Assises de la subsidiarité



Palais du Luxembourg, 24 octobre 2008

PREMIÈRE PARTIE :

LA GOUVERNANCE MULTI-NIVEAUX AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE : UN ENGAGEMENT COMMUN POUR UNE VÉRITABLE CULTURE DE LA SUBSIDIARITÉ

M. Roberto FORMIGONI, Président de la région de Lombardie, membre du réseau de monitorage de la subsidiarité du Comité des régions

Monsieur le Président, Madame La Commissaire, Mesdames et Messieurs les représentants des Parlements nationaux, Messieurs du Comité des régions, Mesdames et Messieurs, je tiens tout d'abord à vous faire part de ma satisfaction de pouvoir saisir aujourd'hui, non seulement l'opportunité de contribuer à une réflexion, mais aussi, je le crois davantage, de contribuer à une action à laquelle l'évolution de l'unité européenne, avec une force toujours croissante, appelle chacun de nous: Représentants de l'Union européenne, des États membres, d'Autorités régionales et citoyennes.

Les entités locales et surtout les régions, depuis longtemps, se trouvent au carrefour de deux processus, de transitions pénibles et non abouties. D'un côté, vous avez la crise de l'État national, des États nationaux- qui se trouvent confrontés à un conflit "du haut" par la mondialisation, et "du bas" par la société civile, qui est en train de s'organiser de façon autonome - et de l'autre côté, l'intégration et la constitutionnalisation de l'Europe. Nous sommes donc en train d'assister à une extraordinaire redéfinition des pouvoirs, et les régions sont appelées à dépasser leurs revendications simples de pouvoirs et de droits, pour jouer un rôle de locomotive.

Par ailleurs, la crise financière que nous traversons nous amène à une réflexion profonde. Il est évident qu'il va falloir repenser les rôles, et dans deux directions. D'un côté, il y a le rôle des autorités centrales des États, auxquelles on ne peut renoncer, et de l'autre, de nouveaux espaces d'actions locales qui s'ouvrent. L'impact des mesures prises au niveau central a des effets différents selon les spécificités de nos territoires. Ce sont précisément les systèmes territoriaux qui sont les lieux privilégiés, si l'on veut reconstituer des "réseaux de réseaux" fonctionnels, au sein desquels les sujets sociaux et productifs récupèreront l'esprit d'entreprise, la participation, l'exercice des droits, la responsabilité, l'esprit d'initiative.

Je crois qu'il faut reconnaître que depuis quelques quinze ans, les régions surtout ont représenté ces points de références capables de susciter des attentes, des intérêts, une demande de citoyenneté. Autrefois, on s'adressait pour ce faire aux États. Maintenant, c'est surtout aux entités territoriales et aux régions. Très souvent ces dernières sont devenues des points de force des systèmes nationaux; il y a une demande politique qui s'adresse à ces régions et qui en font des institutions politiques. Je pense que c'est dans ce cadre, qui change rapidement depuis quinze ans, dans ce nouveau cadre, qu'il faut redéfinir un modèle d'État et de gouvernement. Il faut penser en termes nouveaux l'imbrication des pouvoirs, des rôles et des fonctions, en reconnaissant que certains sujets, qui ne sont pas les États, peuvent interpréter et représenter les intérêts des citoyens et des territoires.

Dans certains cas, l'Union européenne a démontré qu'elle avait bien compris cette nécessité de faire changer les relations entre les institutions. Dans d'autres cas - je pense à l'uniformité de certaines directives, qui s'appliquent pourtant à des situations bien différentes - l'Union européenne risque de faire obstacle à cette recherche de solutions réelles. Pensez, par exemple, à la qualité de l'air: ça intéresse tout le monde, et il y a des différences considérables d'un territoire à l'autre. On ne peut pas interpréter cette diversité avec des paramètres uniques.

Donc, cette bonne gouvernance multi-niveaux devrait permettre de sortir des difficultés que connaissent les systèmes politiques; une gouvernance, bien entendu, qui ne serait pas tout simplement un système d'adaptation d'autres systèmes plus anciens. Il faut donner vie à cette gouvernance multi-niveaux, en la concevant comme la création d'une nouvelle idée de l'État, fondée sur la subsidiarité. À la base, on trouve la subsidiarité. Et ça n'est qu'ainsi que l'on peut structurer une gouvernance multi-niveaux, qui ne soit pas autoréférentielle, qui ne porte pas en elle-même sa propre justification, mais qui ait comme étoile polaire le citoyen et les corps sociaux mis au centre. Donc, c'est une subsidiarité qui est exaltation de la liberté personnelle, de la responsabilité et de capacité d'innovation.

La gouvernance que nous visons doit répondre à cette exigence d'une démocratie plus mûre, un système de réseaux permettant d'impliquer tous les gouvernements qui pourront travailler ensemble, pour mener à bien les politiques qu'ils se sont fixées, ce qui leur permettra aussi d'en vérifier les résultats. Bien entendu, il faut partir de problèmes concrets, spécifiques. Le caractère expérimental du domaine est imposé par l'objet même de ce domaine.

Il faut penser à un modèle de gouvernance multi-niveaux qui serait fondé sur le concret et sur la fonctionnalité, ce qui n'est pas le cas du pouvoir centralisé. La subsidiarité doit placer les fonctions aux niveaux idoines, pour chacune d'entre elles. Le niveau de gouvernement, qui correspond le mieux aux besoins et aux rôles des personnes, est parfois le pouvoir le plus décentralisé, alors que, dans d'autres cas, il faut faire remonter l'examen du problème vers le haut. Les tâches peuvent être redistribuées, en pensant au niveau le plus idoine et en tenant compte de la diversité des systèmes nationaux.

Au sein de cette dynamique de la subsidiarité, la gouvernance multi-niveaux trouve donc une dimension verticale qu'on ne peut pas réduire à la simple décentralisation. Il s'agit de pouvoir retrouver, au niveau horizontal, la préséance de l'action, des personnes et des intermédiaires. Notre grande chance, maintenant, c'est de commencer à travailler en réseaux, en valorisant et en modélisant les meilleures expériences, en faisant la synthèse des expériences de subsidiarité pour les proposer ensuite à l'ensemble de l'Europe.

Dans ce sens, je crois que le potentiel de la subsidiarité est considérable, à tel point que l'on peut comparer l'importance de la subsidiarité à l'introduction de la séparation des pouvoirs: le législatif, l'exécutif et le judiciaire, en Occident. Par ailleurs, les racines de la subsidiarité sont à chercher dans l'Histoire. L'Histoire du libéralisme, l'Histoire Chrétienne, l'Histoire tout court.

D'ailleurs, certains pensent avoir trouvé chez Aristote les fondements de ce principe: c'est un principe qui reconnaît en la personne le fondement même de la société, et qui parle d'une idée de l'État qui va au-delà de la dichotomie entre l'individu et l'État, pour créer, ou recréer, une situation civile qui est aussi une communauté de peuples. La subsidiarité est la condition sine qua non de cette nouvelle idée d'État, parce qu'elle va au-delà de l'acception moderne de l'exercice du pouvoir, que l'on considère, en général, comme devant être soumis à un contrôle. Alors que d'autres parlent de la possibilité d'avoir un État qui "limite les limites" des personnes.

Keynes dit que la personne, avant d'être assistée au plan universel, doit être, au plan universel respectée. Tocqueville parle du "goût de la liberté locale". C'est une question fondamentale si l'on veut construire l'État moderne. Donc, nous avons des auteurs de poids derrière nous. Que ce soit des auteurs de l'antiquité ou que ce soit des auteurs modernes.

L'Union européenne a eu le mérite d'attirer l'attention sur ce principe, qui était jusque-là plutôt négligé. Le voisinage des citoyens, que l'on trouve dans le Préambule du traité de Maastricht, évoque le caractère complémentaire et auxiliaire de l'intervention du Public, en revenant aux capacités de la société civile.

Au cours de nos débats, nous avons tendance à ne voir que le côté vertical de la subsidiarité. Alors que moi, je pense que la dimension horizontale, la mise en valeur des sujets sociaux, des personnes, est la dimension la plus intéressante, la plus importante. De ce point de vue, la subsidiarité pourrait nous aider à fonder une nouvelle citoyenneté européenne. C'est là qu'il faut chercher la possibilité de donner corps aux désirs de nos citoyens qui veulent, évidemment, voir reconnaître leurs droits fondamentaux, ce que fait le traité. Il faut aller plus loin dans ce processus de participation démocratique, par le biais de formes directes de consultations. Bien entendu, la subsidiarité doit toujours être comparée à ce que peut apporter l'efficacité, afin de voir ce qui pèse le plus lourd.

Je dois dire que nous avons orienté nombre de nos politiques à partir de cette idée de la subsidiarité, que nous avons interprétée comme la possibilité de libérer les énergies de la Société civile. Nous avons fait une véritable révolution dans ce domaine, en particulier pour les services sociaux, la santé, l'aide aux personnes handicapées, aux personnes âgées, la formation professionnelle, l'école, la gestion des services d'intérêt public. Nous avons toujours parié sur le caractère central de la personne et sur le rôle des familles. La subsidiarité nous a donné de nouveaux exemples de fonctionnement, que nous sommes en train d'expérimenter, avec succès, et que nous commençons à étendre à d'autres domaines.

Pour nos citoyens, pour nos personnes, il y a cette possibilité de choisir au sein des services qui leur sont proposés par la région, la voie qui leur semble la plus idoine, pour répondre à leurs propres besoins. Nous avons donc créé des parités de conditions pour tous les acteurs sociaux. Nous avons changé le rôle des services publics. Il ne s'agit plus d'une gestion de type "monopole", mais il s'agit maintenant d'entités qui, soumises à des contrôles, garantissent la qualité de leurs interventions.

Donc, ce sont des expériences faites ces dernières années. Dans notre pays, cela a lancé un débat très animé, et cela a permis aussi d'améliorer la qualité et le niveau de démocratie et de participation de tous nos citoyens.

Nous avons pu introduire ces expériences dans le nouveau statut d'autonomie dont s'est dotée la Lombardie récemment, et qui a été approuvé à une immense majorité au Conseil régional lombard; avec, toujours, cette affirmation au centre: la personne humaine est à la base même de l'entité régionale, toujours dans ce principe de subsidiarité, avec ses deux dimensions, verticale et horizontale, ce qui en fait, de fait, l'alpha et l'oméga des choix politiques.

Voilà pourquoi, et je conclus, Monsieur le Président, Madame le Commissaire, voilà pourquoi, je crois qu'après avoir consacré une journée de réflexion sur le thème de la subsidiarité, nous pourrons aller de l'avant. C'est une étape importante. Ce que je souhaite, c'est que de cette journée naisse un mouvement qui aurait le courage de tirer toutes les conclusions de ce principe de subsidiarité.

J'ai également le plaisir de vous dire que la proposition faite par ma région d'organiser à Milan, en 2009, les prochaines Assises de la subsidiarité, a été acceptée. Et je veux remercier le Président Van Den Brande et le Comité des régions, d'avoir accepté cette proposition.

Madame la Commissaire, Mesdames et Messieurs, encore merci de m'avoir offert cette possibilité de m'exprimer. Je vous attends en Lombardie, en 2009.

Merci de votre attention.

M. Luc VAN DEN BRANDE

Merci, Président Formigoni. Je crois que vous vous êtes exprimé, de façon non seulement conceptuelle, mais également de manière "enracinée" aux responsabilités relatives à votre région. Je crois, et je peux le confirmer, qu'il est de mise d'accepter l'offre et la proposition du Président relatives aux quatrièmes Assises de la subsidiarité, qui se tiendront à Milan. Par ailleurs, ces quatrièmes Assises qui se tiendront dans une région à pouvoirs législatifs, présentent un "focus" intéressant. Merci beaucoup, Monsieur le Président.

Sans plus tarder, je vais donner la parole à mon collègue, le Secrétaire d'État Michael Schneider. Mesdames et Messieurs, chers collègues, Michael Schneider est également Président de notre COTER, la Commission du Comité des régions chargée de la politique de la cohésion territoriale. Donc, au nom de la Commission COTER, il nous fera part de ses avis et nous dira quelques mots des préoccupations et des approches qui sont l'apanage de ce COTER.

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