L'avenir de la codification en France et en Amérique latine



Palais du Luxembourg, 2 et 3 avril 2004

Francesco Donato Busnelli

Professeur à la Scuota Superiore di Studi Universitari e di Perfezionamento Sant' Anna, Pisa

RÉSUMÉ. Après avoir pris en examen tes arguments - de nature économique, politique, idéologique et systématique - portés pour soutenir la thèse du déclin du code civil, l'auteur cherche à démontrer le persistant (et renouvelé) rôle central du code, et l'exigence méthodologique de fonder un système moderne de droit privé sur un rapport d'interaction entre le code et les lois de secteur, dont il faut procéder à la rationalisation.

1.

J

amais, comme il s'est passé pendant ces dernières années, l'idée traditionnelle de code civil n'a été soumise dans nos systèmes juridiques à des attaques aussi véhémentes et répandues : un véritable « assaut à la citadelle » (selon l'expression employée par W. Prosser à propos de la Privity of contracts), dont on prévoit à court terme la capitulation.

Les attaques ont été portées en partant, du moins en Italie, de différents points d'observation, de nature économique, politique, idéologique, systématique. Mais l'objectif est toujours le même : identifier la crise du code civil, souligner sa perte de « centralité » dans le droit privé de nos jours.

(a) En regardant aux rapports entre le droit privé et le développement de l'économie, Stefano Rodotà a observé que « le code civil parait de plus en plus éloigné du coeur du procès économique » : les règles (apparemment) générales formulées par le code - voici sa conclusion - sont reléguées « au niveau de la micro-économie, des petits trafiques, de l'activité domestique ».

(b) Si l'on considère, d'autre part, les valeurs fondamentales consacrées par le nouveau droit constitutionnel (il suffit de penser, en Europe, aux Constitutions italienne et espagnole), on s'aperçoit immédiatement que les choix politiques des législateurs du XIX e siècle ont été radicalement bouleversés. On a poussé cette critique jusqu'au point de dire que le vrai droit civil est désormais constitué par « la légalité constitutionnelle, qui est antithétique par rapport au système du code » - Pietro Perlingieri, à vrai dire, pensait surtout au code civil « fasciste » de 1942.

(c) Du point de vue idéologique, le déclin du code civil a été identifié avec le déclin de ses catégories juridiques, qui étaient caractérisées - selon l'avis de Francesco Galgano - par l'objectif de « réaliser un droit égal pour tous les citoyens, sans distinction de classe » : le contrat, une catégorie générale qui aurait perdu « sa traditionnelle aptitude à composer tes intérêts conflictuels », en serait un exemple probant.

(d) Mais l'attaque la plus radicale est fondée sur des arguments de nature systématique. « L'unité du système, qui était assurée par le code civil, parait compromise à cause de l'irruption frénétique de lois spéciales qui envahissent le territoire du code civil » : à cette pathologie Natalino Irti propose comme remède un « particularisme législatif, composé par la consolidation de microsystèmes de règles, dotées de logiques autonomes ». C'est donc la fin - voici sa conclusion - du mono-système, fondé sur le code civil.

2. Sans aucun doute, la citadelle est mise à dure épreuve par tous ces assauts concentriques, qui signalent dans leur ensemble une profonde crise d'identité des modèles traditionnels de code civil.

Tout d'abord, c'est la dimension, pour ainsi dire, de l'omnipuissance du code qui s'est perdue. L'identité entre droit civil et code civil, proclamée par les premiers commentateurs du Code Napoléon, est restée une généreuse utopie de l' École de l'Exégèse. Mais aussi l'idée « du système conceptuel fermé » (le geschlossenes System imaginé par G. F. Puchta) qui avait inspiré la création d'un code (le BGB allemand), que C. Crome allait définir comme die reine Frucht der Wissenschaft, n'est pas en condition de résister à la révolution méthodologique introduite par la Interessenjurisprudenz. Le système du droit privé contemporain doit s'ouvrir à l'évolution de la réalité sociale ; et les lois, toujours plus nombreuses et importantes, qui réfléchissent les aspects les plus saillants de cette évolution, ne peuvent plus être interprétées comme une simple annexe du système.

Un deuxième caractère des codifications pionnières a peu à peu disparu. Il s'agit de leur valeur constitutionnelle, dont il reste trace dans le code civil espagnol et dans les codes latino-américains qui s'ouvrent avec la mention des principios generales del derecho. Désormais, ces principes ne peuvent plus être tirés du code ; et donc on ne peut plus parler d'une priorité du code civil dans la hiérarchie des sources du droit. Avec l'avènement des Chartes constitutionnelles cette priorité revient uniquement aux principes dictés par la Constitution : principes auxquels toutes les dispositions du code doivent être subordonnées.

Enfin, les modèles de code dont on vient de parler ne sont pas en condition de faire face aux grands problèmes de la société industrielle. Quelques exemples peuvent suffire.

La conception traditionnelle des actes illicites, inspirée à l'ancienne règle « pas de responsabilité sans faute », ne réussit pas à répondre pleinement aux exigences d'une société où les activités dangereuses se multiplient et les dommages qui réclament une indemnisation abstraction faite de la faute deviennent de plus en plus nombreux.

L'ancien dicton qui dit contractuel dit juste, qui exprimait une idéologie libertaire et égalitaire, ne s'accorde pas avec la moderne pratique des contrats standard, où le contractant fort (normalement, l'entrepreneur) prédispose un règlement contractuel et l'impose, tel qu'il est, au contractant faible (normalement, le consommateur), dont la liberté se réduit à l'insatisfaisante alternative de prendre ou laisser.

La propriété n'est plus « le droit fondamental sur lequel toutes les institutions sociales reposent », dont parlait Portalis dans son fameux Discours préliminaire. On est passé d'un modèle unique de propriété à une pluralité de propriétés et chacune d'elles a son statut et ses limites.

3 . Mais, alors, est-ce qu'on est en présence d'une simple crise d'identité des modèles traditionnels de code civil, ou bien va-t-on vers le déclin inexorable de l'idée même de code ?

Pour tenter de répondre à cette question, il nous faut reprendre en considération les différents arguments qui ont été fournis à l'appui de la thèse de la perte de centralité du code civil dans tes systèmes actuels de droit privé.

(a) L'argument de politique économique fait mouche lorsqu'il dénonce l'insuffisance des normes des codes traditionnels applicables aux rapports économiques caractérisant la société de la globalisation. Mais on ne peut pas dire que les normes sur les obligations et les contrats en général sont limitées aux affaires de la micro économie et, de toute façon, il y a toujours la possibilité de moderniser ces normes sans sortir du code.

La grande réforme qui vient de modifier radicalement le Livre II du BGB zur Modernisierung des Schuldgesetz en est un exemple éloquent : on a voulu « utiliser la force d'agrégation du BGB - comme on peut le lire dans le Rapport présenté au Gouvernement Fédéral - pour garantir et renforcer l'unité du droit des obligations ».

Quant aux systèmes qui ont unifié code civil et code de commerce on peut citer la toute récente réforme italienne du droit des sociétés qui a modifié le Livre v du Codice civile en remplaçant la vielle notion de société - qui était fille de l'Autorité - avec une nouvelle notion (fille de la Liberté) qui « met en valeur - comme on peut le lire dans la loi introduisant la réforme - l'autonomie contractuelle » tout en rapprochant ainsi de plus en plus le droit sociétaire des principes du droit des obligations et du contrat.

(b) Dire que le droit civil d'aujourd'hui s'identifie avec la légalité constitutionnelle c'est dire quelque chose d'exact du point de vue des principes. Mais les principes établis par les Constitutions sont appelés à illuminer et à orienter le système, et non pas à fonder eux mêmes un système, d'autant moins un contre-système. En un mot, ces principes ont imposé, et continuent à imposer, une révision, une intégration et une réinterprétation du code civil, et non pas un abandon.

D'ailleurs, dans les systèmes - qui sont désormais les plus nombreux - dotés d'une Cour Constitutionnelle, c'est à elle que revient la fonction d'un contrôle de légitimité, et donc la tâche de contribuer par là au renouvellement de l'image du code civil : une tâche que la Cour Constitutionnelle peut exercer non seulement par ses jugements d'illégitimité de l'une ou de l'autre des normes du code, mais aussi par ses arrêts ayant un caractère interprétatif.

(c) La critique idéologique aux grandes catégories unitaires du code civil doit être exercée avec prudence, à fin d'éviter qu'elle se transforme en un boomerang.

On doit sans doute tenir compte, par exemple, de la tendance croissante à tempérer l'idéologie intransigeante de la liberté contractuelle et de l'égalité (formelle) des contractants par l'introduction de moyens de protection renforcée en faveur de certaines catégories de contractants faibles (tes travailleurs, tes consommateurs, tes personnes handicapées). Mais la poussée des nouvelles formes de sauvegarde spéciale ne doit pas arriver au point de méconnaître une valeur générale à la règle de la liberté contractuelle que les codes pionniers avaient considérée, et qui reste, une conquête de démocratie.

Un autre exemple concerne la faute. S'il est vrai que « le déclin de la responsabilité individuelle » - dénoncé en France par Geneviève Viney (et, encore avant, par son maître, André Tune) - a entraîné comme conséquence « l'abandon de la faute comme référence exclusive » de « la responsabilité civile à l'aube du XXI e siècle » (tel est le bilan prospectif dressé par le Rapport introductif de Philippe Brun au Colloque savoyard de 2002), on ne doit pas pour autant parler de la faute comme d'une « épave à jeter à la mer », selon la pierre de touche polémique lancée par William Prosser. Il y a encore la possibilité de redécouvrir une « verdeur de la faute » (telle est l'image séduisante proposée par Philippe Le Tourneau) : non plus comme référence exclusive, mais comme règle générale destinée à s'appliquer chaque fois qu'un préjudice vient d'un fait, ou d'une activité, qui ne trouve pas sa prévision spécifique dans une norme spéciale liée à un différent critère d'imputation de la responsabilité. Il s'agit d'une règle « à mesure d'homme » qui reste nécessaire pour sauvegarder, dans le domaine toujours plus « inhumain » des torts, l'« humanisation de la responsabilité » sur laquelle insistait René Savatier.

4. L'aptitude, que l'on vient de constater, des catégories et des règles générales caractérisant un code civil à faire face à l'évolution constante des idées et des événements économiques, politiques et idéologiques tout en conservant un caractère de généralité devrait encourager le juriste contemporain à chercher, sur le plan systématique, une méthode de codification qui puisse défendre la centralité du code civil à l'intérieur d'un système non plus monolithique, mais qui reste unitaire malgré l'hétérogénéité thématique des lois spéciales en vigueur, toujours plus dispersées quoique susceptibles de rationalisation avec les nouvelles techniques de consolidation. Le signal d'alarme lancé en Italie par Natalino Irti dès 1979 à l'occasion du congrès de Rome sur « le déclin du code civil » (« le code civil et les lois spéciales ressemblent à des corps errants, dissous sans aucun rapport entre eux ») n'est pas tout à fait justifié. Les codes civils, heureusement, se font encore : il suffit de penser, en Europe, au « Nouveau code civil néerlandais » (dont Kotz et Zweigert, dans leur Einführung in die Rechtsvergleichung auf dem Gebiete des Privatrechts, soulignent le « style propre qui repose sur le ius commune du continent européen ») et, en Amérique latine, au Novo Codigo civil brésilien, dont Miguel Reale (qui a été le Supervisor da Commissão elaboradora e revisora do Anteproyeto) souligne l'augmentation des clausulas gerais - entre autres ,probidade, boafé ou correção -, qui favorise la possibilité de confier aux juges une plus grande participação decisória.

Bien entendu, entre le code civil et les lois spéciales il ne peut plus y avoir un rapport institutionnel de spécification. La spécialité des lois en vigueur ne consiste plus nécessairement en un leur caractère spécifiant ; on la cueille plutôt en raison de leur dimension liée à un secteur particulier.

La pluralité des lois de secteur ne se traduit pas, cependant, en une pluralité de microsystèmes. Si, en partant de celles-ci, on se rapporte aux règles générales du code civil on découvre plutôt une complexité intérieure au système : un système articulé qui donne lieu à un rapport continu d'interaction réciproque.

La crédibilité de cette hypothèse méthodologique doit être vérifiée tout au long d'un double itinéraire de comparaison.

5 . Le chemin de la comparaison diachronique (ou, plus exactement, de la comparaison entre les différents systèmes dans le temps et dans l'espace) nous montre des exemples fondamentaux de systèmes complexes, où le caractère unitaire repose sur leur capacité d'exprimer, malgré la pluralité des sources, des catégories et des principes de droit commun.

Les historiens du droit romain nous parlent d'un système complexe, caractérisé par « une pluralité et une juxtaposition de règles et d'ensembles d'expérience » mais, en même temps, par « une tension vers l'unification » qui s'exprime magistralement dans les institutiones de Gaius et de Justinien. Un romaniste bien connu par les jurisles latino-américains, Sandro Schipani, nous montre la synthèse efficace d'un système capable d'offrir des catégories et des règles « proposées comme clef de lecture générale ».

Les historiens du Common law nous parlent d'un système complexe, où aux cotés de la tradition d'une judge Made Law se place un réseau de lois de secteur, qui a donné lieu, dans les plus récentes ages of American Law, au phénomène que Grant Gilmore a appelé the orgy of statute making. Mais Guido Calabresi nous montre la synthèse d'un Common Law for the Age of Statutes, capable de lire tes différents Statutes dans un esprit unitaire restoring to Courts their common law fonction.

Dans chaque système complexe, donc, la force centrifuge des sources destinées à absorber tes différents aspects d'une réalité toujours renouvelée s'équilibre avec la capacité d'agrégation des sources offrant à l'interprète des catégories et des règles de droit commun.

Quant au système du droit romain, une capacité d'agrégation est reconnaissable dans tes Institutiones, en raison de leur aptitude à conglutinare en genera une réalité dissoluta et divulsa.

Quant au système de Common law, la capacité d'agrégation réside dans le droit construit par tes juges ; « the statutes - tel est le commentaire de W. Geldart dans ses « Elements of English Law» - are the «addenda» and the «errata» of the book of common law ».

Dans nos systèmes, une capacité d'agrégation peut être attribuée au code civil. Ses catégories et ses règles offrent à l'interprète une structure de droit commun qui rayonne dans tous tes secteurs du droit privé et même au-delà du territoire traditionnel du droit privé, dont tes frontières avec le droit public sont devenues toujours plus instables. À cet égard on a même parlé d'un retour au code civil pour signaler la tendance à redécouvrir les grandes catégories du code civil pour qualifier certains rapports économiques complexes où le droit privé et le droit public se mêlent indissolublement.

On aperçoit donc pour le code civil une nouvelle façon d'être central. Ce n'est plus « l'âme universelle de la législation » que Portalis fondait sur la propriété. Ce n'est plus l'expression d'une Begriffsjurisprudenz résultant d'une Allgemeiner Teil fondée sur des concepts abstraits ( Rechtsgeschäft, Tatbestand, Fähigkeit) qu'on a de la peine à traduire en français.

C'est une façon d'être central qui permet au code civil de compenser ce qu'il perd en universalité et en autosuffisance par une nouvelle force de rayonnement et une nouvelle flexibilité de ses normes, parmi lesquelles jouent un rôle de plus en plus important les clauses générales offertes au pouvoir discrétionnaire d'un juge qui n'est plus la « bouche de la loi ».

Alors que les codes traditionnels aspiraient à régler tout le droit privé mais excluaient de leur dessin individualiste tout le droit public, et plus généralement tout le droit des collectivités, le code civil d'aujourd'hui doit renoncer à ces anciennes ambitions, mais en compensation il peut fixer, avec ses normes plus significatives, des catégories et des règles qui permettent de surmonter l'opposition traditionnelle, mais désormais in-naturelle, des duae positiones.

Alors que les codes traditionnels se flattaient de défier l'éternité avec la rationalité de leur architecture modelée sur une image abstraite d'individu, le code civil d'aujourd'hui doit s'efforcer de récupérer une dimension compatible avec le dynamisme du processus historique. La confrontation avec les principes dictés par les Constitutions, l'influence de lois de secteur et de leur consolidations, la force de pénétration du droit vivant venant de l'interprétation des juges, sont tous des facteurs qui donnent lieu à un processus de auto-transformation du code, qui permet à ses catégories et à ses règles de s'adapter à une société qui ne cesse d'évoluer.

L'expérience de nos jours nous montre, d'une façon surprenante, que les systèmes de Civil law et les systèmes de common law ont tendance à se rapprocher. Code civil et judge made law, quoique si différents quant à leur origine historique et à leur structure, peuvent être approchés du point de vue fonctionnel. Les deux expriment des catégories et des règles générales à des systèmes qui, avec le processus croissant de statutorification (l'expression est de Guido Calabresi), risquent de devenir toujours plus chaotiques. En ce sens, de même qu'en droit anglais on dit que « the statutes assume the existence of the common law », ainsi on peut dire que dans les systèmes de Civil law les lois de secteur - même celtes qui sont dotées d'un caractère organique - postulent nécessairement les catégories et les principes du code civil.

6 . Le chemin de la comparaison synchronique (ou, plus simplement, de la comparaison à l'intérieur d'un même système) permet de d'éclairer un autre aspect de la persistante centralité du code civil : c'est à dire, la différence de structure qu'on peut remarquer entre les normes du code et les normes qui reviennent dans les lois de secteur.

Les normes du code visent à réaliser des formules caractérisées par un maximum de généralité et d'abstraction : « toute personne » peut contracter; « tout fait quelconque de l'homme », qui cause à autrui un dommage (arts. 1123 et 1382 Code Napoléon). Les lois de secteur, au contraire, établissent d'habitude les destinataires des normes en raison de leur appartenance à des catégories ou des statuts spécifiques (les malades : loi n° 2002- 303 ; les consommateurs : loi n° 1989- 421 ; etc.), tandis que les faits, les situations ou les activités réglées ont normalement une physionomie concrète et des dimensions circonscrites (la copropriété des immeubles bâtis : loi n° 1985-1470 ; l'assistance médicale à la procréation : loi n° 1994-654 ; etc.).

Les normes du code sont destinées à rester en vigueur sans limites de temps et sont applicables dans tout le territoire national. Au contraire, les lois de secteur sont parfois limitées dans le temps (loi n° 1986-12 relative à l'évolution de certains loyers) ; quant au territoire, il suffit de penser aux lois régionales. Et on pourrait ajouter les lois expérimentales, comme la première loi (n° 1975-17) en matière d'avortement

Les normes du code sont autant que possible synthétiques et flexibles (flexible droit, disait le regretté maître Carbonnier), et peuvent même prendre la physionomie de clauses générales (la bonne foi en est une formule exemplaire) : il s'agit alors de véritables poumons qui permettent au code - et au système tout entier - de respirer, c'est-à-dire de s'adapter à la réalité concrète qu'il faut régler. Les lois de secteur introduisent d'habitude des normes rigides et analytiques, et donc fatalement destinées à être intégrées, grâce a un renvoi formel ou implicite, par les normes du code.

Finalement, donc, les normes du code - en tant que normes générales, abstraites, adoptées sans limites de durée, flexibles - donnent lieu à la seule lex generalis des systèmes de Civil law.

Lex generalis signifie, tout d'abord, un ensemble organique et autosuffisant de règles qui permet de régler tous tes faits, les situations ou les activités prévues par le code en raison de leur importance et qui ne sont pas spécifiquement réglées par une loi de secteur.

Lex generalis signifie, encore, possibilité d'appliquer directement les catégories et les principes généraux du code pour en déduire des règles non écrites à l'égard de tous les faits, les situations et les activités qui ne sont pas - ou ne sont pas encore -réglées ni par le code ni par une loi de secteur.

Lex generalis signifie, enfin, la possibilité de régler les aspects non spécifiques concernant des faits, des situations ou des activités dont une loi de secteur règle les aspects spécifiques.

7 . Le code civil est donc encore en condition de jouir d'une persistante centralité dans les systèmes de Civil law : il offre un ensemble organique et cohérent de catégories et de règles de droit commun ; il se propose comme la seule véritable lex generalis.

Sous chacun de ces deux aspects, il se présente comme une synthèse mise à jour d'une culture juridique, de notre culture qui - ne l'oublions pas - a pour base fondamentale le droit romain. En ce sens, on peut répéter, avec Portalis, que « les codes des peuples se font avec le temps ; mais, à proprement parler, on ne les fait pas ».

Mais de même que les lois de secteur ne pourraient pas fonctionner d'une façon satisfaisante sans la présence centrale du code civil, ainsi le code, dans le droit privé d'aujourd'hui, n'est pas en condition de survivre sans l'élan vital qui vient des lois de secteur. Celles-ci, tout en introduisant dans le système des règles qui visent à offrir une protection aux intérêts nouveaux soulevés par la société ou à prévoir de nouvelles formes de protection à des intérêts non suffisamment protégés, nécessitent d'être récupérées à la rationalité du système grâce à une coordination avec les catégories et les règles du code civil. Et le code, à son tour, comparé avec les innovations législatives de secteur, peut se renouveler sur le plan de l'interprétation sans perdre avec ça sa physionomie et sa structure essentielle.

Le système n'est plus monolithe ; il est devenu complexe. Il n'est plus statique ; il est devenu dynamique grâce au flux qui en partant des zones centrales et traditionnelles du droit privé se dirige vers les nouvelles frontières gagnées par les lois de secteur, et celles-ci poussent irrésistiblement pour revenir vers celles-là.

La physiologie du système se base, finalement, sur un mouvement circulaire des sources du droit qui donne lieu à un rapport d'interaction entre le code civil et les lois de secteur.

8. Le cadre méthodologique que nous venons de proposer favorise quelques réponses et pose quelques problèmes à l'égard des questions posées par cette table ronde.

Une réponse nette s'impose au sujet des « lois annexes » : une méthode de codification qui veuille conjuguer sauvegarde de la tradition culturelle et l'aptitude à faire face aux mutations de la société contemporaine ne peut pas admettre qu'elles « vident progressivement de contenu, voir de sens, les codes ».

Bien entendu, il faut passer de la prolifération passive à la rationalisation active. Les lois annexes doivent se transformer en lois de secteur; et la législation de chaque secteur doit être rassemblée et classée, de façon à favoriser l'interaction avec le code civil. En ce sens la technique des codes thématiques, introduite en France par la loi n° 2000 - 321, ou celle des Testi Unici en Italie (dont le plus récent concerne le traitement des données personnelles) sont hautement souhaitables. Mais ce ne sont pas stricto sensu des codes, et surtout ils ne prennent pas la place du code civil, qui ne peut pas être en même temps unique et pluriel.

Le grand problème est représenté par le vieillissement des codes pionniers, et plus particulièrement du code dont nous célébrons le bicentenaire, et qui a été le modèle de code par excellence.

C'est apparemment un problème insoluble : il faut codifier, parce qu'on ne peut pas se passer d'un code ; mais on ne sait pas bien comment codifier.

Les tentatives les plus récentes ne sont pas passionnantes. Le nouveau code québécois est trop long (3168 articles) pour être un code moderne : il est minutieusement analytique mais, comme le dit Rodolfo Sacco, « il ne part pas à la recherche de principes dotés d'une étendue illimitée ». Le nouveau code brésilien est trop « savant » : il ne se détache pas assez des concepts de l' Allgemeiner Teil du BGB, et il est trop « timide » (ainsi s'exprime Joao Baptista Villela) à propos de la protection des droits fondamentaux de la personne. Le nouveau code néerlandais est trop « éclectique » : il « n'appartient plus tout à fait à la famille civiliste française », « l'approche systémique le rapproche plutôt au groupe germanique », mais « l'influence de la common law est manifeste » : voilà la conclusion de Arthur S. Hartkampt.

Mais qui oserait penser mieux faire ? Christian von Bar avec son projet de code civil européen ? On peut avancer quelques doutes.

Il faudrait pouvoir compter sur des nouveaux Domat et Pothier. Mais ce n'est qu'un rêve ; et le juriste ne peut pas se permettre de rêver. Il devrait plutôt chercher de suivre la leçon de Portalis, qui est toujours actuelle : « l'essentiel est d'imprimer aux institutions nouvelles ce caractère de permanence et de stabilité qui puisse leur garantir le droit de devenir anciennes ».

Comment codifier ? La méthode* ( * )

* * Este texto ha sido traducido al español por José Miguel Valdivia, director de la comunicación de la Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains, académico de la Universidad de Chile. La traducción se encuentra disponible en el sitio: www.andresbello.org

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