Bicamérisme et représentation des régions et des collectivités locales : le rôle des secondes chambres en Europe



Palais du Luxembourg, 21 février 2008

PREMIÈRE PARTIE : LA DIVERSITÉ DES SECONDES CHAMBRES EN EUROPE

Présidence de Mme Michèle ANDRÉ, Vice-Présidente du Sénat

Je vous remercie, Messieurs, d'avoir été présents à cette tribune. J'ai en charge d'organiser la première table ronde. J'invite M. Patrice GÉLARD, sénateur et auteur du rapport de synthèse de la Commission de Venise, M. Bruno FRICK, conseiller aux Etats et ancien président du Conseil des Etats de Suisse, Mme Svetlana ORLOVA de la Fédération de Russie, M. Aristide ROIBU, sénateur de Roumanie et président du groupe d'amitié Roumanie-France, et enfin M. Ilija FILIPOVIÆ, président de la Chambre des Peuples de Bosnie-Herzégovine, à nous rejoindre.

Chers collègues,

C'est un grand plaisir pour moi d'ouvrir cette première partie de nos travaux, dont le thème est au croisement de deux de mes engagements les plus forts : favoriser la construction de l'Europe, d'une part, et défendre le bicamérisme, dans le respect de ses différentes formes d'expression, d'autre part.

Certes, nous savons que, parmi les dix-sept Etats qui, au sein du Conseil de l'Europe, ont fait le choix d'un Parlement bicaméral, chaque système a son originalité ; et c'est précisément cette diversité d'expériences que nous allons pouvoir explorer, grâce au témoignage des éminentes personnalités qui vont s'exprimer dans un instant.

Je suis convaincue que nos échanges nous donneront l'occasion de faire ressortir les caractéristiques communes qui donnent toute sa légitimité au bicamérisme. Ce n'est pas un hasard si nous assistons à une progression importante du nombre des Sénats dans le monde, comme vient de le rappeler M. le Président Christian PONCELET à travers son message d'ouverture.

Table ronde présidée par Mme Michèle André, Vice-Présidente du Sénat

Les secondes chambres prennent, en effet, une part de plus en plus importante dans la consolidation et l'approfondissement de la démocratie. Elles permettent d'élargir les composantes de la représentation, qu'il s'agisse des territoires ou de la population. Elles renforcent également la stabilité des institutions par une répartition plus équilibrée des pouvoirs. Par leur capacité de réflexion et de modération, elles tendent à améliorer la qualité de la loi.

Enfin, et c'est ce qui nous intéresse plus particulièrement aujourd'hui, elles contribuent au règlement des rapports entre le pouvoir central et les entités infra-étatiques et peuvent promouvoir, accompagner ou encourager les processus de décentralisation.

A cet égard, il convient de saluer le rôle que joue la dynamique Association des Sénats d'Europe pour assurer la promotion de ces différentes fonctions.

S'agissant des liens entre les entités nationales et les entités locales, le Sénat français est, me semble-t-il, dans une situation favorable, puisqu'il a reçu, de la Constitution, la mission spécifique d'assurer la représentation des collectivités territoriales de la République, lesquelles incluent les régions, les communes et les départements.

Mais nous avons aussi beaucoup à apprendre des autres modèles institutionnels, aussi différents soient-ils. Nous aurons une première idée de leur diversité, au cours de cette première séquence, durant laquelle seront présentés des exemples du bicamérisme dans les Etats fédéraux et dans les Etats unitaires. Nous pourrons d'autant mieux comprendre la logique de leur système respectif qu'il nous sera présenté à chaque fois par d'éminents collègues parlementaires.

Nous allons pouvoir, ainsi, nous pencher sur le modèle bicaméral de la Suisse que nous exposera M. Bruno FRICK, lui-même membre du Conseil des Etats, après en avoir été le président. Bien qu'il soit le fruit d'une longue histoire, le système helvétique retiendra d'autant plus l'attention que la nouvelle Constitution a réformé le système fédéral, et nous verrons comment le Conseil des Etats y assure la représentation régionale.

Puis nous aborderons le cas de la Fédération de Russie, que nous présentera Mme Svetlana ORLOVA. Elle pourra nous faire bénéficier de sa double expérience de vice-présidente du Conseil de la Fédération et de membre du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe. Elle nous éclairera sur le système fédéral asymétrique russe, dans lequel les 86 sujets de la Fédération, bien que de types différents, n'en sont pas moins tous représentés au sein du Conseil de la Fédération de manière égale.

Puis sera abordé le cas de la Roumanie, pays dans lequel le bicamérisme fait encore débat. Nous aurons là également des témoignages particulièrement significatifs, puisque M. Aristide ROIBU est sénateur et président du groupe d'amitié Roumanie-France.

Enfin, M. Ilija FILIPOVIÆ, président de la Chambre des Peuples de Bosnie-Herzégovine nous présentera le système très original de ce jeune pays dans lequel le bicamérisme existe, non seulement au niveau fédéral, mais également au niveau des trois entités : bosniaque, croate et serbe. Il sera intéressant de voir si la représentation des entités, au sein de la Chambre des Peuples, permet, à l'échelon fédéral, d'assurer la représentation régionale.

Les comparaisons que nous pourrons établir, à partir de là, permettront d'ouvrir un premier champ de réflexion sur la vocation des secondes chambres à faire vivre la démocratie sur le territoire.

Mais nous allons tout d'abord entendre le rapport introductif de notre collègue, M. le doyen Patrice GÉLARD, qui a publié un rapport de synthèse, pour la Commission de Venise, sur le rôle des secondes chambres en Europe, intitulé Complexité parlementaire ou nécessité démocratique ?

Il a également mené un remarquable travail, au sein de la Commission des lois du Sénat, sur l'expérience des Parlements nationaux au sein de l'Union européenne ; travail auquel moi-même et notre collègue M. Jean-Claude PEYRONNET, avons participé.

Sans plus attendre, j'invite M. Patrice GÉLARD, auteur du rapport de synthèse de la Commission de Venise, à prendre la parole.

Rapport introductif de M. Patrice GÉLARD (France), Sénateur, auteur du rapport de synthèse de la Commission de Venise

Madame la Présidente, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Messieurs les Secrétaires généraux,

Il m'est difficile de présenter un rapport introductif après les interventions précédentes, qui ont, dans une certaine mesure, empiété sur ce que je voulais dire. Du fait du peu de temps qui m'est imparti, je vais devoir résumer mon intervention qui, comme tout cours de droit constitutionnel, aurait dû durer trois quarts d'heure.

A quoi peut servir une seconde chambre dans une démocratie ?

Des Etats ont répondu à cette question en disant que la seconde chambre est inutile et ne sert à rien. Cette situation se vérifie dans certains pays. Nous imaginons mal Monaco, le Liechtenstein ou Andorre avec une seconde chambre. Une seconde chambre, dans certaines régions, ralentirait ou compliquerait le travail législatif. Par ailleurs, elle coûterait cher ; l'élément du coût est important. Le nombre des élus nationaux est à peu près le même d'un pays à un autre dans les différentes démocraties. Il n'y a pas vraiment de variations en la matière qui feraient que plus un pays serait grand, plus il aurait d'élus et vice versa .

La deuxième raison pour laquelle une seconde chambre ne servirait à rien est qu'elle ne serait pas démocratique. A quoi sert-il, dans un Etat, d'avoir deux chambres élues toutes deux au suffrage universel direct et ayant les mêmes pouvoirs ?

Un certain nombre d'Etats comme le Japon ou l'Italie connaissent cette situation. Dans ce cas, nous risquons, soit d'avoir une seconde chambre représentant une sorte de clone de la première chambre, soit d'aboutir à des incompréhensions constitutionnelles avec des risques de conflits entre les deux chambres investies de la même autorité démocratique. Nous pourrions bien sûr envisager la formule polonaise ou la formule tchèque selon laquelle la seconde chambre élue au suffrage universel direct a moins de pouvoirs que la première chambre. Mais nous porterions alors un jugement de valeur sur le mode de scrutin. Pourquoi le mode de scrutin utilisé pour désigner le Sénat tchèque ou le Sénat polonais serait-il de moins bonne qualité que celui servant à désigner les représentants de la Diète ou de la Chambre des députés ?

En ce sens, le suffrage universel direct pour les deux chambres ne constitue pas forcément la meilleure solution.

Il est vrai que les secondes chambres semblent indispensables, voire même consubstantielles au fédéralisme. Tous les Etats fédéraux du monde possèdent une seconde chambre. La première chambre représente la population, la deuxième chambre les collectivités fédérées. Il semble s'agir d'une loi incontournable du fédéralisme.

Nous pouvons, à cet égard, nous demander pourquoi l'Union européenne ne compte pas deux chambres. Celle-ci est en train d'évoluer vers un certain fédéralisme dans la mesure où elle abrite des embryons de secondes chambres.

Le modèle fédéral a eu tendance à être imité par les Etats fortement décentralisés comme le sont, par exemple, l'Espagne et l'Italie. La raison d'être de la seconde chambre est alors de permettre une représentation des collectivités fortement décentralisées, c'est-à-dire les régions, les provinces, etc. Nous pouvons estimer que n'importe quel Etat désireux d'aller vers la voie de la décentralisation aurait intérêt à ce que les collectivités territoriales soient représentées dans cette seconde chambre. C'est le modèle emprunté par la plupart des pays européens dans lesquels la seconde chambre a tendance à représenter les collectivités territoriales, celles-ci étant élues soit au suffrage indirect, soit au suffrage mixte (direct et indirect).

Ces prémisses étant posées, il se pose toujours la question de savoir à quoi peut servir une seconde chambre. Celle-ci représente les collectivités territoriales ou d'autres composantes. Par exemple, la seconde chambre irlandaise comprend six sénateurs portant la voix d'universités et la seconde chambre slovène représente les collectivités territoriales, mais aussi les forces économiques et sociales. Il existe d'autres exemples de représentations un peu particulières : représentation de minorités nationales ou, pour le Sénat français, représentation des Français de l'étranger.

Il est souhaitable que la seconde chambre ne soit pas, dans sa composition, identique à la première chambre. Je ne préconise pas de suivre l'exemple du Kazakhstan où la seconde chambre ne doit être composée que de personnes diplômées de l'enseignement supérieur. Nous pourrions cependant imaginer des modes de représentation différents, basés notamment sur l'âge. En représentant telle ou telle collectivité territoriale ou particularité nationale, la seconde chambre sera différente, dans sa composition, de la première chambre.

Elle aura également un autre rôle. Nous constatons que, dans la majorité des pays européens, à l'exception notamment de l'Italie, les secondes chambres ont moins de pouvoir que la première chambre, notamment en matière budgétaire, d'initiative législative et de droits d'amendement ; ce qui n'empêche pas les secondes chambres d'avoir parfois une capacité d'initiative et donc de jouer un rôle non négligeable dans la vie de l'Etat, celles-ci n'étant pas soumises aux contraintes de l'actualité, à la pression des médias et surtout aux risques d'une dissolution éventuelle.

La plupart des secondes chambres ont la réputation de correspondre à des conseils de sages, d'améliorer les premières versions des textes de loi et de faire en sorte que l'initiative législative corresponde véritablement aux besoins et pas seulement aux exigences de l'actualité.

Dans un certain nombre de Parlements, les idées originales viennent de la seconde chambre. En Angleterre comme en France d'ailleurs, les lois gagnent en qualité grâce au travail des secondes chambres.

Même dans les Etats monocaméraux, il existe souvent des bicamérismes « fantômes », avec la présence d'institutions invisibles, occultes, jouant en réalité le rôle de seconde chambre. Ce rôle est tenu par le Conseil d'Etat au Luxembourg, par un groupe d'experts composé d'anciens ministres, d'anciens syndicalistes et d'universitaires, lesquels seront consultés au moment de la procédure de l'adoption des lois, dans d'autres pays. En Grèce, c'est le Conseil scientifique qui occupe la fonction de seconde chambre, celui-ci révisant toutes les lois avant qu'elles ne soient adoptées.

Pour conclure, je reprendrai les propos de l'un de nos illustres prédécesseurs au Sénat, le professeur de droit constitutionnel Marcel PRELOT : « En France, lorsque le Sénat est faible, la République est faible. Lorsque le Sénat est fort, la République est forte. Lorsqu'il n'y a pas de Sénat, il n'y a pas de République. »

Nous pourrions très bien appliquer ces mots à l'ensemble des pays européens, à l'exception des touts petits Etats.

Mme Michèle ANDRÉ

Je vais donner la parole, sans plus attendre, à M. Bruno FRICK, conseiller aux Etats et ancien président du Conseil des Etats de Suisse.

M. Bruno FRICK (Suisse), Conseiller aux Etats, ancien Président du Conseil des Etats

Merci Madame la Présidente. Chers collègues, Chers amis, Mesdames et Messieurs,

Si vous me le permettez, j'aimerais vous parler de la Suisse. C'est un honneur pour moi d'être ici au coeur de l'Europe. La Suisse appartient au Conseil de l'Europe depuis sa création. Mais elle n'est pas membre de l'Union européenne.

Il m'a été demandé de parler du rôle du Sénat en Suisse, celui-ci y représentant la deuxième chambre et portant le nom de Ständerat dans mon pays. Le fédéralisme et le Sénat sont, avec la démocratie directe, les deux caractéristiques politiques de la Suisse.

J'aimerais d'abord vous parler du fédéralisme en Suisse et de la façon dont les pouvoirs y sont partagés. Ensuite, je vous parlerai du contexte dans lequel le Sénat fonctionne et travaille. Enfin, j'aimerais vous entretenir de certaines réformes, qui ont été proposées, et vous donner mon avis à ce propos.

Le fédéralisme, tel que le comprennent les Suisses, signifie une division du pouvoir entre le niveau fédéral et le niveau cantonal et donc la possibilité, pour les cantons, de contribuer à la politique fédérale. Le fédéralisme applique le principe de la subsidiarité, à savoir que les compétences et les pouvoirs doivent être exercés au niveau le plus bas dans l'Etat. Pour le niveau le plus élevé, les tâches ne seront exécutées que lorsque la nécessité s'en fera ressentir, pour des raisons politiques ou d'organisation.

Le fédéralisme suisse est donc basé sur le pouvoir, la mise en oeuvre et l'initiative législative. La nouvelle Constitution fédérale, en place depuis huit ans, octroie davantage de pouvoirs aux cantons. Le niveau fédéral ne reprend le pouvoir qu'en cas de changement constitutionnel, validé par le vote d'une majorité de la population et des cantons.

Depuis le début de la nouvelle Confédération, soit il y a plus de 160 ans, un certain nombre de compétences ont été transférées au niveau fédéral. Les cantons suisses bénéficient toutefois d'une autonomie d'Etats partiels et disposent à ce titre de pouvoirs substantiels : ils sont responsables de la politique en matière de santé, d'éducation, de police, de sécurité publique, des tribunaux, de la culture et de l'entretien des routes. Ils prélèvent leurs propres taxes, basées sur les revenus et le patrimoine, ce qui engendre une certaine concurrence fiscale entre les cantons. Cette compétition fiscale incite ces derniers à mettre en oeuvre leur politique à un moindre coût. Cette division des pouvoirs constitue l'un des fondements du système politique suisse et présente de nombreux avantages.

La population suisse est composée de nombreuses minorités régionales, culturelles, linguistiques ou économiques, susceptibles, à nos yeux, d'exister et de se développer au mieux dans un Etat fédéral. Puisque leurs intérêts peuvent être représentés au sein du Sénat, celui-ci a le même pouvoir que la chambre basse. Les cantons détiennent ainsi un pouvoir fédéral relativement important. C'est ce que nous appelons « la mise en oeuvre du fédéralisme ». De cette façon, les autorités sont beaucoup plus proches des populations. Ce système fonctionne efficacement dans de nombreux domaines comme la sécurité sociale et le versement des allocations, mais entraîne aussi des débats animés, notamment concernant le droit d'asile.

S'agissant de la Constitution et de la loi fédérale, les cantons ont le droit de participer au processus législatif. C'est ce que nous appelons le fédéralisme d'initiation. Une majorité de cantons peut ainsi engendrer une modification constitutionnelle. Ils peuvent également participer à des décisions relatives à la politique étrangère du pays. La Confédération ne peut pas introduire de nouvelles lois sans avoir consulté les cantons au préalable. L'article 150 de notre Constitution prévoit que le Sénat est composé de quarante-six représentants de cantons et représente un organe de l'Etat fédéral et non pas une organisation de cantons.

Chaque canton a deux représentants élus par la population. Mais ces derniers représentent-ils le gouvernement du canton, le Parlement du canton ou la population du canton ?

Ils représentent, en fait, leur canton et sont choisis en fonction de la législation de celui-ci. Toutefois, ils ne rendent des comptes qu'à la population. C'est la principale différence entre notre système et celui du Bundesrat allemand, qui représente les Länder . Les sénateurs jouissent de certaines dispositions pour représenter et défendre les intérêts de leurs cantons. Ils peuvent travailler dans le cadre de commissions, faire un certain nombre de propositions au Parlement et exercer leur influence au moyen de discours et d'entretiens donnés aux médias, ainsi que par le biais des membres du gouvernement et d'un travail en réseau.

Chaque sénateur est membre d'un parti, mais aussi de groupes d'intérêts. Il gagne sa vie en étant « représentant ». Comme dans la Constitution américaine, chaque canton est représenté par deux membres. En ce sens, tous les cantons se trouvent sur un même pied d'égalité. Ainsi, selon la configuration des cantons, une région de 400 000 personnes peut être représentée par dix sénateurs alors qu'une région forte d'un million de personnes (Zurich) par deux sénateurs. Les minorités participent pleinement à la vie politique. Les intérêts des différentes régions et langues sont ainsi défendus ce qui permet de garantir un équilibre des pouvoirs entre le Sénat et la chambre basse. Parce que le Sénat constitue la deuxième chambre du système fédéral suisse, il dispose des mêmes pouvoirs que la chambre basse. En d'autres termes, il ne s'agit pas que de retarder la prise de décision législative, mais de mieux l'appréhender et de défendre les intérêts des cantons. Les deux chambres se trouvent ainsi sur un pied d'égalité.

Notre système est extrêmement sophistiqué. Il permet de régler les divergences entre les deux chambres, de dépasser les conflits par la recherche de compromis. La politique en Suisse est fortement orientée vers le compromis : les majorités et les minorités parviennent toujours à des accords en Suisse. Notre système permet ainsi de garantir des équilibres et des contrôles réciproques dans notre travail législatif et parlementaire.

J'aimerais maintenant évoquer le statut du Sénat. Il s'agit d'une chambre du Parlement fédéral, mais pas d'une organisation de cantons. A la différence du Parlement cantonal, le Sénat correspond à une émanation de l'Etat fédéral. Le Sénat exécute ainsi la politique fédérale et prend en compte les intérêts des cantons. Mais lorsqu'un conflit interne surgit, il est très important de donner la priorité à l'intérêt fédéral. Pour autant, le Sénat ne s'occupe pas que de sujets relevant de l'intérêt national. Il défend également les intérêts de la Suisse au niveau international, mais sous l'angle des cantons.

La Suisse et l'Union européenne ont établi des relations grâce à des accords bilatéraux. Les représentants des cantons jouent un rôle dans ce processus bilatéral. Lorsqu'on défend des intérêts multiples, il devient nécessaire d'avoir un point d'ancrage, constitué ici par le canton. Celui-ci forme la base du Sénat où les représentants cantonaux siègent après avoir été élus. Il est donc envisageable qu'il y ait des réunions formelles et informelles entre les représentants des cantons et ceux d'autres organismes et administrations.

Je terminerai mon propos en évoquant les alternatives réalistes à la forme actuelle du Sénat en Suisse. Depuis cinq ou dix ans, des analystes politiques estiment urgent de réformer le Sénat. Mais la population suisse pense que la seconde chambre est beaucoup plus importante que la chambre basse. Elle est considérée comme étant plus équilibrée et plus efficace pour résoudre les problèmes.

Plusieurs réformes constitutionnelles ont été proposées. Tout d'abord, un changement de la composition du Sénat a été mentionné, la solution mise en avant consistant à avoir trois représentants pour les grands cantons, deux représentants pour les cantons de moyenne importance et un représentant pour les petits cantons. Ensuite la tenue d'une grande conférence commune à tous les gouvernements de cantons a été suggérée. Enfin, il a été également question de transformer le Sénat en chambre des cantons selon le modèle autrichien. Toutes ces propositions n'ont pas abouti, car notre système est extrêmement solide et résistant. Notre système s'apparente finalement à une copie du système américain adapté à la réalité suisse. Nous aimerions lui rester fidèles.

J'achèverai mon intervention en mettant en avant cinq réalités :

En Suisse, le Sénat se trouve sur le même pied d'égalité que la chambre basse, même si ses membres y sont élus différemment. Notre système fédéral n'est pas rigide ou gelé. Il est tout à fait en mesure de se réformer régulièrement.

Le Sénat constitue un instrument essentiel de la Suisse, représentant les intérêts des cantons au niveau fédéral. Les sénateurs sont cependant autonomes et ne reçoivent aucune instruction de leur canton.

Le Sénat forme un organe de l'Etat fédéral. Il a donc pour tâche de trouver des solutions aux problèmes suscités par le système politique fédéral, en défendant les intérêts des cantons.

Le Sénat, en tant qu'organe, et les sénateurs, prennent toujours des décisions en tenant compte des intérêts du canton et de l'intérêt fédéral, mais aussi de l'intérêt des partis et des associations. Ils essaient de proposer des solutions équilibrées à tous les problèmes.

Nous ne croyons pas qu'une réforme fondamentale et brutale du Sénat engendrerait un système meilleur. Le dispositif actuel est le bon et continuera à être bon pendant encore cent ans.

Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour votre attention.

Mme Michèle ANDRÉ

Merci M. Bruno FRICK pour cet exposé. Je donne la parole à Mme ORLOVA, représentante de la Fédération de Russie.

Mme Svetlana ORLOVA (Fédération de Russie), Membre du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, Vice-Présidente du Conseil de la Fédération de Russie

Madame la Présidente Michèle ANDRÉ, Mesdames et Messieurs.

Aujourd'hui, nous examinons un sujet de haute importance. Le système bicaméral, tel qu'il existe en Russie, est parfaitement justifié. Au cours des quinze dernières années, il a atteint un niveau de qualité supérieur, avec une amélioration des relations entre le centre fédéral et les régions. Mais parlons un peu de l'histoire de la Russie, comme l'a fait mon collègue pour la Suisse.

La Douma de l'Etat de Russie vient de fêter ses cent ans. Dans le régime tsariste, dès 1906, un système bicaméral a été mis en place. Il a accompagné la création de l'Union soviétique. Pour la Russie contemporaine, la Constitution de la Fédération de Russie, adoptée le 12 décembre 1993, a renforcé le statut bicaméral de notre système parlementaire. Conformément à la Constitution de la Fédération de Russie, le pays représente un Etat fédéral, composé de 86 sujets. Toutefois, trois sujets l'ont quitté dernièrement. En effet, il y a eu fusion de certains districts, notamment celui d'Irkoutsk avec sa région voisine, celui du Kamtchatka avec une autre région. La sortie des trois sujets de la Fédération a eu lieu à la suite d'une décision prise par la population lors d'un référendum.

La structure fédérale de la Fédération de Russie est fondée sur l'intégralité territoriale et l'unité du système, sur une délimitation des thèmes traités par les différents organes et des prérogatives revenant aux différentes institutions de la Fédération de Russie et aux organes des sujets.

Pour ce qui est des relations entre l'Etat central et les organes fédéraux, il faut noter que les sujets de la Fédération de Russie jouissent de droits égaux. La Fédération de Russie comprend deux représentants de chacun de ses sujets : un représentant des organes représentatifs du pouvoir et un représentant de l'exécutif des sujets de la Fédération. Le Conseil de la Fédération est formé en fonction des lois adoptées et une série d'amendements a été entérinée l'an dernier. Par ailleurs, les réunions du Conseil de la Fédération sont publiques, diffusées directement sur Internet.

Il y a 17 comités, 9 commissions et des auditions publiques sont organisées sur tous les sujets d'actualité de notre société auxquelles participent les représentants des régions, de la population, de la société civile, des municipalités, des maires, etc. Nous traitons des thèmes les plus brûlants. Pour écouter le message du Président de la Fédération de Russie et du Tribunal constitutionnel, une réunion conjointe des deux chambres est organisée.

Je vais vous présenter rapidement quelques-uns des thèmes dont traite le Conseil de la Fédération de Russie. Tout d'abord, il confirme les changements de frontières entre les sujets de la Fédération de Russie, ainsi que les décisions du Président quand il s'agit de faire entrer le pays en état de guerre ou de déclarer une situation d'urgence. Il autorise également l'utilisation des forces armées du pays au-delà des frontières nationales. Il fixe les élections présidentielles, nomme les juges du Tribunal constitutionnel, du Tribunal suprême et du Tribunal d'arbitrage, le Procureur général et prend la décision de son renvoi. Ce dernier dresse un rapport annuel au Conseil de la Fédération dans lequel siègent les représentants des régions, de la société civile et des différentes nationalités de notre pays. La publication de ce document représente, pour nous, un événement très important.

Les lois fédérales, adoptées par la chambre basse, sont ensuite transmises au Conseil de la Fédération lequel obéit à la règle suivante : soit il adopte la loi votée par la Douma, soit il la rejette. Par exemple, neuf projets de lois relatifs à des services essentiels pour la population - des services sociaux - ont été renvoyés, pour examen, à une Commission de conciliation. Cette dernière revisite alors les lois qui sont ensuite transmises à nouveau, pour réexamen, au Conseil de la Fédération qui les adopte.

Le Conseil de la Fédération réfléchit aux grandes orientations stratégiques du développement du pays. L'objectif essentiel est de lancer, de manière opérationnelle, tous les mécanismes permettant de réaliser nos politiques sociales et économiques. M. POUTINE, Président de la Fédération de Russie, transmet un message annuel à la réunion conjointe des deux chambres à laquelle s'ajoutent les 17 comités et 9 commissions. Deux fois par an, nous rencontrons le président pour dresser le bilan de nos sessions de printemps et d'automne. Nous avons un dialogue très constructif avec la présidence. Nous traitons des sujets essentiels pour la Fédération, demandons à ce que des textes soient précisés et lançons nous-mêmes des initiatives législatives. Nous détenons, en effet, un droit d'initiative législative.

Au cours de cette session, nous avons examiné 600 projets de lois et lancé 40 initiatives au nom du Conseil de la Fédération pour proposer des règlements techniques. La base législative a donc été préparée par le Conseil de la Fédération et adoptée par le gouvernement. Elle a été présentée à la Douma sous forme de projets de lois.

Par ailleurs, nous sommes à l'origine d'une loi très importante, permettant de lutter contre la corruption dans notre pays. Il s'agit de la loi de 1994 à propos des biens d'Etats et de municipalités. Dans certains endroits de la Russie, il est possible de participer à des appels d'offres pour des projets de l'ordre de 3 trillions de roubles. Cet appel concurrentiel aboutit à une réduction des coûts. Un portail public sera ouvert également pour quiconque voulant présenter des projets en matière de services municipaux. Nous souhaitons la plus grande transparence possible.

Pour la Russie, Etat fédéral, il est essentiel de délimiter les pouvoirs et les prérogatives des deux chambres. Je voudrais remercier, à cet égard, le Congrès des Pouvoirs régionaux et locaux et notamment son président, M. Halvdan SKARD. Nous avons, en effet, délimité les pouvoirs des uns et des autres. Aujourd'hui, 67 Etats de la Fédération commencent à mettre en oeuvre le nouveau projet de loi. Nous espérons que les autres régions se joindront à celles qui ont déjà adopté cette loi.

Un processus de monitoring s'applique à la Russie. Nous avons produit un rapport l'année dernière à ce sujet. En 2006, le Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux s'est réuni à Moscou. Il a été inauguré par M. MEDVEDEV. De nombreuses questions lui ont été posées à cette occasion. Nous pouvons retenir de ses réponses un point essentiel, réaffirmé par lui et selon lequel « le pouvoir ne réside pas au Kremlin, mais sur le terrain, dans les régions, les villes et les villages ». La délimitation des pouvoirs fonctionne fort bien, ainsi que le principe de subsidiarité. A ce sujet, j'annonce à mes collègues que nous allons confier encore plus de pouvoirs aux régions, concernant l'utilisation de leurs terres et de leurs ressources forestières.

Par ailleurs, les membres du Conseil de la Fédération participent aux différents conseils créés auprès du Président de la Fédération de Russie. Il en existe plusieurs, dont un en matière de projets nationaux. Vous savez que nous développons des projets nationaux en matière de santé, d'éducation et d'agriculture. Aujourd'hui, la Russie réussit fort bien dans ces secteurs essentiels.

En dehors du Conseil des Pouvoirs régionaux et locaux, des conseils ont été instaurés auprès du président et des représentants des autorités régionales, dont un a pour but de préparer les Jeux olympiques de 2014. Les conseils ainsi créés auprès du président peuvent avoir une grande influence en matière de prise de décision. Nous pouvons également défendre les intérêts des régions.

De plus, les membres du Conseil de la Fédération font partie des conseils de surveillance de la Banque centrale. Deux entreprises étatiques ont vu le jour pour réformer le parc immobilier et introduire de nouvelles technologies. En outre, un Conseil des législateurs fonctionne depuis 3 ans. Il regroupe tous les représentants des organes législatifs du pouvoir et se réunit plusieurs fois par an pour examiner tous les sujets brûlants d'actualité. Le président POUTINE assiste à deux séances de ce conseil. L'une d'entre elles s'est tenue avant le nouvel an. Y ont assisté le représentant du président et M. MEDVEDEV. Elle a porté sur la modernisation et le développement de l'éducation nationale. Notez que trois universités ont été créées, à Krasnoïarsk, à Rostov-sur-le-Don et à Vladivostok.

Concernant le développement de la santé, nous avons accordé 2 trillions de roubles à ce secteur. Une augmentation de 26 % des dépenses affectées à la modernisation de la santé et de l'éducation a eu lieu au cours des dernières années. Sur une base de 1 000 habitants, la Russie est le pays où la qualité de vie est la meilleure. Sur toutes ces questions essentielles, le législateur a à intervenir. Notons, par ailleurs, que toutes les écoles de Russie possèdent une connexion Internet.

Nous pouvons adopter de très bonnes lois, mais leur mise en oeuvre n'est pas toujours efficiente. C'est pourquoi, cette année, le Conseil de Fédération se livre, pour la troisième fois, à une étude approfondie de la législation.

En effet, des rapports sur l'état actuel de mise en oeuvre des lois sont dressés par les juges des tribunaux d'arbitrage, de la Cour suprême, de notre Commission de défense des droits de l'homme et par divers représentants de la société civile. Ils montrent le résultat de nos travaux et permettent d'analyser la mise en oeuvre des lois et de mieux résoudre les problèmes que connaissent nos populations. Le contrôle de la mise en oeuvre des lois est indispensable.

Hier même, nous avons transmis des projets de lois au Président du Conseil de la Fédération, lequel les a fait suivre auprès du Président de la Russie qui les examinera et donnera ensuite les instructions nécessaires. L'étude de la mise en oeuvre des lois est donc essentielle à nos yeux.

Comment est-il possible d'évaluer notre travail ? Si nous pouvons mettre en place des indicateurs économiques et des indicateurs sociaux comme l'amélioration du niveau de vie de notre population, il convient d'approfondir et d'améliorer l'état du droit en Russie.

L'an dernier, nous avons rédigé un rapport sur la situation des enfants, certains d'entre eux étant victimes de violence et ayant des conditions de vie familiale difficiles.

Par ailleurs, comment travaillons-nous avec le gouvernement ? En fait, comme je l'ai déjà indiqué, nous nous réunissons deux fois par an pour dresser le bilan de nos sessions d'automne et de printemps. Nous auditionnons également les principaux ministres pour prendre, à partir de leurs propos, une série de décisions. Ensuite, nous veillons à la mise en oeuvre de notre travail.

De plus, pour la deuxième année consécutive, nous avons organisé les journées ouvertes des sujets de la Fédération. Y ont participé les représentants de la région de Riazan, de Nijni-Novgorod, du district de l'Altaï et de la société civile. A cette occasion, une grande exposition a été organisée dans les locaux du Conseil de la Fédération. Tous les participants concourent à l'animation de cette idée, ainsi que les gouverneurs de certains territoires et le président du Conseil législatif. Tous écoutent avec attention les différentes interventions qui peuvent avoir lieu.

Comment avons-nous résolu les problèmes sociaux ? Quelles sont les difficultés rencontrées par telle ou telle région ? Quelle est leur production essentielle ? Il est nécessaire de répondre à ces questions car nous avons besoin d'obtenir des résultats et de montrer qu'ils existent. C'est pourquoi nous pensons que les journées ouvertes des sujets de la Fédération sont essentielles.

Sur le plan international, le Conseil de la Fédération poursuit un certain nombre d'axes prioritaires. Nous avons organisé la quinzième session du Forum Asie-Pacifique à laquelle a assisté une vingtaine de participants, dont les dirigeants du Parlement des pays de la région Asie-Pacifique. Une prochaine réunion aura lieu à Vladivostok. Je vous invite donc à vous rendre à Saint-Pétersbourg, mais également à la séance de Vladivostok. Nous jugeons essentiel de continuer à examiner de concert toutes sortes de sujet.

En outre, avec le Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux, nous avons organisé, pour la première fois, un congrès sur la sécurité du transport pour maintenir la vie sur terre. Cette réunion s'est tenue à Saint-Pétersbourg. Le thème est d'intérêt pour tous. En Russie, 24 000 accidents routiers sont dénombrés par an. C'est pourquoi nous avons renforcé la loi et la répression sur les routes. Nous voulons que chaque citoyen boucle sa ceinture de sécurité avant de conduire. De plus, nous avons mis en place un programme pour renforcer la sécurité du trafic automobile. Nous espérons donc que la prochaine réunion sur le sujet se tiendra en Russie. A ce titre, je remercie le Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux qui a joué un rôle très important en la matière.

Aujourd'hui, la Russie fait partie du G8 et connaît une croissance économique très importante, au-delà de 8 % par an. Elle a mis en oeuvre des programmes nationaux réussis, notamment dans les domaines de l'innovation, du social et de l'économie, trois secteurs prioritaires. De plus, nous développons une stratégie pour l'an 2020, de manière à devenir l'un des cinq pays leaders en matière industrielle. Nos dettes sont réglées et nous voulons augmenter la production de logements nouveaux, 22 nouvelles villes satellites étant nées en Russie. Il y a peu de temps, nous avons organisé une réunion sur le développement durable et la création de nouvelles villes.

Evidemment, nous souhaitons mettre l'accent sur l'innovation technologique, afin de changer le visage de l'économie russe et acquérir 12 % du marché mondial dans ce secteur. Nous privilégions toute une série de nouveautés technologiques telles que l'utilisation de l'hydrogène comme source d'énergie et le développement des nanotechnologies. L'économie russe consommant beaucoup d'énergie, le Conseil de la Fédération met au point un projet de loi incitant à faire des économies d'énergie et s'accompagnant d'une série de réglementations techniques. Un fonds d'innovation a été créé pour améliorer le bien-être de la population. Un autre fonds est dédié aux enfants maltraités.

En résumé, le Parlement bicaméral a parfaitement justifié son existence. L'année 2008 a été déclarée, par le Président de la Russie, comme celle de la famille. De nombreux projets de loi pour renforcer les familles sont prévus et nous sommes prêts à partager notre expérience dans ce domaine. Il est essentiel, à nos yeux, de disposer d'un système bicaméral. L'expérience de la Russie le prouve nettement.

Je vous remercie de votre attention.

Mme Michèle ANDRÉ

Merci Mme ORLOVA de votre intervention. Je donne la parole à M. Aristide ROIBU, sénateur et président du groupe d'amitié Roumanie-France.

M. Aristide ROIBU (Roumanie), Sénateur, Président du groupe d'amitié Roumanie-France

Madame la Présidente, Chers collègues,

Je vais vous présenter le rôle du Sénat dans le Parlement bicaméral en Roumanie.

Permettez-moi d'indiquer que le débat concernant le bicamérisme et la diversité de la seconde chambre dans les systèmes parlementaires contemporains présente un intérêt particulier pour tous les systèmes démocratiques en Europe, et surtout pour la manière avec laquelle les intérêts sociaux, économiques, politiques et régionaux sont représentés par l'intermédiaire du Sénat.

L'existence d'un système parlementaire monocaméral ou bicaméral est le produit de certaines conditions et circonstances historiques.

Ainsi, à la suite de la Convention de Paris de 1858, dans les principautés roumaines, a été adopté par plébiscite, sur l'initiative du prince Alexandru Ioan Cuza, un document ayant une valeur constitutionnelle, intitulé « le Statut développant la Convention de Paris », qui prévoyait la création d'une nouvelle chambre parlementaire, à côté de l'Assemblée des députés.

En application de ce Statut a été introduit, dans la vie parlementaire roumaine, le système bicaméral d'organisation du forum législatif, qui était composé de l'Assemblée élective et du corps pondérateur, le Sénat. Par la Commission de 1866, le Parlement bicaméral a été assis sur des bases modernes, similaires à l'organisation et au fonctionnement des autres institutions analogues en Europe occidentale.

Après la Seconde Guerre mondiale, le Parlement et tout le système constitutionnel de la Roumanie ont été restructurés, selon le modèle du régime politique totalitaire de gouvernement. Ainsi, le Sénat a été dissous au mois de juillet 1946.

Le remplacement des structures du pouvoir en décembre 1989 et l'adoption de la nouvelle Constitution de la Roumanie en 1991 ont permis au pays de revenir à ses traditions parlementaires et à un Parlement bicaméral réellement représentatif et aligné sur les standards de l'Etat de droit.

Il faut remarquer qu'en choisissant la formule bicamérale, l'Assemblée constituante de 1990 a considéré nécessaire d'assurer un système d'égalité parfaite entre les attributions des deux chambres. L'égalité des chambres n'a pas permis un fonctionnement efficace du processus législatif. Ainsi, ce type de bicamérisme a souvent empêché ou retardé l'adoption de certaines lois.

Ainsi, en 2003, la Constitution adoptée en 1991 a été révisée pour différencier les attributions de la Chambre des députés par rapport à celles du Sénat. Après la révision de la Constitution, nous avons renoncé aux commissions de médiation, et les deux chambres ont été en mesure d'assurer l'efficacité et la diligence de l'activité parlementaire en matière législative.

La Constitution a établi quelle serait la première chambre saisie en fonction de la catégorie de loi. Par conséquent, dans le processus législatif, pour une certaine catégorie de projet de loi, l'une des chambres devient la première chambre saisie, l'autre correspondant à la chambre ayant la compétence de décision.

La première chambre saisie est obligée de se prononcer, pour une première adoption de projet de loi ou proposition législative dans un délai de 30, 45 et jusqu'à 60 jours, en fonction de la catégorie ou de la complexité de la loi. Au cas où ces délais sont dépassés, on considère que le projet de loi (ou la proposition législative) a été adopté tacitement.

Le rôle le plus important du Sénat s'exerce dans le domaine de certaines lois pour lesquelles il peut prendre la décision définitive. En règle générale, les compétences du Sénat en tant que chambre décisionnelle relèvent du domaine de certaines lois organiques, c'est-à-dire :

- l'organisation autonome des services publics, de la radio et de la télévision et le contrôle parlementaire de leur activité ;

- l'établissement des catégories de fonctions publiques qui ne permettent pas à leurs membres d'appartenir aux partis politiques ;

- l'établissement des conditions de l'accomplissement des obligations militaires et de la défense du pays ;

- l'organisation et le fonctionnement de l'institution de l'avocat du peuple ;

- l'organisation du gouvernement et du Conseil suprême de la défense du pays ;

- l'organisation du contentieux administratif ;

- l'organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, des instances judiciaires, du ministère public et de la Cour des comptes ;

- l'organisation générale de l'enseignement ;

- l'organisation de l'administration publique locale du territoire, ainsi que le régime général relatif à l'autonomie locale ;

- la création, l'organisation et le fonctionnement du Conseil législatif, l'organe consultatif spécialisé du Parlement ;

- l'établissement de la structure du gouvernement ;

- l'établissement des incompatibilités des membres du gouvernement, autres que celles prévues par la Constitution ;

- la création des autorités administratives autonomes centrales ;

- l'établissement de la structure du système national de défense, la préparation de la population, de l'économie et du territoire pour la défense, ainsi que le statut des cadres militaires et des autres composantes des forces armées ;

- le maintien, dans les unités administratives territoriales où les citoyens appartenant à une minorité nationale ont un poids significatif, de l'usage de la langue écrite et orale de cette minorité, des relations avec les autorités de l'administration publique locale et avec les services publics décentralisés ;

- l'établissement de la composition de la Haute Cour de cassation et de justice et ses règles de fonctionnement ;

- la création des instances judiciaires spécialisées dans certaines matières, avec la possibilité de la participation, selon les cas, des personnes n'appartenant pas à la magistrature. La Constitution de la Roumanie interdit de créer des instances extraordinaires.

Cette procédure se caractérise par l'adoption ou le rejet, par la première chambre qui en est saisie, du projet ou de la proposition de loi, laquelle est renvoyée à l'autre chambre, ici le Sénat, qui prendra la décision définitive la concernant. Des exceptions à cette règle peuvent apparaître dans le cas où la première chambre saisie adopte une disposition relevant de sa compétence; la disposition est alors définitivement adoptée si la seconde chambre est d'accord. Dans le cas contraire, la loi est renvoyée à la première chambre saisie seulement pour la disposition en question et cette chambre statuera définitivement en procédure d'urgence. Les dispositions relatives au renvoi de la loi s'appliquent de manière analogue lorsque la seconde chambre adopte une disposition qui doit être décidée par la première chambre saisie.

Le Sénat détient aussi des attributions spécifiques, introduites par la révision de la Constitution en 2003 : la validation des membres du Conseil supérieur de la magistrature qui sont élus dans les Assemblées générales des magistrats, l'élection des deux représentants de la société civile comme membres du Conseil supérieur de la magistrature et la nomination de trois juges de la Cour constitutionnelle.

Sur la saisine du Président du Sénat ou de 25 sénateurs au moins, la Cour constitutionnelle est obligée de se prononcer sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation et aussi sur la constitutionnalité des traités ou des autres accords internationaux. En ce qui concerne le rôle du Sénat dans la représentation des régions et des collectivités locales, la Constituante n'a pas adopté l'idée de l'organisation de la Roumanie en grandes régions administratives incluant plusieurs départements. Pourtant, le Sénat a une compétence décisionnelle en matière d'organisation de l'administration publique locale du territoire, concernant le régime général de l'autonomie locale et les principes de base de l'administration publique locale. De fait, même si l'Assemblée constituante n'a pas donné un rôle express au Sénat pour représenter les collectivités locales et les régions, son pouvoir de décision a été conservé dans ces domaines.

Mme Michèle ANDRÉ

Je donne la parole à Monsieur Ilija FILIPOVIÆ, président de la Chambre des Peuples de Bosnie-Herzégovine.

M. Ilija FILIPOVIÆ (Bosnie-Herzégovine), Président de la Chambre des Peuples

Madame la Vice-Présidente du Sénat, Mesdames et Messieurs, Excellences, Chères et Chers collègues,

Je suis honoré d'être convié à cette conférence et je vous remercie de tout coeur de cette invitation, qui montre votre intérêt pour la Bosnie-Herzégovine, un pays fondé sur les accords de Dayton. Vous avez montré un intérêt pour le fonctionnement du bicamérisme de l'Assemblée parlementaire de la Bosnie-Herzégovine dans le contexte de la représentation des collectivités territoriales. Aujourd'hui, j'essaierai de vous présenter la structure constitutionnelle de mon pays, comment a été créée et fonctionne la Chambre des Peuples qui représente la chambre haute de l'Assemblée parlementaire de la Bosnie-Herzégovine.

Notre démocratie parlementaire n'a ni une très longue tradition, ni une grande expérience du bicamérisme, contrairement aux pays ayant un long passé parlementaire. Mais face aux diversités des systèmes politiques, notre exemple peut être particulièrement intéressant. En effet, nous avons besoin de la compréhension et du soutien des autres pays européens, et de vos démocraties, afin de trouver de nouvelles solutions pour le bon fonctionnement du pays, et par conséquent, pour favoriser une plus grande efficacité du travail de l'Assemblée parlementaire de la Bosnie-Herzégovine.

La situation constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine est très complexe. Vous n'êtes pas sans savoir que la Bosnie-Herzégovine dispose d'une Constitution, expliquée par l'annexe IV des douze annexes de l'Accord de paix de Dayton, signé à Paris. Cette Constitution n'a jamais fait l'objet d'une procédure d'examen et de vérification par le Parlement de Bosnie-Herzégovine. Aussi, elle n'a jamais été publiée dans le Journal officiel de mon pays. Il y a eu quelques tentatives de révisions partielles de la Constitution de la Bosnie-Herzégovine par le biais d'amendements, mais elles ont toutes échoué car la majorité parlementaire nécessaire pour entériner cette décision n'a pas été atteinte.

De nombreuses critiques et des remarques ont été émises de manière fondée et justifiée par des experts en Constitution, locaux et étrangers, à propos de la structure constitutionnelle actuelle de la Bosnie-Herzégovine. Nombre d'entre elles ont déjà été exprimées de manière très convaincante de la part de la Commission de Venise. Celle-ci avait prévenu les autorités de la Bosnie-Herzégovine des mauvaises solutions constitutionnelles et législatives concernant l'élection de la présidence du pays et de la Chambre des Peuples de l'Assemblée parlementaire.

L'objection principale, et quasi unanime, est la suivante : le système politique prévu par cette Constitution n'est pas fonctionnel et empêche l'Etat de Bosnie-Herzégovine de fonctionner comme un pays normal et démocratique, sans l'aide ou la médiation de la communauté internationale.

En effet, la répartition intérieure de la Bosnie-Herzégovine en deux entités distinctes, d'une part, la Fédération de la Bosnie-Herzégovine et, d'autre part, la République de Srpska, se reflète dans la structure de l'Assemblée parlementaire et dans son fonctionnement. En substance, cette répartition est totalement contradictoire avec la structure ethnique de la population. La Bosnie-Herzégovine est définie par l'accord de paix de Dayton de manière quelque peu absurde, à savoir « comme un Etat tri-ethnique, fait pour trois peuples, mais constitué avec deux entités pour ces trois peuples constitutifs ». Cette définition constitutionnelle n'assure pas l'égalité de droit pour les trois communautés ethniques, et sans cette égalité, la Bosnie-Herzégovine n'est garantie d'un avenir ni certain, ni prospère. Cette complexité a influencé le besoin d'avoir une Chambre des Peuples, non seulement au niveau de l'Etat, mais aussi au niveau des entités. Néanmoins, nous noterons que des solutions différentes ont été trouvées pour chacune des entités, étant donné que la Chambre des Peuples, à proprement parler, n'existe pas en République de Srpska. A sa place, un Conseil spécial des Peuples agit dans le cadre de l'Assemblée monocamérale, avec un rôle et des pouvoirs différents. Ainsi, nous comprenons qu'en Bosnie-Herzégovine, une entité dispose d'un Parlement bicaméral et une autre d'un Parlement monocaméral, ce qui contribue à l'augmentation de l'inégalité et de l'asymétrie du système politique.

Le Parlement bicaméral de la Bosnie-Herzégovine est le plus petit d'Europe. En effet, il ne compte que 57 députés dans les deux chambres. La Chambre des Représentants est composée de 42 députés alors que la Chambre des Peuples, basée sur la structure des entités, compte 15 députés. Dans cette dernière, 10 députés sont issus de la Fédération de la Bosnie-Herzégovine et 5 députés de la République de Srpska. Ainsi, chacun des trois peuples constitutifs dispose de 5 sièges. Etant donné qu'il est strictement prescrit que la chambre doit être constituée de 5 Bosniaques, 5 Croates et 5 Serbes, il n'est pas prévu, dans la structure de la chambre, une représentation - ne serait-ce que minimale - des minorités. Ceci est contraire au principe de non-discrimination, inscrite dans la Constitution. Les candidats nommés sont élus en tant que représentants des peuples de deux entités. Dans la Fédération de la Bosnie-Herzégovine, ces députés sont élus par la Chambre des Peuples de la Fédération du pays alors que, dans l'autre entité, ils sont élus par l'Assemblée de la République de Srpska.

La Chambre des Peuples en Bosnie-Herzégovine a pour fonction principale d'assurer l'égalité nationale en garantissant la protection des intérêts vitaux des peuples. A la différence des autres Parlements, où la chambre haute représente les intérêts des unités fédérales ou des unités locales - c'est-à-dire les collectivités territoriales - en Bosnie-Herzégovine, la Chambre des Peuples protège les intérêts vitaux des trois peuples constitutifs.

En principe, la Chambre des Représentants et celle des Peuples sont égales en droit, étant donné qu'elles examinent et adoptent également tous les projets de lois et qu'elles ont le même pouvoir législatif. Mais, en pratique, la Chambre des Peuples apparaît plutôt comme un organe de contrôle car son devoir principal est de garantir les intérêts vitaux des trois peuples constitutifs. Cela veut dire que les lois sont adoptées seulement si la Chambre des Peuples les entérine dans les mêmes termes, à la suite de la Chambre des Représentants. Si la majorité d'un groupe parlementaire de l'un des trois peuples constitutifs met en avant la protection d'un intérêt vital national, le projet de loi est rejeté. Il revient alors à la Cour constitutionnelle de la Bosnie-Herzégovine de décider s'il y a eu violation, ou non, des intérêts vitaux. Personnellement, je pense préférable que le traitement de cette question soit réglé au sein de la Chambre des Peuples et non à la Cour constitutionnelle.

Ainsi, le besoin de l'existence d'un Parlement bicaméral et, par conséquent, de la Chambre des Peuples, se révèle surtout dans les pays complexes du point de vue ethnique, tels que la Bosnie-Herzégovine.

J'estime nécessaire de protéger les intérêts vitaux nationaux de chaque peuple constitutif en Bosnie-Herzégovine. Mais je partage l'opinion de la Commission de Venise selon laquelle il faut définir ces intérêts, les réduire et les utiliser modérément et seulement dans un nombre de cas limité. Ce travail représente la fonction la plus importante de la Chambre des Peuples au sein de l'Assemblée parlementaire de la Bosnie-Herzégovine. L'égalité des chambres doit être assurée dans tous les domaines. Je plaide pour une égalité totale des chambres parlementaires et une répartition adéquate des rôles, pouvoirs et responsabilités entre elles. Or, la protection des intérêts vitaux nationaux dans les pays pluriethniques doit être ajustée d'une façon adéquate, et réalisée, non seulement au niveau de l'Etat, mais aussi au niveau des collectivités territoriales. De plus, cette protection doit être garantie, non seulement pour les trois peuples constitutifs, mais aussi pour les minorités nationales, afin de leur garantir la protection de leur statut et de leurs droits à l'autonomie culturelle et à toute autre autonomie, comme cela est prévu dans les conventions européennes et dans d'autres documents.

Il est essentiel de traiter le droit des collectivités territoriales et l'autonomie locale, dans ce colloque aujourd'hui. Ces collectivités et leurs pouvoirs locaux représentent d'importants substituts du parlementarisme et de la démocratie parlementaire. Or, ils sont encore plus importants en tant que lieux permettant aux citoyens de participer directement à l'exercice du pouvoir local et résolvant, au niveau local, les problèmes courants auxquels ils sont confrontés. Le point de vue critique sur la Constitution de la Bosnie-Herzégovine, issue des accords de Dayton, montre que cette Constitution n'est pas suffisamment claire, surtout en ce qui concerne le traitement des unités territoriales de l'administration et de l'autonomie locale. En effet, la Constitution de la Bosnie-Herzégovine a négligé cette question dont le traitement a été confié entièrement aux entités au travers de leurs Constitutions. Ainsi, la représentation des collectivités territoriales dans la Chambre des Peuples du Parlement de l'Etat est rendue impossible et relève de la Chambre des Peuples de la Fédération de la Bosnie-Herzégovine et du Conseil des Peuples de la République de Srpska. Ce Conseil ne constitue pas la deuxième chambre de l'Assemblée de la République de Srpska, mais une sorte de commission pour les relations entre les peuples.

Sur la base de toutes ces remarques, il apparaît que la représentation des collectivités territoriales, dans la Chambre des Peuples de la Bosnie-Herzégovine, ne peut pas être considérée au niveau de l'Etat, mais seulement au sein de l'une des entités. Dans le même temps, pour l'instant, en Bosnie-Herzégovine, la municipalité et la ville constituent les seules unités de l'autonomie locale. Dans la Constitution de la Fédération de la Bosnie-Herzégovine, les cantons sont définis comme les unités fédérales de cette entité.

La Constitution de la Fédération de la Bosnie-Herzégovine prévoit une meilleure solution pour la Chambre des Peuples que celle de la République de Srpska. Elle considère les municipalités et les villes comme étant les seules unités territoriales de l'autonomie locale alors que les niveaux inférieurs d'unités territoriales n'existent pas. En effet, notre Constitution ne prévoit pas d'existence des régions, ni d'une autre forme plus vaste de l'autonomie locale, sauf à considérer que le terme « région » représente les entités actuelles dans lesquelles on aurait « entassé » les trois peuples constitutifs.

Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que la Chambre des Peuples du Parlement de la Fédération de la Bosnie-Herzégovine possède un nombre beaucoup plus élevé de députés que celle de l'Etat. Cette chambre compte 51 députés, contre 15 au niveau de l'Etat.

Le principal défaut de la République de Srpska est constitué par l'absence de Chambre des Peuples pour représenter la chambre haute du Parlement de cette entité, à la différence de la Constitution de la Fédération de la Bosnie-Herzégovine.

Selon l'opinion générale, les modifications de la Constitution sont nécessaires pour la Bosnie-Herzégovine car le pays, avec une telle Constitution, ne peut pas être stable à long terme et ne peut pas se préparer avec succès à rejoindre l'Union européenne. C'est pourquoi tous les partis parlementaires majeurs ont déjà émis leurs propres propositions pour la révision de la Constitution. Les partis politiques croates de la Bosnie-Herzégovine manifestent un intérêt particulier pour le sujet. Ainsi, ils ont proposé aux autres partis politiques du pays les principes fondamentaux des modifications de la Constitution pouvant servir de base solide à un dialogue et pouvant permettre de créer le fondement de la confiance réciproque.

La modification de la Constitution représenterait un pas important, susceptible d'aider le pays à sortir de l'impasse où il se trouve aujourd'hui. En effet, le problème actuel réside dans le fait que chaque parti politique défend des intérêts différents et adopte des points de vue variés sur les changements constitutionnels. De fait, il est impossible d'obtenir un compromis basé sur la confiance mutuelle. Nous pouvons ainsi dire que la Bosnie-Herzégovine se trouve dans une crise constitutionnelle permanente, laquelle ne peut être surmontée que par la rédaction d'une nouvelle Constitution qui changerait la structure précaire de l'Etat, c'est-à-dire la structure sous forme d'entités imposée par les accords de Dayton. La mise en pratique d'une telle structure implique que le pays est de plus en plus divisé, chacun des deux peuples majoritaires dominant l'administration de l'entité où il possède un gouvernement majoritaire. En revanche, le troisième peuple, le peuple croate, ne jouit pas de son droit à l'égalité et de sa position de peuple constitutif dans les entités.

Je serai heureux quand la Bosnie-Herzégovine ressemblera aux démocraties parlementaires développées, aura adopté une nouvelle Constitution moderne, inspirée des principes européens, et sera devenue un pays avec un Parlement bicaméral où les trois peuples constitutifs seront traités de la même façon ; un pays fédéralisé, avec un niveau de pouvoir intermédiaire, disposant de compétences législatives, exécutives et judiciaires ; un pays fondé sur les droits de l'homme et la liberté pour tous les citoyens.

Cette Bosnie-Herzégovine est possible et souhaitable. Dans un tel pays, tous les peuples et toutes les minorités, c'est-à-dire tous les habitants, quelle que soit leur appartenance ethnique et religieuse, pourront vivre décemment de leur travail, dans la paix, la confiance, la tolérance, de manière égalitaire et digne. Vos expériences peuvent nous être très utiles en ce sens. Avec votre aide, nous pourrons créer cette Bosnie-Herzégovine et faire en sorte qu'elle cesse d'être un pays rongé par les conflits internes et devienne un Etat fondé sur une meilleure structure constitutionnelle, lui apportant une stabilité durable et lui permettant de devenir l'égal des autres pays membres de la famille européenne.

Je vous remercie très chaleureusement pour votre attention.

Mme Michèle ANDRÉ

Nos voeux vous accompagnent, M. le Président de la Chambre des Peuples.

Mes chers collègues, je crains de ne pouvoir avoir le temps d'ouvrir le registre des questions. Je peux toutefois en accepter quelques-unes, brèves. Merci, en posant vos questions, d'indiquer à qui elles s'adressent.

De la salle

Ma question s'adresse à M. FILIPOVIÆ. Concernant la Bosnie-Herzégovine, pouvez-vous apporter quelques précisions sur la situation de l'enclave de Brèko ?

M. Ilija FILIPOVIÆ

Votre question est très intéressante. Elle se rapporte à mon propos sur la structure très complexe de l'organisation de la Bosnie-Herzégovine. Le district de Brèko, appartenant à la Bosnie-Herzégovine, présente une réelle asymétrie. Il devrait être considéré comme étant une troisième entité dans le pays. Il possède son propre gouvernement, son assemblée, ses cours et ses tribunaux. Il se situe, en partie, dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine, et en partie dans la République de Srpska. Le district de Brèko se trouve également sous la supervision internationale à laquelle est soumis l'ensemble de la Bosnie-Herzégovine où siège le Haut Représentant de la communauté internationale, lequel contrôle le travail des autorités.

En d'autres termes, votre question confirme l'existence d'une asymétrie en Bosnie-Herzégovine et souligne le ridicule de cette structure constitutionnelle, basée sur les accords de Dayton. Vous pouvez comprendre maintenant les multiples formes de gouvernement que nous avons dans le pays. La Bosnie-Herzégovine, en tant que telle, a besoin de changements constitutionnels basés sur les principes démocratiques des pays européens et respectant les droits des trois peuples constitutifs de Bosnie-Herzégovine.

Mme Michèle ANDRÉ

Y a-t-il d'autres questions ?

Public Salle Clemenceau

De la salle

J'adresse ma question à M. FRICK de la Confédération helvétique. Je crois avoir lu que certaines personnes sont membres des deux chambres, du Conseil des cantons et du Conseil national fédéral. Est-ce exact ?

De plus, j'aimerais connaître la procédure de discipline de vote dans le Parlement suisse.

M. Bruno FRICK

Je peux répondre à ces deux questions. Peut-il y avoir un cumul des mandats ? En Suisse, la règle est la suivante : le mandat des membres du gouvernement fédéral ne peut pas aller de pair avec la fonction de membre de l'une des deux chambres du Parlement. Il n'est pas possible d'appartenir au Conseil des cantons ou à l'une des Cours supérieures. Ainsi, il existe une division des pouvoirs car être membre de l'exécutif, du pouvoir législatif ou du pouvoir représentatif n'est pas compatible. Il existe également une incompatibilité quant à la qualité de membres des deux chambres. Mais certains individus, au niveau cantonal, occupent une fonction au gouvernement. Il en est de même en France où le maire de Bordeaux était également membre d'une des deux chambres.

Concernant la discipline de vote, la Constitution helvète donne entière liberté à tous les membres du Parlement. Nous votons en conscience de cause. Cela ne signifie pas, pour autant, qu'il n'existe pas de discipline de parti. Chacun vote comme il l'entend. Au Conseil national, la filiation à la discipline de parti est plus marquée.

L'autre question est de savoir comment les partis peuvent imposer cette discipline de vote. Celle-ci est plus présente dans les partis extrêmes, moins dans les partis centristes où une plus grande liberté est laissée aux individus.

Mme Michèle ANDRÉ

Merci M. FRICK pour votre réponse.

Mes chers collègues, nous allons observer une rapide pause.

M. SKARD présidera la seconde partie de notre table ronde.

Merci pour votre attention et merci, mes chers collègues, d'avoir participé à l'information de l'assistance qui a apprécié les exposés.

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