L'avenir de la codification en France et en Amérique latine



Palais du Luxembourg, 2 et 3 avril 2004

Jean-Louis Halpérin

Professeur à /' École normale supérieure

L

a question de l'origine des codes peut surprendre l'historien du droit par l'emploi du singulier. La codification du droit apparaît traditionnellement comme un mouvement de grande ampleur, impliquant une pluralité de codes dans la longue durée : nous parlons communément de « vagues de codification », ce qui fait appel à une multiplicité de causes dans une évolution en plusieurs temps s'étendant sur des siècles. La complexité est d'autant plus présente en la matière que le terme de code, prenant ses racines dans la tradition romaine, s'est appliqué à des formes juridiques très variées. La tâche des historiens du droit consiste, d'abord, à identifier les caractères de la codification moderne, autour du Code Napoléon, et à s'interroger sur les éléments de continuité et de rupture entre l'ancien droit des pays romanisés et le droit codifié. Dans cette discussion, nous avons pris parti plutôt en faveur de la rupture que de la continuité, peut-être parce que nous sommes plus familier avec le cas français 1 ( * ) . Et c'est dans cette perspective que nous abordons la question des origines de la codification moderne, en essayant de peser le poids respectif des facteurs tenant à l'histoire des cultures juridiques dans la longue durée (I) et des causes plus spécifiquement politiques qui s'inscrivent dans le contexte de l'ère contemporaine, de la Révolution française (II) à l'exportation du modèle français en Europe et en Amérique latine (III).

I. Nous ne mettons pas en doute l'existence d'origines juridiques - c'est-à-dire tenant à l'évolution de la technique législative et de la conception du droit - susceptibles d'expliquer l'avènement de la codification moderne. Ces origines se situent dans un long processus d'élaboration et de réinterprétation de la systématique du droit romain. Justinien a légué à l'Occident le modèle d'une compilation réunissant, dans une forme nouvelle de recueils ordonnés, des lois récentes et des textes anciens eux-mêmes soumis à un travail de relecture et de réécriture. Les compilations de Justinien ne présentent pas les caractères d'une codification ex novo ou d'une entreprise globale de réforme de telle ou telle branche du droit : ce ne sont pas, de ce point de vue, les ancêtres directs des codes modernes. Mais le Code de Justinien, après le Code Théodosien, propose un modèle de clarification et d'unification du droit à travers un recueil de lois. Si pendant longtemps, les ouvrages dénommés « code » n'ont été que des compilations de lois antérieures, l'idée de création du droit en liaison avec la codification n'est pas totalement étrangère à la tradition issue du droit romain, comme le montre l'exemple des Novelles. Les spécialistes des compilations médiévales de droit canonique considèrent, aujourd'hui, que plusieurs d'entre elles - notamment le Sexte - ont été l'occasion de publier des décrétales nouvelles amalgamées aux textes plus anciens.

Dans l'histoire de l'idée de codification, un second moment se situe à l'ère moderne avec l'essor des conceptions « constructivistes » qui font du droit un produit de la raison humaine susceptible d'être organisé selon des plans préétablis (c'est toute l'oeuvre de redéfinition du plan hérité des Institutes de Justinien autour de la notion de droit subjectif) et en suivant une logique de type mathématique (la déduction more geometrico). C'est l'École du droit naturel moderne qui est à l'origine de cette révolution copernicienne, partie du cercle de Grotius et de ses disciples, paradoxalement muets sur la question de la codification elle-même. Il faut attendre Leibniz pour que la conception axiomatique du droit, déduit des principes des « lois naturelles », conduise véritablement à la présentation de projets de codification du droit positif. Il faut, de manière plus générale, se montrer prudent sur l'automaticité des rapports entre « rationalisation » du droit et codification : un auteur comme Domat, dont le rôle est indéniable dans le développement du premier phénomène, n'a jamais parlé de codification ni évoqué l'unification des sources du droit français.

Au XVII e siècle et dans la première moitié du XVIII e siècle, les réalisations législatives les plus ambitieuses, liées à la formation des États modernes, ne sont pas encore des codifications au sens du Code Napoléon. Les grandes ordonnances de Louis XIV, même si elles réforment une matière dans son entier, ne traitent que de la justice ou du commerce ; les codes danois, suédois ou bavarois, comme les Lois et constitutions du roi de Sardaigne, sont pour la plus grande part des compilations recueillant des textes antérieurs, sans volonté de rupture avec l'ancien droit.

Il faut attendre la deuxième moitié du XVIII e siècle pour que l'idéologie codificatrice trouve sa place dans la philosophie des Lumières, dans la critique des autorités traditionnelles et dans l'aspiration à un droit nouveau. Et c'est essentiellement sur le terrain du droit pénal, avec le Traité des délits et des peines de Beccaria, que cet idéal codificateur a trouvé une expression doctrinale, en faisant face alors à l'hostilité ou au scepticisme de nombreux juristes. Quant au passage de l'idée aux premières réalisations concrètes, il est indiscutablement lié au despotisme éclairé, c'est-à-dire à des origines politiques. La codification moderne débute avec les entreprises lancées par Frédéric II de Prusse et Marie-Thérèse d'Autriche, avant de trouver son paradigme dans le Code Napoléon. Elle correspond, par conséquent, à une nouvelle étape dans le processus de développement de l'État moderne et de ses instruments législatifs. L'État traditionnel d'Ancien Régime se conciliait avec un ordre juridique décentralisé et les monarques prétendus absolus des XVIIe et XVIII e siècle n'avaient pas osé - ni même pensé - imposer un droit privé uniforme à une société d'ordres et à un royaume encore composé d'un « agrégat de peuples désunis ». À l'origine directe de la première grande vague de codification, il y a le despotisme éclairé ou, pour reprendre l'expression des ministres prussiens, l'idée de la « révolution par en haut » qui a succédé au début du XIX e siècle à l'action réformatrice des rois - philosophes du XVIII e . Malgré des différences sensibles de contexte politique - la codification française prend place dans un cadre constitutionnel avec le vote des assemblées, alors que les codifications prussienne et autrichienne sont l'oeuvre de monarques légiférant seul - c'est le même idéal de l'État législateur choisissant les meilleures règles pour ses sujets qui inspire toute la première vague de codification. Napoléon n'a-t-il pas usé des moyens les plus autoritaires à l'égard d'assemblées épurées et domestiquées pour « donner son » code à la France ? Et si le code paraît reconnaître une sphère privée où se déploie la liberté civile des individus, n'est-ce pas l'État qui délimite cet espace socio-juridique et reste finalement maître de cet instrumentum regni ?

II. Sur ce fond commun de l'étatisme grandissant, la France se singularise par la destruction de l'ordre ancien et par une unité nationale qui a plus progressé en dix ans qu'en dix siècles. Si toute codification est l'expression d'une société déjà formée, le Code civil des Français a pris une longueur d'avance sur ses rivaux étrangers en consacrant dans le domaine du droit civil une égalité des sujets de droit liée à l'Unicité de la Nation. Alors que le Code prussien restait celui d'une société de Stände avec un droit différent pour chaque ordre et que le code autrichien était lié, plus discrètement, au maintien du régime féodal, le Code Napoléon consacre l'abolition de la féodalité la plus radicale - sans aucune indemnité - que l'Europe ait connue. Tandis que l'ALR se présentait comme une loi subsidiaire par rapport aux droits provinciaux et que l'ABGB se combinait avec la survivance de sources locales du droit, le Code civil des Français repose sur le principe de la table rase par rapport à l'ancien droit et à ses privilèges 2 ( * ) .

En même temps, l'échec temporaire de l'implantation en France du parlementarisme, selon le modèle anglais, a fait disparaître tout obstacle à l'essor d'une Loi, qui n'est pas véritablement le produit de la volonté exprimée par les représentants du peule, mais qui n'en est pas moins censée relever, par sa généralité même, de la souveraineté nationale.

L'on pourra objecter que la monarchie d'Ancien Régime avait patiemment travaillé à l'unité du royaume et que la nation française n'est pas née soudainement avec la Révolution. Mais la cristallisation de l'État-Nation, le triomphe de la centralisation sur les particularismes locaux, l'exaltation du Grand Tout sont des acquis de la Révolution conservés dans le Code civil. Un code national, non seulement parce qu'il est rédigé dans la langue de la France - l'ALR a aussi joué un rôle dans l'histoire de la langue allemande - mais parce qu'il ne souffre aucune concurrence des sources traditionnelles abrogées par la loi du 30 ventôse an XII, des lois provinciales comme en connurent les systèmes prussien ou autrichien... ou de traductions dans de quelconques dialectes ou patois. Personne n'a imaginé, à notre connaissance, une édition du Code civil en breton, en occitan... ou en corse. Code civil des Français et non Code général des États prussiens ou, en Autriche, Code civil général, c'est-à-dire pour tous les sujets de la monarchie des Habsbourg. Tout ou presque est dit dans le titre, dans les dispositions sur la nationalité, et dans l'absence de Dieu, un phénomène inédit qui annonce la laïcité à la française.

Ce modèle politique d'un code imposé d'en haut est, bien sûr, lié au contexte du tournant des XVIII e et XIX e siècle, marqué par la Révolution française et par la naissance du constitutionnalisme moderne. Mais il se prolonge au-delà dans la diffusion des codes par des États n'hésitant pas à recourir à des méthodes plus ou moins autoritaires. Le Code roumain a été lui aussi « donné » par le fondateur de la nation moderne, Alexandre Ion Cuza, avant l'adoption de la première constitution et alors que le Parlement avait été dissout. Le Code civil italien a été certes voté, mais après une discussion menée « à toute vapeur » et soigneusement encadrée. Jusqu'à la fin du XIX e siècle, la codification n'apparaît guère compatible avec le parlementarisme. En revanche, elle entretient d'étroits rapports avec les politiques d'unification nationale : l'on sait le rôle du processus psychologique enclenché par le Code Napoléon dans la formation de l'identité italienne et l'on rattache d'ordinaire les codes de Serbie ou du Québec à la construction symbolique d'une communauté nationale.

Il faut néanmoins rester prudent sur l'impact réel de la codification dans l'émergence ou la consolidation d'une culture nationale : aux causes qui se trouvent à l'origine des premiers codes modernes, il faut ajouter les effets de l'imitation et des phénomènes de transplantation du modèle codificateur.

III. Nous touchons ici à la question, beaucoup plus complexe, des différents facteurs qui sont entrés en ligne de compte dans la diffusion de la forme codifiée du droit. En circulant, les codes ont été transportés dans des contextes sociaux, politiques et culturels très divers et l'histoire de chaque codification nationale a ses spécificités. Le continent sud-américain - avec l'influence de la Révolution française, le rôle des caudillos et l'affirmation des nouvelles nations 3 ( * ) - offre un magnifique exemple de cette diversité influencée par l'exemple du Code Napoléon que l'on trouve également en Europe 4 ( * ) . L'adoption du Code peut se situer à différents temps de la construction de l'État-Nation et répondre ainsi à des objectifs de « modernisation » du droit qui n'ont pas la même portée.

Un premier élément de cette diversité consiste dans le moment de l'adoption du Code par rapport à l'accession à l'indépendance nationale ou à la réalisation de l'unification entre des unités étatiques jusque-là séparées. Le modèle français, celui d'une « vieille nation » transformée en État-Nation par le processus révolutionnaire et qui se dote d'un Code civil dès l'achèvement de cette révolution, est finalement isolé. Dans l'Europe du XIX e siècle, des Codes ont pu être adoptés aussi bien par des États princiers dont l'absolutisme évoquait l'Ancien Régime - les États de l'Italie pré-unitaire, la Saxe en 1863 - par de vieilles nations connaissant une évolution constitutionnelle contrastée - le Portugal en 1867 ou l'Espagne en 1889 - ou par des États nouveaux - unitaires ou fédéraux - voulant achever un mouvement d'unification nationale, comme l'Italie, l'Allemagne ou la Suisse. Et, dans ce dernier cas, le délai qui sépare la codification du droit civil de la réalisation de l'unité peut aller de quelques années (dans le cas italien) à plusieurs décennies : une trentaine d'années pour l'Allemagne, une soixantaine pour la Suisse si l'on prend comme point de départ la première constitution de la Confédération en 1848. Certaines entités politiques se sont à l'inverse dotées d'un Code avant même d'accéder à une souveraineté reconnue : la Serbie a eu un Code civil dès 1844, alors qu'elle ne connaissait encore qu'un régime d'autonomie. La souveraineté serbe ne date que de 1878, de même que celle du Monténégro ; ce micro-État ne tarda guère à faire rédiger un Code, par le professeur Bogisic en 1888, alors que la Grèce pionnière dans la voie de l'indépendance n'avait toujours pas de Code civil à la veille de la Première Guerre mondiale. Le recours à la codification du droit, bien que lié à l'unité nationale, n'est donc pas une conséquence immédiate ou automatique de la souveraineté des nouveaux États-Nations. En Amérique du Sud, l'influence étalée sur deux décennies du Code du Chili sur l'Équateur (1861), l'Uruguay (1867) ou la Colombie (1873) et plus encore l'exemple du Brésil - doté d'un Code civil seulement en 1916 - confirme ces décalages.

Il faut, en effet, tenir compte d'un autre phénomène, qui trouve paradoxalement son origine dans la critique de la codification française par l'École historique allemande. Les législateurs du XIX e siècle ont souvent éprouvé quelques réserves à l'égard d'une transplantation pure et simple du modèle français - supposé universel - et ils ont souhaité l'adoption de codes adaptés à la culture et à la tradition nationale. En réalité, l'opposition entre Savigny et Portalis - qui souhaitait lui, selon les idées de Montesquieu, un Code approprié au caractère de la nation - n'était pas aussi radicale et des disciples de Savigny - comme Bluntschli, l'inspirateur du Code civil zurichois - ont voulu concilier les enseignements de l'École historique et l'idéal de la codification « à la française ». Dans une telle configuration, la codification apparaît comme un lien entre le passé et le présent, entre une culture juridique censée appartenir depuis longtemps au patrimoine intellectuel de la nation et une expression moderne d'un État-Nation en train de se constituer. Le Code serbe, largement inspiré de l'ABGB, intègre un certain nombre de règles coutumières sur la famille et les successions ; le Code Bogisic du Monténégro se limite volontairement au domaine patrimonial pour laisser en place l'ancien droit des personnes. Eugen Huber a conçu le Code civil suisse après un travail d'historien cherchant à concilier les droits cantonaux et les différentes traditions locales... ce qui n'est pas sans rap peler la « transaction » entre les coutumes et le droit écrit voulue par les codificateurs français. Mais, là encore, il faut se méfier d'une grille de lecture trop simpliste en croyant que tous les Codes ont été formatés pour convenir spécialement à une Nation particulière. L'histoire du Royaume des Pays-Bas et de la Belgique est un autre exemple de la complexité des rapports entre codification et sentiment national. L'on sait que les projets de codification discutés de 1815 à 1830, alors que Néerlandais et Belges étaient sous la même couronne, ont été une source de division avant même d'être remis en cause par la révolution belge. Le paradoxe de cette révolution nationale a été le ralliement - d'abord temporaire, puis assumé - de la Belgique au Code Napoléon et la mise en vigueur en 1838 d'un code néerlandais finalement plus proche du modèle français que des propositions antérieures inspirées par les traditions du droit des Provinces-Unies. Sans être le moins du monde « belge » dans son origine, le Code Napoléon est ainsi devenu un symbole d'une unité nationale acquise contre le souverain néerlandais.

Le continent sud-américain offre d'autres exemples de cette transplantation d'un code « étranger » qui est pourtant « nationalisé » par cette opération fonda mentalement politique qu'a représenté - au moins jusqu'à la première guerre mondiale - la codification du droit. Souvent le Code civil est adopté dans une période de stabilité liée au pouvoir d'un homme fort : en Bolivie (1831) sous la présidence du maréchal Santa Cruz, au Pérou (1852) peu après la domination de Ramon Castilla (1845-1851), au Chili (1855) sous la présidence de Montt deux décennies après l'oeuvre centralisatrice de Portales 5 ( * ) , au Mexique à la fin de la présidence de Juarez pour le Code de 1870, sous celle de Porfirio Diaz pour le deuxième Code de 1884 6 ( * ) .

Tout aussi complexes apparaissent les rapports entre codification, constitution et réforme sociale. Nous avons dit que les grands codes de la fin du XVIII e siècle et du début du XIX e siècle étaient l'expression de choix de sociétés : l'ALR était pour Tocqueville la constitution féodale de la vieille Prusse et le Code Napoléon fut présenté, notamment par Demolombe, comme la « constitution civile de la France ». La codification est liée à une constitution, au sens d'un régime politique et social - plus social que politique, dans la mesure où elle n'est pas liée au parlementarisme - et le modèle codificateur français a été celui de l'égalité des droits associée à la sécularisation du droit. Que ce modèle ait été pour une part mythique - il y avait, bien sûr, des formes d'inégalité dans le Code Napoléon, entre hommes et femmes, patrons et ouvriers... et le code français a coexisté avec l'esclavage jusqu'en 1848, ou avec le Concordat jusqu'en 1905 7 ( * ) - n'enlève rien à la symbolique égalitaire et laïque attachée à la codification de type français.

Il nous paraît donc important, spécialement dans le cas de l'Amérique du Sud, de s'interroger sur les relations entre codification et réformes des structures sociales et politiques. Le Code civil est souvent proche de l'abolition de l'esclavage (1854-1855 au Pérou juste après le Code de 1852 qui avait maintenu l'esclavage 8 ( * ) ; 1888 au Brésil, ce qui peut expliquer l'échec antérieur du projet de Freitas en 1860-1865 9 ( * ) ) qui ouvre la voie à un statut civil unique pour toutes les personnes, après l'abolition des castes décidée en principe au moment de l'indépendance. La codification n'est certainement pas étrangère à l'évolution des rapports entre l'État et l'Église : la reconnaissance de la liberté religieuse, l'interdiction faite aux institutions religieuses d'acquérir des terres, la suppression de la juridiction ecclésiastique (Mexique 1855-1859), l'institution de l'état civil, du mariage civil (au Mexique en 1857, au Venezuela en 1873), voire du divorce (au Mexique en 1884, au Costa Rica en 1888), le développement d'une éducation et d'une université laïques (comme le montre l'exemple du recteur Bello) ou plus généralement les tensions entre l'Église et l'État (au Venezuela sous la dictature positiviste de Blanco de 1870 à 1888, au Brésil avec l'avènement de la République et la séparation de l'Église et de l'État en 1890). Il faut se montrer néanmoins prudent sur ce terrain, en constatant que de nombreuses codifications sud-américaines ont marqué au XIX e siècle l'attachement au mariage catholique indissoluble 1 ( * )0 .

Enfin, la codification a pu être un instrument de modernisation économique et sociale : si l'on peut rester sceptique sur les transformations induites par le Code civil pour tout ce qui concerne la situation des paysans - répartition des terres, développement du « péonage pour dettes » qui est souvent contemporain de la codification - il n'est pas interdit de supposer que l'adoption de lois codifiées a été conçue comme un moyen de favoriser la liberté des échanges et les débuts de l'industrialisation. En Amérique du Sud, la codification a pu être un facteur d'émergence de la bourgeoisie. Connaître, au-delà de l'imitation du modèle français, les ambitions nationales sous-tendant dans chaque pays d'Amérique du Sud l'adoption d'un Code civil, c'est tout le sens que nous donnons comme historien du droit à cette lecture politique de la codification moderne.

comienzos de la codificación en europa continental y América hispánica (1750-1804)* ( * )

* 1 Dans un débat avec Pio Caroni, auteur des Saggi sulla storia della codificazione, Milano, Giuffrè, 1998, cf. HALPÉRIN, J.-L, « Codification et continuité », Zeitschrift für Neuere Rechtsgeschichte, 2001,3/4, p. 300-303.

* 2 HALPÉRIN, J.-L, Histoire des droits en Europe, Paris, Flammarion, 2004, p. 62-63.

* 3 CALVO, T., L'Amérique ibérique de 1570 à 1910, Paris, Nathan, 1994 ; CHEVALIER, F., L'Amérique Latine de l'Indépendance à nos jours, Paris, PUF, coll. « Nouvelle Clio », 1993 et plus précisément sur l'image du Code Napoléon, MIROW, M.C., « The power of codification in Latin Ameríca. Simon Bolivar and the Code Napoléon », Tulane journal of International and Comparative Law, vol. 8, 2000, p. 83-116.

* 4 La circulation du modèle juridique français, Travaux de l'Association Henri Capitant, tome XLIV, Paris, Litec, 1994.

* 5 COLLIER S. W., SATER F., A History of Chile 1808 - 1994, 1996, p. 58-59 et p. 74-75 ; SARGET, M.-N., Histoire du Chili de la conquête à nos jours, Paris-Montréal, L'Harmattan, 1996, p. 67-75 ; MIROW, M.C., « Borrowing private law in Latin America. Andrés Bello's use of the Code Napoléon in drafting the chilean Civil Code », Louisiana Law Review, vol. 61, 2001, p. 294, attire l'attention sur le rôle de la guerre civile en 1851

* 6 BETHELL, L. (éd.), The Cambridge history of Latin America, Cambridge University Press, 1986, vol. V, p. 8.

* 7 Cf. MARTIN, X., Mythologie du Code Napoléon, Bouère, Dominique Martin Morin, 2003.

* 8 RAMOS NÚÑEZ, C., Historia del derecho civil Peruano, Pontificia Universidad Católica del Perú, 2001, p. 282.

* 9 BENNASSAR, B., MARIN, R., Histoire du Brésil 1500-2000, Paris, Fayard, 2000, p. 303.

* 10 RAMOS NÚÑEZ, C, El Código napoleónico y su recepción en América Latina, Pontificia Universidad Católica del Perú, 1997, p. 158 avec les exemples de la Bolivie, du Pérou et du Code de Costa Rica en 1841.

* * Ce texte a été traduit en français par Guillaume Fatio, membre de l'Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains, BMG Avocats, Genève, guillaume.fatio@bmglaw.ch . La traduction est disponible sur le site : www.andresbello.org

Page mise à jour le

Partager cette page