CONCLUSION DE LA MATINÉE

Jean-Noël JEANNENEY,
Professeur des universités, ancien ministre

Avant de céder la parole à mon collègue Jean-François Sirinelli, qui dirigera les travaux de l'après-midi, je tenterai de dégager les éléments de réflexion apparue ce matin, que nous pourrons utilement appliquer aux pays étrangers. Songeons à la diversité des pays qui se sont trouvés, au cours du XX e siècle, à la sortie des dictatures, des guerres civiles et parfois des génocides de leurs propres populations, dans la position de devoir arbitrer entre la nécessité de juger, de punir, de se purger de ces horreurs, et celle de se reconstruire un avenir, un nouveau « vivre ensemble ». Cela peut s'appliquer par exemple au Chili, à l'Argentine, à l'Afrique du Sud, au Rwanda, au Cambodge, à la Grèce ou encore au Portugal. Chacun de ces pays élabore des solutions différentes pour gérer la mémoire collective par des décisions d'Etat. Ainsi l'Espagne a-t-elle d'abord pris la décision de ne pas faire de procès jusqu'à ce que des descendants de victimes républicaines demandent justice et que le gouvernement de Zapatero fasse voter une loi en ce sens. Mais ce mouvement mémoriel, qui s'est traduit notamment par l'ouverture des fosses communes, a ensuite été freiné par la crainte des tensions menaçant l'unité du pays. Cet exemple amène à la conclusion que l'Etat, s'il ne peut s'abstenir d'intervenir, doit le faire avec d'infinies précautions. Le débat s'oriente ici sur le champ de compétence des pouvoirs publics. Dans le cadre des célébrations entourant le Bicentenaire de la Révolution, nous avions admis que le pouvoir avait légitimité à proposer des commémorations mais en même temps, il nous apparaissait nécessaire de maintenir une stricte limite avec les travaux historiques consacrés à la question. A cette fin, nous avions mis en place une commission, exprimant les différentes sensibilités historiographiques de l'époque, chargée de sélectionner et de soutenir certains projets scientifiques. Il me semble que cette problématique se retrouve dans certains des débats évoqués ce matin, notamment la question des lois mémorielles et celle de la Maison de l'histoire de France.

Sur la première question, les députés ont sans doute fait preuve de sagesse en admettant que l'intervention des élus n'était pas souhaitable pour juger du passé. La position inverse aurait ouvert une boîte de Pandore qui aurait pu amener les députés à se prononcer sur tout sujet historique dans la mesure où la mémoire ne connaît pas de frontières, et qui avait posé de graves problèmes quant à la liberté d'expression. L'association « Liberté pour l'histoire » fondée par René Rémond et aujourd'hui présidée par Pierre Nora a mené sur ce terrain une réflexion qui a été entendue par la commission Accoyer. La loi Gayssot divise toutefois la corporation des historiens et soulève la question de sa constitutionnalité du fait des risques qu'elle ferait peser sur la liberté d'expression. De nombreux pays tels que la Russie se montrent intéressés par notre réflexion.

Sur la question de la Maison de l'histoire de France, les débats dépassent le cadre restreint de notre corporation d'historiens en posant la question de la légitimité des efforts consacrés à l'étude de l'histoire de France. La plupart des historiens - auxquels je me joins - répondent par l'affirmative et considèrent l'identité de la France (pour reprendre le titre du dernier ouvrage de Fernand Braudel) comme un objet d'étude légitime. Mais le Sénateur Collin a qualifié non sans pertinence le débat sur l'identité nationale de « préfectoral » et il faut admettre que ce débat a été pollué par le patronage que le ministère dont le nom associait identité nationale et immigration a voulu y imposer. Le choix de la Direction des archives - rabaissée pour l'occasion au rang de « service » - pour accueillir une telle institution fait également débat en posant la question de l'espace disponible. Beaucoup d'entre vous, par conséquent, se tiendront à l'écart de cette entreprise.

Mesdames et Messieurs, je cède maintenant la parole au président Fischer en le remerciant à nouveau pour son initiative et en le priant de transmettre nos remerciements au Bureau du Sénat et au président de la Haute assemblée.

Guy FISCHER

Je remercie Monsieur Jean-Noël Jeanneney et tous les participants de cette matinée. En les écoutant, je me rappelais certains parcours liés à des événements personnels. Ainsi, mon lieu de naissance, Décines-Charpieu dans l'Isère (aujourd'hui dans le Rhône), abrite-t-il une communauté arménienne importante qui rassemble les descendants des survivants du génocide. La question des lois mémorielles me renvoie à deux souvenirs personnels : mon action en faveur de la reconnaissance de ce génocide et celle que j'ai entreprise sur la guerre d'Algérie. Vénissieux, où j'habite, a été le site d'un camp de regroupement des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et la mémoire de ce lieu a été longtemps occultée par la municipalité. J'ai eu la chance de rencontrer des témoins de cette rafle, organisée le même jour que celle du Vel' d'Hiv', révélant que des habitants des différentes communautés religieuses sauvèrent des enfants, ce qui nous relie également à la Maison d'Izieu. Vous comprendrez ainsi que je n'aie pu refuser la proposition du président Gérard Larcher lorsque celui-ci a pris la décision d'organiser ce colloque et c'est un réel bonheur de voir ce projet se concrétiser aujourd'hui.

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