Assises de la subsidiarité



Palais du Luxembourg, 24 octobre 2008

M. Volker HOFF, Ministre d'État des Affaires fédérales et européennes de Hesse, Membre du Budesrat allemand, membre du Comité des régions

À vrai dire, j'ai trois casquettes. Je suis très heureux d'avoir l'occasion ici en tout cas de me prononcer sur ce thème de la subsidiarité, et d'y apporter ma contribution. Je vous disais que j'ai trois casquettes. En fait, je suis Ministre chargé des Affaires européennes au land de Hesse. J'exerce également la fonction de membre du Bundesrat , qui est représenté ici et qui est donc la deuxième chambre au plan national. J'ai aussi une troisième casquette, à savoir que je suis collaborateur du Comité des régions pour le land de Hesse, où je m'occupe de questions européennes. Par conséquent, vous comprendrez que j'aie plusieurs casquettes dans mon arsenal. Il est bon d'avoir plusieurs casquettes. Pourquoi? Parce que cela permet, justement, d'évoquer la question du contrôle de la subsidiarité, telle qu'elle est ancrée dans le traité de Lisbonne, d'une façon qui n'est pas seulement un cadeau qui serait fait aux collectivités régionales et territoriales, mais comme une tâche qui leur est confiée, et qui rendra notre travail difficile. Il faudra donc que nous procédions aux ajustements nécessaires dans le cadre de nos travaux. Ce que je souhaitais dire également, est relatif à ce que j'ai entendu de ce qui s'est dit ce matin à propos de la subsidiarité: on nous a dit que la subsidiarité ne pouvait être qu'un outil et non pas un objectif.

Je veux dire que sur ce point ma vision est diamétralement opposée. J'estime au contraire que la subsidiarité est un principe et doit être un objectif. Parce que si nous ne parvenons pas à veiller à ce que l'on éloigne Bruxelles de la micro-gestion, si l'on ne parvient pas à régler les choses à un niveau décentralisé, Bruxelles nous avalera tout entier. Et le cas échéant, nous ne bénéficierons plus de l'acceptation des européennes et des européens. Par conséquent il nous faut un système qui fonctionne, fondé sur un système de pouvoirs et de contre-pouvoirs - de checks and balances - reposant sur des responsabilités nationales, locales, régionales, d'une part; et d'autre part, un cadre législatif piloté depuis Bruxelles. Ça me paraît être un objectif fondamental pour les prochaines années et j'espère que nous le ferons nôtre.

Et puis, le contrôle de la subsidiarité et la possibilité d'introduire un recours en cas d'infraction à cette subsidiarité, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, ne sont pas des cadeaux qui nous sont faits. Au contraire. C'est une mission qui est confiée aux Parlements nationaux et régionaux. La République fédérale d'Allemagne, par exemple, est amenée à se prononcer - et je crois qu'il y a un certain nombre de pays dans lesquels c'est aussi le cas. En Allemagne, les questions européennes n'ont pas encore fait le parcours qu'elles auraient dû faire, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas arrivées, par ordre de priorité, au niveau qu'on aurait souhaité. Je suis également député national et je constate parfois une récalcitrance, liée au fait que l'Europe est considérée comme ayant de plus en plus de compétences, alors que par ailleurs, existent des compétences aux niveaux local et régional, qui pourtant ne peuvent être mises en oeuvre. Je crois que c'est justement le contrôle de subsidiarité qui permettra de veiller à ce que les Parlements nationaux et régionaux s'associent de façon beaucoup plus étroite, afin d'atteindre leurs objectifs au plan européen. C'était la troisième remarque que je souhaitais faire.

Quatrième remarque: si le traité de Lisbonne finit par être ratifié et si le recours pour infraction à la subsidiarité est adopté et devient une véritable possibilité, croyez-moi, ce ne sera pas une partie de plaisir. Je tenais à vous le dire. Il faut savoir quelles en seront les conséquences. Chaque pays sera consulté, avant chaque décision de Bruxelles, et on invitera leurs niveaux de compétences à donner leurs avis: "Est-ce que là, vraiment, il y a infraction à la subsidiarité ou pas?" À supposer que oui, en Allemagne, par exemple, nous nous retrouverions dans une situation dans laquelle le Bundesrat devrait prendre contact avec les quinze autres États fédéraux, les bundesländer , afin de déterminer l'infraction ou son contraire. En parallèle, le Bundestag ou première Chambre allemande des députés, devra établir des contacts entre les deux chambres du Parlement allemand, car adviendront des projets pour lesquels il faudra veiller à ce qu'il n'y ait pas possibilité de plaintes ou de recours pour infraction à la subsidiarité. Par conséquent, il faut absolument que nos travaux nationaux soient en quelque sorte dénationalisés. Car on pourra très bien dire à un député de tel land d'aller voir ce qui se passe en Sarre, mais ça ne suffira pas. Il faudra que les Parlements nationaux, au sein de l'Union européenne, soient également consultés.

Et nous savons qu'alors, les intérêts ne sont pas toujours les mêmes et que parfois il peut y avoir de véritables conflits d'intérêts. C'est déjà là un travail monumental que nous devrons accomplir, pour parvenir à un engagement commun, au sein de l'Union européenne. Permettez-moi à ce stade-ci de vous donner un exemple pratique.

Prenons la protection des sols et la directive en la matière, qui est en train d'être examinée à Bruxelles. Si cette directive doit devenir une réalité, je crois que ce sera un cas de risques de recours pour infractions à la subsidiarité. Car il est évident que la pelouse qui est, là, dans le jardin, ne peut pas être simplement soumise au droit communautaire, puisqu'elle est située à Paris. Mais le fait que "la directive protection des sols" soit pilotée depuis Bruxelles... Il ne faut pas se mentir non plus. Le fait est que tous ceux qui veulent disposer d'une "directive protection des sols" en Europe et satisfaire à ses exigences, auront des dollars dans les yeux ou plutôt des euros dans les pupilles. Ils se rendront compte qu'une directive a été adoptée à Bruxelles, mais qu'il faudra encore que des mesures soient financées pour que la protection des sols puisse se faire, au niveau européen. Or, nous sommes suffisamment "pros", pour savoir que c'est exactement ainsi que cela se passe. Et ça continuera d'être le cas. Il y aura toujours une majorité pour la subsidiarité. Voilà ce que je tenais à vous dire.

Enfin, une dernière remarque, ou un dernier principe. Je crois que tout ce que je viens de dire donne raison au nécessaire renforcement de la mise en réseaux des Parlements nationaux. Je crois qu'il faut s'efforcer d'avoir un nouveau réseau. Il est vrai que nous en avons d'autres, tels que le Comité des régions, par exemple, ou le "Réseau des Capitales Européennes", mais ils sont très ciblés, très spécifiques et ne peuvent travailler que dans des domaines de compétences très particuliers. Existent l'AREV (Assemblée des régions vinicoles d'Europe) par exemple, ou bien encore "La Communauté de Travail des Travailleurs du Bâtiment", cette dernière ayant été associée au débat sur la directive en matière de construction, ou encore NEREUS, ce réseau en charge de l'application économique des technologies spatiales, qui s'est manifesté dans le contexte GALILEO, projet européen par définition, qui représentait de véritables défis où trente-sept gouvernements européens s'étant retrouvés pour essayer de trouver une position commune.

Je crois qu'outre ces approches nationales multiples et variées, il faudra se fixer pour objectif de savoir comment s'engager davantage sur le chemin de la subsidiarité, grâce à des réseaux de contenus et de fond. Je crois que c'est vraiment dans les domaines spécifiques que l'on pourra, par une mise en réseaux, assurer cette subsidiarité. Le problème principal de la subsidiarité réside dans la difficulté de la traduire. On la traduit différemment selon les pays.

Le 22 décembre a eu lieu à Berlin un grand colloque où se posait la question de la subsidiarité. Nous avons invité les uns et les autres, ce qui n'est pas toujours facile, et je me suis aperçu que chacun traduisait le terme subsidiarité à sa façon. Vous l'avez dit vous-mêmes: le plus grand danger serait que les citoyennes et les citoyens ne comprennent rien à la subsidiarité. Or, que ce soit à Paris, Berlin ou Francfort, si vous posez la question de savoir ce qu'est la subsidiarité à l'homme de la rue, huit sur dix d'entre eux vous regarderont l'air hébété et interloqué et se diront "Mais de quoi me parle-t-il, celui-là?".

De même, dans la classe politique, il y a des interprétations différentes du principe de subsidiarité. Je vous donnerai encore un exemple avant de conclure. Le land de Hesse est un land très européen. Nous avons une représentation de ce land à Bruxelles qui travaille conjointement en partenariat avec trois autres régions européennes: l'Aquitaine, Veliko Polska, en Pologne et l'Émilie-Romagne, en Italie. Nous travaillons ensemble, tous les jours, à cette mise en réseaux. Mais quand on parle du thème de la subsidiarité, les esprits et les visions divergent. Moi, en tant que Ministre allemand, par exemple, je souhaiterais que Londres discute très concrètement des choses, car j'ai vraiment la possibilité de faire avancer les choses et de les modifier, au Bundesrat . Mais si j'en parle à mon collègue français d'Aquitaine, ce qui l'intéressera plutôt sera de passer de Paris à Bruxelles, car il sait que s'il passe par Bruxelles, il aura davantage la possibilité d'exercer son influence, que s'il tente de le faire au niveau régional, et ce en raison de l'intervention de l'État. Donc, par le Comité des régions ou par d'autres réseaux, il aura vraiment la possibilité d'exercer son influence, alors que dans mon cas ce sera plutôt par le Bundesrat .

Vous le voyez, les objectifs sont assez semblables, mais dans la façon de les traduire à partir de faits concrets, les choses sont très différentes. Je serai très bref. Je suis heureux d'envisager que le traité de Lisbonne entre en vigueur très rapidement, bien que la question se pose encore. Avec la crise financière actuelle, on voit bien que cela relève de l'intérêt des États membres de l'Union européenne comme de la Zone Euro. Dans le cas contraire, nous nous retrouverions tous en Islande, ce qui est un autre débat. J'espère donc que ce traité sera ratifié très prochainement et qu'alors, nous pourrons enfin avoir de véritables bancs d'essais. Quoi qu'il en soit, je crois que la subsidiarité va bien au-delà d'un outil d'application. Cela doit être un véritable principe fondamental politique de l'Union européenne.

Je vous remercie.

M. Denis BADRÉ

J'ai cru comprendre que c'étaient plutôt les Islandais qui regrettaient de ne pas être dans l'Union européenne, ce qui est un hommage rendu à l'Union. À quelque chose, malheur est bon. Merci, cher ami, d'avoir été concis et d'avoir jonglé avec vos trois casquettes. Il était intéressant que vous puissiez le faire. Merci également d'avoir rappelé que la subsidiarité n'était pas un cadeau mais une mission. Et puis, s'agissant des exemples concrets que vous avez pris, de la protection des sols, notamment, je voudrais simplement prolonger le propos liminaire que je proposais tout à l'heure en vous disant que depuis deux ans, la Commission - sans attendre la ratification du traité de Lisbonne - a demandé aux Parlements nationaux de s'exercer au travail de contrôle de subsidiarité. Nous recevons donc tous les projets de textes, directement de la Commission, et nous les analysons. Je remarque au passage que le Sénat français a eu "une très bonne note". Nous avons donc fait un très gros travail expérimental sur ce dossier, et je me tiens à la disposition de ceux d'entre vous qui souhaiteraient savoir comment nous avons procédé. Nous sommes également très attentifs aux démarches engagées par nos collègues des autres Parlements nationaux. C'est d'une confrontation des expériences qu'adviendra la bonne manière de faire.

Dans ce contexte, je voudrais ajouter un tout petit mot pour marquer les différences de situation entre nos pays, entre nos États. En France, le gouvernement a été surpris que la Commission puisse envoyer directement des textes au Parlement français. C'est quelque chose qui n'est pas du tout dans notre culture. Tout doit passer par le gouvernement dans un Etat centralisé. Cela se passe pourtant de cette manière dans tous les autres pays d'Europe: la Commission, l'Union européenne, peuvent travailler directement avec les Parlements nationaux sans passer par les exécutifs. Cette manière de comparer nos façons de faire est féconde. La France elle-même commence ainsi à renoncer à ses vieux démons centralisateurs, donc à mieux comprendre le principe de subsidiarité.

J'ajoute qu'au vu de l'expérience que nous développons depuis deux ans, et voyant les textes qui nous arrivent, la grande difficulté réside dans le fait d'avoir à traiter ces textes dans l'optique de la subsidiarité et non pas sur le fond. C'est un grand danger, lorsqu'on reçoit un texte, de se dire que le texte en question nous plaît ou ne nous plaît pas, et d'entreprendre dessus un travail sur le fond. L'exercice auquel nous sommes appelés consiste simplement à nous déterminer sur le point de savoir si l'Union européenne est fondée ou non à s'en saisir. Et à distinguer ce qui relève des États, des Provinces ou de l'Union européenne.

Je donne immédiatement la parole à Monsieur Sefzig, du Parlement tchèque. Vous savez que la France, la République tchèque et la Suède travaillent beaucoup ensemble. De même que l'Allemagne, la Slovénie et le Portugal avaient pris l'habitude de travailler ensemble - pour donner un peu plus de durée à l'exercice d'une Présidence de six mois, qui est trop courte. C'est donc tout naturellement dans ce contexte que je passe la parole à notre collègue tchèque.

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