Le Sénat de la Vème République - Les cinquante ans d'une assemblée bicentenaire



Sénat - 3 juin 2009

CLÔTURE

M. Gérard LARCHER, Président du Sénat

Mesdames et Messieurs les présidents, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs les professeurs, Mesdames et Messieurs, ce serait un exercice à la fois périlleux et totalement imprudent de ma part, que de prétendre effectuer la synthèse d'un colloque que vous avez animé, et auquel je regrette de n'arriver qu'à cet instant.

Les premiers mots de mon propos seront des mots de remerciement pour les participants à cette journée, organisée par le Comité d'Histoire Parlementaire et Politique, avec la participation de la Fondation Nationale des Sciences Politiques et l'Université Paul Cézanne d'Aix-Marseille. Merci, à vous, Jean Garrigues, président du Comité d'Histoire Parlementaire et Politique, merci à Marc Péna, président de l'Université Paul Cézanne, merci à Jean-François Sirinelli, directeur du Centre d'Histoire de Sciences Po, pour avoir animé, en outre, avec Jean-Noël Jeanneney - nous nous sommes rencontrés tous ce midi - les débats sur le bicamérisme dans l'histoire. Merci à vous, Catherine Tasca et Gilles Leclerc, pour avoir organisé les débats de l'après-midi qui portaient sur le Sénat d'aujourd'hui. J'ai été heureux de voir mon intuition confirmée, qui faisait du Sénat sous la Ve République, un cinquantenaire plein de vitalité, de fougue et de jeunesse.

Vous me permettrez de remercier, tout particulièrement, ceux de nos collègues sénateurs qui ont bien voulu participer à l'animation de ce colloque. Les derniers mots que j'ai entendus me rappelaient quelque peu un débat d'hier après-midi, hier soir et une partie de la nuit. Donc je me resituais totalement dans l'actualité.

Vous soulignez, dans votre brochure de présentation, que le cinquantième anniversaire de la Ve République coïncide avec l'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, votée en juillet 2008. Vous indiquez que cette réforme entend renforcer la place du Parlement dans les institutions. Je me permettrai de rebondir sur ce point, à la lumière de l'exercice précis qui vient de s'achever : la mise en oeuvre de cette réforme par le règlement des assemblées. Je me contenterai, à cet égard, très simplement, et en espérant ne pas être trop redondant par rapport à ce qu'ont dû vous dire un certain nombre de mes collègues - je pense au président Hyest et au président Frimat - d'une observation personnelle et des conséquences que j'en tire.

Je pense que cette réforme est importante du point de vue du Parlement, car elle a potentiellement pour conséquences de modifier sensiblement la donne du travail législatif, en y diminuant -si nous savons nous saisir de cette réforme- la prééminence du pouvoir exécutif. Cela, alors même que ce facteur constituait l'une des caractéristiques principales des institutions de la Ve République, au sein desquelles nous voyons l'exécutif, j'allais dire, largement, comme un marronnier, couvrir le législatif.

La réforme constitutionnelle, selon moi, est susceptible de changer la donne, au moins sur trois aspects du travail législatif. Tout d'abord, il y a le fait que le débat aura désormais lieu, non plus sur le texte du gouvernement, mais sur celui de la commission. Ce point me paraît considérable pour améliorer une des faiblesses majeures du parlementarisme français : une lisibilité insuffisante des débats. Ce point est également potentiellement important sur la prégnance du gouvernement sur le débat en séance publique. C'est d'ailleurs dans ce contexte qu'il faut interpréter -et nous l'avons diversement interprétée- la décision du Conseil constitutionnel tendant à autoriser la présence des ministres en commission, pour l'examen des amendements.

Enfin, il est clair que ce point impliquera une période de rodage du partage du travail entre la commission et la séance publique. Nous pourrions organiser un colloque pour le cinquante-et-unième, en tous les cas, pour le cinquante-cinquième anniversaire, pour tirer quelques leçons de la période de rodage, d'alésage, puis d'adaptation. C'est, en tous les cas, ce que nous essaierons de conduire, ce qui, d'ailleurs - je parle devant un certain nombre de membres présents ce matin - a occupé, assez largement, au plan matériel, les débats du Bureau du Sénat, au cours de la matinée.

Second aspect : certaines dispositions importantes du parlementarisme rationalisé, qui étaient la marque de la Ve République, vont se trouver désormais plus difficiles à mettre en oeuvre. C'est vrai, pour nos collègues de l'Assemblée Nationale, du 49-3, qui ne pourra être désormais utilisé, qu'une fois maximum par session. C'est vrai aussi d'un point, qui -peut-être- n'a pas été suffisamment souligné, l'exigence du lien entre les amendements et le texte, qui est désormais rendue moins contraignante, puisqu'il n'est plus désormais question que de lien, « même indirect », avec le texte. Je vois Jean-Jacques Hyest qui approuve.

Troisième aspect : il faudra tenir compte de l'instauration d'un partage pratiquement de blocs égaux de l'ordre du jour du Parlement. Deux semaines d'initiatives gouvernementales et deux semaines d'initiatives parlementaires, alors que la maîtrise de l'essentiel de l'ordre du jour était, jusqu'alors, l'un des pivots des relations entre le gouvernement et le Parlement.

C'est aussi l'instauration d'une journée mensuelle réservée à l'opposition et aux groupes minoritaires, celle d'une semaine réservée à l'expression en séance publique et en commission, de compétences nouvelles du Parlement et ces « zones de temps » nouvelles pour le Parlement seront, bien entendu, partagées entre majorité et opposition, notamment en matière de contrôle et d'évaluation des politiques publiques, dont le contenu même de la notion n'a d'ailleurs, à ma connaissance, jamais été défini.

Il s'agit enfin de l'instauration d'une séance par semaine, au moins, réservée en priorité aux questions. D'ailleurs, pour le Sénat, dans le cadre de notre nouveau Règlement, nous allons sortir du rythme de tous les quinze jours pour passer au rythme de toutes les semaines.

Il s'agit enfin de l'introduction, dans la Constitution, de délais minima, avant l'examen de projets de loi en séance publique. Je les rappelle : six semaines après le dépôt pour l'examen devant la première assemblée saisie, quatre semaines après la transmission. Je dois rappeler que le gouvernement garde la possibilité de s'affranchir en partie de ces délais par la « procédure accélérée », avec des délais ramenés à quinze jours. Mais la conférence des présidents des deux assemblées - il faut l'accord des deux - a la possibilité de s'y opposer, ce qui est aussi un pouvoir nouveau. Mais nous verrons l'exercice qui en sera fait.

Toutes ces dispositions se cumulent, pour générer une conséquence majeure : le temps législatif du gouvernement, mais aussi ses possibilités d'intervention dans la procédure législative, vont se trouver substantiellement contraints, j'ose dire, diminués. Je pense que cette situation peut, à terme, modifier assez substantiellement la possibilité, en tous les cas, la manière de légiférer du gouvernement. En effet, face à des textes avec cent quatre articles, cent vingt articles ou cent trente articles, nous voyons bien qu'il faudra légiférer de manière différente, peut-être par périodes successives.

D'où, d'ailleurs le débat à l'Assemblée Nationale sur le temps programmé, d'où aussi le débat complexe et les ajustements sur le dosage entre l'allégeance et l'autonomie de la majorité à l'égard du gouvernement. D'où aussi certaines conceptualisations révélatrices de ce débat : la notion contestée aussitôt qu'avancée de « coproduction législative », l'hypothèse audacieuse d'un « hyperparlement » face à un « hyperprésident », et j'en passe.

Ce que je sais, c'est que le fait majoritaire jouera son rôle dans les conséquences des évolutions possibles contenues dans la réforme constitutionnelle. Ce que je pense, pour ma part, c'est que la gestion politique du fait majoritaire devra s'élaborer par une négociation permanente entre le gouvernement et la majorité au sein de la majorité, mais aussi par une concertation attentive entre la majorité et l'opposition, et cela, surtout pour ce qui concerne le Sénat, en tenant compte de ce que la réforme de la Constitution a appelé les « groupes minoritaires ».

Cette négociation constante et attentive devra désormais se faire dans le respect des nouvelles procédures parlementaires, notamment en ce qui concerne le calendrier des quatre semaines. Elle devra aussi se dérouler dans le respect des droits constitutionnels nouveaux de l'opposition, que je considère comme une avancée nécessaire majeure, qu'il conviendra de respecter avec la plus grande attention.

Enfin, cette concertation permanente et attentive devra respecter le bicamérisme, dont il conviendra de ne jamais sous-estimer qu'il est fondé sur une différence d'origine, de ton, de style, de méthode, mais le cas échéant, aussi, de majorité, entre chacune des deux chambres. Si je m'arrête un instant sur ce point, sortant de toutes mes notes, je voudrais vous raconter une anecdote récente concernant une demande du président du Sénat italien. Le Sénat italien est en fait la seule seconde chambre dont le mode électoral est très peu différent de celui de l'Assemblée Nationale : même élection, même corps électoral, même jour, simplement le nombre de parlementaires n'est pas le même. La demande du Sénat italien au Sénat français, dans le cadre de la réflexion institutionnelle italienne -j'allais dire tous groupes politiques confondus, le président du Sénat, Mme Bonino, vice-présidente du Sénat, des représentants du parti démocrate, des représentants aussi de la Ligue du Nord- s'intéresse à notre statut, notre ingénierie et notre réflexion. Cela pour réfléchir à un nouveau Sénat représentant les provinces et les territoires. La demande date de la semaine dernière, mercredi de la semaine dernière.

Je ne sais pas, cher Paul Smith, si le Sénat est en processus ascensionnel sur la durée. Je ne sais pas comment cela se dit en anglais, mais votre ouvrage, sans doute, le dit très clairement. Ce que je sais, c'est que la gestion de la nouvelle situation constitutionnelle française se pose en des termes assez différents au Sénat et à l'Assemblée Nationale.

La première raison est, en tous les cas, par les temps que nous vivons, mathématique et politique. Contrairement à l'Assemblée Nationale, il n'y a pas au Sénat de majorité acquise d'emblée ou par nature, pour ratifier toutes les propositions du gouvernement. En effet, je voudrais simplement rappeler que, depuis 1958, il n'y a eu que deux années -je dis bien deux années- où un groupe politique a eu, à lui seul, la majorité au Sénat. Ce point essentiel et méconnu mérite d'être médité, quand on parle de la pratique et du dialogue qui existent à l'intérieur de notre assemblée.

La seconde raison est factuelle. L'obstruction dont on parle beaucoup à l'Assemblée Nationale, -en tous les cas au Sénat- est tout à fait exceptionnelle. J'ai d'ailleurs vécu de l'autre côté du filet, ce qui n'était pas une obstruction, en étant ministre du Travail, sur un débat qui portait sur le contrat de première embauche, qui marqua un printemps et la vie d'un ministre du Travail de manière relativement vivante et conséquente. Nous n'avons pas eu, ce qu'on appelle le filibustering. A ce moment-là, nous avons eu un débat, un débat fort, un débat approfondi. Même, si nous avons été contraints d'utiliser une technique de clôture, à un moment donné, cela n'a été qu'après un long débat, et non pas, j'allais dire, par une réelle obstruction.

Je donne quelques chiffres : pour la session de 2007-2008, 5 988 amendements déposés au Sénat, 14 000 à l'Assemblée Nationale. Cette situation sera-t-elle pérenne ? Je ne le sais pas, je le souhaite. Pour le Sénat, en tous les cas, je pense qu'il y a une identité et une spécificité propres. Je pense que ces éléments particuliers constituent aussi, pour le gouvernement, une chance de conjurer le risque d'altérer la mise en oeuvre de la réforme constitutionnelle que l'exécutif a souhaitée, par une situation exagérément tendue ainsi que par une divergence excessive entre majorité et opposition, dans l'interprétation de la réforme. C'est en tous les cas, dans le respect de chacun et dans la recherche d'un consensus que nous avons travaillé sur ce sujet, au Sénat, pendant bientôt sept mois ensemble.

En tous les cas, cinquante ans après, je crois profondément au rôle et à la place du Sénat. Je crois au rôle et à la place du Sénat et quel que soit l'avenir des majorités au Sénat, je crois qu'il est indispensable à l'expression d'une démocratie mature, vigoureuse et apaisée, qui ne se contente pas des pulsions de l'instant, mais qui joue, en même temps, dans l'intérêt du territoire et des citoyens, un rôle de balancier stabilisateur, mais aussi un rôle d'éclaireur sur les grandes questions de société. Quand le Sénat, cher Jean-René Lecerf, est intangible sur quelques principes qui, d'ailleurs, traversent tous nos groupes politiques, de respect des libertés individuelles et collectives, il est profondément dans la mission des Chambres hautes qui est, au-delà des pulsions du moment, de considérer qu'il est des valeurs, sur lesquelles on sait dire ensemble le « non » d'Antigone, celui sur lequel on ne revient pas. Je vous remercie.

(Applaudissements)

La séance est close à 17 heures 55.

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