L'avenir de la codification en France et en Amérique latine



Palais du Luxembourg, 2 et 3 avril 2004

Emmanuel Jolivet

Conseiller général de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale

C

odification et intégration régionale » 1 ( * ) . L'énoncé de ce titre suscite des interrogations. Parmi celles-ci, une question tient d'abord au postulat de ce titre : l'intégration régionale entretiendrait nécessairement une relation avec la codification. Quels éléments permettent de vérifier cette affirmation ? Une seconde question tiendrait à la portée de l'intégration. Quels sont les domaines et l'effet de cette dernière ? Si la richesse du thème proposé ne saurait se limiter à rechercher une réponse à ces deux questions, l'examen du sujet semble toutefois pouvoir être organisé autour de deux axes. La codification serait un facteur d'intégration régionale. Il y aurait une véritable intégration par la codification (I). Mais cette dernière serait à son tour une composante d'un ensemble normatif plus vaste que les seules règles codifiées. La codification serait reçue dans un ordre juridique qui la dépasse. Il s'agit alors d'envisager l'intégration de la codification (II).

I. L'INTÉGRATION PAR LA CODIFICATION

Toute oeuvre codificatrice tend à rassembler en un document unique des éléments divers tantôt préexistants, tantôt novateurs.

Cette analyse générale du travail de tout codificateur conduit à formuler une remarque liminaire. Toute codification suppose-t-elle nécessairement l'élaboration d'un code comme tend à le faire accroire cette définition simplificatrice ? Certains règlements d'organismes professionnels traduisent une activité codificatrice. Par exemple, les règlements d'arbitrage des litiges commerciaux d'un grand nombre d'institutions proposant des services de résolution des différends contiennent des dispositions relatives aux mesures conservatoires ou à l'interprétation des sentences arbitrales 2 ( * ) . Il s'agit de l'intégration formelle dans un règlement de pratiques répandues au sein de tribunaux arbitraux 3 ( * ) . Si la codification est appréhendée sous l'angle de la technique juridique mise en oeuvre et non pas exclusivement sous l'angle de l'examen du résultat de celle-ci, à savoir le texte codifié, trop rapidement réduit au seul code, il est indéniable que le rayonnement du Code civil des Français ne se limite pas à son influence sur la codification d'origine publique. La vitalité de la codification moderne se traduit d'abord, selon une approche quantitative, par le foisonnement des codifications d'origine privée.

Il ne s'agit pas ici d'évaluer l'importance respective des éléments préexistants ou novateurs et leurs rôles quant à la nature de la codification, mais davantage d'insister sur la mixité des composantes de toute oeuvre codifiée.

Codifier des éléments préexistants que ce soit des règles ou des pratiques suppose d'effectuer un double travail.

C'est en premier lieu un travail d'identification de ces éléments relevant de « l'archéologie juridique », c'est-à-dire de mise à jour de la sédimentation des règles juridiques, d'en cerner le champ d'application et de les analyser. Le caractère fastidieux de l'entreprise est encore accru en matière de codification internationale.

C'est en second lieu une tâche de sélection revenant à choisir les éléments qui seront retenus. Ce choix obéit à des considérations politiques, économiques, et culturelles. En matière de codification étatique, il serait possible de voir en ce travail un véritable choix de civilisation 4 ( * ) .

Cette identification et cette sélection peuvent être effectuées dans divers ordres juridiques, une approche comparative pouvant être le préalable à une codification publique ou privée, nationale ou internationale. Les INCOTERMS 5 ( * ) , ébauches de conditions générales, voire conditions générales destinées à régir les contrats de ventes internationales, et les règles et usances uniformes en matière de crédit documentaire 6 ( * ) s'inscrivent parfaitement dans cette démarche de codification d'origine privée.

La motivation immédiate, la plus aisément décelable, de toute codification est de faire d'un instrument normatif un facteur d'unification du droit lato sensu. L'analyse s'applique tant aux codes d'origine étatique qu'à ceux d'origine privée. Il en est notamment ainsi des textes codifiés en matière de pratiques douanières 7 ( * ) .

La simple existence d'un instrument codifié notamment dans les premier temps de son élaboration, mais surtout son utilisation, sont essentielles pour faire produire son effet unificateur à la codification 8 ( * ) .

À ce titre, il convient de distinguer l'utilisation directe de l'instrument codifié, revenant à suivre les préceptes ou les règles énoncés, de l'utilisation indirecte de l'instrument, celui-ci étant pris comme une source d'inspiration pour d'autres textes normatifs, eux-mêmes éventuellement codifiés. Une manifestation répandue de ce dernier aspect se rencontre dans le recours aux divers codes privés élaborés par la CCI en matière de vente, publicité et marketing 9 ( * ) , ainsi qu'aux INCOTERMS 1 ( * )0 . Certaines codifications d'origine publique s'inscrivent également dans cette optique 1 ( * )1 .

Si le code intègre, en compilant ou reformulant des règles préexistantes et en leur adjoignant parfois des éléments novateurs, il s'inscrit également dans une perspective juridique plus vaste tendant à la création d'une norme juridique nouvelle qui devra dès lors trouver sa place dans l'ordonnancement juridique. Se pose alors la question de l'intégration de la codification.

II. L'INTÉGRATION DE LA CODIFICATION

Le produit de la codification, le code ou la règle codifiée, est une composante d'un corpus normatif national ou international, ce dernier englobant également les normes régionales, voire anationales.

Il est possible de s'interroger sur la corrélation entre l'intégration du code au sein de la hiérarchie des normes et le degré d'autonomie reconnue à la volonté des utilisateurs.

Dès lors que les normes codifiées ne sont pas impératives et que leur respect ne peut pas être imposé économiquement, par exemple par une partie en position dominante exigeant le respect d'un code de conduite professionnel, le respect des normes édictées et le rayonnement du code dépendent étroitement du consentement des personnes à se soumettre volontairement à ces normes. Ce phénomène peut être observé dans le recours aux Principes UNIDROIT dans les contrats commerciaux et les arbitrages internationaux 1 ( * )2 .

Ce consentement tient d'une part à l'adhésion à la finalité poursuivie par le code, c'est-à-dire son but politique, et d'autre part à l'acceptation de la technique de codification employée et notamment à la consultation des futurs utilisateurs, la compétence des rédacteurs, la langue, la structure de l'ouvrage.

La sanction judiciaire de la règle codifiée est également un facteur déterminant de l'intégration de la norme dans un ordre juridique donné. La connaissance de la règle codifiée par le juge étatique ou privé est essentielle et concourt à conférer à la règle son caractère de norme de droit positif.

L'intégration du produit de la codification dans un système normatif et la simplification de ce dernier que l'on pourrait en attendre soulèvent la question de l'appauvrissement du droit par la codification. Les notions de diversité juridique et de codification sont-elles antinomiques ?

Au plan national, la réponse dépend de la valeur normative de la norme codifiée au sein de la hiérarchie des normes et de la force obligatoire de cette norme. Ensuite, même si le code unifie le droit, l'aura d'un code et son retentissement peuvent être de nature à susciter les débats doctrinaux et favoriser les applications jurisprudentielles. Ce congrès nous aura donné l'occasion de souligner l'influence du Code civil des Français à cet égard.

Au plan international, y compris régional, l'intégration d'un nouveau code se heurte souvent à la diversité des textes, voire des codes, existants dans la matière ou des matières voisines et à la concurrence entre instruments normatifs. Il peut alors se produire un certain désordre juridique provenant de l'existence de normes incompatibles et se traduisant parfois par un « conflits de codes 1 ( * )3 ».

L'utilisation d'un code ou de tout texte codifié sera tributaire de relations de pouvoir, de l'avantage économique procuré par l'adoption de ce dernier et tout renvoi qui y est opéré 1 ( * )4 , et le cas échéant de la sanction par le juge ou la profession 1 ( * )5 du non-respect des dispositions codifiées.

Le code civil fut le modèle de nombreux autres codes. Au rang de ceux-ci les codes d'origine privée ne doivent pas être négligés. La codification d'origine privée semble être le champ d'application de prédilection, à l'heure actuelle, du mouvement de codification s'inscrivant dans la mouvance du Code civil des Français.

PRESENTATION D'UN PROJET DE L'ASSOCIATION ANDRÉS BELLO DES JURISTES FRANCO-LATINO-AMÉRICAINS

* 1 Les opinions exprimées n'engagent que l'auteur. La CCI ne saurait être tenue responsable d'éventuelles inexactitudes ou opinons figurant dans cet article.

* 2 Voir notamment tes articles 23 et 29 du règlement d'arbitrage de la CCI, publication CCI n° 808, juin 2003, également consultable sur le site Internet de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI : www.iccarbitration.org

* 3 LEW, J.D.M., « Analyse des mesures provisoires et conservatoires dans l'arbitrage de la Chambre de commerce internationale », Bulletin de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI, vol. 11, n° 1, 1 er semestre 2000, p. 24 à 31 ; Ali Yesilirmak, « Les mesures provisoires et conservatoires dans la pratique arbitrale de la CCI », op. cit., p. 32 à 38 ainsi que les extraits de sentences arbitrales reproduits, op. cit., p. 39 à 119.

* 4 L'influence du Code civil des Français illustre à merveille le propos. La célébration de ce code lors de ce congrès témoigne sans aucun doute de l'universalité des valeurs qu'il véhicule. Voir, CABANIS, A., « Le code hors la France », in La codification, sous la dir. de BEIGNIER, B., Paris, coll. Thèmes et commentaires, Dalloz, 1996, p. 49 à 52.

* 5 Voir JOLIVET, E., Les Incoterms, Étude d'une norme du commerce international, Paris, coll. Bibl. de droit de l'entreprise, tome 62, Litec, 1993, p. 45 et s.

* 6 Voir par exempte le rapport de la Commission de la lettre de change, du chèque et des crédits documentaires de la CCI, L'Économie internationale, n°3, juillet 1929, p. 549 à 551.

* 7 En ce sens, voir ICC Customs Guidelines, Publication CCI n° 687, 2003 ; Code de pratiques loyales, L'Économie internationale, vol. XI, n°1, février 1939, p. 23-24.

* 8 Dans les premières décennies d'existence des règles et usances uniformes relatives aux crédits documentaires, la CCI informait très régulièrement les milieux d'affaires de l'adoption grandissante de ces règles. En 1951, elle mentionnait ainsi qu'elles étaient appliquées en Amérique latine par des banques du Brésil, Costa-Rica, Cuba, Salvador et Uruguay, in L'Économie internationale, vol. XVII, n°3, mars 1951, p. 5. En 1952, les banques boliviennes adoptaient ces règles, L'Économie internationale , vol. XVIII, n°6, juin-juillet 1952, p. 15. En matière de publicité, la CCI précisait en 1957 que l'Association Mexicaine de Publicité avait adopté le Code de pratiques loyales en matière de publicité, « Publicité internationale », L'Économie internationale, vol. XXIII, n° 5, juin 1957, p. 11.

* 9 Code international ICC sur le parrainage, doc. n° 240 / 475 rev. 3 final, 17 septembre 2003 ; Compilation des règles d'ICC relatives au marketing et aux enfants et adolescents, doc. n° 240-46 / 261 rev. 4, 9 avril 2003 ; Code international ICC de pratiques loyales en matière de promotion des ventes, doc. n° 240-46 / 237 rev. 3, mai 2002 ; Compendium of Rules for Users of the Telephone in Sales, Marketing and Research, juin 2001 ; Code international ICC de marketing direct, juin 2001 ; ICC International Code of Environmental Advertising, juin 2001 ; Code international ICC de vente directe, doc. n° 240 / 406 rev., 17 juin 1999 ; Lignes directrices d'ICC en matière de publicité et de marketing sur Internet, doc. n° 240 / 394 rev. 4, avril 1998 ; Code international ICC de pratiques loyales en matière de publicité, doc. n° 240 / 381 rev., avril 1997 ; Code International ICC/ESOMAR de pratiques loyales en matière d'études de marché et d'opinion, juin 1995. Tous ces textes sont accessibles sur le site Internet de la CCI à l'adresse www.iccwbo.org.

* 10 Voir, JOLIVET, E., op. cit., p. 418 à 423.

* 11 Les Principes d'UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international ont ainsi servi de source d'inspiration aux Principes du droit européen du contrat de la Commission du droit européen du contrat présidée par Ole Lando.

* 12 Voir sur ce point, « Les Principes d'UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international, Réflexions sur leur utilisation dans l'arbitrage international », Supplément spécial du Bulletin de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI, publication CCI n° 642, 2002.

* 13 Qu'en est-il à cet égard des Principes UNIDROIT et des Principes du droit européen du contrat ? En matière de crédit documentaire, l'introduction des règles et usances uniformes a provoqué le même type de problème, voir « Crédits documentaires, les États-Unis adoptent les règles de la CCI », in L'Économie internationale, vol. XI, n°2, avril 1939, p. 39.

* 14 L'utilisation généralisée des Incoterms et des règles et usances uniformes en matière de crédit documentaire s'explique certainement de la sorte.

* 15 Sur le rôle de la pression morale qu'une profession peut exercer sur des acteurs économiques de cette profession qui ne respecteraient pas un code d'application volontaire voir « La loyauté en publicité, Le code de la CCI », L'Économie internationale, vol. XI, n°2, avril 1939, p. 34.

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