Mardi 21 juillet 2020

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie - Examen des amendements au texte de la commission

M. Philippe Bas, président- Je constate qu'aucun amendement n'a été déposé sur la proposition de loi visant à homologuer des peines d'emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine - Examen des amendements au texte de la commission

M. Philippe Bas, président. - Nous examinons les amendements au texte établi par la commission sur la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 3

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - L'amendement n°  5 est un amendement de coordination qui vise à tenir compte, pour l'application outre-mer, de l'entrée en vigueur de la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales préalablement à l'adoption de la présente proposition de loi.

L'amendement n° 5 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - L'amendement n°  3 est contraire à la position de la commission. Il vise à supprimer toute caractérisation de la notion de dangerosité, que nous nous sommes au contraire efforcés de définir avec précision. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Le pointage est une nécessité demandée par tous les services. Avis défavorable à l'amendement n°  1.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - L'amendement n°  4 tend à revenir sur l'allongement à deux ans de la durée de la mesure. Il est contraire à la position de la commission. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Je vous propose également de donner un avis défavorable à l'amendement n°  2, conformément à la doctrine du Sénat, qui a toujours été réticent à voir les demandes de rapports au Parlement se multiplier...

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.

Le sort de l'amendement du rapporteur examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Sort de l'amendement

Article 1er

Mme EUSTACHE-BRINIO, rapporteure

5

Adopté

La commission a donné les avis suivants sur les autres amendements de séance :

Auteur

Avis de la commission

Article 1er

Mme CARRÈRE

3

Défavorable

Mme ASSASSI

1

Défavorable

Mme CARRÈRE

4

Défavorable

Article additionnel après l'article 1er

Mme ASSASSI

2

Défavorable

La réunion est close à 14 h 05.

Mercredi 22 juillet 2020

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 8 h 45.

Responsabilité civile - Examen du rapport d'information

M. Philippe Bas. - Nous examinons le rapport d'information de nos collègues Jacques Bigot et André Reichardt sur la responsabilité civile. Cette question, d'apparence technique, concerne en réalité le quotidien des familles. Les articles du code civil en la matière, qui datent de l'époque napoléonienne, ont suivi l'évolution des moeurs grâce à la jurisprudence. Il est utile, par sécurité juridique, que ces éléments forts soient inscrits dans le code civil.

M. André Reichardt. - Le droit de la responsabilité civile, c'est-à-dire la possibilité pour une personne qui a subi un dommage d'en obtenir réparation auprès de son auteur ou de la personne qui en répond, repose sur cinq articles du code civil inchangés depuis 1804. Ce régime, enrichi par plus de deux siècles de jurisprudence des juridictions judiciaires et, notamment, de solutions prétoriennes de la Cour de cassation, a connu des changements profonds destinés à mieux assurer la réparation des victimes de dommages. Il en résulte un corpus de règles écrites qui ne reflète plus, aujourd'hui, la réalité de la responsabilité civile organisée par le droit français.

Ce constat, largement partagé, est à l'origine d'intenses réflexions engagées depuis les années 2000. En 2005, un premier groupe de travail, dirigé par Pierre Catala et Geneviève Viney, a remis au garde des sceaux un projet de réforme des obligations et de la prescription, dit « avant-projet Catala ». Un autre projet, dit « avant-projet Terré », a été élaboré en 2008 par un groupe de travail constitué au sein de l'Académie des sciences morales et politiques, sous la direction de François Terré. S'inscrivant dans le sillage de ces réflexions, le Sénat a proposé dès juillet 2009, sur le rapport des sénateurs Alain Anziani et Laurent Béteille, 28 recommandations pour une réforme de la responsabilité civile, reprises dans une proposition de loi déposée en 2010 par Laurent Béteille. Ce n'est pourtant que le 13 mars 2017 que la Chancellerie a présenté son projet de réforme de la responsabilité civile, après une consultation publique menée d'avril à juillet 2016 sur un avant-projet.

Désireuse que le Parlement puisse se saisir rapidement de ce projet de réforme, la commission des lois a créé en novembre 2017 une mission d'information sur ce sujet, afin de préparer la discussion parlementaire et de marquer ses choix d'évolution. Cette mission a été confiée à un binôme de rapporteurs, Jacques Bigot, et François Pillet auquel j'ai succédé comme co-rapporteur en février 2019, à sa nomination comme membre du Conseil constitutionnel.

Après avoir entendu 77 personnes (ministère de la justice, magistrats, universitaires, représentants d'avocats, d'acteurs du monde d'économique et d'associations de victimes ou de consommateurs), et reçu près de 50 contributions écrites dans le cadre de nos travaux, nous faisons le constat de la nécessité de faire aboutir une réforme du droit de la responsabilité civile attendue et utile. Nous avons fait le choix de dégager les axes les plus consensuels de la réforme qui pourraient être inscrits rapidement au sein du code civil, grâce au dépôt et à l'examen d'une proposition de loi sénatoriale.

À cette fin, il a semblé nécessaire d'exclure certaines modifications, ni urgentes ni abouties, mais de nature à bloquer l'aboutissement du projet : la création d'une amende civile ; la reconnaissance d'une responsabilité « collective » en cas d'impossibilité de déterminer l'auteur d'un dommage parmi un groupe de personnes ; la définition spécifique de la faute des personnes morales. De même, la réécriture de certains régimes spéciaux suscite des oppositions marquées au regard de leurs incidences économiques dans les secteurs d'activité concernés. C'est pourquoi nous n'évoquerons pas dans notre rapport l'extension du champ de la loi Badinter à tous les accidents impliquant un chemin de fer ou un tramway circulant sur une voie propre, qui pourrait avoir des implications financières importantes pour les gestionnaires de réseaux de transports publics, ni la modification du régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux, contestée tant par les acteurs économiques au nom de la défense de la compétitivité que les associations de victimes et certains professeurs de droit qui souhaiteraient au contraire aller plus loin. Enfin, nous ne reviendrons pas non plus sur les dispositions relatives à la réparation du préjudice écologique, issues de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, déjà inscrites aux articles 1246 à 1252 du code civil que le projet de la Chancellerie se contentait de renuméroter.

Nous avons fait le choix de concentrer nos travaux sur les lignes de force de la réforme, qui s'articulent autour de deux grands principes : garantir l'accessibilité et la sécurité juridiques du droit de la responsabilité civile et une meilleure cohérence dans le traitement des victimes.

M. Jacques Bigot. - Monsieur le président, vous nous avez confié cette mission en octobre 2017 afin de travailler sur l'avant-projet de loi de la Chancellerie, convaincu qu'après 10 ans de réflexion nous aboutirions très vite à un débat au Parlement. Au début de nos travaux, après avoir auditionné le directeur des affaires civiles et du sceau, nous avons cru que cette réforme avancerait rapidement mais il n'en a rien été. C'est la raison pour laquelle nous préconisons le dépôt d'une proposition de loi reprenant le projet de la Chancellerie, en l'amendant et en écartant ce qui fait débat. Nous répondrions ainsi à une attente importante. Je demanderai au garde des sceaux, que la commission des lois auditionne tout à l'heure, s'il envisage de faire de cette réforme une de ses priorités.

Nous proposons tout d'abord de stabiliser la situation du tiers qui subit un préjudice causé par l'inexécution d'un contrat. Il pourrait, à titre subsidiaire, s'il a un intérêt légitime à la bonne exécution du contrat, demander réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle en se soumettant à l'ensemble des règles du contrat.

En matière de responsabilité du fait d'autrui, la jurisprudence s'est peu à peu éloignée des cas prévus par le code civil qui concernent les commettants, parents et enseignants, pour créer un régime général de responsabilité du fait des personnes dont on a la garde. Nous estimons, comme la Chancellerie, que la loi doit limiter ces hypothèses de responsabilité, pour des raisons de sécurité juridique. Chacun doit pouvoir connaître à l'avance les cas dans lesquels sa responsabilité peut être engagée et souscrire une assurance le cas échéant. Nous formulons des propositions définissant la responsabilité du fait des mineurs ou la responsabilité du fait d'un majeur protégé dont la charge a été confiée à une personne par décision administrative ou judiciaire.

Nous souhaitons, tout comme le projet de la Chancellerie, assurer un traitement préférentiel de la victime d'un dommage corporel. C'est une avancée très importante sur la réparation du dommage corporel. Le cocontractant victime d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat doit pouvoir choisir la voie contractuelle ou la voie extracontractuelle. Nous proposons également que seule la faute lourde de la victime puisse exonérer partiellement l'auteur du dommage corporel. Nous soutenons également le principe d'un régime d'indemnisation du dommage corporel commun aux deux ordres de juridiction, pour éviter toute inéquité entre les victimes.

La question de l'évaluation du préjudice suscite un vrai débat. Le décret publié par le ministère de la justice le 27 mars dernier, dit « DataJust », a choqué le monde judiciaire car il fait craindre une barémisation automatique de l'indemnisation des préjudices. Nous sommes favorables à l'open data, c'est-à-dire la diffusion de la jurisprudence afin que les magistrats et praticiens, notamment les inspecteurs d'assurances qui proposent les indemnisations, sachent ce que les juridictions allouent. La barémisation ne peut être une solution car les situations sont toutes différentes de sorte que l'indemnisation du préjudice doit être individualisée.

Nous avons eu un débat sur le recours des tiers payeurs en ce qui concerne la prestation de compensation du handicap (PCH). Le projet de la Chancellerie propose que la PCH versée par un conseil départemental à la victime d'un dommage corporel, puisse faire l'objet d'un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ou son auteur. Ce serait légitime. Mais ce recours s'exercerait au moment de la décision d'indemnisation de la victime, or le montant de la PCH évolue dans le temps. Une réflexion doit donc être engagée préalablement sur le régime juridique de cette prestation.

Le dernier axe que nous souhaitons mettre en avant concerne l'obligation qui serait faite à la victime de prendre des mesures afin de ne pas aggraver son préjudice. Cela ne concerne que le dommage patrimonial, à l'exception du dommage corporel.

Voici les principaux points que nous pourrions reprendre dans une proposition de loi sénatoriale, faute d'initiative gouvernementale, afin de faire aboutir une réforme attendue par les praticiens et préparée de longue date.

M. Philippe Bas, président. - Derrière cette terminologie juridique de responsabilité civile, il y a des situations diverses, mais c'est une matière qui touche à la vie quotidienne des français, que ce soit dans leur vie familiale ou dans les rapports commerciaux. Il est donc important que la commission des lois, à travers nos deux rapporteurs, se soit investie sur ce thème.

Mme Muriel Jourda. - Il s'agit d'un travail passionnant, au moins pour les juristes. La responsabilité civile pose des questions sur la vie quotidienne : le cas des beaux-parents est-il traité dans le cadre de la responsabilité pour autrui ? Il faudra peut-être légiférer un jour sur ce point. Les familles recomposées font qu'il y a des personnes qui n'ont pas de lien juridique avec des enfants et qui pourtant s'en occupent au quotidien et les ont, d'une certaine manière, sous leur responsabilité. Ce point a-t-il été abordé dans le cadre de la mission que vous avez conduite et a-t-il vocation à être traité dans votre proposition de loi ?

M. Alain Richard. - Je dois avouer que je suis très tenté par la formule des rapporteurs qui consisterait à lever cette immobilité de la Chancellerie en prenant une initiative par le biais d'une proposition de loi. Cependant, toucher au code civil, surtout sur cette matière qui s'applique à beaucoup, est un processus qui mérite d'être conduit avec précaution : il existe une instance, au sein de laquelle siègent des parlementaires, qui veille non seulement à la construction des codes en regroupant des textes non encore codifiés mais aussi à la maintenance des codes existants : il s'agit de la commission supérieure de codification. Il pourrait être judicieux d'avoir son appréciation sur ce que nous proposons au regard de la cohérence d'ensemble du code civil.

M. Jacques Bigot, rapporteur. - Pour répondre à Mme Jourda, la question de la responsabilité du fait d'une personne sur laquelle on n'exerce pas d'autorité parentale me semble difficile à traiter. Prenons l'exemple d'un couple séparé, ne vivant donc plus ensemble, mais disposant d'une autorité parentale conjointe sur ses enfants. Dans cette hypothèse, imaginons que l'enfant vive en résidence alternée chez ses deux parents remariés ou en couple. Faudrait-il alors cumuler la responsabilité de plein droit des parents avec celle du beau-père ou de la belle-mère si l'enfant vit avec eux ? La question peut se poser, mais il me semblerait étrange de prévoir une responsabilité de plein droit du beau-parent alors qu'il ne détient pas l'autorité parentale. Tenter de résoudre cela en l'inscrivant précisément dans une réforme de la responsabilité civile est une mauvaise idée, ou en tout cas prématuré, parce qu'en réalité, c'est une question de droit de la famille.

La jurisprudence a mis deux siècles pour traiter ces situations parfois complexes. Aujourd'hui, à partir de cinq articles de loi seulement, cinq tomes d'encyclopédie Jurisclasseur « responsabilité civile » ont été écrits, ce qui me permet de répondre à Alain Richard en précisant que la particularité de ce sujet est que l'essentiel du droit de la responsabilité civile n'est pas codifié. Ce droit n'existe que de manière très partielle dans la loi. Nous n'avons pas par exemple inclus le préjudice écologique dans notre proposition de loi, parce qu'une loi récente de 2016 a créé en la matière un chapitre du code civil et nous avons préféré que ce chapitre soit maintenu. Le code civil a été revu sur le droit des obligations. Il nous semble qu'il faut aussi le faire sur le droit de la responsabilité et c'est attendu par les praticiens.

M. Philippe Bas, président. - Je propose que la proposition de loi que vous avez rédigée et qui est pratiquement prête puisse être cosignée par l'ensemble des membres de la commission des lois. Soit elle servira d'aiguillon au Gouvernement pour déposer enfin un projet de loi, soit elle permettra, après son adoption par le Sénat et sa transmission, de soumettre le sujet à l'Assemblée nationale. Ce thème n'est pas clivant politiquement.

La commission émet un avis favorable à la publication du rapport d'information.

La réunion est ouverte à 8 h 45.

Déplacement du groupe d'études sur les Terres australes et antarctiques françaises - Examen du rapport d'information sur les Îles Éparses

M. Philippe Bas, président. - Nous entendons maintenant le rapport d'information sur les îles Éparses, présenté par notre collègue Christophe-André Frassa, président du groupe d'études Arctique, Antarctique et Terres australes.

M. Christophe-André Frassa, président du groupe d'études Arctique, Antarctique et Terres australes. - C'est en effet en tant que président du groupe d'études sur l'Arctique, l'Antarctique et les Terres australes françaises que je m'adresse à vous aujourd'hui. Nous avons eu l'occasion, il y a environ un an, de recevoir Mme Évelyne Decorps, préfète des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). À l'issue de son audition, elle a convié une délégation du groupe d'études à participer à la tournée annuelle de souveraineté dans les îles Éparses. Nos collègues Viviane Artigalas, Martine Berthet, Vivette Lopez et Jérôme Bignon ont participé à ce déplacement, qui a eu lieu du 29 septembre au 3 octobre dernier.

À l'issue de ce déplacement, ils ont souhaité présenter un rapport récapitulant les enjeux de ces territoires. Le groupe d'études sur les TAAF étant rattaché à la commission des lois, il me revient de vous le présenter aujourd'hui.

Les îles Éparses, situées dans le canal du Mozambique, constituent une surface terrestre cumulée de seulement 43 kilomètres carrés, mais leurs eaux territoriales représentent un total de 640 400 kilomètres carrés, soit environ 6 % de la zone économique exclusive (ZEE) française. N'ayant jamais été habitées, elles constituent une surface de grande importance pour la recherche scientifique. C'est dans un but de protection d'un patrimoine naturel parmi les plus diversifiés et complexes au monde que la France y maintient une présence continue depuis près d'un demi-siècle.

En dépit de paysages paradisiaques, la vie sur ces îles est difficile. Chaque île doit pouvoir subvenir aux besoins des détachements qui y maintiennent une présence permanente dans une totale autonomie sur plusieurs semaines en nourriture, eau potable et énergie. Une évacuation médicale par avion est possible sous certaines conditions et dans certains délais. La principale difficulté à affronter est naturellement l'isolement lié à la vie sur ces îles. Pour autant, il reste relativement court - six semaines - et les militaires qui composent le détachement peuvent avoir une communication transmise chaque jour. Les militaires sont sensibilisés à la nécessaire protection de la souveraineté du territoire, qu'il s'agisse de la défense d'un territoire français ou de la préservation d'un environnement quasiment vierge.

En ce qui concerne la protection de la biodiversité, les îles Éparses disposent toutes d'un statut de protection tandis que les îles Glorieuses sont classées « parc naturel marin » depuis février 2012. Des mesures de lutte contre les espèces exotiques envahissantes sont mises en place.

Les îles Éparses sont également au coeur des enjeux actuels de souveraineté dans l'océan Indien. Troisième océan avec 78 millions de kilomètres carrés, au croisement des grandes routes maritimes mondiales, cet océan possède une importance stratégique exceptionnelle.

Quatre enjeux principaux ont été relevés par nos collègues : les réserves halieutiques, qui sont abondantes dans la région ; les ressources supposées en hydrocarbures, sur lesquelles subsistent encore de nombreuses incertitudes ; l'accès aux ressources minérales, notamment aux métaux rares ; et la biodiversité marine de la zone - la Convention relative à la protection du patrimoine mondial culturel et naturel identifie en effet cette zone comme l'une des régions d'aire primaire constituant l'avenir du patrimoine mondial marin.

Depuis près de cinq décennies, les îles Éparses font l'objet d'une double contestation territoriale, celle de Madagascar pour Juan de Nova, Europa, Bassas de India et les Glorieuses, et celle de Maurice pour Tromelin. La France a conclu un accord de cogestion avec Maurice sur Tromelin, qui n'a toutefois pas été ratifié par le Parlement. Le conflit avec Madagascar n'a, quant à lui, pas encore trouvé de solution. En 2016, le Président de la République avait mis en place une commission commune destinée à bâtir, conjointement avec Madagascar, une solution pour faire face aux enjeux de sécurité, de défense de la biodiversité et de lutte contre la pêche illicite. Celle-ci poursuit les négociations à l'heure actuelle.

Restées longtemps dans l'ombre des collectivités de l'océan Indien, les îles Éparses représentent pourtant un atout considérable pour la France. Les enjeux liés à ces petits territoires sont en effet multiples et ont trait au maritime, à la place stratégique de la France, et à l'écologie. Une meilleure connaissance de ces îles s'impose donc afin de mieux les protéger et de favoriser le développement de la recherche, qui dispose avec ces territoires d'un espace unique au monde. Il convient enfin de réaffirmer la souveraineté de la France sur ces îles qui représentent, malgré leur surface modeste, une zone économique exclusive conséquente qui aiguise les appétits des puissances étrangères.

M. Philippe Bas, président. - Je salue le travail de nos collègues qui ont réalisé ce déplacement.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je tenais à remercier nos collègues de s'être intéressés à ces petits morceaux du territoire français. Lorsque l'on parle de l'Océan Indien, on pense souvent à La Réunion et à Mayotte, en oubliant ces autres joyaux de notre pays. Les questions de souveraineté soulevées dans le rapport sont capitales. Nous avons une zone économique exclusive mitoyenne de Mayotte qui mérite toute l'attention de notre commission.

La commission autorise la publication du rapport.

Mission d'information relative aux moyens d'action et aux méthodes d'intervention de la police et de la gendarmerie - Audition du général d'armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale

M. Philippe Bas, président. - Nous auditionnons ce matin le général d'armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale. Les méthodes d'interpellation de la police et de la gendarmerie ont récemment fait polémique et les membres de notre commission en ont été vivement préoccupés. Nous avons souhaité étendre nos investigations à la question des moyens dont disposent les forces de l'ordre : sur le plan humain, ceux-ci ont positivement évolué, mais il n'en va pas de même sur le plan matériel. Notre commission a donc jugé nécessaire de créer une mission d'information conduite par nos collègues Catherine Di Folco et Maryse Carrère. Cette mission d'information doit nous permettre de mieux comprendre les exigences, les évolutions éventuellement nécessaires ainsi que les difficultés de la tâche de nos gendarmes et de nos policiers. Au cours des derniers mois, nous avons applaudi les personnels soignants, mais il me semble que nous devrions aussi prendre en considération les risques pris par ceux qui sont au service de la sécurité des Français et rappeler ce que la concorde et la paix civiles, mais aussi la sécurité des biens et des personnes, leur doivent. Il ne faut pas donner une prise exagérée à la polémique à travers des accidents ou des actes malencontreux qui peuvent survenir dans l'exercice de ces tâches difficiles et être qualifiés de délits. Autant les mauvais comportements doivent être sévèrement réprimés, autant il faut aussi savoir reconnaître les exigences de métiers très difficiles.

M. Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale. - C'est un plaisir, un devoir et un honneur de rendre compte de notre action et de nos réflexions devant vous. Je suis accompagné de deux officiers spécialistes de ces sujets qui pourront le cas échéant répondre à vos questions avec toute la précision nécessaire. Je vous dresserai un panorama de la situation, sans dissimuler les sujets de vulnérabilité qui peuvent exister.

Le pouvoir d'utiliser la contrainte physique ou la contrainte armée est totalement exorbitant du droit commun. Il est donc légitime de s'interroger sur le but et les modalités de son exercice. La force doit être mise au service de tous les citoyens, pour les protéger. Mais la première mission de la gendarmerie, c'est d'abord qu'il n'y ait pas de voleurs ; la deuxième, c'est d'arrêter les voleurs : la prévention et la protection sont les premières de nos priorités. Quand il y a un mort ou un blessé au cours d'une intervention, c'est un échec. Ce sont des faits qui nous frappent profondément lorsque cela survient.

Depuis 2010, les agressions physiques sur gendarme ont augmenté de 76 % ; le nombre d'agressions avec arme a doublé ; le nombre de blessés parmi les gendarmes a crû de 64 %.Dans le même temps, le nombre de cas d'usage d'arme à feu par les gendarmes a diminué de 23 %. En 2019, 2 300 gendarmes ont été blessés du fait d'une agression, ce qui représente une augmentation de 72 % par rapport à 2012. Chaque année, des gendarmes perdent la vie : depuis 2012, huit gendarmes ont été tués par agression.

En 2019, nous avons enregistré 1 444 réclamations de particuliers, dont 33 concernaient des violences. Sur les 100 enquêtes judiciaires diligentées par l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), 31 sont relatives à des faits de violences. Les enquêtes clôturées à ce jour - certaines étant encore en cours d'instruction - tendent à démontrer que l'usage de la force était très souvent conforme au cadre légal, mais nous devons continuer à travailler sur notre doctrine afin que cela soit toujours le cas.

Notre doctrine d'emploi est basée sur l'intervention graduée et structurée autour de deux principes fondamentaux en cas d'usage des armes et de la force : la nécessité et la proportionnalité. Le principe de négociation est devenu un principe constant. Chaque semaine, deux ou trois personnes menacent de tuer leur famille : les premiers intervenants sont des négociateurs. Cela n'aboutit pas toujours, mais la négociation permet très souvent la reddition du forcené. Dans cette logique de gradation de la réponse, nous travaillons beaucoup sur des techniques de contrôle à mains nues - coups d'arrêt, techniques de mise au sol et moyens de contrôle -, puis sur des moyens de force intermédiaire - bâtons de protection, pistolets à impulsion électrique, lanceurs de balles de défense dont les doctrines d'emploi sont communes avec la police - et enfin sur l'emploi des armes à feu. L'effort est fait sur le discernement, avec de la formation sous la forme de mises en situation. Le rôle de l'encadrement de proximité est capital et nous formons nos cadres en ce sens.

Nos techniques d'intervention professionnelle sont en évolution constante ; elles ont été conceptualisées en 2002, dans une logique d'harmonisation, en se fondant sur des principes de légalité, d'efficacité et de sécurité. La dernière actualisation de notre doctrine date de janvier dernier. Elle a été élaborée avec des magistrats et des médecins spécialistes du sport et de la traumatologie afin d'éviter les dommages vitaux sur la personne interpellée. Les techniques de pliage ventral, de décubitus ventral ou d'étranglement - elles sont à l'origine de morts par asphyxie positionnelle - ne sont ni enseignées ni mises en oeuvre dans le cadre de l'intervention professionnelle. Seul le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) est autorisé à utiliser des techniques qui interviennent sur le cou des personnes - techniques de krav maga notamment - qui leur permettent de faire face à des terroristes ou de grands délinquants : mais en 45 ans d'existence, le GIGN n'a pas connu le moindre problème. Les techniques de contrôle cervical ont été abandonnées en 2007 et les pressions thoraciques en 2018. Nous avons perfectionné nos méthodes de mise au sol d'un individu depuis 2014, en travaillant plutôt sur les articulations. Avec une clé de bras, quelqu'un qui ne résiste pas ne se fait pas mal, mais si la personne résiste et se fait mal, ce n'est que mécanique et cela se remet : il n'y a pas de risque létal avec des interventions par clé de bras. Nous avons progressivement introduit des moyens de force intermédiaire - les bâtons de protection télescopique en 2002, les flash-ball en 2003, les Taser en 2007, les lanceurs de balles de défense en 2011 - et nous abandonnons certaines techniques plus dangereuses au profit de techniques présentant moins de risques.

Cette doctrine doit ensuite être appliquée et respectée. C'est le rôle de notre politique de ressources humaines et de la formation initiale et continue. Nous avons essayé de sanctuariser ces formations, quelle que soit la durée de la formation initiale. Les futurs gendarmes sont accueillis huit à neuf mois en école - avec la crise sanitaire, cette durée a été réduite à six mois en 2020 -, puis en unité pour un stage. Les sujets relatifs aux interventions professionnelles et à la déontologie sont majoritairement abordés dans la première moitié de la formation. Le tronc commun de la formation initiale - tous statuts confondus - est de 195 heures en école, auxquelles s'ajoutent 42 heures pour ceux qui se destinent à la gendarmerie mobile. Nous travaillons beaucoup avec de nombreuses associations sur les questions d'éthique et de déontologie. Les modules qui intègrent le respect de la personne sont des modules importants et permanents. Sous l'impulsion de mon prédécesseur, nous vérifions que les techniques sont acquises grâce à des mises en situation les plus réalistes possible permettant l'acquisition des gestes réflexes.

Une citation est très présente au Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier : « le gendarme agit comme il s'entraîne et doit s'entraîner comme il veut agir. » Quelque 3 800 moniteurs en intervention professionnelle assurent la formation continue dans les unités : les gendarmes en brigade bénéficient a minima de quatre sessions de formation par an, portées à dix sessions annuelles pour ceux d'entre eux qui sont dans les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG). La gendarmerie mobile bénéfice également de dix sessions annuelles auxquelles s'ajoutent des stages de maintien de l'ordre organisés à Saint-Astier. L'encadrement a aussi un rôle majeur à jouer : des modules sur l'intervention professionnelle et la déontologie sont prévus dans tous les stages de prise de poste d'encadrement.

Le carnet de tir est désormais informatisé et le gendarme qui n'a pas réalisé ses tirs annuels perd son droit de porter son arme : 97 % des gendarmes sont à jour de leurs tirs, même dans les états-majors et en administration centrale. Lorsqu'au moment des attentats, les gendarmes en administration centrale ont été autorisés à porter leur arme hors service, ils devaient être à jour de leurs tirs. En revanche, le système n'est pas encore informatisé pour les formations en intervention professionnelle et repose sur du déclaratif. Mais « une grande confiance n'exclut pas une petite méfiance », comme on dit en Normandie, et « la confiance n'exclut pas le contrôle », comme on dit dans les forces armées. Nous avons donc ici une marge de progrès sur laquelle nous devons travailler : aujourd'hui, un gendarme qui n'est pas à jour de ses formations en intervention professionnelle va continuer à travailler quand même.

Notre zone de compétence recouvre 52 % de la population et 95 % du territoire. Certes, nous sommes présents dans toutes les zones rurales, mais sachez que plus de la moitié de notre zone de compétence, et les deux tiers de nos effectifs, sont situés en zone urbaine et périurbaine. Nous n'avons pas de surreprésentation de jeunes gendarmes dans les zones difficiles : le taux d'encadrement y est de 30 %, soit 2 points de plus que dans les autres unités ; le taux d'officiers de police judiciaire (OPJ) y est de 64 %, soit 4,5 points de plus qu'ailleurs ; l'ancienneté de service de nos sous-officiers y est de seize ans, soit six mois de plus qu'ailleurs et la moyenne d'âge y est de 38,5 ans, ce qui est également six mois de plus qu'ailleurs.

Nous avons été destinataires en janvier d'un courrier du ministre de l'intérieur nous invitant à effectuer une revue des techniques et gestes d'intervention, dans une logique de limitation des risques. Nos propositions, communes avec la police nationale, ont été rendues en juin. Elles portent notamment sur la sensibilisation à la détection des signes de détresse physique, le développement du recours au Taser et l'implication des médecins pour leur expertise. Les propositions qui ne concernent que la gendarmerie portent sur la révision de notre instruction relative à nos formations en techniques d'intervention, la comptabilisation de nos formations en nombre d'heures par militaire - et non plus en journées par militaire - et la mise à jour de notre mémento des techniques d'intervention professionnelle - ce que nous faisons de manière très régulière.

Nous avons mis en place, au mois de juin dernier, un groupe de travail interne piloté par l'IGGN chargé d'examiner toutes les mises en cause dont fait l'objet la gendarmerie à l'occasion des interventions et de faire des préconisations afin que nous soyons les plus exemplaires possible.

La maison est très vertébrée : nous cadrons donc beaucoup ces sujets-là, avec une vraie préoccupation concernant le respect de la vie d'autrui. Un gendarme qui tire, même en légitime défense, sera marqué à jamais. Je fais le tour des unités quand il y a des drames et je n'ai aucune difficulté à convaincre les gendarmes que le discernement et la maîtrise de soi sont capitaux. Mais il faut les traduire en actes réflexes et savoir s'empêcher de tirer lorsque d'autres moyens sont disponibles.

Les contrôles sont nombreux et c'est une bonne chose. Nous sommes en outre soumis à un réel contrôle social, avec le buzz - bien qu'il n'apporte pas toujours la vérité - qui participe au contrôle qui s'exerce sur les gendarmes qui ont des moyens exorbitants du droit commun. Il n'y aura jamais trop de contrôles.

M. Philippe Bas, président. - Pourquoi la technique de l'étranglement a-t-elle été supprimée dans la gendarmerie ? Comment expliquer cette différence d'approche avec la police ? Par quelle technique l'avez-vous remplacée ? Enfin, pourquoi le groupe de travail est-il spécifique à police ?

M. Christian Rodriguez. - Nous avons abandonné la technique de l'étranglement en 2002. Jusque-là nous dépendions du ministère de la défense et utilisions les mêmes techniques, dites de commandos, que l'armée. Mais on a découvert qu'il y a avait des risques. Ceux-ci ne tiennent pas à la technique en tant que telle car, si elle est bien exécutée, elle n'est pas dangereuse, mais au contexte dans lequel se déroule une intervention : avec la tension, la pression, etc., on ne peut pas garantir que la technique sera bien réalisée. Le contexte d'une intervention n'est pas celui d'un entraînement sur un tatami. Cette technique est efficace, mais, mal employée, elle peut avoir des conséquences lourdes. C'est pour cela que nous avons préféré développer d'autres techniques, en nous inspirant des sports de combat, comme les clés de bras ou de jambes, car les risques sont limités.

Je ne sais pas pourquoi cette évolution n'a pas eu lieu dans la police. Depuis que nous dépendons du ministère de l'intérieur, il y a une convergence, mais cela prend du temps, car nos cultures diffèrent. Il faut aussi du temps pour que les formateurs puissent former tout le monde.

Le groupe de travail lancé au sein de la police sur les techniques d'intervention avait été précédé, dans un premier temps, d'un groupe de travail commun entre la police et la gendarmerie. Le ministre a souhaité approfondir la réflexion sur les techniques utilisées par la police, et non par la gendarmerie, c'est pour cette raison que nous n'y participons pas. Toutefois, cela ne nous empêche pas d'avoir des échanges et nous répondons volontiers à leurs demandes si nous sommes sollicités.

M. Philippe Bas, président. - Soit, mais un écart de vingt ans entre la police et la gendarmerie est surprenant si l'on admet que la technique de l'étranglement pourrait être dangereuse si elle est mal appliquée. Toutefois, j'imagine que l'usage de techniques inspirées des sports de combat ne doit pas être simple non plus et que cela exige un entraînement préalable et régulier.

Je cède d'ailleurs la parole à notre nouvelle collègue, Catherine Belrhiti, que je salue, qui est championne du monde de kumite, un sport proche du karaté.

Mme Catherine Belrhiti. - Vous avez évoqué quatre séances de formation. Mais il est difficile de maîtriser une technique si l'on ne s'entraîne pas régulièrement, au moins chaque semaine.

M. Christian Rodriguez. - Les sujets à régler étant nombreux, on peut comprendre l'écart de vingt ans si aucun problème n'est remonté pendant cette période.

En ce qui concerne les techniques, vous avez raison, mais nous ne formons pas des athlètes destinés à remporter des compétitions de sport de combat. Nous devons proposer des techniques simples, utilisables par le plus grand nombre, aussi bien aux personnes sportives bien entraînées qu'aux gendarmes de cinquante-cinq ans. On s'adapte aussi aux besoins des unités. Le GIGN s'entraîne tous les jours. Dans une brigade, c'est différent. Si certains, très sportifs, peuvent assimiler les techniques rapidement, il faut aussi penser aux autres et proposer des techniques adaptées. Concrètement, une séance d'entraînement dure trois ou quatre heures, pendant lesquelles on répète les gestes pour apprendre à passer les menottes, répondre à une attaque au couteau, etc. On choisit donc les actes les plus simples à exécuter, en fonction du rapport entre le risque et l'efficacité. Si on pouvait faire plus en matière d'entraînement, on le ferait, mais les gendarmes doivent aussi être sur le terrain. Il y a également une demande forte de formation des gendarmes pour apprendre à se protéger. On compte 3 800 moniteurs. Leur nombre augmente, mais je serais heureux de pouvoir doubler leur nombre et d'en avoir un en permanence dans chaque unité.

Mme Catherine Di Folco, co-rapporteur. - Vous avez déjà répondu à beaucoup de questions dans votre intervention liminaire. Je tiens à dire que les élus locaux apprécient beaucoup la qualité des relations qu'ils ont avec les brigades de gendarmerie, qui assurent quotidiennement la protection de nos concitoyens. Je tiens d'abord à leur rendre hommage.

Les caméras mobiles sont un sujet d'actualité : combien de gendarmes en sont-ils équipés ? Comment évaluez-vous leurs avantages et inconvénients ? Il semble que les matériels ne soient pas très performants. Enfin, qui peut les déclencher : est-ce à l'appréciation de chaque gendarme ou ont-ils des instructions ?

M. Christian Rodriguez. - Le Président de la République a évoqué ce sujet récemment. Un groupe de travail piloté par les inspections générales de la police et de la gendarmerie a été constitué. En 2012, nous avons été dotés de plusieurs centaines de caméras. Il s'agissait à l'origine de filmer les contrôles d'identité. C'est pourquoi le cadre législatif et réglementaire est limité. Mais on se rend compte que le besoin va au-delà de ces usages. On perçoit une volonté forte à la fois politique et en interne pour développer l'usage des caméras-piétons. L'idéal serait que chaque agent possède sa caméra.

Dans un premier temps, il faudrait disposer de 14 000 caméras pour que chaque patrouille soit équipée. Les matériels dont nous disposons aujourd'hui sont toutefois peu performants : les batteries durent très peu de temps, la résolution d'image n'est pas aussi bonne que ce qu'offre d'autres équipements actuellement sur le marché et le système d'accroche est perfectible... Pour filmer les contrôles d'identité, cela peut suffire, mais pas si l'on veut aller au-delà. Je serais même partisan d'installer des caméras dans les véhicules. Si un gendarme commet une faute, il est plus sanctionné qu'un citoyen, à la fois pénalement et sur le plan administratif, ce qui est la contrepartie de l'usage légitime de la force. Pour autant, on a parfois du mal à faire entendre la voix du gendarme. Les caméras permettraient de lutter contre les vidéos tronquées diffusées sur les réseaux sociaux. Je suis donc partisan des caméras. Dans le Val-d'Oise, une expérience est en cours : lorsqu'un gendarme déclenche sa caméra, toutes les caméras de la patrouille sont automatiquement enclenchées. Cela me semble très intéressant pour avoir une vue d'ensemble.

Faut-il filmer tout le temps ? Dans l'idéal peut-être, mais dans ce cas, il est à craindre qu'au moindre problème technique certains ne soient tentés de crier au complot ! C'est pourquoi je suis prudent sur le sujet. Les gendarmes considèrent que les caméras sont un moyen de protection, mais nous devrons examiner les modalités pratiques d'utilisation avec attention. J'ai été entendu par l'Inspection générale de l'administration (IGA) hier. Nous devons filmer au-delà des contrôles d'identité. Il faut aussi modifier les modalités d'accès aux caméras et aux films, car, en l'état actuel, il faut attendre d'avoir transféré la vidéo sur un module sécurisé pour pouvoir la consulter. Si l'on filme un délit, on ne peut donc pas montrer aux collègues la personne recherchée.

Mme Catherine Di Folco, co-rapporteur. - Pourrions-nous visiter votre centre de formation de Saint-Astier ?

M. Christian Rodriguez. - Oui !

Mme Catherine Di Folco, co-rapporteur. - Les brigades ont-elles des négociateurs comme le GIGN ?

M. Christian Rodriguez. - Chaque gendarme suit une formation à la négociation pour savoir gérer des situations de crise. Le GIGN possède des négociateurs pour intervenir dans les cas graves, ainsi que certaines unités. De nombreux gendarmes suivent une formation spécifique de négociateur. Leur nombre doit augmenter si l'on veut faire en sorte que les personnes se rendent plutôt que d'avoir à donner l'assaut.

Mme Marie Mercier. - Je veux témoigner du soutien que vous savez apporter aux collectivités locales et du suivi attentif que vous portez à vos hommes et aux casernes. Les agressions contre les gendarmes ont fortement augmenté. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

M. Christian Rodriguez. - Il faudrait interroger les sociologues. Toutes les cinquante minutes, un véhicule fonce sur des gendarmes sans s'arrêter !

Le rapport à la règle a changé, c'est un fait. Beaucoup semblent considérer qu'il est interdit d'interdire. Un chauffeur de scooter de mon âge qui grillait un feu devant moi m'a simplement répondu qu'il était pressé... Il y a quelques années, on n'aurait jamais entendu cet argument ! C'est pourquoi on a profité de la crise sanitaire où de nombreux effectifs étaient déployés sur le terrain et peu de personnes dehors pour travailler avec les populations pour recréer un lien de confiance. Il faut faire preuve de pédagogie, inlassablement. Il faut peut-être aussi revoir les sanctions et les renforcer en cas de refus d'obtempérer. Il y a dix jours, dans le Sud-Ouest, une jeune collègue a été percutée de plein fouet par un chauffard. Malheureusement, cela arrive trop souvent.

M. Arnaud de Belenet. - Les véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) sont de très bons véhicules, mais ils datent de 1975. La modernisation - le « rétrofit » comme on le dit parfois - réalisée l'an dernier a-t-elle été utile, notamment dans vos négociations avec le constructeur en vue de l'acquisition de nouveaux engins ? Cela pourrait-il convaincre certains parlementaires d'appuyer une demande de crédits pour acheter de nouveaux matériels ?

M. Christian Rodriguez. - Les VBRG sont contemporains de la Renault 12 ! La gendarmerie possédait un parc de 80 véhicules. Conçus après 1968, ils ont été conçus pour percuter les barricades. Nous les avons réutilisés pendant les manifestations des « gilets jaunes ». Ils servent aussi à protéger, grâce à leur blindage, les gendarmes qui les servent ou qui les accompagnent en cas d'exposition à des armes.

Dans la perspective de leur renouvellement, nous avons étudié le rétrofit. Le VRBG rétrofité a été plébiscité. Nous avons aussi testé le rétrofit des véhicules de l'avant blindé des armées (VAB), car l'armée de terre va nous rétrocéder vingt véhicules avec l'arrivée du véhicule Griffon. Nous utilisons déjà des VAB outre-mer, où l'usage des armes est répandu, qui servent essentiellement de moyens de transport blindés pour faire des patrouilles. Le blindage du VAB est plus important que celui des VRBG et permet de résister aux tirs de carabine de grande chasse. En Nouvelle-Calédonie, le blindage d'un véhicule a ainsi été transpercé il y a deux ans. Les besoins sont donc réels. Dans le cadre du plan de relance, le ministre nous a demandé de réfléchir au sujet.

Le fait de parler de rétrofitage a fait baisser le prix des véhicules neufs. Un rétrofit coûte 400 000 euros, deux fois moins cher que l'achat d'un véhicule neuf. Si nous n'obtenons pas des crédits suffisants pour acheter des véhicules neufs, le rétrofit permettra d'augmenter la durée de vie des véhicules d'une quinzaine d'années. Pendant les moments de tensions fortes, le VRBG est très utile.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Vous avez évoqué l'outre-mer. S'il y a un endroit où l'intervention de la gendarmerie est particulièrement attendue et utile, c'est bien en outre-mer. À Mayotte, les forces de gendarmerie sont très sollicitées face aux accès de violences dans les villages. La population demande des moyens supplémentaires : ne faudrait-il pas créer un peloton de surveillance et d'intervention (PSIG) ?

Les gendarmes originaires de Mayotte qui ont été mutés dans l'Hexagone et qui reviennent sur l'île ne peuvent pas bénéficier, semble-t-il, dans la pratique, de la prime d'éloignement, prévue pourtant par les textes. Des textes de 1951 seraient appliqués, alors que la départementalisation date de 2011. Qu'en est-il ?

M. Christian Rodriguez. - À Mayotte, on compte trois escadrons et demi de gendarmerie et les effectifs sont en hausse. Il y a beaucoup de violences la nuit. Nous avons récemment réorganisé nos méthodes d'intervention, car on avait constaté que certains attendaient le passage de la patrouille pour déclencher des troubles et que, sinon, tout se passait bien. J'ai envoyé sur place un colonel de gendarmerie mobile pour commander le dispositif global. Depuis lors, la situation s'est améliorée.

Un plan en faveur de Mayotte a été lancé il y a quelques années et les effectifs de gendarmerie augmentent régulièrement. Un PSIG pourrait sans doute être utile, mais les trois escadrons et demi semblent capables de remplir la tâche.

Je ne peux vous répondre dans l'immédiat sur la prime d'éloignement. Nous étudierons la situation et prendrons les mesures nécessaires si les textes le prévoient. Les textes sont nombreux et pas toujours aisés à appliquer.

M. François Bonhomme. - Je voudrais revenir sur les caméras-piétons. Dans notre société, l'image a pris une place prépondérante : des vidéos tronquées, qui montrent seulement certains moments de l'intervention des forces de l'ordre sans montrer les antécédents, circulent sur les réseaux sociaux, diffusées par des mouvements contestataires ou qui recherchent délibérément l'affrontement, afin de manipuler l'opinion. Je fais partie de ceux qui refusent l'expression « violence systémique », qui a même été employée par le Défenseur des droits, pour parler de la police. La violence légitime relève des forces de l'ordre. Avez-vous mis en place des formations pour faire face à la montée en puissance de l'image et des réseaux sociaux ?

M. Christian Rodriguez. - Je partage votre analyse. Nous avons compris qu'il était dans notre intérêt de filmer les interventions, pour fournir des preuves judiciaires ou lutter contre les vidéos tronquées, même si tout acte de violence policière doit être sanctionné. Nous utilisons des drones, des hélicoptères, ainsi qu'une cellule nationale d'observation et d'exploitation de l'imagerie légale (Cnoeil), dotée de moyens de régie, que l'on engage dans les opérations de maintien de l'ordre pour avoir un visuel sur les opérations en cours et pouvoir fournir des images des interventions. Les gendarmes ont conscience des risques liés à l'image et qu'ils sont filmés. Un gendarme d'origine algérienne, qui se faisait régulièrement traiter de Kabyle en intervention, me demandait s'il devait réagir au risque de provoquer un affrontement susceptible d'être filmé : je lui ai recommandé d'acter le fait et de noter l'identité de la personne pour que l'on vienne l'arrêter plus tard. Mais ce n'est pas normal. Nous nous sommes donc adaptés.

Il faut aussi tenir compte de la législation sur le traitement de l'image. Je pense en particulier à la décision du Conseil d'État sur l'usage des drones pendant la crise sanitaire. Je suis un partisan de l'image, car il est plus difficile de la faire mentir si l'on possède la totalité du film ! Cela renforce aussi la protection de tout le monde.

M. Pierre-Yves Collombat. - Les forces de l'ordre doivent pouvoir faire leur travail et se protéger. Il faut reconnaître que le problème des violences policières ne concerne pas au premier chef la gendarmerie. Toutefois, on observe une coupure entre une partie de la population et les forces de l'ordre, peut-être davantage dans les zones péri-urbaines ou urbaines que dans les zones rurales. Il y a aussi un phénomène de classes d'âges, mais, au Moyen Âge déjà, les bandes de jeunes perturbaient le guet... Ce n'est donc pas nouveau.

Plus profondément, on a le sentiment désormais que si certains ne reconnaissent plus la règle, c'est qu'ils ne se sentent plus appartenir à la collectivité. Vous n'en êtes certes pas responsables. Il y a eu des tentatives pour développer la police de proximité. La gendarmerie était plutôt en avance sur ce sujet. Des plans similaires sont en cours. Où en est-on ? Toutefois, je nuancerai le rôle pédagogique des contrôles pendant la crise sanitaire : était-il utile de contrôler les gens dans des zones rurales isolées, très peu denses et pas touchées ? Ce n'est pas le meilleur moyen pour rapprocher les populations et les forces de l'ordre...

M. Christian Rodriguez. - Dans trois quarts d'heure, je recevrai une Marianne d'Or pour notre action d'accompagnement des populations pendant la crise. Notre première mission est la protection et la prévention. Nous devons donc entretenir des liens très forts avec les maires et les populations. Nous cherchons à développer la police du quotidien - c'était un thème cher à mon prédécesseur et j'ai repris le flambeau. Nous avons arrêté de dissoudre des brigades, car le maillage territorial est important. Nous avons aussi de nombreuses réunions de travail avec les élus.

Les contrôles en zones rurales pendant la crise sanitaire avaient pour but d'éviter la dissémination du virus. Je prendrai aussi l'exemple des contrôles routiers : en cas d'excès de vitesse, même minime, on devrait sanctionner. Pourtant, nous avons réalisé 14 millions de contrôles pendant la crise sanitaire et le taux de verbalisation n'a été que de 4 %. De même, on a vu des gendarmes prendre des cafés avec les « gilets jaunes » sur les ronds-points : on a dit que nous pactisions avec eux, mais, au final, les barrages étaient levés sans problème... Telle est notre tradition.

La gendarmerie habite au sein de la population sur laquelle elle veille, avec un contrôle social fort de la population. Fils de gendarme, je savais que je devais rester sage, sinon mon père en aurait aussitôt entendu parler ! Toutefois, on note un éloignement de la population. La sociologie des recrutements a évolué, avec des personnes venues de la ville, plus individualistes. On doit inverser la tendance. On a mis en place des formations où les maires interviennent pour dire ce qu'ils attendent de la gendarmerie. On s'efforce de mettre le plus d'effectifs sur le terrain pour aller au contact des populations. La police et la gendarmerie n'ont de sens que si elles sont proches des populations.

M. Philippe Bas, président. - Cette conclusion nous enchante, même si elle nous éloigne du sujet de notre audition. Vos réponses respirent le vécu. Je vous remercie de votre participation.

Projet de loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental - Examen des amendements au texte de la commission

EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR

Article 1er

M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, Jean-Yves Leconte, rapporteur du projet de loi organique prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) nous propose d'adopter son amendement n°  1. Il a été travaillé avec son homologue de l'Assemblée nationale pour assurer un vote conforme de nos collègues députés, sans besoin de commission mixte paritaire.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - En effet, monsieur le président, il s'agit d'un amendement de précision.

Il se trouve que le projet de loi organique que nous examinerons prochainement pour réformer le CESE présente le même intitulé qu'un texte examiné voilà une dizaine d'années. Aussi, pour éviter toute confusion, il nous faut préciser que nous nous référons au projet de loi organique délibéré en conseil des ministres le 7 juillet dernier.

M. Philippe Bas, président. - Vous faites preuve d'une grande indulgence à l'égard de l'Assemblée nationale. Cet amendement me semble parfaitement inutile, tant le texte du projet de loi parait dépourvu d'ambiguïté, mais s'il peut rassurer nos collègues députés...

L'amendement n° 1 est adopté.

Le sort de l'amendement du rapporteur examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Sort de l'amendement

Article 1er
Prolongation du mandat des membres du CESE

M. LECONTE,
rapporteur

1

Adopté

Audition de M. Jean-Luc Nevache, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de la Commission d'accès aux documents administratifs

M. Philippe Bas, président - Mes chers collègues, nous accueillons M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'État, qui est le candidat pressenti pour exercer les fonctions de président de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA). Vous le savez, c'est à la suite d'une initiative du Sénat que, désormais, le président de cette institution discrète, mais en réalité très importante, fait l'objet d'un vote des commissions des lois des deux assemblées, et j'en suis très heureux.

J'ai pu mesurer à de nombreuses reprises l'importance de cette institution, qui est parfois considérée comme ayant plus de droits que le Parlement lui-même pour l'accès aux informations. Je me souviens notamment que la commission des lois du Sénat, investie de pouvoirs d'enquête sur la protection des hautes personnalités et la manière dont elle était assurée, avait demandé à la présidence de la République la fiche de poste de l'un de ses collaborateurs, qui assumait une fonction de coordination des services de sécurité de la présidence de la République. L'Élysée ayant trouvé des arguments pour refuser de nous transmettre la fiche de poste de l'intéressé, nous lui avons immédiatement fait valoir que, si l'un d'entre nous demandait à la CADA, comme simple citoyen, qu'elle impose la transmission de ce document, la présidence de la République devrait le faire. C'est à la suite de cette démarche, de crainte que la CADA ne soit saisie, sans doute, que la commission des lois du Sénat avait obtenu la communication de ce document très important, qui faisait la vérité sur les fonctions exercées par ce collaborateur du Président de la République. C'est un élément supplémentaire pour démontrer à quel point la CADA est une auxiliaire précieuse de la démocratie pour faire la transparence sur les pratiques administratives et permettre ainsi de renforcer les droits de nos concitoyens. C'est dire, monsieur Nevache, que nous sommes très heureux de pouvoir vous entendre.

Je vous propose de commencer par un exposé introductif, plutôt bref pour permettre à mes collègues de vous poser quelques questions en vue de mieux connaître votre expérience, mais aussi vos convictions et la manière dont vous exercerez cette fonction si votre nomination est confirmée.

M. Jean-Luc Nevache, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de la Commission d'accès aux documents administratifs. - Je suis évidemment très honoré d'inaugurer ces auditions pour la candidature au poste de président de la CADA, fonction qui a été ajoutée, vous l'avez rappelé, au cinquième alinéa de l'article 13 par votre commission au printemps dernier.

Ma carrière administrative est marquée par la diversité des postes et par une mobilité géographique importante. J'ai servi dans beaucoup de ministères : le ministère de l'intérieur, pour l'essentiel dans une carrière préfectorale, mais aussi le ministère de la défense - avec d'ailleurs un sénateur, aujourd'hui présent, que je salue -, le ministère de la santé, le ministère du développement durable et les services du Premier ministre. La moitié de ma carrière s'est déroulée en administration territoriale. J'ai parcouru la France, si j'ose dire, du Var ou de la Corse jusqu'aux Ardennes, et de la Saône-et-Loire jusqu'à la Guadeloupe.

J'aborde donc la fonction qui pourrait m'être confiée avec un esprit assez pragmatique et un esprit d'organisateur, au moins autant que de juriste. La CADA est une toute petite autorité administrative indépendante, puisqu'elle ne comprend que dix-sept agents, mais c'est l'une des plus anciennes, puisqu'elle a été créée en 1978 - c'était déjà une initiative parlementaire, qui ne recevait alors pas totalement l'accord du Gouvernement. Cette institution est assez connue, sinon des particuliers, du moins des administrations, et elle a maintenant sa place bien assise dans le système institutionnel. L'action du président Dandelot pendant six ans y a, me semble-t-il, contribué.

Pour autant, le rapport d'activité 2019 de la CADA, qui sera publié dans quelques jours, montre une situation dégradée : durant plusieurs années on a constaté un effet ciseaux entre les flux d'entrée et de sortie. Ainsi, le nombre de demandes d'avis, qui oscillait autour de 5 000 entre 2008 et 2012, a brusquement atteint 7 000 en 2013 et 2014, soit une augmentation brutale de 40 %. Face à cette situation, la hausse des effectifs a été réelle, passant de 13 équivalents temps plein (ETP) à 17 ETP, mais lente et progressive, avec environ un poste par an. De fait, et malgré une augmentation significative de la productivité des agents de 60 %, les délais de réponse se sont accrus dans des conditions qui sont, honnêtement, très préoccupantes et très insatisfaisantes. Ces délais de réponse, qui étaient de 40 jours en 2013, sont passés à 50 jours en 2014, 60 en 2015, jusqu'à atteindre, l'année dernière, 176 jours, ce qui est évidemment tout à fait inacceptable.

En réalité, la situation actuelle est très décalée par rapport à ce bilan de l'année 2019. Le stock de dossiers liés à cet effet ciseaux a culminé en 2018 à 2 300 dossiers, mais il a commencé à se résorber en 2019, et, au tournant de l'année, nous étions à 2 000 dossiers en stock.

Ensuite, à la faveur non seulement des mesures prises en interne, sur lesquelles je vais revenir, mais aussi des ordonnances relatives à la crise sanitaire - qui ont conduit à ce que les administrations voient leurs délais de réponse décalés jusqu'au 24 juin, repoussant de fait les potentielles saisines -, le stock s'est asséché. À l'heure où je vous parle, il est de 360 dossiers : 300 dossiers sont d'ores et déjà traités, et sont inscrits à la séance du 10 septembre prochain, et seulement 60 dossiers restant à traiter, qui sont inscrits à la séance du 24 septembre. On peut espérer, fin septembre ou début octobre, arriver à écluser le stock et être de nouveau dans une gestion du flux.

Pour revenir aux raisons internes, je veux rappeler, pour le saluer, que les agents de la CADA, sous l'autorité de sa vice-présidente, Mme Guilhemsans, ont continué à travailler pendant la crise sanitaire. Par ailleurs, comme je l'ai souligné, des mesures internes ont permis cette évolution. Il y a d'abord une meilleure gestion différenciée des flux, avec une adéquation plus proportionnée des moyens aux questions qui sont posées. En 2016 a été introduite, par une disposition réglementaire, la possibilité pour le collège de déléguer au président la faculté de rendre des ordonnances sur les questions les plus simples. En effet, 80 % au moins des demandes portent sur des questions parfaitement balisées par la jurisprudence, qui a maintenant quarante ans, et qui a été validée par les tribunaux administratifs et le Conseil d'État. Par exemple, quand un citoyen demande sans succès la communication par la commune d'un permis de construire et qu'il saisit la CADA, il n'est pas très utile que le collège en délibère, et l'on peut parfaitement passer par une ordonnance du président, ce qui va beaucoup plus vite, et donne satisfaction à tous.

La mise en oeuvre de ce dispositif créé en 2016 n'est intervenue concrètement qu'à partir de la fin de l'année 2017, de façon extrêmement progressive, sur quatre domaines délimités dans un premier temps, puis douze, puis dix-neuf, avec des dispositifs de comptes rendus. Le dispositif s'est stabilisé, avec 20 % en 2018 et, l'année dernière, 38 % des avis qui ont ainsi été rendus par ordonnance. On peut encore grappiller quelques pourcentages, mais il faut être vigilant et veiller à ce que le tri effectué soit bien validé par la jurisprudence. Il faut aussi avoir un système de contrôle, avec des relecteurs rapporteurs, de façon qu'il y ait sur tous les dossiers une double vision.

La commission se réunit à peu près toutes les trois semaines. À l'ordre du jour, les dossiers sont répartis en trois parties. Les parties 1 et 2 sont les dossiers sur lesquels il y a véritablement discussion. La partie 1 comprend les dossiers les plus délicats, les plus difficiles, pour lesquels on demande à l'administration de venir défendre sa position. Les dossiers de la partie 2 sont présentés sans la présence de l'administration. La partie 3 représente entre 250 et 300 dossiers, contre une dizaine pour les deux premières parties : ce sont les dossiers qui ne posent pas réellement de difficultés juridiques, même s'ils ne sont pas encore, si j'ose dire, suffisamment balisés pour être traités par ordonnance.

Cette nouvelle organisation, qui s'est améliorée au fil du temps, permet de consacrer l'essentiel des ressources aux dossiers qui le méritent.

Par ailleurs, la CADA a fait en sorte d'améliorer sa communication grand public. Elle a rénové son site internet qui, honnêtement, est très bien fait. Il permet aux citoyens d'accéder à la base de jurisprudence par mots clés, donc de façon intuitive, même si on n'est pas juriste ou connaisseur. Le succès est au rendez-vous, puisque, l'année dernière, on a compté 630 000 visites, ce nombre ayant doublé en quatre ans, ce qui est une belle performance. Il y a également un modèle de saisine, non pas pour obliger les gens à le suivre, mais pour les guider, afin que, dans leurs demandes, figurent effectivement les éléments nécessaires pour que la commission puisse utilement instruire les dossiers, c'est-à-dire le document qui est demandé, la date à laquelle l'administration a été saisie, etc.

Quels sont les efforts qui restent à faire ?

Si je suis nommé, la première chose que je ferai avec le rapporteur général, désormais à plein temps, et le secrétaire général est une revue des procédures. Il s'agit de reprendre toutes les procédures, avec l'oeil neuf du béotien, pour voir si l'institution n'est pas victime de la sédimentation des habitudes. Il faut être sûr que toutes les règles suivies correspondent à la recherche de la meilleure efficience. Je crois que beaucoup a été fait, mais je ne suis pas sûr que tout ait été fait. Je pense que, y compris en interne, certains ont encore des idées sur la manière d'améliorer les choses.

Il faut sans doute également travailler sur la qualité des saisines, car beaucoup d'entre elles sont faites d'une manière qui rend la mise en état du dossier relativement difficile. Il faut aider les citoyens sans être trop dirigistes, sans aller jusqu'à demander une saisine par internet, parce que la fracture numérique est là, mais il importe de travailler à améliorer la qualité en aidant les associations ou les citoyens.

Nous devons aussi mieux coopérer avec les associations d'élus. C'est vraiment un axe de progrès. Un tiers des dossiers concerne des demandes qui sont faites aux collectivités territoriales et, essentiellement, aux communes, notamment de taille modeste, qui préfèrent souvent s'abriter in fine derrière la CADA. Il faut nous appuyer sur l'Association des maires de France (AMF) et les autres associations d'élus pour mieux communiquer, par exemple via La Gazette des communes, de façon à proposer une sorte de formation continue à destination des fonctionnaires territoriaux. La culture du secret doit céder le pas à la culture de la communication.

Enfin, nous devons veiller à animer de manière plus dynamique le réseau des personnes responsables de l'accès aux documents administratifs (Prada). Chaque administration a normalement l'obligation de désigner une personne responsable. Cela concerne aussi les communes de plus de 9 000 habitants, les départements et les régions. Cela fait 1 700 personnes, qui, par définition, connaissent mieux la réglementation et sont plus ouvertes à ces questions. Il faut vraiment sensibiliser encore plus ces relais.

Je pourrais encore vous parler des relations avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), du pouvoir de sanction de la commission, de la révolution silencieuse que l'on a connue en 2015-2016 avec l'open data, mais j'imagine que les questions de vos collègues me permettront d'aborder ces sujets.

M. Philippe Bas, président - Monsieur Nevache, si vous êtes désigné pour cette fonction, vous pourrez continuer à exercer celle de conseiller d'État, mais vous présidez également le conseil d'administration de l'École nationale supérieure de la police, une formation de jugement de la Cour nationale du droit d'asile, la commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture, et vous êtes, si mes renseignements sont exacts, aussi président du conseil d'administration de l'Institut d'études politiques de Grenoble. Parmi ces fonctions, certaines sont à la discrétion du Gouvernement, et d'autres relèvent d'une activité juridictionnelle. Quelles seront les fonctions que vous conserverez ?

M. Jean-Luc Nevache. - La fonction de président de la CADA n'étant pas une activité à plein temps, je garderai les fonctions d'assesseur à la première chambre du contentieux du Conseil d'État, qui est mon métier de base. Dans la mesure du possible, si je suis désigné, je souhaiterais conserver la présidence du conseil d'administration des deux écoles, c'est-à-dire l'École nationale supérieure de la police de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or et Sciences Po Grenoble, où j'ai été formé. Cela correspond à trois ou quatre réunions par an. En revanche, je laisserai, à regret, la présidence d'une chambre de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), fonction tout à fait passionnante, mais qui est assez prenante.

M. Jean-Yves Leconte. - J'aimerais avoir votre avis sur la possibilité de la CADA d'être saisie de demandes de parlementaires adressées ès qualités.

Quelle est votre position sur l'open data ? Quelle peut être la coordination avec la CNIL en la matière ?

Par ailleurs, n'y a-t-il pas souvent des cas où la CADA donne des avis sans savoir les suites données par l'administration ?

Enfin, la CADA se prononce parfois sur la communication, non pas de documents administratifs, mais d'informations. Cela demande énormément de travail à l'administration. Comment gérer cette difficulté ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Votre parcours est riche. Il vous servira à la tête d'une institution ô combien importante, comme l'a rappelé le président Bas.

Je veux d'abord dire, comme M. Leconte, que les parlementaires devraient pouvoir saisir la CADA ès qualités.

Vous savez que la CADA a refusé de souscrire à la demande de communication d'un certain nombre de documents au motif du secret des affaires. Ce principe a été consacré dans une loi transposant une directive européenne. Il pose de nombreux problèmes, même si le Conseil constitutionnel l'a validé, ne souscrivant pas à l'argument que nous avions développé s'agissant du droit des journalistes.

Certes, il faut protéger, dans une certaine mesure, le secret des affaires, mais nous sommes aussi attachés au droit à l'information. D'ailleurs, la CADA a précisément pour mission de favoriser le droit à l'information des citoyens. Quelle est votre analyse sur ce sujet ?

M. Christophe-André Frassa. - En conclusion, vous avez laissé la porte grande ouverte à l'open data, en évoquant notamment le quadruplement en cinq ans des délais de traitement.

L'open data constitue-t-il, à vos yeux, une solution pour réduire la demande d'accès aux documents administratifs ? Certaines d'entre elles semblent pourtant encore réticentes : comment les motiver ?

Ma seconde question est liée à la dématérialisation des échanges : serait-il, selon vous, nécessaire de moderniser certains aspects de la loi de 1978 ? La notion de documents administratifs doit-elle évoluer ? Certaines exceptions sont-elles trop restrictives et mériteraient-elles d'être revues ?

M. Yves Détraigne. - J'ai été pendant six ans le représentant du Sénat à la CADA. Durant cette période, j'ai eu l'impression d'avoir vu tous les cas de figure, et je m'étonne que l'on ait encore besoin d'organismes comme celui-ci, même s'ils font très bien leur travail, alors que des dizaines de milliers d'affaires ont été tranchées. Est-ce le Français qui, par nature, n'accepte pas la décision prise ? Ou le processus d'élaboration de la décision au sein des administrations qui n'est pas satisfaisant ?

M. Pierre-Yves Collombat. - Assurer la sécurité sanitaire est devenue la première vertu d'un État ! Avez-vous réfléchi au problème spécifique de la conciliation entre liberté et communication en matière de santé ? Vous aurez certainement de plus en plus des saisines relatives à des décisions prises par des autorités, souvent très mystérieuses, dans le domaine sanitaire. Mais peut-être n'y avez-vous pas encore réfléchi à ce stade, ce qui serait compréhensible...

M. Jean-Luc Nevache. - À la première question, ma réponse sera courte. Un parlementaire est une personne : il peut donc saisir la CADA.

S'agissant de la coordination avec la CNIL, le Sénat a mené une réflexion il y a quelques années sur l'éventualité d'un regroupement ou d'une fusion entre la CNIL et la CADA. Le rapport sur les autorités administratives indépendantes de M. Gélard en 2006 évoquait déjà cette question. Le Parlement a finalement choisi une autre solution : la représentation croisée. Le président de la CNIL ou son représentant est membre de la CADA, et inversement. Ce sont des membres très actifs des collèges. Le système, qui fonctionne très bien, permet de croiser les dossiers d'intérêt commun.

Un autre dispositif a été permis par la loi : la réunion commune des collèges. Cette possibilité a été utilisée seulement deux fois, en 2017 et en 2019. En réalité, peu d'objets de délibération peuvent être mis en communs, si ce n'est décider de la réalisation de guides sur des sujets d'intérêt pour les deux institutions. Ainsi, un guide sur l'open data destiné aux collectivités territoriales et aux administrations a été élaboré ; il est en ligne, et a un certain succès.

J'ajoute que la CNIL et la CADA sont maintenant dans les mêmes locaux du Secrétariat général du Gouvernement, ce qui facilite les contacts entre agents et permet de développer une culture commune.

Les administrations ont théoriquement l'obligation de faire part des suites qu'elles donnent à ces avis, mais elles ne le font pas toujours. Plus exactement, le taux de réponse diminue d'année en année. Cela signifie-t-il qu'elles ne les suivent pas ? Je ne le crois pas, car le taux de saisine des tribunaux administratifs sur les questions dont la CADA a eu à connaître est stable et faible. Nous avons plutôt le sentiment que les avis sont suivis d'effets, mais un certain nombre d'administrations ne nous en donnent pas l'information, pas plus que les requérants. Le taux de retour est seulement de 55 %, ce qui ne nous permet pas d'avoir des résultats d'une grande fiabilité.

Les demandes qui sont présentées à la CADA sont parfois assez larges et très imprécises : il est, par exemple, demandé la communication de « tous les documents concernant » tel sujet. Aux termes de la loi, ne sont communicables que les documents qui existent ; la loi pour une République numérique prévoit aussi que tout document existant doit être dans un format communicable. Quand le document existe, mais qu'il n'est pas dans un format communicable, il faut que l'administration fasse l'effort de le transformer en un document communicable. Cela demande parfois - je le concède volontiers - des efforts importants aux administrations, mais elles s'y mettent progressivement.

Monsieur Sueur, sur le secret des affaires, le rapporteur général de la CADA et les agents m'ont fait savoir que la loi, qui a suscité beaucoup de jurisprudence et de demandes d'avis, ne s'est pas traduite par une modification de la jurisprudence de la CADA. Il n'y a pas eu de diminution du droit d'accès. La CADA est plutôt en « avance de phase » sur la communication, et il peut arriver que la jurisprudence administrative ne la suive pas. Cela a été le cas, par exemple, en matière de droits d'auteur : dès les années 1980, la CADA a considéré que la propriété intellectuelle et artistique ne s'opposait pas à la communication à partir du moment où il n'y avait pas de réutilisation. Le Conseil d'État, lui, a considéré que la balance devait être quelque peu différente. On ne peut donc pas dire que la CADA est en arrière de la main : sa mission est d'aller au bout de l'interprétation de la loi dans le sens de la transparence et de la communication.

Tout le monde espérait que l'open data allait diminuer les entrées à la CADA, mais le résultat a été inverse, dans un premier temps au moins. La loi pour une République numérique a créé beaucoup d'incertitudes dans les administrations, qui se sont interrogées sur ce qui était communicable et ce qui ne l'était pas, sous quel format et dans quelle mesure... Comment les secrets protégés par la loi devaient-ils être interprétés ? Cela a donné lieu à un surcroît de travail très important dans les années 2015-2016, faisant augmenter les flux de saisines, mais aussi le stock, car un certain nombre des questions posées étaient complexes. Aujourd'hui, on considère que la jurisprudence dans ce domaine est stabilisée. On peut espérer qu'au fur et à mesure de la mise en place de l'open data, un certain nombre de demandes ne trouveront plus à s'appliquer.

Il faut continuer à motiver les administrations, et les faire passer d'une culture du secret à une culture de l'ouverture et de la transparence. Tout le monde a conscience que derrière la crise de la décision publique et de la confiance dans la parole publique, il y a une crise de confiance, qui soulève la question de la transparence des procédures et des documents. C'est un des éléments sur lequel il faut faire front si l'on veut contrebattre cette crise de la confiance dans la parole et dans l'action publiques.

Sur la modernisation de la loi de 1978, la CADA a fait ce que vous souhaitiez, monsieur le sénateur. Elle a interprété les documents administratifs de manière extrêmement large : un courriel, un SMS, un algorithme, une base de données sont des documents administratifs. Il faut simplement que ces documents aient les caractéristiques d'un document administratif communicables.

M. Philippe Bas, président. - C'est non pas la nature du document, mais ce qu'il contient qui importe.

M. Jean-Luc Nevache. - La loi pourra faire l'objet d'un toilettage à l'occasion, mais elle ne pose pas de problème d'un point de vue juridique.

Monsieur Détraigne, la question que vous posez est formidable : a-t-on encore besoin de la CADA ?

M. Philippe Bas, président. - On arrive enfin à l'essentiel !

M. Jean-Luc Nevache. - Je ne suis membre du Conseil d'État que depuis peu de temps, mais Dieu sait que les jurisprudences administratives sont multiples et que de nombreux sujets ont déjà été tranchés ! Pourtant, nous avons toujours de nouvelles affaires qui posent de nouvelles questions, parfois épineuses et qui n'ont jamais été traitées. Il faut aussi laisser leur pain aux juristes.

Plus sérieusement, quand je serai sûr que l'on ne reconstitue pas le stock, je me pencherai sur cette question de fond. Le dispositif de saisine obligatoire préalable de la CADA, quarante ans après sa création, est-il toujours aussi pertinent ? N'aboutit-il pas, dans un certain nombre de cas, à allonger la procédure sans réellement améliorer les choses ? Mais la CADA a une autorité morale, et on sait que la simple information qu'elle a été saisie débloque nombre d'affaires. Il faut aussi se demander si une CADA centralisée est toujours pertinente. Pour les 80 % des affaires qui portent sur une jurisprudence très établie, un système déconcentré, par exemple au sein des cours administratives d'appel, ne permettrait-il pas d'obtenir les mêmes résultats ? Ces cours pourraient faire le tri et saisir une commission centrale pour trancher les nouvelles questions de jurisprudence. S'il faut peut-être réfléchir à l'organisation de la CADA, je crois en revanche que sa mission perdure - le nombre de saisines le montre.

Monsieur Collombat, le domaine de la santé est le plus sensible, en raison des enjeux, à la fois, de préservation du secret individuel, de santé publique et d'intérêt public, sans oublier des enjeux économiques considérables. Je ne veux pas trop m'avancer sur ce sujet, car je n'ai pas une connaissance suffisamment précise du type de questions posées à la CADA. Je sais que celle-ci est saisie d'assez nombreuses questions sur les banques de données dont disposent les agences, comme l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et Santé publique France, et sur les dossiers relatifs à la qualification des médicaments ou à la définition de leur intérêt thérapeutique, des sujets assez délicats.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie, monsieur Nevache. Nous allons maintenant nous prononcer sur votre candidature. Le dépouillement se fera en même temps que celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Luc Nevache aux fonctions de président de la Commission d'accès aux documents administratifs

M. Philippe Bas, président. - L'audition de Jean-Luc Nevache étant désormais achevée, nous allons à présent procéder au vote.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis du Règlement du Sénat, et les délégations de vote ne sont pas autorisées, en vertu de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote.

Le dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait pas procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

Dépouillement simultané au sein des commissions des lois des deux assemblées des scrutins sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Luc Nevache aux fonctions de président de la Commission d'accès aux documents administratifs

La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Luc Nevache aux fonctions de président de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), simultanément à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale.

M. Philippe Bas, président. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 18

Bulletins blancs : 0

Bulletin nul : 0

Suffrages exprimés : 18

Pour : 18

Contre : 0

La réunion, close à 12 h 40, est reprise à 13 h 35.

Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Philippe Bas, président. - Nous entendons cet après-midi M. le garde des sceaux sur la politique judiciaire du Gouvernement, quelques jours après son entrée en fonctions.

Monsieur le garde des sceaux, nous aimerions savoir comment vous allez mettre votre expérience de la défense des justiciables au service du redressement du service public de la justice.

Nous ne pouvons nous satisfaire de considérer que les modalités de nomination des procureurs, leur indépendance et le rôle du garde des sceaux vis-à-vis des parquets constituent les principales urgences de l'actualité judiciaire, même s'il s'agit de questions importantes. Pour nous, l'essentiel est que vous puissiez, par votre action, obtenir une accélération et une simplification de la justice, afin que celle-ci soit mieux comprise, et rapprocher la justice de nos concitoyens.

Sur le plan pénal, nous attachons de l'importance à la remise à niveau de notre appareil pénitentiaire - c'est d'ailleurs l'une des urgences que vous avez soulignées lors de votre prise de fonctions. Comment faire en sorte que, à la première infraction, des sanctions appropriées soient mises en oeuvre ? Il faut également travailler à la prévention de la récidive, qui est un mal français.

Quels moyens pourrez-vous mobiliser pour aller plus loin que la loi de programmation et de réforme pour la justice ? Nous avons refusé d'adopter cette loi, car elle prévoyait des crédits insuffisants au regard des évaluations que nous avions faites dans notre rapport d'avril 2017 intitulé Cinq ans pour sauver la justice !

Il faut faire un effort très important de redressement du service public de la justice et l'inscrire dans la durée, au-delà des échéances électorales, des alternances et des clivages politiques. Votre audition sera courte, monsieur le garde des sceaux, puisqu'elle doit impérativement se terminer avant 15 heures. Je vous demanderai donc de ne pas dépasser 10 minutes pour votre propos introductif. Mes chers collègues, nous appliquerons pour les questions la règle des 2 minutes valable pour les questions d'actualité.

Cette audition est ouverte à tous les sénateurs. Je serai contraint de donner la priorité aux membres de la commission des lois pour les questions, mais j'espère que nous aurons le temps de donner la parole à nos autres collègues, dont la présence montre l'importance accordée par le Sénat à la modernisation du service public de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je suis heureux de l'occasion qui m'est aujourd'hui offerte, quelques jours après ma prise de fonctions, de vous présenter l'action que j'entends mener à la tête du ministère de la justice pour rapprocher la justice des citoyens et améliorer son fonctionnement.

En préambule, j'évoquerai rapidement la situation à Roanne, où un détenu du centre pénitentiaire retenait, jusqu'à il y a quelques minutes, sa compagne à l'issue d'un parloir. L'équipe régionale d'intervention et de sécurité de Lyon s'est rendue sur le site. La prise d'otages semble terminée, si tant est qu'on puisse, à cet instant, la qualifier de la sorte. Mes services vont me tenir rigoureusement informé de la suite des événements, même si, à cet instant, tout danger semble être écarté.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le temps est tout à la fois précieux et compté dans la présente mandature. Pour autant, des inflexions majeures peuvent d'ores et déjà être apportées à un système judiciaire dont vous pourrez convenir tristement avec moi qu'il souffre aujourd'hui d'une véritable défiance de la part de nos concitoyens. Cette situation, à l'évidence, n'est pas satisfaisante, et je veux précisément m'employer à la corriger. Changer le regard des Français sur leur justice, les réconcilier avec elle, ce sont mes espérances au moment où j'assume la responsabilité que m'ont confiée le Président de la République et le Premier ministre.

Ce combat pour la restauration du lien de confiance entre les citoyens et la justice n'est pas seulement celui du ministre et de son administration : c'est celui des magistrats, des greffiers, des agents qui, tous - je le mesure chaque jour davantage -, sont remarquables en termes d'engagement, de compétence, de dévouement pour le service public de la justice. C'est le combat du Gouvernement tout entier qui, par la voix du Premier ministre, a fait de la réforme de la justice une priorité.

Ce combat, il nécessite le soutien de la représentation nationale, et tout particulièrement celui du Sénat et des membres de la commission des lois qui ont consacré d'importants travaux au projet ambitieux et partagé de redressement de la justice. Sur la base de ce constat de procéder à un nécessaire et urgent redressement de la justice, de très importants chantiers de modernisation, comme le plan de transformation numérique, ont été lancés par ma prédécesseure, Nicole Belloubet. Je souhaite saluer devant vous son engagement, ses compétences et son action au cours des trois années passées. Il m'appartient désormais de faire aboutir plusieurs réformes importantes lancées sous son ministère, comme la loi sur la bioéthique, le Parquet européen ou la réforme tant attendue de l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante. J'ai déjà eu la grande satisfaction hier, devant votre Haute Assemblée, de porter une loi destinée à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes.

Sur ce sujet de première importance, toutes les actions seront engagées pour donner leur plus grande portée aux conclusions du Grenelle contre les violences conjugales. Je veux en particulier que les femmes victimes soient entendues, qu'elles reçoivent un meilleur accueil dans les commissariats et les gendarmeries et qu'elles soient prises en charge par le milieu hospitalier au plus près de leur domicile. Je souhaite créer à cette fin des unités de proximité dans les hôpitaux, et j'ai obtenu l'assurance de leur financement.

Je veux aussi qu'une réponse soit apportée à la situation de la personne suspectée de violences conjugales qui ne peut pas être déférée, car la procédure n'est peut-être pas terminée. Je souhaite qu'elle rencontre un magistrat du parquet qui la mette en garde contre ce type d'agissements, afin qu'il y ait un rappel de la loi, indépendamment des poursuites engagées ou non plus tardivement.

Au titre de ma feuille de route pour les presque 600 jours à venir, il me revient, pour répondre à l'objectif de justice de proximité fixé par le Premier ministre, d'ouvrir de nouveaux chantiers et d'apporter des améliorations concrètes au fonctionnement des juridictions.

Le travail ne manque pas pour le ministre de la justice, mais aussi pour le Parlement dans ses différentes missions de législateur, de contrôleur et d'aiguillon du pouvoir exécutif. Je ne demande qu'à travailler étroitement et en confiance avec vous.

Ma connaissance de la justice n'est pas technocratique, elle est charnelle, nourrie par une expérience de plus de trente ans dans presque tous les tribunaux de France, humaine et intime. Le dénuement de notre justice, son décrochage par rapport au système judiciaire des autres pays européens, la dégradation de son image dans l'opinion publique, les condamnations multiples de la France par la Cour européenne des droits de l'homme à l'occasion de procès inéquitables me sont devenus insupportables. C'est pour cette raison que j'ai décidé de m'engager aux côtés du Président de la République, afin d'améliorer la justice de notre pays et d'agir au soutien des femmes et des hommes qui travaillent dans les juridictions, comme dans les services et établissements de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'administration pénitentiaire.

La priorité de mon action porte donc sur la mise en place d'une justice de proximité. J'apporterai d'abord une précision sémantique. Le Premier ministre a évoqué la nécessité évidente d'avoir des juges de proximité. Beaucoup s'en sont étonnés. Il n'a jamais été question de rétablir ce qui a été supprimé en 2017, mais, à droit constant, avec les pleines possibilités offertes par la loi de programmation et de réforme pour la justice, de faire en sorte que la justice soit rendue au plus près de nos concitoyens. Cet objectif peut être atteint par la tenue d'audiences foraines en plus grand nombre, et, surtout, par l'utilisation effective des dispositions du nouvel article L. 218-8 du code de l'organisation judiciaire : cette disposition permet en effet aux chefs de cour d'attribuer des compétences matérielles supplémentaires à une chambre de proximité d'un tribunal judiciaire dans l'ensemble des matières civiles et pénales relevant de la compétence du tribunal judiciaire.

Vous êtes la Haute Assemblée des territoires : je précise que ces attributions de compétences aux chambres de proximité ne seront pas prises unilatéralement ni depuis Paris, mais au terme d'une réflexion et d'une concertation conduites localement, après consultation du conseil de juridiction. Ce conseil comprend notamment le maire de la commune, siège du tribunal judiciaire, le président du conseil départemental et le bâtonnier de l'Ordre des avocats du ressort. Les élus doivent être écoutés et entendus, car ils connaissent les préoccupations locales. Je veux aussi travailler au rapprochement des élus et de la justice.

S'agissant des attributions de compétences, il me paraît souhaitable, sous réserve des appréciations locales, que les juges aux affaires familiales (JAF) et les juges des enfants se déplacent dans les territoires, ou encore que les petits délits et les incivilités soient rapidement jugés en proximité. Un effort doit être fait également pour les victimes. Je suis très sensible à l'accueil qui leur est réservé ; elles doivent être entendues lorsque la gravité des faits justifie qu'une attention toute particulière leur soit portée.

La réalisation de cet objectif nécessite des renforts en personnel. Je sais que nous pourrons atteindre ces objectifs par le retour à la trajectoire de la loi de programmation et des améliorations ciblées. Je sais le Premier ministre attentif aux besoins de la justice. Je vais mettre toutes mes forces dans la balance pour obtenir les moyens nécessaires. Je sais votre commission et la Haute Assemblée très vigilantes à ce sujet, comme l'ont montré les avis de Mme Josiane Costes et de MM. Yves Détraigne et Alain Marc sur le projet de loi de finances pour 2020.

Je souhaite également - c'est une réforme qui ne coûte rien - généraliser à l'ensemble du pays les bonnes pratiques mises au point et expérimentées dans les territoires. Il s'agit là d'une mesure de bon sens, qui apporte des améliorations concrètes aux justiciables et améliore le travail des juridictions. À titre d'exemple, la crise sanitaire a conduit à améliorer localement l'organisation des convocations des justiciables avec des horaires séquencés et adaptés. Cela peut paraître peu de chose, mais c'est en réalité une marque de respect de l'institution pour le justiciable.

Il est aussi dans mes intentions de poursuivre et de lancer un certain nombre de chantiers avec le même objectif d'amélioration de la justice et de traitement concret des difficultés.

Je souhaite d'abord l'aboutissement de la réforme de l'article 65 de la Constitution qui permettra de soumettre les nominations des magistrats du parquet à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et qui donnera à ce dernier un pouvoir de décision sur la discipline des magistrats du Parquet, à l'identique de ceux du siège. Un projet de loi constitutionnelle a déjà été adopté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat en 2016. Pour mener cette réforme à son terme, il est nécessaire qu'elle soit adoptée soit par référendum, soit par le Congrès. Cette décision appartient évidemment à M. le Président de la République.

Je veux ensuite faire aboutir une réflexion nourrie par l'expérience et que je porte depuis longtemps relative à l'enquête préliminaire et à la détention provisoire. L'enquête préliminaire dure souvent trop longtemps : elle n'est plus préliminaire, elle devient éternelle sans le contradictoire consubstantiel à l'idée même de justice. S'agissant de la détention provisoire, elle est nécessaire dans certains cas, mais doit rester - la loi le dit déjà - exceptionnelle. D'autres moyens existent ; je demanderai aux parquets de prendre des réquisitions en ce sens.

M. Philippe Bas, président. - Monsieur le garde des sceaux, je me permets de vous interrompre. Il faudrait, si vous en avez la possibilité, contracter la suite de votre introduction.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Cela paraît difficile.

M. Philippe Bas, président. - Mes collègues risquent de ne pas avoir le temps de vous poser leurs questions.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Monsieur le président, si vous me réinvitez, je reviendrai avec un immense plaisir. C'est la première fois que je prends pleinement la parole au Sénat. Nous avons travaillé sur mon discours, et vous me demandez de le réduire, ce qui est tout de même un peu compliqué.

M. Philippe Bas, président. - Je vous connais de grandes capacités oratoires, et je suis persuadé que vous pouvez aller jusqu'au terme de votre intervention sans forcément lire l'ensemble du propos, mais c'est à vous de décider.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je vais donc m'en tenir aux têtes de chapitres.

Je souhaite également travailler sur la présomption d'innocence et sur le secret de l'enquête, dans la concertation avec les différents acteurs concernés, notamment les journalistes.

La question de la justice des mineurs est l'un de mes sujets de préoccupation. Vous aurez prochainement à connaître de la réforme de l'ordonnance de 1945. Mes convictions sont claires : je souhaite que les mineurs soient jugés dans les meilleurs délais, et non au-delà de leur majorité comme cela arrive parfois. Cela n'a aucun sens : des jeunes commettent à 16 ans des faits pour lesquels ils sont jugés à 22 ans, alors qu'ils peuvent être mariés et avoir changé de vie.

La condition pénitentiaire dans tous ses aspects est aussi l'un des points forts de mon action. Je veux d'abord rendre hommage aux personnels de l'administration pénitentiaire. Nous avons atteint un taux historiquement bas d'occupation des prisons : je souhaiterais dans la mesure du possible qu'il puisse être maintenu. Je sors de mon discours pour vous dire que j'ai été le témoin, passif mais extrêmement attentif, d'une conversation entre deux jeunes détenus et des personnels pénitentiaires : les premiers disaient que leurs conditions de détention s'étaient améliorées et les seconds que, grâce à cette amélioration, ils pouvaient mieux travailler, faire de la pédagogie et de la réinsertion.

En matière pénale, la fréquentation des cours d'assises et des établissements pénitentiaires ont occupé une grande partie de ma vie d'avocat. Je vais laisser les expérimentations en cours se dérouler, mais je ne veux pas que la cour d'assises meure.

Je vais très vite en ne prenant qu'un mot par page, monsieur le président, pour vous être agréable !

M. Philippe Bas, président. - Je me sens obligé devant tant de courtoisie de vous proposer de prendre votre temps !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La justice administrative mérite un certain nombre de modifications. Nous en reparlerons si vous le souhaitez.

Enfin, nous travaillerons sur la justice européenne, notamment le Parquet européen.

Le programme que je viens d'esquisser en le comprimant quelque peu et dont je vous entretiendrai régulièrement dans les mois à venir est ambitieux. Je sais pouvoir compter sur votre Haute Assemblée pour bénéficier, à la fois, de votre soutien, mais aussi de vos éclairages.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie beaucoup, monsieur le ministre. Vous allez pouvoir entrer dans le détail en répondant à nos questions.

J'observe que, s'agissant de la justice de proximité, nous avions sans doute mal compris le Premier ministre. En réalité, votre objectif est plutôt la proximité de la justice que la justice de proximité, au sens où on l'entend depuis 2003 avec l'institution des juges de proximité, qui ont depuis lors disparu. Cette clarification était utile.

Vous avez parlé du retour à la trajectoire de la loi de programmation et de réforme pour la justice : cette expression me laisse perplexe. Je sais - vous en faites ici l'aveu - que la trajectoire n'est pas suivie : pour l'année 2020, nous en sommes à peu près à la moitié de la hausse prévue dans la loi. J'avais compris que le Président de la République et le Premier ministre vous avaient donné des assurances non seulement pour appliquer correctement la loi de programmation, ce qui n'avait pas été le cas jusqu'à présent, mais aussi pour aller au-delà et augmenter encore davantage les moyens de la justice.

Nous avons conscience que les moyens nécessaires ne vont pas sans réformes, car on ne peut pas demander de hausse des moyens si c'est pour rendre la justice à l'identique. Nous sommes évidemment très soucieux de vous entendre sur ce point, ainsi que sur vos projets de réforme pour simplifier et accélérer la justice, ainsi que la rapprocher des citoyens. L'idée de développer une possibilité qui existe déjà dans notre droit, à savoir la justice foraine - les termes sont incompréhensibles pour le public, mais il s'agit de permettre aux greffiers et aux magistrats de se déplacer au plus près des justiciables pour rendre une justice de proximité - est bonne. Comment entendez-vous la mettre en oeuvre ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Monsieur le président, les arbitrages budgétaires seront prochainement rendus. Il faudra donc m'inviter de nouveau pour que je vous détaille les chiffres.

Mon premier objectif, c'est de recoller à la trajectoire de la loi de programmation et de réforme pour la justice. Il faudrait disposer de moyens supplémentaires pour mettre en oeuvre la justice de proximité, par exemple en créant des postes supplémentaires de juristes assistants et en soutenant les personnels de greffe aujourd'hui en difficulté. Nous devons aussi remettre à niveau et revaloriser certaines filières, comme la filière socio-éducative, tout en étant attentifs à la situation des autres personnels du ministère.

M. Philippe Bas, président. - J'espère que vous obtiendrez de bons arbitrages !

Mme Catherine Troendlé. - Dans son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale, le Premier ministre a indiqué vouloir promouvoir la justice de la vie quotidienne, considérant que « dans beaucoup de territoires, la petite délinquance, les petites incivilités, le tag, l'insulte, le petit trafic, les troubles à ce que le code communal appelle la tranquillité publique, se sont développés au point de gâcher la vie des gens. Ils se sont développés car, faute de réponse judiciaire, une forme d'impunité s'est installée ».

Pourtant, depuis les années 1990, la justice s'est efforcée d'apporter une réponse pénale à la grande majorité des infractions. Votre ministère a indiqué qu'une réponse pénale est apportée à 88 % des auteurs d'infractions. Dans 60 % des cas, la réponse pénale consiste en des poursuites devant une juridiction. Pour le solde, il s'agit de mesures alternatives aux poursuites ou de compositions pénales. Dans ce contexte, quelles initiatives supplémentaires comptez-vous prendre pour lutter encore plus efficacement contre la petite délinquance du quotidien ? Le problème de fond n'est-il pas que de nombreux auteurs d'infractions ne sont tout simplement pas identifiés ?

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous avez à plusieurs reprises souligné la nécessité de rétablir la confiance entre les citoyens et la justice. C'est sur ce point que je souhaiterais vous interroger. Vous avez prêté serment en 1984, il y a trente-six ans. Vous avez été avocat sans désemparer. Vous avez eu au long de votre carrière un grand nombre de clients - certains sans doute plus connus que d'autres -, mais dans la période récente Abdelkader Merah, Jérôme Cahuzac, Théo Luhaka et Julian Assange.

Comme la Conférence nationale des procureurs de la République le demande, il faudrait que vous puissiez clarifier les conditions de la remontée d'informations dans les affaires individuelles et la nature de votre relation avec le barreau - vous êtes-vous fait omettre ou avez-vous démissionné ? Je vous ai entendu répondre au journaliste Laurent Delahousse que vous ne saviez pas - ce n'est pas moi qui vous en ferai le reproche - si vous reprendriez ou non la robe à la fin de cette mission de ministre. Quelle organisation avez-vous mise en place au sein du ministère pour interdire toute remontée d'informations ? Avez-vous, comme Gérald Darmanin, adressé une lettre de déport afin que les affaires qui vous ont concerné ne vous remontent pas ? Avez-vous, en ce qui concerne la procédure visant votre collègue du Gouvernement, Gérald Darmanin, mis en place un dispositif spécifique ? Sur l'ensemble de ces questions, êtes-vous prêts à la transparence totale de manière à ce que nous ayons une confiance totale dans votre rôle au sein de ce ministère ?

M. Pierre-Yves Collombat. - Je souhaite vous interroger sur la responsabilité pénale des maires et de leurs délégués. Si la longue file de leur responsabilité universelle n'a rien à voir avec celle du citoyen lambda ou même d'un chef d'entreprise, voire d'un médecin ou d'un avocat, il en va différemment de leur responsabilité pénale. Au mieux, elle est la même ; souvent, elle est plus lourde, au motif que l'intéressé est investi d'un mandat électif public, d'un pouvoir général de police ou dépositaire de l'autorité publique.

Nous sommes nombreux, au Sénat, à considérer que la réduction de ce déséquilibre appelle la révision du code pénal sur trois points : préciser les notions de prise illégale d'intérêts et de délit de favoritisme, ce que le Sénat a fait à l'unanimité, par deux fois, mais qui a disparu dans le trou noir de la navette, ainsi que l'article L. 122-4 du code pénal, en donnant force de loi à l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 10 octobre 2012 relaxant le maire de Cousolre précédemment condamné pour avoir donné une gifle à un adolescent provocateur - un dossier que vous connaissez bien.

Pensez-vous possible de faire évoluer les choses simplement en demandant l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale d'un des deux textes votés par le Sénat ? On gagnerait du temps, et vous pourriez régler un problème qui traîne depuis des années et qu'on se refuse à regarder en face.

M. Dany Wattebled. - J'aurais aimé avoir votre sentiment en tant qu'avocat sur le secret de l'instruction. Bien souvent, la presse est informée à la minute près de l'instruction. La personne entendue fait parfois l'objet des gros titres, ce qui équivaut à une condamnation morale. Elle doit porter ce poids pendant le temps de l'instruction, qui peut durer un ou deux ans, alors même qu'elle n'a pas été condamnée juridiquement. Il faudrait s'attaquer à ce serpent de mer.

M. Jean-Pierre Sueur. - Vous avez parlé de l'indépendance du parquet et de la réforme du CSM. Pouvez-vous vous engager à ce que, d'ici à la fin de votre mandat, le projet de loi constitutionnelle qui a déjà été voté par les deux assemblées soit soumis à l'approbation du Congrès ? Je crois préférable que la révision constitutionnelle porte sur ce seul sujet. Si vous soumettez un projet plus large, incluant notamment la baisse du nombre de députés et de sénateurs, on va « naufrager » la réforme !

Ensuite, vous avez dit que vous battiez « comme un forcené » pour que la cour d'assises ne meure pas. L'expérimentation de neuf cours criminelles ne va pas dans le sens de ce combat, surtout après qu'il a été envisagé dans un récent projet de loi d'étendre l'expérimentation à 30 départements, nombre finalement ramené à 18 à la suite de la commission mixte paritaire. Allez-vous revenir sur l'expérimentation pour défendre bec et ongles le jury populaire?

Enfin, puisque vous êtes très attaché à la réforme de la justice des mineurs, allez- vous renoncer à la faire par voie d'ordonnance et nous présenter un projet de loi, ce qui permettrait un véritable débat parlementaire sur le sujet ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Un certain nombre de réponses étaient contenues dans mon discours initial !

M. Philippe Bas, président. - Les questions vous permettent donc de dire ce que vous souhaitiez exposer.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Madame Troendlé, quand les auteurs d'une infraction ne sont pas identifiés, ni vous ni moi n'y pouvons quoi que ce soit.

Au-delà du taux de réponse, c'est le délai de réponse qui me paraît extrêmement important. Qu'un jeune commette des faits à 16 ans et qu'il soit sanctionné à 22 ans, cela n'a strictement aucun sens !

On choisira le vocable le moment venu - juge de proximité, juge de l'urgence, je n'en sais rien -, mais je souhaite que l'auteur d'une infraction reçoive un message judiciaire quelques heures après la commission de l'infraction. Les magistrats et les avocats croient en la pédagogie de la justice. La justice est faite non seulement pour punir, mais aussi pour délivrer un avertissement.

J'ai défendu le maire de Cousolre qui avait giflé un jeune et que la cour d'appel de Douai, heureusement, a fini par relaxer.

Les gens sont exaspérés par les jeunes qui commettent des incivilités insupportables. Le sentiment d'insécurité est presque plus grave que l'insécurité, car il permet le fantasme. L'absence de réponse immédiate démoralise complètement les forces de l'ordre, qui considèrent que les juges sont laxistes. Je veux mettre un terme à cette situation : un jeune pris en train de taguer doit pouvoir repeindre un mur de commissariat dès le lendemain. Au-delà des clivages politiciens, on peut être tous d'accord sur des mesures de cette nature.

M. Philippe Bas, président. - Cela existe déjà.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Certes, mais le dispositif fonctionne mal.

M. Philippe Bas, président. - Ce n'est donc pas une réforme législative que vous nous proposez.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je n'ai pas parlé de réforme législative. J'aurai peu de temps et je veux aller vite. Nous devons appliquer des bonnes pratiques pour aller vers l'essentiel.

Voici d'autres exemples de ce qu'est pour moi la justice de proximité : en matière de divorce, la crise du covid-19 nous a permis de découvrir que l'on pouvait convoquer les couples de manière séquencée et plus humaine - comme le demandent les avocats -, sans parquer trente personnes dans une même salle, alors qu'ils vivent l'un des moments les plus douloureux de leur vie. Aujourd'hui, le divorce, ce sont deux jeux de conclusions d'avocat et les intéressés ne voient même plus le juge : est-ce vraiment satisfaisant ? Toutes ces petites mesures toutes simples doivent être mises en oeuvre, sans nécessairement requérir une traduction législative.

Mme Catherine Troendlé. - Vous avez dit dans votre avant-propos que si de nombreux auteurs d'infractions n'étaient pas identifiés vous n'y pouviez rien. Si, vous pourriez demander à votre collègue ministre de l'intérieur de débloquer plus de moyens pour les enquêteurs !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Madame de la Gontrie, les choses sont extrêmement claires : j'ai identifié avec mon équipe les dossiers problématiques. Cela n'a pas toujours été simple : j'ai pu défendre quelqu'un il y a quinze ans qui peut revenir sur le devant de la scène... Je suis très clair sur ce point : je ne m'interdis aucune remontée d'informations, sauf celles qui concerneraient mon activité antérieure. Je m'interdis en revanche de donner quelque directive que ce soit à qui que ce soit. C'est très clair. Mais c'est le lieu de tous les fantasmes et de toutes les interprétations, et personne ne sera jamais convaincu... L'un des grands principes de notre droit, c'est que la mauvaise foi ne se présume pas. Je n'aurai aucune remontée d'informations sur les affaires qui m'ont concerné. Strictement aucune.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Comment cela est-il formalisé ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il y a une liste. Si vous trouvez une solution plus adéquate à la situation, je suis preneur. Nous avons réfléchi, mais n'avons pas trouvé d'autre solution que cette liste. J'ai une déontologie et je la respecterai. Je ne recevrai aucune information sur les affaires qui ont pu me concerner.

M. Philippe Bas, président. - Notre exigence ne peut pas nous conduire à interdire à un avocat de devenir garde des sceaux... Mais pourquoi vouloir maintenir les remontées d'informations jusqu'au garde des sceaux, tout en affirmant qu'il ne s'en servira jamais pour donner des instructions au parquet ? Il y a une sorte de contradiction. À quoi vont vous servir ces remontées d'informations si vous n'avez pas le droit d'intervenir ? Une clarification serait utile.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Les choses sont très simples. Il est normal que le garde des sceaux ait connaissance des affaires qui concernent le fonctionnement de l'État : c'est l'une de ses missions.

M. Philippe Bas, président. - Mais pour quoi faire ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Pour être informé.

M. Philippe Bas, président. - Mais pourquoi ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est comme vous avec une commission d'enquête : pour être informé sur une situation. Vous voudriez peut-être en savoir plus que moi ?

M. Philippe Bas, président. - Mais c'est pour faire la transparence démocratique !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je suis aussi le chef de la politique pénale et il me paraît tout à fait normal que le garde des sceaux soit informé ! Ce sont nos textes : si vous souhaitez en changer, vous avez une liberté d'intervention que je ne vous contesterai pas. J'entends donc recevoir ces informations, mais je ne les utiliserai pas pour appeler tel procureur ou, pire encore, tel juge du siège. Là aussi, ce sont nos textes et je suis tenu de respecter la loi.

M. Philippe Bas, président. - Vous considérez donc que la loi est bien faite ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est la loi actuelle. Nous en discuterons peut-être. Mais il n'y a aucune raison que, dans le cadre d'une commission d'enquête, vous interveniez dans une affaire - parfois connue de la justice - et que le garde des sceaux ne soit pas informé. Il est normal que le garde des sceaux connaisse des affaires de l'État.

M. Philippe Bas, président. - Permettez-moi de vous dire, monsieur le garde des sceaux, que les commissions d'enquête parlementaires n'interviennent jamais dans le champ d'enquête judiciaire. Au Parlement, nous y veillons.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je dois rédiger un rapport sur l'application de la politique pénale qui vous est transmis chaque année et j'ai besoin pour ce faire de recevoir un certain nombre d'informations.

M. Philippe Bas, président. - Voici donc votre réponse : j'ai besoin de remontées d'informations parce que je suis responsable de la politique pénale et les informations sur les affaires individuelles contribuent à me permettre de forger la politique pénale. Si c'est votre réponse, je peux l'entendre.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Bien sûr. C'est aussi une des réponses. Cela me permet aussi de rédiger un rapport à destination du Parlement.

M. Philippe Bas, président. - Alors, si c'est pour nous, je rends évidemment les armes !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Oui, notamment. J'estime que le garde des sceaux peut recevoir des informations sur des affaires qui concernent le fonctionnement de l'État.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Y compris M. Darmanin ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - À ce stade, je n'ai reçu strictement aucune information sur la situation de M. Darmanin. Je sais une chose, c'est qu'il est présumé innocent : nous sommes tous d'accord sur ce point.

S'agissant de la question de M. Collombat relative à l'ordre du jour, laissez-moi le temps d'en prendre connaissance. Je découvre un certain nombre de difficultés et de problématiques et je vous avoue humblement que je n'ai pas encore eu le temps d'être au fait de l'ensemble des sujets. Mais ce n'est ni du désintérêt ni de la désinvolture. J'étudierai votre question très précise avec mes services et vous aurez une réponse prochainement.

Le secret de l'instruction et la présomption d'innocence : vastes préoccupations pour moi ! La dernière fois que l'on s'est préoccupé de la présomption d'innocence, c'était il y a vingt ans, lors de l'examen de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, dite loi Guigou. Depuis, j'ai assisté à une dégradation de la situation au point que la présomption d'innocence est aujourd'hui reléguée au rang d'accessoire. Tout le monde s'en moque. Des émissions télévisées sont consacrées à des affaires en cours d'instruction et déchiquettent pendant des heures des personnes présumées innocentes. Cela ne peut plus durer. Ce travail ne peut être fait qu'avec les journalistes, sinon nous risquons d'être considérés comme d'insupportables censeurs qui s'en prendraient à la liberté de la presse. La presse a beaucoup de droits, mais elle a aussi des devoirs et je souhaite faire un travail avec les journalistes sur cette question. La présomption d'innocence est devenue totalement évanescente dans ce pays : c'est insupportable.

Et le secret de l'instruction ? N'en parlons même pas ! Je ne sais même plus s'il existe encore ! Et ceux qui violent le secret de l'instruction sont parfois ceux devant lesquels vous déposez une plainte pour violation du secret de l'instruction... Ils ont grand-peine à mettre de l'énergie à s'auto-incriminer !

Je souhaite raccourcir la durée de l'enquête préliminaire : préliminaire, cela a un sens. Je souhaite qu'elle devienne contradictoire : les droits de la défense, cela a un sens et la justice ne peut être rendue que dans le contradictoire. Et je souhaite que l'on protège l'honneur des hommes. J'ai eu une très longue conversation avec Pierre Baudis, le fils de Dominique Baudis. Je crois qu'on a oublié Dominique Baudis. Les leçons en la matière ne sont jamais retenues. S'il faut légiférer, nous le ferons ! Il faut redéfinir les choses comme elles méritent de l'être. Je vois des choses assez stupéfiantes : sur un plateau de télévision, j'ai entendu deux journalistes d'un grand journal du soir dire qu'ils disposaient de l'intégralité du dossier de l'enquête préliminaire dans l'affaire Fillon, alors que ni François Fillon ni ses avocats ne pouvaient procéduralement obtenir ces documents. C'est scandaleux ! Et quand je leur ai demandé qui le leur avait transmis : secret des sources... Nous devons travailler très sérieusement sur cette question.

Pour répondre à M. Sueur, ma position est extrêmement claire : je suis pour une séparation nette du siège et du parquet. Je reprends régulièrement à mon compte cette formule du président Coujard, ancien président de la cour d'assises de Paris : « comment peut-on se comporter en arbitre quand on arbore le même maillot que celui d'une des équipes ? » La magistrature n'est plus univoque sur ce sujet : un certain nombre de magistrats souhaitent la séparation du siège et du parquet. C'est aussi mon souhait. Pour un certain nombre de raisons, je ne pourrai pas le faire : le temps qui m'est imparti ne me permet pas de mettre en chantier cette réforme essentielle à mes yeux.

Je ne pourrai pas mener à terme certaines réformes structurelles essentielles. Ce sont des rêves ou des utopies que le calendrier me contraint à mettre de côté. J'aurais aimé aussi envisager la création d'une école de formation commune... Ce sont des choses importantes, mais je ne pourrai pas le faire.

En revanche, sur l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, les magistrats - et particulièrement ceux du parquet - attendent cette réforme, qui graverait dans le marbre de la Constitution une pratique que ce pouvoir a toujours respectée.

M. Philippe Bas, président. - Vous nous annoncez donc aujourd'hui que le Président de la République va convoquer le Congrès pour faire adopter définitivement la révision de la Constitution votée en termes identiques par les deux chambres ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est ce qu'il a dit.

M. Philippe Bas, président. - C'est un scoop et je vous remercie de cette information.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - S'agissant des cours d'assises, des expérimentations sont en cours et il y a un stock à résorber. C'est pour moi la chronique d'une mort annoncée de la cour d'assises et je ne veux pas que nous prenions ce chemin. Nous avons déjà réduit le nombre de jurés et une décision de condamnation n'est plus prise aujourd'hui à l'unanimité du jury populaire. Ce n'est donc plus une juridiction populaire au sens où on l'entendait autrefois... J'aime cette juridiction pour de multiples raisons : c'est une bouffée d'oxygène dans le corporatisme des juges et les Français qui sont jurés y apprennent enfin comment fonctionne la justice. La justice est rendue au nom du peuple français, or on est en train d'exclure le peuple français du fonctionnement de sa justice ! Je ne veux pas laisser mourir la cour d'assises et je ferai tout pour qu'elle ne meure pas. C'est une juridiction qui marche bien. Les expérimentations sont en cours, qu'elles se poursuivent et nous en tirerons les conclusions. Cette institution doit être maintenue.

M. Jean-Pierre Sueur. - Quid de la justice des mineurs ?

M. Philippe Bas, président. - La réforme de la justice des mineurs va-t-elle faire l'objet d'une prochaine saisine du Parlement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Oui.

M. Jean-Pierre Sueur, président. - J'attends donc le projet de loi.

M. Christophe-André Frassa. - Quel bilan tirez-vous de la sévère censure du Conseil constitutionnel de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia ? Quelles suites comptez-vous y donner ?

Le Premier ministre et vous-même avez récemment pris parti dans le débat sur l'anonymisation - je préfère parler de pseudonymisation - sur internet. Mais si on interdit l'anonymat sur internet, on risque surtout de porter préjudice aux lanceurs d'alerte et aux victimes. Comment lever plus facilement le pseudonymat et identifier les auteurs de cette haine sur internet ?

M. Jérôme Durain. - Avant de quitter son poste de Défenseur des droits, Jacques Toubon a insisté sur la protection à accorder aux lanceurs d'alerte. Votre prédécesseur Mme Belloubet déclarait : « les whistleblowers sont l'un des défis les plus importants de nos démocraties, un défi de transparence et de justice ». L'Union européenne a adopté une directive en novembre 2019 sur ce sujet central. Nous savons tous ce que les lanceurs d'alerte apportent à nos démocraties sur la santé publique, l'environnement, l'évasion fiscale, etc. Vous avez défendu un célèbre lanceur d'alerte, mais avez aussi tenu des propos durs à leur encontre. Quelle est aujourd'hui votre vision des lanceurs d'alerte et de la protection à leur apporter ? Comment la directive européenne sera-t-elle transposée ?

Mme Françoise Gatel. - Les maires sont trop souvent les oubliés de la justice. On assiste à une augmentation des incivilités, voire des agressions à leur égard. Or, alors qu'ils sont comptables devant leur population de ce qui se passe, ils sont oubliés dans les circuits d'information. La loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique impose que le maire soit systématiquement informé par le procureur de la République des suites judiciaires données à ses signalements ainsi qu'aux infractions qui causent un trouble à l'ordre public sur le territoire de sa commune. C'est un sujet extrêmement important pour les élus dont beaucoup sont nouveaux aujourd'hui. Comment ces dispositions sont-elles appliquées ?

M. Jacques Bigot. - Le code de justice pénale des mineurs fait l'objet d'une ordonnance qui devait entrer en vigueur en octobre prochain, mais cette échéance a été reportée : ferez-vous un nouveau texte ou reprendrez-vous cette ordonnance à votre compte ?

En mars 2017, la Chancellerie publiait un projet de réforme de la responsabilité civile. Une grande partie des mesures fait consensus, ce projet a été travaillé pendant dix ans par les spécialistes et il est attendu. Ce matin, la commission des lois a adopté un rapport sur la responsabilité civile qui souligne l'intérêt de cette réforme. Il serait utile que ce texte sorte dans les 600 jours qui vous restent.

Mme Marie Mercier. - Un de vos premiers déplacements a été consacré à la visite du centre éducatif fermé d'Épinay-sur-Seine. Au cours d'une précédente mission sur la justice des mineurs, nous avons visité le centre de Savigny-sur-Orge : en dépit d'un directeur extraordinaire, d'un personnel motivé, d'un projet éducatif solide, les résultats y sont un peu décevants, car les jeunes sont abandonnés, notamment par leurs pères. Quand les jeunes en arrivent là, c'est un échec de l'éducation et de l'accompagnement à la parentalité. Pensez-vous que les centres éducatifs fermés sont efficaces ? Faut-il en construire de nouveaux ? La solution est aussi dans la formation du personnel qui accompagne ces jeunes.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Vous évoquez la proximité de la justice. Or cela fait dix ans que le justiciable mahorais est éloigné de son juge d'appel : la chambre d'appel détachée de Mayotte est rattachée à la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion. Cette question est cruciale, à l'aune de la décision du Conseil constitutionnel du 30 avril 2020 qui a demandé à l'État de mettre fin au système de visioconférence avant la fin du mois d'octobre pour les justiciables qui relèvent de la chambre de l'instruction. Or, pour Mayotte, celle-ci se trouve à La Réunion. Des solutions doivent être trouvées. Il ne s'agit pas d'un caprice : c'est une question centrale ! Le procureur général est à 2 000 kilomètres de là ! Comment peut-il décider efficacement de la politique pénale à Mayotte s'il n'en connaît pas la réalité ? Cette question est ancienne : je l'avais déjà soumise à votre prédécesseur, Mme Taubira.

À quand une cour d'appel de plein exercice à Mayotte ?

M. François-Noël Buffet. - Le temps de l'enquête préliminaire est beaucoup trop long et nous partageons votre analyse. Son raccourcissement permettra-t-il au juge d'instruction de retrouver son rôle ?

Mme Esther Benbassa. - Dès votre entrée en fonctions, vous avez visité la prison de Fresnes. Que comptez-vous faire dans les 600 jours qui vous restent pour améliorer les conditions de détention dans les lieux de privation de liberté ?

Vous avez également, dès votre arrivée, visité le tribunal de Bobigny : que faire pour désembouteiller les tribunaux et accélérer le traitement des dossiers ?

M. Philippe Bas, président. - Certains tribunaux sont tellement vétustes qu'ils font plus penser à des cours des miracles...

Mme Jacky Deromedi. - Pendant sa campagne électorale, le Président de la République avait envisagé la construction de 15 000 places de prison. Cet engagement a ensuite été revu à la baisse : 7 000 places d'ici à 2022 et 8 000 au cours du quinquennat suivant. Cet objectif de livraison de 7 000 places d'ici à 2022 peut-il être tenu ? Les conditions de détention seront-elles améliorées par la rénovation d'établissements vétustes ?

M. Patrick Kanner. - Vous allez être privé de liberté pendant vingt mois. Quelles sont vos deux ou trois priorités pour redonner de l'espoir à la justice et au justiciable ?

Avant votre entrée en fonctions, vous auriez qualifié la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) d'« espèce de truc populiste ». Vos propos ont été dénoncés par son président Didier Migaud et considérés comme « infamants ». Que pensez-vous de la HATVP, que nous considérons comme un plus pour la transparence de la vie publique et politique dans notre pays ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La question des réseaux sociaux et de l'anonymat est infiniment complexe. Les réseaux sociaux sont à la fois l'outil idéal d'une démocratie participative et une poubelle à ciel ouvert dans certains cas. L'anonymat protège certains, mais détruit aussi le tissu social. Moi, je suis poursuivi par Guacamole425 et c'est insupportable ! Celui qui ne signe pas ne devrait pas avoir le droit de s'exprimer quand son propos est injurieux, homophobe, raciste, antisémite, sexiste, etc. Comment agir ? Je pose la question avec beaucoup d'humilité, car je n'ai pas la réponse. Est-il technologiquement possible de les arrêter ou faut-il attaquer les diffuseurs ? Nous vivons une époque un peu folle, d'hypermoralisation, qui nous contraint au manichéisme. Le ciment de notre nation, c'est ce qui nous unit, pas ce qui nous distingue. Je veux pouvoir argumenter, je préfère débattre que me battre. L'anonymat peut parfois protéger. Et la presse traditionnelle est dans la surenchère par rapport aux réseaux sociaux : c'est le règne du buzz et de ce que les journalistes appellent le « putaclic ». Il faut faire de la mousse, car la jeunesse se tourne d'abord vers les réseaux sociaux ! Nous devons y réfléchir, car cela peut faire trembler la démocratie. Il y a une forme de totalitarisme de la pensée qui nous contraint, et dans notre langue, et dans nos choix artistiques, etc. La Haute Assemblée ne peut pas y être insensible. J'ai dit que je serai le garde des sceaux de la liberté. C'est une question qui me préoccupe beaucoup, mais je vais d'abord voir comment, techniquement, aborder la question.

J'ai défendu Julian Assange. Il faut définir qui est un lanceur d'alerte, que l'on protège, et qui est un délateur. Lanceur d'alerte, est-ce l'anoblissement des délateurs ? Julian Assange a apporté à notre pays des informations dont nous pouvions avoir besoin. Mais quand il est allé sur le terrain de la vie privée, je ne l'ai pas suivi. Nous devons bien évidemment adapter notre droit à la directive européenne : une consultation sera lancée.

Je demanderai très prochainement aux procureurs d'appliquer le nouveau texte concernant les maires qui sont agressés.

M. Philippe Bas, président. - Quel nouveau texte ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Un texte nouveau est entré en vigueur, il faut l'appliquer. Mais je n'ai pas ses références...

M. Philippe Bas, président. - S'agit-il de l'instruction de votre prédécesseur qui vise à mobiliser les parquets pour défendre les maires quand ils subissent des agressions ou des incivilités ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Oui, c'est cela. C'est aussi une sorte de remontée d'informations.

M. Philippe Bas, président. - C'est très important, cela fait suite aux travaux du Sénat. Ce n'est pas une loi, mais une instruction donnée par la garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - S'agissant de l'ordonnance sur la justice des mineurs, j'entends poursuivre sur les projets de texte déjà présentés avant ma nomination. Je n'occupe mes fonctions que depuis dix jours et je n'ai pas eu le temps de préparer de nouveau texte. Il est prévu que l'ordonnance sur la justice des mineurs soit présentée. S'agissant de la réforme de la responsabilité civile, je vais prendre connaissance du projet préparé par mon administration et nous nous reverrons prochainement à ce sujet.

J'ai vu des choses absolument incroyables dans les centres éducatifs fermés : des gamins qui sont nés en prison ! « Chaque homme s'accroche désespérément à sa mauvaise étoile », comme écrivait Cioran. Mais quand ils sont là, ils ne sont pas en prison, c'est déjà une victoire ! Et si l'on en sauve un sur dix, ce sera déjà ça. Tout ce qui est alternatif à la prison va dans le bon sens. Je reviendrai sur ces questions lorsque je les aurai étudiées en profondeur.

La crise de la covid a permis d'atteindre un taux de détention historiquement bas, mais j'attends de voir l'évolution des chiffres après le confinement, avec la reprise de l'activité délinquante. On abuse de la détention provisoire : cela devait être une exception, mais cela devient souvent la règle. Je n'ai aucun pouvoir sur les juges du siège et, en cette matière seulement, je le regrette. Les travaux parlementaires après l'affaire d'Outreau avaient fait apparaître que le recours à la détention provisoire était une sorte de mauvaise habitude, culturellement ancrée dans l'esprit de notre institution. Pour maintenir ce bas taux de détention, on peut s'appuyer sur le « bloc peines » récemment entré en vigueur, des réquisitions seront prises par les procureurs, mais il faut aussi repenser ce qu'est la prison. Nous avons la chance d'appartenir à ce merveilleux pays qui est celui des droits de l'homme.

La prison a un triple but : punir, mettre à l'écart de la société celui qui est dangereux et réinsérer. On ne peut envisager l'un sans les deux autres. Or la prison est galvaudée et l'on constate une inflation du recours à l'emprisonnement alors même que le critère de dangerosité n'est pas là. On peut aussi intervenir via la détention provisoire : pour quelles raisons ne parvient-on pas à obtenir que quelqu'un soit jugé libre - sauf bien entendu en cas de dangerosité ou de gravité des faits ? Je n'ai ni baguette magique ni matraque. Je ne serai pas le garde des sceaux du laxisme, mais je ne serai pas non plus un garde des sceaux ultra répressif. On peut réfléchir autrement. Mais ce n'est pas le garde des sceaux qui prend la décision. Le législateur pourrait ainsi intervenir pour instaurer des seuils le cas échéant, cela a déjà été envisagé par le passé. On a assisté à des pratiques judiciaires insupportables qui contournaient la volonté du législateur, comme on l'a vu avec le recours à des circonstances aggravantes pour pouvoir réincarcérer de façon provisoire, selon nos vieilles habitudes délétères. Nous avons un arsenal complet. Le taux de détention ne doit pas revenir à un niveau qui autorise la Cour européenne des droits de l'homme à nous condamner régulièrement pour les conditions inhumaines et dégradantes de nos prisons.

Le raccourcissement de l'enquête préliminaire ne conduira pas forcément au renforcement du juge d'instruction : on peut conclure une enquête préliminaire par un rappel à la loi, par une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), par une convocation par un officier de police judiciaire. On nous dira peut-être que si on raccourcit la durée de l'enquête préliminaire, il sera techniquement impossible d'être dans les délais. Certaines enquêtes préliminaires auront alors un statut dérogatoire, mais attention, car l'exception devient souvent la règle : il faudra veiller à tout cela. Le système actuel n'est absolument pas satisfaisant.

Des places de prison seront construites. La question, c'est incarcérer plus ou incarcérer mieux ? Il y a aura certainement une hausse mécanique qui tient au déconfinement, mais je n'ai pas encore les chiffres.

J'ai dit des choses sur la HATVP en tant que citoyen. En tant que citoyen, je n'aime pas la transparence, je n'aime pas la « transperçance ». Mais soyez rassurés : je remplirai toutes les obligations qui sont les miennes.

M. Patrick Kanner. - Ce n'était pas ma question...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Votre question s'adressait à un citoyen ; il est aujourd'hui ministre et est astreint à une forme d'obligation de réserve ; il ne peut plus s'exprimer de la même façon ; la pensée peut rester la même, c'est à vous de décider.

M. Philippe Bas, président. - Ce qui nous permet d'illustrer un nouveau principe : la fonction ministérielle n'est pas privative, mais restrictive de liberté ! (Sourires)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La question de la création d'une cour d'appel de plein exercice à Mayotte a été soulevée à plusieurs reprises. Mais le volume des affaires traitées chaque année par la chambre d'appel à Saint-Denis est trop faible pour envisager une transformation en cour d'appel. Sachez cependant que les effectifs de la chambre d'appel de Mamoudzou seront au complet en septembre, soit un magistrat supplémentaire par rapport à la situation actuelle.

M. Philippe Bas, président. - Je crois que notre collègue posait une question plus précise sur le ministère public...

M. Thani Mohamed Soilihi. - Nous nous reverrons, monsieur le garde des sceaux, pour discuter de ces sujets.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je précise que la décision de la chambre criminelle ne concerne que les affaires criminelles et que la visioconférence reste donc possible dans les autres affaires.

Je tiens à préciser à M. Sueur que je souhaite la réforme constitutionnelle, mais il appartient au Président de la République de réunir le Congrès. Vous le savez, mais cela va mieux en le précisant.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je le sais et j'en ai parlé directement avec lui.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ce que j'ai dit au Président de la République et ce qu'il m'a dit n'a pas à être dévoilé ici.

M. Jean-Pierre Sueur. - Je ne doute pas que vous aurez également plaidé auprès de lui.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Une de mes dernières plaidoiries !

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie. Cet exercice n'était pas facile : les membres de la commission des lois travaillent sur les questions de justice depuis très longtemps et de manière très approfondie.

Vous portez sur la justice le regard du justiciable. Pour un chef d'administration, c'est très important d'avoir ce regard. Nous pouvons partager nombre des diagnostics que vous avez posés. Il y a des questions auxquelles vous n'avez pas pu répondre, car vous n'avez pris vos fonctions qu'il n'y a que quelques jours : je retiens donc votre proposition de revenir nous voir dans quelques mois quand vous aurez davantage de précisions à nous apporter.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Très volontiers.

M. Philippe Bas, président. - Vous avez déjà néanmoins évacué deux questions ainsi que vous l'aviez déjà annoncé dans la presse - la séparation du siège et du parquet et la réforme de la formation des magistrats - : ce n'est pas vous qui ferez ces réformes.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Et j'en suis fort triste.

M. Philippe Bas, président. - Vous avez évoqué le secret de l'instruction et le respect de la présomption d'innocence, que vous souhaitez défendre. Vous l'avez fait en des termes très vifs : il vous reste maintenant à en tirer les conséquences dans l'action. La réflexion que vous amorcez prendra un peu de temps, car ce sont des questions qui ne sont pas nouvelles et qui sont difficiles.

Sur la nomination des procureurs et la réunion du Congrès par le Président de la République, j'avais cru comprendre que vous étiez autorisé à annoncer sa prochaine réunion. Vous avez bien fait d'apporter une précision pour que nous ne restions pas sur une impression fausse.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'ai rappelé dans mon discours introductif que l'on pouvait passer soit par référendum soit par la réunion du Congrès et qu'il appartenait au Président de la République de choisir. Ce n'est pas une annonce, mais le rappel de nos règles.

M. Philippe Bas, président. - Les choses sont parfaitement claires.

Vous avez pris position en faveur des jurys d'assises contre le développement des cours criminelles : il vous faudra en tirer les conséquences.

Enfin, s'agissant de la question centrale des moyens, vous avez utilisé l'expression bien calibrée de « retour à la trajectoire » ; elle signifie que la trajectoire de la loi de programmation pour la justice n'est pas suivie : en effet, il y a 150 millions d'euros de crédits de paiement de moins que prévu, soit la suppression de la moitié de la hausse prévue. Aucun arbitrage n'a été rendu à ce stade, ainsi que vous nous l'avez dit, mais nous attendons de vous que vous engagiez tout votre crédit de garde des sceaux et d'Éric Dupond-Moretti - avec l'image très forte qu'il a su donner de la justice au cours des dernières décennies -, pour remettre à niveau ce grand service public : c'est l'enjeu essentiel de votre mandat.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je vous remercie chaleureusement de votre accueil et reviendrai vous voir avec grand plaisir.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 heures.