont mises de côté dans la négociation, qui avance sur les autres points. Il existe donc un risque en fin de négociation de sacrifier l'agriculture s'il s'agit du seul point encore en débat.

La proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui rappelle que le sacrifice de l'agriculture ne constitue pas une perspective acceptable.

Si la proposition de résolution ne demande plus le retrait du volet agricole des négociations : elle indique que tout accord doit être subordonné au maintien d'un haut niveau de sécurité sanitaire pour les consommateurs, et à la préservation du secteur de l'élevage en France.

La proposition de résolution comporte également des exigences en matière de transparence des négociations et d'information des parlementaires. À cet égard, la demande d'étude d'impact du TTIP est de nouveau formulée, car il n'est pas acceptable de prendre des engagements dont les conséquences ne seraient pas ou mal évaluées.

En outre, le texte indique qu'il ne faut pas faire de concessions sur le contenu de l'accord, sous prétexte de le conclure plus rapidement.

Les positions exprimées dans cette proposition de résolution rejoignent celles toujours exprimées par notre commission des affaires économiques, tous groupes confondus.

À l'issue des rounds de négociation déjà achevés, le TTIP continue à susciter de nombreux doutes, de nombreuses interrogations. À l'évidence, il est indispensable de classer la viande dans la liste des secteurs sensibles protégés par des droits et douane et/ou des contingents, afin de conserver des garde-fous sans lesquels l'avenir de l'élevage allaitant français risquerait d'être fortement compromis.

À l'évidence aussi, les contreparties américaines à un accord transatlantique devraient être substantielles, et passer par la levée de barrières non tarifaires qui font aujourd'hui obstacle aux exportations européennes, en particulier dans le secteur laitier.

L'équilibre des engagements réciproques constitue en effet la condition d'une acceptation possible de l'accord. Il est toujours préférable qu'il n'y ait pas d'accord plutôt qu'un mauvais accord au détriment des intérêts européens et plus particulièrement français.

Cette proposition de résolution rappelle à juste titre ce principe fondamental. C'est la raison pour laquelle je vous propose de l'adopter sans modification, dans la rédaction issue des travaux de la commission des affaires européennes.

M. Michel Billout. - Je remercie madame le rapporteur pour son travail. Je me félicite qu'il soit possible d'affirmer une position commune sur ces questions. Ce n'est pas la France qui négocie ce traité, c'est la Commission européenne et ses experts. Sachant toute la difficulté que les parlementaires européens -et a fortiori nationaux- ont à accéder aux informations sur la négociation et à se faire entendre, il est particulièrement important de ne pas nous diviser pour ne pas affaiblir la position de la France. Je trouve que le secrétaire d'État en charge du commerce extérieur travaille de très bonne façon pour faciliter l'action de la représentation nationale dans ce domaine.

M. Alain Chatillon. - J'approuve ce qui a été dit.

J'ajouterai simplement que la France a un effort à faire dans le sens de la simplification normative et fiscale. J'émets le voeu qu'une journée par mois voire deux, nous, parlementaires, puissions travailler à simplifier les normes afin de combler notre retard de compétitivité sur les autres pays européens. Considérez la taxe sur les abattoirs. Ne contribue-t-elle pas à expliquer que les animaux élevés dans le nord de la France soient dirigés en Allemagne pour y être abattus ?

Il serait souhaitable également que certains pays européens ne jouent pas le billard à deux bandes. Je pense à nos amis britanniques. Combien reçoivent-ils chaque année de compensation au titre de la politique agricole commune depuis que Mme Thatcher a obtenu de l'Europe ce fameux « chèque » ? J'ai le chiffre de 4,6 milliards d'euros par an. Je voudrais que cela nous soit précisé. Cela handicape nos entreprises agricoles de manière intolérable. Il faut remettre ceci en cause.

Mme Élisabeth Lamure. - Je partage la conclusion de notre rapporteur. Mieux vaut ne pas avoir d'accord qu'un mauvais accord. Ce traité me paraît très dangereux pour notre agriculture et, au-delà, pour notre alimentation et notre modèle alimentaire, pas seulement notre modèle gastronomique, mais plus largement celui de la table française au quotidien. Il y a un risque d'uniformisation alors que nous sommes le pays de la diversité.

M. Franck Montaugé. - Au nom de mon groupe je remercie Michel Billout et les membres du groupe CRC qui sont à l'origine de cette proposition de résolution européenne (PPRE). Au-delà de ses conséquences sur l'agriculture et les industries agroalimentaires (IAA), nous considérons que le TAFTA nécessite de la part de la représentation nationale une vigilance particulière compte tenu de ses enjeux économiques, démocratiques, sanitaires et sociétaux. Par son exposé des motifs et son contenu, cette PPRE est pertinente. Nous nous associons aux appréciations positives et aux propos des rapporteurs de la commissions des affaires européennes, comme à ceux que vient d'exprimer notre rapporteur.

Quels sont les enjeux chiffrés ? L'agriculture et les IAA représentent 3,6 % du PIB français, soit 76 milliards d'euros de valeur ajoutée. En 2013, sur 59 milliards d'euros exportés par ce secteur, un peu moins de 3 l'ont été vers les États-Unis ; quant aux 48 milliards d'euros d'importation agricoles, un peu moins de 1 milliard d'euros provient des États-Unis. Par rapport aux USA, le solde positif pour la France en 2013 est donc de près de 2 milliards d'euros. Le TAFTA va-t-il nous permettre d'accroitre ce solde positif ?

En tout état de cause, agriculture et agroalimentaire ne doivent pas être les variables d'ajustement de la négociation de ce traité. Sur le fond, l'analyse fine des conséquences possibles sur les différentes filières agricoles et agroalimentaires se heurte, comme tous les rapporteurs l'ont souligné, à l'absence d'objectifs quantitatifs autres que celui de libéraliser les échanges et au manque de données chiffrées résultant des différentes hypothèses de négociation.

Certaines filières ont des intérêts offensifs comme celles des produits laitiers et des vins et spiritueux, d'autres doivent absolument se défendre comme celle de la viande.

Faute d'étude d'impacts, nous sommes dans l'impossibilité d'apprécier les effets de la levée, progressive ou pas, des barrières douanières ou non douanières. Nous ne savons pas la place qui est réservée à ces secteurs dans le cadre global de négociation et on peut à ce stade craindre, compte tenu de leur poids, que l'agriculture ou certaines de ses filières soient la variable d'ajustement de cette négociation.

En effet, 2 milliards d'euros de solde actuel à notre avantage pourraient être considérés comme presque négligeable par rapport à l'enjeu économique et financier global du traité.

Plus de clarté et de transparence sont absolument nécessaires. Le secrétaire d'État au commerce extérieur M. FEKL s'est engagé là-dessus. Les parlementaires, comme nos concitoyens, ont besoin de ces éléments pour soutenir notre agriculture, ses emplois et les territoires ruraux qui en sont grandement dépendants.

Pour notre groupe, outre la couverture de ce risque d'instrumentalisation de l'enjeu agricole français, un certains nombres de points doivent absolument être pris en compte dans la négociation :

- les préférences collectives relatives aux normes sanitaires et phytosanitaires, environnementales, la protection des consommateurs doivent rester un point incontournable ;

- la reconnaissance et la protection des indications géographiques, essentielle pour le fleuron de nos exportations que sont les vins et spiritueux, doivent être effective ;

- les produits classés sensibles dont l'enjeu pour la France est de préserver sa filière bovine doivent être préservés. Il faut pour cela éviter que des contingents tarifaires à droits réduits ou nuls ne soient accordés aux USA ;

- il faut prendre le temps nécessaire pour que la négociation aboutisse à un accord équilibré ne sacrifiant aucune filière.

Quelles seraient les conséquences d'une exclusion du secteur agricole et agroalimentaire de ce traité ? En réalité nous ne le savons pas. Les parlements nationaux et européens auront à se prononcer sur le traité final. Inscrire d'emblée la possibilité d'une « demande d'exclusion » du volet agricole du traité ne nous parait pas souhaitable. Elle serait aussi, probablement, juridiquement non recevable.

Pour ces raisons et en saluant une nouvelle fois le travail de nos collègues, le groupe socialiste et républicain soutient cette PPRE.

M. Gérard Bailly. - Je partage moi-aussi les conclusions de ce rapport, ainsi que les propos d'Elisabeth Lamure.

Je suis très pessimiste sur la situation de l'élevage dans notre pays. La conjoncture est catastrophique. Je vous lis les cotations établies dans ma région en date du 7 décembre. « Gros bovins morts - entrée abattoir Centre-Est : baisse dans les femelles toutes catégories ». « Gros bovins de boucherie à Saint-Christophe en Brionnais : peu de commerce, vente difficile avec de nombreux invendus ». « Bovins de boucherie de Bourg-en-Bresse : peu de demande, ventes toujours mauvaises ». « Bovins laitiers : peu de ventes ». Je vous fais grâce de la liste complète de toutes les tendances enregistrées, car elles vont toutes dans le même sens, alors même que les cours sont déjà très bas.

La situation du marché du porc n'est pas meilleure. Les dernières cotations donnent un cours de 1,067 euros par kilo, loin des 1,40 euros par kilo qu'il serait souhaitable d'atteindre.

Même situation sur le marché du lait : des cours bas et un panorama européen inquiétant. Le prix du lait en France ne permet pas aux exploitations laitières de survivre, mais ce prix est cependant supérieur à celui qui se pratique dans les autres pays européens : Irlande, Allemagne, Pays-Bas... Seule l'Italie se situe à des niveaux de cours supérieurs à la France.

Comment sortir de cette situation ? Les prévisions font état d'une réduction d'un tiers du nombre des exploitations dans les dix ans. Renforcer notre compétitivité est impératif. Il faut aller plus loin dans les baisses de charge, dans la simplification des normes. Le traité transatlantique, dans ce contexte, risque de constituer un facteur de perturbation supplémentaire.

Je voudrais interroger notre rapporteur pour savoir quelle est la position des autres pays européens dans cette négociation.

M. Joël Labbé. - Je salue l'initiative de cette PPRE, ainsi que la qualité du rapport.

Si je suis inquiet, je ne serai pas aussi pessimiste que mon collègue Gérard Bailly, mais d'un optimisme combatif. J'estime que les produits agricoles et alimentaires devraient être sortis du traité. Il est totalement incohérent de les y intégrer alors que l'on vient de conclure la Cop 21 ! L'opinion publique doit se saisir de ce dossier ; elle doit être mobilisée. Les organisations non gouvernementales (ONG) ne le laisseront pas passer en tout cas, tout comme les élus les plus lucides.

L'avenir n'est pas dans la course à la compétitivité, mais dans la relocalisation des productions. Est-il normal que le soja produit sur les terres sud-américaines et destiné à l'alimentation de notre bétail y occupe un million d'hectares par an ? Il est insensé de défricher à cet effet la forêt équatoriale ! Certes, les banques et sociétés d'assurance françaises sont intéressées par ce marché, mais où est alors l'intérêt général ?...

M. Michel Le Scouarnec. - Nous soutenons la proposition de résolution. Il y a une profonde contradiction entre la libéralisation des marchés et l'esprit de la Cop 21. La première va en effet contribuer à accroître la pollution et aggraver les difficultés que nous éprouvons à maîtriser les volumes et les prix. Il s'agit là d'un combat de long terme.

M. Daniel Dubois. - Je félicite la rapporteure de la qualité et de la précision de son travail.

Nous avons, en France, beaucoup d'imagination et de créativité, mais il conviendrait d'utiliser ces atouts pour simplifier la vie de nos entreprises.

Notre agriculture va vivre un début d'année très difficile, il faut en être conscient.

Ce traité est d'une grande importance, et je suis d'accord pour ne pas le signer s'il n'est pas conforme à nos intérêts. Mais continuons à négocier, sans céder sur certains points essentiels, tels que la commercialisation des vins. Outre les aspects tarifaires, l'enjeu de l'exception demandée pour les produits français est capitale.

Attention à ce que les États-Unis, une fois ces accords signés, ne créent d'autres barrières douanières, sanitaires notamment.

Notre groupe votera cette PPRE à l'unanimité.

M. Daniel Gremillet. - Je salue à mon tour la qualité du rapport. Sont ici en jeu des problématiques touchant à notre agriculture, à nos entreprises agroalimentaires, mais aussi, et plus largement, à la société dans son ensemble. Il serait suicidaire de calquer le contenu de la politique agricole commune (PAC) sur celle menée outre-Atlantique.

Il ne faut pas se limiter à la protection des appellations, mais aller au-delà. La question de la compétitivité de notre agriculture par rapport à la concurrence demeure essentielle et stratégique. Nous sommes passés d'une situation de fragilité alimentaire dans l'après-guerre, à une situation d'autosuffisance et d'excédents de la balance commerciale dans ce secteur, avant de voir certaines productions devenir déficitaires. Les filières « viande » et « produits laitiers » doivent faire l'objet d'une attention particulière.

M. Martial Bourquin. - La négociation de ce traité résulte de l'échec du cycle de Doha. Les États-Unis comme l'Union européenne craignent les exportations chinoises. L'ouverture de nos marchés intérieurs respectifs est une réponse. Mais l'agriculture, comme l'énergie au demeurant, sont des secteurs particuliers de ce point de vue, car mettant en jeu notre indépendance.

Les États-Unis se sont montrés très fermés lors des négociations. Ils ont taxé les yaourts à 40 % et les fromages frais à 33 %. Nous avons répliqué en taxant la viande bovine à 66 %. Si les restrictions non tarifaires sont essentielles, la problématique de la certification l'est également, comme l'illustre la plainte de l'Italie contre les États-Unis en ce qui concerne le Parmesan. Nos indications géographiques sont directement concernées.

Il s'agit là d'une bonne PPRE, et je me félicite de l'unité de la commission sur ce dossier. Mais je déplore le manque de transparence des négociations, qui pourrait affecter la situation de l'agriculture et de l'agroalimentaire dans son ensemble. Il y a là quelque chose d'effarant du point de vue des droits des citoyens.

L'approche qualitative de l'agriculture sera cruciale, plus encore que celle s'attachant aux volumes. C'est un véritable dumping qui se prépare aujourd'hui. Nous avons abordé, dans notre récent rapport d'information sur la commande publique, la question du droit européen. Les tribunaux arbitraux pourront-ils balayer d'un revers de main les règles sur les indications géographiques protégées (IGP), mettant ainsi à bas nos produits de qualité ?

M. Jean-Jacques Lasserre. - C'est une erreur, à mon sens, de croire que l'on pourrait relocaliser toutes les productions. Il nous faut, au contraire, nous relancer dans la compétition, tout en protégeant nos avantages concurrentiels, et notamment les signes de qualité, tout comme notre approche du consommateur, qui diffère notablement de celle ayant cours aux États-Unis.

Il existe un risque de camouflage des particularismes de notre agriculture par l'analyse macro-économique ; il nous faut obtenir des analyses plus fines. Cela requiert une structure de veille permanente.

Notre groupe votera cette PPRE sans réserve.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Nous voterons également cette proposition.

Il faut demander immédiatement l'arrêt des négociations. S'il profitera sans doute à l'Allemagne et aux États-Unis, ce traité va en effet être très défavorable à l'agriculture française. L'exception culturelle, les appellations contrôlées, c'est très bien. Mais cela n'empêche pas le déficit dans les échanges extérieurs, notamment en matière agricole.

L'accord conclu par l'Union européenne avec le Canada est déjà révélateur à cet égard. Je suis d'accord pour que l'on favorise l'échange, mais de façon encadrée.

L'accord du GATT devait nous permettre d'accroître notre commerce extérieur ; en fait, il a contribué à sa réduction. Il faut donc stopper les négociations en l'état, et demander un référendum sur la conclusion de l'accord. Les négociateurs américains se trouveront ainsi contraints de donner davantage de garanties à notre pays.

M. Philippe Leroy. - Les précédentes interventions montrent que le problème n'est pas simple. Comme j'ai eu l'occasion de le faire observer au Gouvernement, les parlementaires nationaux ne sont pas bien informés du processus de négociation et notre commission des affaires européennes, dont j'approuve les conclusions, joue ici un rôle particulièrement utile.

Ceci étant rappelé, je souhaite exprimer, peut-être de manière un peu trop directe mais sans vouloir froisser quiconque, la crainte que notre modèle agricole ne soit un peu trop hexagonal : à l'évidence, ce modèle ne prévaut pas en Europe et, en particulier, il n'est pas partagé par les allemands.

Adepte convaincu de la gastronomie française et de l'agriculture traditionnelle, je considère cependant que nos conceptions sont encore imprégnées des schémas de l'après-guerre avec, par exemple, la pensée des mouvements de la Jeunesse agricole chrétienne. Certes, notre agriculture a très bien réussi en défendant nos terroirs, nos appellations et les petites exploitations familiales. Aujourd'hui, il nous faut préserver ces acquis mais aussi être capables d'adopter des méthodes agricoles plus modernes si nous voulons demeurer compétitifs. Je risque de faire bondir certains mais le repli défensif ne suffira pas et il nous faudra accepter la cohabitation avec des structures de grande taille, comme la ferme des mille vaches, pour nous porter avec succès sur les marchés mondiaux. Nous devons donc revisiter nos conceptions agricoles : telle est la nuance que je souhaitais exprimer dans ce débat.

M. Yannick Vaugrenard. - Je rappelle que le Traité Transpacifique est également en cours de négociation et il faut signaler les inconvénients qui pourraient résulter de cet accord si le Traité Transatlantique dont nous parlons aujourd'hui venait à ne pas aboutir : la lucidité est ici indispensable.

Quatre points doivent être également soulignés. Tout d'abord le manque de transparence du processus est évident, y compris à l'égard du Parlement européen. En second lieu, je souligne l'insuffisance de la réciprocité : la faiblesse des propositions américaines depuis un an amène d'ailleurs à s'interroger sur la volonté d'aboutir des États-Unis. En troisième lieu, il est essentiel de ne pas remettre en cause le niveau de sécurité sanitaire et alimentaire. Enfin, j'insiste à mon tour sur la nécessité d'une étude d'impact pour mesurer les répercussions du Traité.

Si l'une de ces quatre garanties ne figurait pas dans le Traité, il faudrait alors nous poser la question de l'opportunité d'y maintenir un volet agricole. Au final, les parlements nationaux devront se prononcer et, même en l'absence de référendum dont l'organisation présente des risques de simplification, je ne doute pas qu'au moins l'un d'entre eux s'opposerait à la ratification d'un traité qui ne satisferait pas à l'une des conditions que j'ai évoqué. Au final je me félicite du consensus qui se manifeste en faveur d'une grande vigilance dans ces négociations sans pour autant partir avec un préjugé systématiquement défavorable.

M. Bruno Sido. - Je rappelle que, de manière générale, le commerce international procure globalement un gain économique et un enrichissement mutuel des partenaires à l'échange. S'agissant de ce projet de Traité transatlantique, comme cela a été largement souligné, nous n'en connaissons pas avec suffisamment de précision le contenu y compris pour mesurer les éventuels dangers qu'il comporte pour notre agriculture. Sur ce dernier point, je fais observer, sans nostalgie excessive, que l'évolution de ce secteur a été considérable : ainsi en Haute-Marne le nombre d'agriculteurs est passé de 3000 dans les années 1970 à 700 aujourd'hui avec une nature encore plus belle qu'autrefois. De plus on dit souvent - même si on ne le pense pas réellement - que la qualité du lait d'une ferme de mille vaches est au moins aussi bonne que la production d'une petite étable. C'est une réalité et il en va de même pour la viande ou les céréales, sans quoi ces produits ne se vendraient pas. L'augmentation de la taille des exploitations n'entraine donc pas nécessairement une baisse de qualité. J'ajoute, en me souvenant de ma qualité d'ancien syndicaliste agricole, que les agriculteurs n'ont pas vocation à devenir des « sous smicards » : c'est un point fondamental car nos agriculteurs sont aujourd'hui des entrepreneurs très bien formés et ils ont droit à un revenu convenable. Je conclus en rappelant que la vigilance est bien entendu nécessaire dans la négociation de ce traité et que chaque État a le devoir de veiller à défendre ses intérêts.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je vous remercie de votre invitation et je rappelle que nos deux commissions ont mis en place un groupe de suivi commun du traité transatlantique. Je me félicite de la convergence de vue de nos deux commissions.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je salue à mon tour la qualité des interventions et tout particulièrement la volonté de défendre notre élevage qui se manifeste dans la proposition de résolution. Je participe au groupe de suivi des négociations de ce traité et me suis rendu à la dernière réunion présidée par le ministre Mathias Fekl : nous y avons souligné l'exigence de transparence des négociations, faute de quoi il faudrait y mettre un terme. Je précise que, d'après les indications du ministre, les conditions matérielles imposées aux représentants du Gouvernement pour prendre connaissance des pièces du dossier de négociation sont inacceptables avec une surveillance très stricte et l'interdiction de prendre des notes. Comme cela se profilait déjà depuis plusieurs mois, le Gouvernement est prêt à aller jusqu'à la rupture des négociations si des changements n'interviennent pas rapidement pour remédier à ce défaut de transparence.

Sur le fond, je rejoins l'opinion qui a été exprimée : mieux vaut sortir la question de l'élevage des négociations si le risque est trop élevé pour nos agriculteurs. Je signale un fait révélateur : lors de notre déplacement en Australie, les États-Unis qui connaissaient un déficit en viande l'ont compensé en important des produits australiens et sud-américains sans solliciter la France. L'extrême vigilance est donc de mise dans les négociations et, à la limite, la rupture est préférable à un accord qui serait déséquilibré.

Mme Sophie Primas. - Je remercie l'ensemble des intervenants. Plusieurs points ont été abordés. Tout d'abord, notre agriculture doit devenir plus compétitive et l'adoption par le Sénat de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire présentée par le Président Jean Claude Lenoir va dans le bon sens. D'importants efforts devront être consentis pour valoriser la qualité de nos produits et, dans ce domaine, il faut défendre les indications géographiques qui sont un marqueur essentiel pour notre agriculture. L'exportation est cependant très importante pour nos agriculteurs et il ne faut donc pas s'opposer au principe même des négociations. Reste qu'il n'est pas possible d'avancer dans les discussions sans étude d'impact précise.

En ce qui concerne les autres pays européens, les intérêts de l'Allemagne sont de plus en plus éloignés des nôtres. L'Italie et l'Espagne veulent accélérer les négociations parce que leur intérêt est de favoriser à travers leurs exportations le redressement de leurs économies. Le Royaume-Uni est, pour sa part, de sensibilité plus libérale et ses préoccupations en matière agricole sont limitées. Dans ce contexte, les positions que nous prenons aujourd'hui sont très importantes pour conforter notre Gouvernement dans sa stratégie de négociation et pour qu'il puisse conditionner l'accord de la France à la préservation des intérêts fondamentaux de nos agriculteurs.

La transparence est, nous l'avons largement évoqué, un point clef. L'obstination du Gouvernement dans ce domaine a permis d'obtenir des avancées : collectivement, nous avons d'abord obtenu la publication du mandat de négociation dont nous n'avions pas connaissance, ensuite des comités de suivi stratégiques ont été mis en place avec vingt groupes de travail qui se réunissent chaque mois, et enfin, des comptes rendus de cycles de négociation sont publiés sur internet. Cette transparence a nécessairement des limites et nous comprenons bien que certains éléments puissent rester confidentiels comme les marges de négociation et des contreparties envisageables sur tel ou tel aspect.

M. Joël Labbé. - Je souhaite que le volet relatif aux produits agricoles et alimentaires sorte de l'accord. Je crains également, avec la montée de l'extrême droite qui s'appuie sur une véritable désespérance sociale, qu'on en vienne à simplifier les enjeux de manière excessive. L'essentiel est que l'opinion publique française et européenne ne doivent pas se sentir déconnectées de nos travaux et j'approuve l'excellente idée du référendum sur ce sujet. Le commerce international est aujourd'hui devenu excessivement dérégulé : il y aura deux milliards d'Africains en 2050 et il nous faut tirer les leçons de la COP21 en favorisant un commerce international durable et bien cadré au plan environnemental.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je consulte la commission sur le rapport présenté par notre collègue Sophie Primas.

Il est adopté à l'unanimité.

La proposition de résolution est adoptée sans modification

La réunion est levée à 11 h 26.