La décentralisation française vue d'Europe - La France et la charte européenne de l'autonomie locale



Palais du Luxembourg, 26 juin 2001

PREMIÈRE SÉANCE

LA CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE - INSTRUMENT DU DÉVELOPPEMENT DE LA DÉMOCRATIE LOCALE DANS LA GRANDE EUROPE

M. Louis LE PENSEC, Sénateur, Président de l'Association française du Conseil des communes et régions d'Europe

Pour qui assigne comme finalité politique à son action la pleine accession à la démocratie pour les peuples, le choix du thème du colloque par le Sénat et par le Conseil de l'Europe, tourné vers l'autonomie locale, réjouit tous les démocrates, puisqu'ils sont par définition épris de liberté communale. D'éminents intervenants ont et vont tout au long de la journée rappeler à coup sûr la genèse de cette belle idée de l'autonomie locale. On me permettra de rappeler simplement le travail, pionnier en son temps, accompli par un mouvement qui m'est cher, le Conseil des communes et régions d'Europe. Il me plaît à dire que c'est sur la base d'un document, la Charte européenne des libertés communales, adoptée en 1953 aux États généraux de Versailles des communes et régions d'Europe, que les travaux de préparation de la Charte du Conseil de l'Europe furent engagés.

Comment établir la grande actualité des thèmes ?

Je ne peux m'empêcher de faire un parallèle entre, d'un côté, les efforts conduits par les associations européennes des autorités locales et des collectivités locales pour faire reconnaître par les institutions européennes le principe de l'autonomie communale, en l'occurrence l'adoption de la Charte par le Conseil de l'Europe, et d'autre part, l'action conduite par les associations mondiales de collectivités locales pour faire adopter au niveau mondial, l'Organisation des Nations Unies, la Charte mondiale de l'autonomie locale, qui s'inspire très largement de la Charte européenne. Je le dis d'autant plus que nous sommes un certain nombre dans cette salle qui étions, il y a moins d'un mois, à l'Assemblée générale de l'ONU, en présence du Secrétaire général, où d'une seule voix, les organisations mondiales ont présenté le projet de Charte mondiale de l'autonomie locale.

De quoi parlons-nous ? II n'y a pas de meilleur intervenant pour répondre à la question que Monsieur Alain Delcamp, Président du Groupe d'experts indépendants sur la Charte européenne de l'autonomie locale auprès de la Commission institutionnelle du CPLRE. Ce grand praticien de la chose va nous dire avec précision dans un rapport introductif ce qu'il convient d'entendre par autonomie locale.

M. Alain DELCAMP, Président du Groupe d'experts indépendants sur la Charte européenne de l'autonomie locale auprès de la Commission institutionnelle du CPLRE

Permettez-moi d'abord d'exprimer une certaine émotion à l'ouverture d'un colloque qui réunit deux institutions auxquelles je suis attaché pour des raisons différentes, mais qui ont en commun d'avoir parmi leurs objectifs le développement de l'autonomie locale. Pour moi, comme pour beaucoup de personnes présentes, celle-ci va au-delà d'un simple aménagement institutionnel, elle est aussi un choix philosophique sur l'organisation de la société. C'est d'ailleurs un des mérites insuffisamment soulignés du débat sur la subsidiarité que d'avoir mis l'accent sur cet aspect qui, à cet égard, constitue un dépassement de la décentralisation.

Émotion aussi car, au vu du programme, il me semble que la situation de la France vis-à-vis de la charte de l'autonomie locale ne pourra pas être la même avant et après cette manifestation.

La charte est, d'une certaine manière, née ici puisque c'est le 18 octobre 1953 que les États généraux des communes d'Europe réunis à Versailles sur l'initiative du Conseil des communes et régions d'Europe, dont je salue le président français, membre du Sénat comme son prédécesseur, ont adopté « une charte européenne des libertés communales ». C'est d'ailleurs ce terme d' « États généraux » qui est utilisé aussi par Monsieur le Président du Sénat pour organiser les rencontres en région entre le Sénat, les Sénateurs et les élus qu'ils représentent. Parler de décentralisation ou d'autonomie a ainsi toujours en France un petit parfum révolutionnaire... Je noterai aussi d'emblée que décentralisation et construction européenne ont été intimement liés dès l'origine et que cette construction par la base sonne comme un salubre rappel au moment où chacun se plaît à dénoncer un certain déficit démocratique dans la construction européenne.

Cette charte des libertés communales est devenue la Charte européenne de l'autonomie locale. Il aura fallu pour y parvenir pendant près de vingt ans les travaux patients de la Conférence permanente des pouvoirs locaux et régionaux, créée en 1957 au sein du Conseil de l'Europe, et le soutien de l'Assemblée parlementaire.

Il est bon de rappeler quels furent les premiers signataires de ce document, ceux qui la portèrent sur les fonts baptismaux : le Benelux, l'Allemagne, la France et l'Italie, noyau dur de l'Europe, mais aussi l'Autriche, le Danemark et la Grèce, puis l'Espagne, le Portugal et le Liechtenstein. Ce n'est pas le moindre des paradoxes que parmi ces douze pays, deux la France et la Belgique comptent parmi ceux qui ont signé mais pas encore ratifié la charte (avec l'Irlande et l'Arménie) alors que 34 sur 43 pays membres l'ont d'ores et déjà ratifiée 1 ( * ) .

Cette anomalie ne peut nous laisser indifférents. Il ne peut s'agir d'un refus. Il existe sûrement des causes profondes que la journée d'aujourd'hui devrait permettre de mettre à jour et, je l'espère, d'atténuer.

Si nous savons que les causes sont plutôt institutionnelles pour la Belgique, -l'évolution de son État l'a conduite à accorder des compétences non négligeables à ses régions et communautés en matière internationale- elles étaient principalement juridiques pour la France, au moins officiellement. On peut se demander si elles ne sont pas non plus quelque peu, si j'ose dire, « psychologiques », à l'image des attitudes françaises vis-à-vis de l'Europe que l'on retrouve dans beaucoup d'autres domaines. Vis-à-vis de l'Europe, la France est à la fois audacieuse et timide, presque arrogante à force de penser que l'Europe peut être synonyme pour elle d'auto-dissolution, alors même qu'elle peut lui être indispensable par la vision qu'elle en a.

Rien, en tout cas, du fait de sa conversion spectaculaire du 2 mars 1982, ne paraît la séparer de manière irrésistible désormais de l'adhésion complète aux principes de l'autonomie locale tels qu'ils sont définis dans les 11 premiers articles et le Préambule de la Charte européenne de l'autonomie locale.

La décentralisation en France fut apparemment une conversion à un nouveau système de valeurs. Elle fut en fait à bien des égards l'irruption officielle et la consécration du deuxième courant démocratique qui anime sa société depuis la Révolution et peut-être avant : celui de la démocratie de proximité, diverse et silencieuse, à côté de l'autre, la plus connue, celle du jacobinisme, de l'unité et des proclamations, pour elle-même et pour le monde.

Les valeurs de la charte européenne sont les nôtres.

CARACTERE DE LA CHARTE ET FONDEMENTS DE L'AUTONOMIE LOCALE

Elles ont un premier mérite : elles sont exprimées d'une manière suffisamment large pour qu'elles laissent la place à des solutions différentes. La charte est un élan plus qu'un carcan.

Ce faisant elle est d'abord une incitation à une réflexion sur la structure de l'État. En obligeant les législateurs à intégrer dans les institutions la notion d'autonomie locale, c'est à une réflexion sur l'État lui-même à laquelle elle conduit et ce, quelle que soit la forme de l'État, fédéral unitaire ou régional. Du reste, l'un des enseignements de la période est de montrer que la conciliation entre le phénomène de régionalisation et celui d'autonomie locale est rien moins qu'évident. La convention soeur sur l'autonomie régionale élaborée et adoptée par le Congrès et en cours d'instruction au niveau du Comité des Ministres insiste d'ailleurs pour que le principe de subsidiarité s'applique non seulement entre les États centraux et les autorités locales décentralisées mais aussi entre les niveaux régionaux et locaux.

Cette obligation de réflexion est renforcée par la prescription de l'article 2 qui dit que les principes de l'autonomie locale doivent être inscrits dans la loi - c'est-à-dire la loi délibérée et votée publiquement par la représentation nationale - et, « si possible », dans la Constitution. Pour la Charte, l'autonomie locale ou si l'on préfère, la décentralisation sont des données de niveau constitutionnel. La leçon des dix dernières années est d'ailleurs une application particulièrement stricte de ces principes par les démocraties qui ont rejoint le plus récemment le Conseil de l'Europe. La plupart de leurs nouvelles constitutions contiennent des chapitres entiers consacrés à cette question. Elles contrastent avec le relatif laconisme des constitutions des pays plus anciens, par exemple le nôtre. Ce n'est donc pas un hasard si, après que le Conseil Constitutionnel a développé quelque peu par sa jurisprudence les laconiques mentions du texte de 1958, les propositions les plus récentes en matière de décentralisation - notamment celles de monsieur le président du Sénat résumées dans son discours de Marseille du 15 juin et qui figurent dans vos dossiers - insistent sur cette nécessaire constitutionnalisation.

La définition que propose la Charte dans son article 3 est importante et, en même temps, de nature à rassurer tous ceux qui craindraient de voir dans le développement de l'autonomie un risque de dislocation de l'État : La Charte ne préconise pas l'indépendance des entités mais leur autonomie « dans le cadre de la loi », formule qui revient comme un leitmotiv à de multiples endroits. Il s'agit du « droit » et de la « capacité effective » pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, « une part importante » des affaires publiques.

Ce droit trouve son fondement dans l'élection des organes chargés de la gestion (Art. 3-2). Cette élection doit être directe. Elle s'impose pour l'assemblée locale, elle ne semble pas absolument impérative pour les exécutifs. L'exigence première à laquelle par contre ceux-ci doivent répondre est celle de la responsabilité devant l'assemblée élue. Ce point a fait à plusieurs reprises l'objet des réflexions du Congrès qui a souhaité en dissiper les ambiguïtés. En fait, même si l'on observe un peu partout en Europe, et de plus en plus, une tendance en faveur d'un exécutif unique, élu au suffrage universel direct, de nombreux modèles peuvent être considérés comme compatibles avec ces dispositions, qu'il s'agisse du système des comités à l'Anglaise ou de l'exécutif collectif de certains Länder allemands ou encore le système dans lequel l'exécutif est en même temps président de l'assemblée. L'important est que le désir d'efficacité du pouvoir ne puisse aboutir au remplacement de l'exécutif élu par une sorte de manager. De même, les autorités du Congrès ont-elles mis en garde les pays membres contre la tentation de démembrer les conseils locaux au profit d'organes spécialisés à la légitimité mal définie.

La légitimité de la gestion locale trouvant son fondement dans la souveraineté que confère l'élection dans le cadre d'un territoire et des lois de l'État, il en résulte que la compétence de l'autonomie locale à agir en faveur et en réponse des demandes de ses concitoyens se présume. C'est ce que l'on appelle le principe de compétence générale qui veut que la collectivité locale puisse prendre des initiatives aussi longtemps qu'elle ne rencontre pas une compétence attribuée à une autre autorité. Après avoir suscité quelques réticences de la part des traditions juridiques anglo-saxonnes et plus particulièrement anglaises, ce principe est aujourd'hui proclamé par la plupart des législations.

Ce principe est à l'image de l'autonomie : jamais achevée. Qu'elle soit locale ou régionale, l'autonomie est autonomie-conquête et implique de la part de ses serviteurs une conscience claire de cette exigence. Elle constitue ainsi une attitude d'esprit qui a pu justifier que l'on qualifie les collectivités locales « d'écoles de la démocratie ». Quelle que soit la précision des lois, elle ne pourra se substituer à la dynamique et à la culture du conflit organisé qui est à la base de la démocratie.

C'est sans doute le principal message, au-delà des textes, que les pays de l'Ouest de l'Europe ont pu apporter aux autres membres de la famille européenne : la décentralisation ne fait jamais relâche, sinon elle meurt.

LES CONDITIONS D'EXERCICE DE L'AUTONOMIE LOCALE

D'où l'importance accordée par la Charte à préciser les conditions dans lesquelles l'action des collectivités locales peuvent être contrôlées : dans le cadre de l'exercice de leurs compétences propres, ce contrôle ne peut être assis que sur la légalité, à l'exclusion de toute appréciation sur l'opportunité.

La Charte confère ainsi d'abord UNE LIBERTÉ DE FAIRE.

Sous ce terme générique, peuvent être regroupés plusieurs principes qui ressortent de ce que l'on pourrait appeler la « liberté de faire » des collectivités locales. De fait, la philosophie du texte, on l'a déjà vu, est davantage orientée (et à juste titre nous semble-t-il) vers la mise en place de garanties procédurales de l'exercice de l'autonomie que vers la définition de son contenu. Il est ainsi possible de distinguer entre la sécurité juridique, qui vise à garantir le libre exercice de leur mandat par les élus, et la liberté juridique, qui s'efforce de regrouper les principales garanties susceptibles de soutenir leur action.

Au premier rang de la sécurité juridique figure le libre exercice du mandat (art. 7-1). Il ne paraît guère menacé en pratique dans les pays les plus anciennement convertis aux vertus de la démocratie locale en dépit parfois de la subsistance de procédures de suspension ou de dissolution. C'est un des points, en revanche, qui a appelé des précisions lors de l'examen des situations créées dans les nouvelles démocraties. L'article 7-2 est consacré à la dimension matérielle du statut de l'élu 2 ( * ) .

A cette sécurité juridique peut être rattachée l'exigence de définir dans la loi un certain nombre de compétences « de base » (4-1), si possible « pleines et entières » (art. 4-4) ainsi que le droit de recours devant une instance juridictionnelle (article 11) afin d'assurer le respect des règles destinées à protéger la sphère d'autonomie des autorités locales.

Ces possibilités de recours se sont beaucoup développées ces dernières années mais elles ne sont véritablement complètes que dans les pays où existe une cour constitutionnelle et où les collectivités sont habilitées à la saisir (Allemagne, Autriche - en dépit de la réserve émise sur ce point pour préserver les compétences des Länder -, Italie, Portugal 3 ( * ) . Un élément essentiel du dispositif est donc non seulement que la Charte soit ratifiée mais intégrée dans l'ordre juridique interne 4 ( * ) . Il est tout aussi important de faire connaître ses dispositions au plus large public possible 5 ( * ) .

La liberté juridique prend appui principalement sur trois dispositions : celles de l'article 8 qui porte sur le contrôle administratif dont on a déjà parlé et sur lequel on reviendra, l'article 6-1 qui confère aux collectivités locales une liberté d'auto organisation et le droit d'association ou d'adhérer à l'organisation de son choix (art. 10).

En ce qui concerne le contrôle administratif, le développement de procédures tendant à limiter les atteintes à la liberté de décision locale a connu un essor considérable 6 ( * ) . Il existe à cet égard toute une gamme, de la subsistance partielle d'un contrôle d'opportunité au contrôle limité à la saisine directe par le citoyen des juridictions ordinaires. Dans la généralité des cas, les représentants du pouvoir central ont perdu tout pouvoir d'annulation et même de suspension. Le contrôle est désormais assez largement judiciarisé, ce qui peut du reste poser problème dans les pays où les traditions démocratiques ne sont pas encore pleinement ancrées.

La capacité « d'auto organisation » est un des domaines où l'affirmation ne suffit pas. Les moyens de la limiter sont multiples (nomenclature, échelle des emplois) et ils peuvent exister de manière directe ou indirecte, en droit ou en fait. La plupart du temps, il s'agit d'influences indirectes qui appellent une connaissance très précise du fonctionnement concret des collectivités locales et régionales dans chaque pays ; au premier rang de ces influences figurent naturellement les contraintes financières et la politique salariale qui échappe souvent aux collectivités elles-mêmes.

Le droit d'adhérer à une association paraît aller de soi. Et, de fait, il n'appelle pas d'observations particulières à l'intérieur des pays, où il sert souvent de support, notamment dans les pays nordiques, à la constitution d'organisations particulièrement puissantes et qui exercent un fort pouvoir d'influence auprès des autorités centrales de décision.

Il en va différemment en ce qui concerne le plan international. Les dispositions de la Charte européenne sont ici heureusement renforcées par celles de la convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales du 21 mai 1980.

La coopération institutionnelle entre collectivités pour la réalisation d'intérêts communs est visée par le deuxième alinéa de l'article 10 et constitue à n'en pas douter, l'expérience française contemporaine le démontre, une alternative adaptée à la fusion.

Tout autant que des principes juridiques, la Charte se préoccupe des moyens concrets de les appliquer : c'est ce que l'on appelle « l'effectivité » Trois moyens y concourent : les compétences, les personnels et les finances. Jean-Claude Frécon devant principalement traiter de l'article 9 relatif aux finances, je m'attarderai davantage sur la question des compétences.

LES MOYENS DE FAIRE :

La question des compétences (Art. 4) :

C'est à la fois la plus importante et la plus délicate. Beaucoup de pays répugnent en effet à définir dans la loi de manière exhaustive les compétences locales.

De fait, beaucoup de lois générales sont avant tout des textes de procédure plus que des textes définissant le contenu de la compétence. Outre leurs traditions juridiques, les pays concernés - principalement du Nord de l'Europe - évoquent le risque de figer inutilement la répartition des pouvoirs et d'introduire des rigidités qui seront vite démenties par la réalité.

A ces arguments, il est possible d'en opposer d'autres, qui ont du reste été retenus et par le Congrès et par le Comité des Ministres 7 ( * ) :

- définir les compétences dans un nombre limité de lois dont ce serait l'objet principal est de nature à introduire une certaine sécurité de gestion ;

- elle est susceptible aussi d'apporter une clarification dans les rapports - qui pourra s'avérer si utile au moment de l'exercice du contrôle - entre l'État - fédéral, central ou régional, peu importe - et les collectivités locales.

- elle oblige l'autorité compétente - en l'occurrence le Parlement - à procéder à un inventaire complet des différents secteurs d'activité et à juger non en terme d'approche sectorielle mais au regard des principes d'organisation de l'État décentralisé.

Cette exigence apparaît d'autant plus nécessaire que les niveaux d'exercice du pouvoir sont plus nombreux. Un bon exemple de cette nouvelle approche peut être fourni par la Pologne qui a en même temps osé redéfinir la carte de ses autorités décentralisées et répartir entre elles les pouvoirs abandonnés par l'État.

Parmi ces principes figure au premier plan naturellement le principe de subsidiarité dont il faut souligner que la Charte a fourni le premier exemple de définition dans un texte international : « L'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches du citoyen. L'attribution d'une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l'ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d'efficacité et d'économie » (art. 4-3).

Les pays sont ainsi invités à construire leurs structures en privilégiant le niveau le plus proche du citoyen et à s'interroger sur l'opportunité de faire remonter vers le centre l'exercice d'une compétence donnée. La double signification du mot (il désigne certes ce qui est « subsidiaire « c'est-à-dire qui vient après, mais il signifie aussi « aide » « secours » « subside ») doit conduire également l'autorité chargée de la répartition à préférer l'exercice de la compétence par la collectivité de niveau inférieur, quitte à ce que celle-ci reçoive une aide pour cela, plutôt que de la confier à l'autorité de niveau supérieur. Il est nécessaire dans chaque cas de s'interroger sur l'opportunité de la solution à retenir.

La Charte donne ensuite une indication quantitative : les collectivités locales doivent se voir confier « une part importante des affaires publiques. »

Elle ne contient pas de règle précise pour autant et l'on ne peut se faire une idée à cet égard qu'à travers l'examen de la réalité. Cette quantité de compétences est en raison directe avec la part des budgets locaux dans l'ensemble des budgets publics. Les chiffres les plus récents donnent à penser que cette part peut s'étager autour d'une moyenne d'environ 22 % de près de 40 % (Suède) à des chiffres particulièrement bas (Chypre 4 %). La France occupe désormais pour sa part une place particulièrement honorable, à peu près au niveau des communes allemandes (de l'ordre de 27 %).

Cet étagement traduit non seulement un niveau différent de développement mais aussi les caractéristiques géographiques ou historiques propres à chaque pays.

Il exprime également un choix quant au « profil » de la collectivité locale : compétences axées principalement sur la gestion du territoire et des principaux réseaux, ou compétences faisant très largement participer le niveau local à la distribution des prestations de l'État-providence (éducation mais aussi santé et, pourquoi pas, sécurité sociale). Les principaux écarts dépendent très directement du sort réservé aux personnels de l'Éducation ou du système de santé.

Deux situations doivent être particulièrement notées :

Les anciens pays de démocratie populaire ne sont pas, contrairement à ce que l'on pourrait penser, les plus mal placés dans ce classement. Il faut y voir, pour les moins décentralisés d'entre eux, l'héritage d'un système qui faisait des « autorités » locales le « terminal » de l'ensemble des services publics. Décentraliser a paru, au moment des indépendances, un moyen commode de laisser à la charge des autorités locales un maximum de compétences (sans bien sûr les moyens de les exercer). La moindre des surprises dès lors n'est pas de constater qu'en dix années l'amélioration qualitative de la décentralisation s'est traduite, la privatisation des services jouant également son rôle, dans une diminution apparente de la part du secteur local dans l'État (Hongrie par exemple).

A l'autre bout de la chaîne, dans certains des pays les plus anciennement « décentralisés » (Norvège ou Suède par exemple), se font entendre des protestations des autorités locales qui estiment que le très grand nombre des tâches qui leurs sont confiées, la réglementation dont elles sont victimes (plus les compétences sont nombreuses plus la part des prestations susceptibles de faire l'objet d'une réglementation nationale augmente), le poids financier de leur exercice aboutissent à en faire de simples agents d'exécution de politiques nationales.

Ces deux exemples montrent la nécessité d'avoir également une approche qualitative de la répartition des compétences. C'est ce à quoi incite la Charte à travers notamment la notion de compétences pleines et entières et la distinction entre compétence propre et compétence déléguées.

La notion de « compétences pleines et entières » doit être comprise non comme la nécessité pour chaque niveau de posséder la totalité d'une compétence, ce qui, sauf exception, paraît quasiment impossible, le territoire étant commun à plusieurs niveaux de collectivités, mais comme le souci de dégager un bloc cohérent d'exercice, suffisamment vaste pour permettre d'infléchir le mode d'application et préserver ce qui paraît la conséquence logique de la différenciation des pouvoirs : la diversité dans la distribution des services publics au regard des choix faits localement en commun.

Il va de soi que cette notion de compétence pleine et entière ne peut être dissociée d'une marge de manoeuvre réelle en matière financière.

Ce nécessaire partage à l'intérieur d'un domaine même de compétence est une incitation supplémentaire à définir de manière aussi précise que possible la sphère de décision de chaque niveau. L'autonomie locale n'est pas ainsi une sphère isolée mais bien un élément essentiel d'un système bâti sur la notion de coopération entre niveaux d'administration.

La distinction compétences propres compétences déléguées est inspirée du mode d'organisation des états fédéraux mais, on l'a vu notamment à l'occasion de la transition, s'est avéré utile dans nombre d'États unitaires.

Cette distinction est une construction théorique rendue nécessaire par le mode d'organisation des États fédéraux ou régionaux qui conduit l'État central (en l'occurrence fédéral mais la même attitude peut se retrouver dans les états fédérés) à ne pas développer sa propre organisation territoriale mais à confier l'exercice de ses propres compétences aux administrations décentralisées.

La situation de celle-ci devient dès lors ambiguë puisqu'elles agissent alors « pour le compte « du délégant et sont soumises en fait à son pouvoir hiérarchique donc susceptibles d'être l'objet d'un contrôle d'opportunité. Cette distinction s'avère dans la pratique beaucoup moins claire que dans la théorie dans la mesure où les compétences déléguées sont souvent aussi nombreuses que les compétences propres et que les rapports avec les autorités de contrôle dans la sphère même des compétences propres ne peuvent manquer de s'en trouver influencés.

Beaucoup d'états unitaires ont recouru également massivement à ce système, ce qui a conduit le Congrès à attirer l'attention sur les dangers d'un développement excessif des compétences déléguées par rapport aux compétences propres.

Les personnels et les finances :

On comprend, au regard de ce développement des compétences des collectivités locales, tout l'intérêt pour des élus locaux de pouvoir disposer de personnels compétents et qui ne dépendent d'aucune autre autorité que la leur (Art. 6-2). Même dans les pays très avancés de l'Europe de l'Ouest, il s'agit là d'un défi important car il est nécessaire de concilier la liberté locale avec les intérêts des personnels. La charte ne propose pas à cet égard un modèle unique et admet que ce défi puisse être relevé de façon très différente suivant les États qui ont déclaré adhérer aux dispositions de l'article 6-2 8 ( * ) .

Je terminerai ce tour d'horizon en insistant sur la question des finances, question sans doute cruciale mais en même temps la plus fragile. Cette fragilité est réapparue récemment mais de manière inquiétante dans notre contexte national. Enfin, en manière de transition avec l'exposé de Jean-Claude Frécon, il convient de souligner l'importance de ce que la Charte appelle la « suffisance » ou le caractère « proportionné » entre les compétences et les finances.

Il me revient cependant au préalable et en conclusion de traiter un point important qui justifie notre présence ici, à savoir les modalités de contrôle de la Charte.

LA MISE EN PLACE PROGRESSIVE D'UN SYSTÈME ORIGINAL ET EFFICACE DE CONTRÔLE

La Charte occupe une place particulière au sein du Conseil de l'Europe. Par son contenu d'abord, par son système de contrôle ensuite.

Par son contenu, elle constitue une spécificité forte du Conseil par rapport à l'Union européenne dont la compétence ne s'étend pas à l'organisation interne des États.

Comme la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle est susceptible cependant de porter atteinte à la souveraineté des États alors même qu'elle s'insère dans le fonctionnement d'une simple organisation intergouvernementale.

On aurait pu d'ailleurs imaginer, en ce qui la concerne, que les États renoncent à vérifier son application. Son texte pourrait donner à penser que telle était bien l'intention puisqu'il n'existe pour tout système institutionnel de contrôle qu'une simple obligation d'information du secrétaire général du Conseil sur les mesures prises pour se conformer aux termes de la Charte (Art. 14).

A l'inverse, s'agissant d'un domaine qui implique nécessairement une différence de point de vue entre les autorités centrales, naturellement peu enclines à abandonner leur pouvoir, et les autorités locales élues, qui doivent toujours défendre le leur, un contrôle par le seul Comité des Ministres aurait paru quelque peu inadapté et aurait manqué de crédibilité.

Il ne pouvait s'agir d'autre part d'un simple contrôle juridique comme il en existe un par exemple pour la Charte Sociale à partir d'un comité d'experts nommés par les Gouvernements.

La solution est venue de la pratique et d'une pratique diplomatique subtile comme il en existe au Conseil. Elle s'est appuyée sur l'existence du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux qui, bien que désigné par les Gouvernements 9 ( * ) , a pour fonction de représenter les pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe. Il constitue à cet égard une anticipation, mais au niveau de l'Europe toute entière, du comité des Régions de l'Union européenne avec lequel il collabore désormais.

Les autorités du Congrès ont pris l'initiative, avec la neutralité bienveillante du Comité des Ministres, de procéder à des enquêtes et de formuler un certain nombre de jugements, parfois courageux du reste, à l'encontre de tel ou tel pays-membre. Avec l'accord du Comité 10 ( * ) , elles ont mis en place successivement des structures et des méthodes qui sont aujourd'hui consacrées par la Charte même du Congrès.

Celui-ci est désormais officiellement chargé de veiller « à la mise en oeuvre effective des principes de la Charte européenne de l'autonomie locale » 11 ( * ) et est invité « à intensifier ses efforts en vue de (leur) respect effectif ».

Naguère assuré par un simple groupe de travail d'une de ses commissions, le contrôle de l'application (« monitoring » en anglais) est de la compétence de la commission institutionnelle de la Chambre des pouvoirs locaux. Celui-ci est effectué par des rapporteurs désignés en son sein assistés par un groupe d'experts indépendants dont le statut vient d'être récemment renforcé 12 ( * ) et la composition modifiée et approuvée.

Ce contrôle prend la forme de plusieurs types de rapports : généraux à partir d'un questionnaire qui s'efforce de cerner les conditions d'application de telle ou telle disposition de la Charte : le cinquième, qui portera sur l'organisation institutionnelle du pouvoir au plan local est en cours de préparation. Jean-Claude Frécon vous parlera sans doute tout à l'heure du troisième qui portait notamment sur les finances. L'initiative de ces rapports est prise par la commission seule.

Il en est de même pour les rapports pays par pays sur l'état de la démocratie locale dont la liste est distribuée. C'est le rapport sur la France qui nous réunit.

D'autres rapports sont la conséquence soit du travail effectué pour les rapports généraux, lorsqu'il a permis de déceler des anomalies qui appellent des compléments d'information, soit de plaintes transmises par les associations nationales de collectivités (contrôle « à la demande »).

L'élaboration de ces rapports est marquée par un dialogue constant entre les élus et les experts, entre le Congrès et les associations nationales mais aussi les Gouvernements.

Leur adoption et leurs conclusions sont l'occasion d'autres échanges, principalement avec le Comité des Ministres pour les rapports généraux, avec les autorités du pays concerné pour les rapports nationaux ou particuliers.

L'idéal est que les conclusions du rapport puissent faire l'objet d'une rencontre telle que celle d'aujourd'hui. Le Congrès ne cherche pas en effet à montrer du doigt mais à faire en sorte que les principes de la démocratie locale soient pris en compte et appliqués. De nombreux rapports débouchent en fait sur des modifications législatives (l'un des exemples les plus significatifs est celui de la Roumanie).

La procédure est formalisée sous la forme de recommandations et de résolutions. Les résolutions sont des documents internes au Congrès tandis que les recommandations s'adressent au Comité des Ministres et sont à l'origine des recommandations officielles de celui-ci à l'égard des Gouvernements des États-membres. Cette véritable « navette » entre le Congrès et le Comité des Ministres a été perfectionnée de manière à ce que le Comité puisse être saisi le plus en amont possible. L'une des conséquences les plus évidentes de la confiance qui s'est ainsi peu à peu instaurée est que le Comité des Ministres a décidé de surseoir, au moins provisoirement, à ses propres activités de monitoring.

A ces contrôles initiaux ont tendance à se substituer de plus en plus souvent des conférences dans les pays-membres destinées à éclairer tel ou tel point particulier, l'idéal étant de transférer progressivement la charge du contrôle aux autorités locales du pays concerné.

Le Congrès a donc la préoccupation de diffuser au maximum les dispositions de la Charte et de créer ainsi un certain nombre d'automatismes qui marqueraient l'ouverture d'une nouvelle phase : celle d'une comparaison des « meilleures pratiques » entre les différentes situations nationales.

Face à cette construction progressive, une conclusion provisoire s'impose. Elle est double :

Le Congrès en dépit de moyens extrêmement limités a réussi à s'imposer dans le mécanisme décisionnel du Conseil de l'Europe tout en respectant la logique institutionnelle d'une organisation intergouvernementale.

Il est en passe de faire admettre de façon définitive l'existence d'un mécanisme de contrôle sui generis et d'élaborer un corps de doctrine permettant les comparaisons entre systèmes qui pourrait s'avérer particulièrement utile dans d'autres enceintes. Il est d'ores et déjà fait appel à son expérience dans les contacts que les procédures d'élargissement de l'Union européenne entraînent et entraîneront de plus en plus entre collectivités locales des pays membres et des pays candidats.

Le Congrès a fait la démonstration aussi que le progrès de la démocratie locale ne passait pas nécessairement par une uniformisation aveugle et que son intervention attentive dans le contrôle de l'application de la Charte pouvait être parfaitement compatible avec le respect des choix institutionnels internes de États.

C'est sans doute une leçon pour l'Union européenne de demain...

M. Louis LE PENSEC

Je remercie Monsieur Delcamp qui, avec talent, a posé les données du problème. Nous ne saurions nous contenter d'une reconnaissance d'un droit formel, encore faut-il avoir les moyens de l'exercer, et c'est ce qui va être le thème de l'intervention de Monsieur Jean-Claude Frécon, qui est par ailleurs vice-président de l'Association des maires de France, et vice-président de la Commission institutionnelle du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe.

Je voudrais saluer l'arrivée à cette tribune de Monsieur Jozef Migas, Président du Conseil national de la République slovaque. Monsieur Delcamp évoquait tout à l'heure le rôle de certains pionniers dans la genèse du thème de l'autonomie locale. Il me plaît de souligner la présence dans cette salle d'un pionnier, Lucien Sergent, qui était présent le 18 octobre 1953 aux États généraux de Versailles, et je ne saurais le citer sans évoquer Lucien Harmégnies et Jacques Chaban-Delmas.

M. Jean-Claude FRECON, Vice-président de l'Association des maires de France, Vice-président de la Commission institutionnelle du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe

Vous m'avez demandé de faire en une vingtaine de minutes le résumé de cinq années de travail au sein du groupe de travail du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux sur les finances et compétences des collectivités locales dans les pays du Conseil de l'Europe.

Lorsque nous avons commencé ce rapport, en 1996, nous nous sommes bien sûr appuyés sur les travaux du groupe d'experts indépendants présidé par Alain Delcamp, que vous venez d'entendre, et qui avec ses collègues nous ont apporté une immense diversité. Le Conseil de l'Europe a d'abord pris comme principe qu'il n'était pas là pour homogénéiser, mais au contraire pour respecter les différences, historiques et pratiques. Il devait, dans le respect de ces différences, essayer de trouver quels seraient les points communs pour édifier une indispensable cohérence et une comparaison entre les systèmes, non pas pour les opposer les uns aux autres, mais pour que chacun en tire ce qu'il pouvait trouver de meilleur dans les exemples des pays voisins, et essaye d'améliorer sa propre législation. Nous avons essayé, pendant quatre ans, avec l'aide de ces experts, de partir sur un certain nombre de principes, qui sont devenus les principes du Conseil de l'Europe, adoptés par le Comité des Ministres. Nous avons, avec Alain Chénard, qui était président du Congrès, et Monsieur Cuatrecasas, le président actuel, essayé de faire avancer cette idée en France. Nous étions à l'époque 37 pays au Conseil de l'Europe, et nous sommes aujourd'hui 43. Nous avons donc accompli cette avancée nécessaire pour aider les nouvelles démocraties, tout en sachant bien que rien n'est à sens unique, et que les anciennes démocraties d'Europe occidentale pouvaient également profiter des apports de ces nouvelles démocraties.

Nous avons mis en avant cinq de ces principes sur les finances et les compétences des collectivités territoriales : la subsidiarité, la suffisance, la connexité, la transparence, et la solidarité. Je voudrais sur ces cinq principes vous donner quelques éléments de réflexion pour notre journée d'aujourd'hui.

Premier principe, celui de subsidiarité. Je serai rapide sur ce premier point puisque Alain Delcamp en a précisé les contours, dans le cadre de son intervention précédente. Je rappellerai simplement que ce principe de l'Union européenne a depuis une dizaine d'années été retenu par le traité de Maastricht comme l'un des principes essentiels de la construction européenne. Le Conseil de l'Europe depuis 1977, au Comité des Ministres, puis dans le texte de la Charte européenne de l'autonomie locale de 1985, a affirmé ce principe.

La subsidiarité, c'est confier à la collectivité locale la plus proche du citoyen les moyens et la compétence de réaliser ce qu'elle est en droit d'être et ce qu'elle veut être. Si elle ne peut pas réaliser certaines de ses compétences, on les transmet à une autorité dite de type supérieur, disposant d'une capacité supérieure, qui elle pourra remplir ces compétences. Mais tout ce qui peut être rempli au niveau local le plus proche du citoyen doit être laissé par la loi à la compétence des collectivités territoriales. Ce principe de subsidiarité est contenu dans l'article 4, alinéa 3, de la Charte européenne de l'autonomie locale.

Le deuxième principe est celui de la suffisance, sur lequel je m'étendrai un peu plus, car il concerne naturellement l'essentiel des rapports que j'ai présentés au Congrès des pouvoirs locaux, le premier en 1998 sur les finances, et le deuxième en 2000 sur l'adéquation entre ces finances et les compétences. Ces deux rapports ont marqué pour nous l'aboutissement d'une étude, comme je vous le disais, importante. Avec le concours de plus d'une trentaine d'experts indépendants d'une trentaine de pays de Conseil de l'Europe.

La première chose indispensable est de voir si l'on peut, de la comparaison de ces expériences, sortir un certain nombre de principes communs.

Tout d'abord, la définition des ressources. Nous avons souhaité que pour les comparaisons indispensables entre les pays d'Europe, la notion de ressource propre ou de ressource transférée soient des notions très clairement établies, pour que l'on sache à quoi correspond le terme d'autonomie locale. Car la ressource propre, c'est la ressource de l'autonomie. C'est celle qui consiste pour une collectivité territoriale à avoir des ressources dont elle est entièrement maîtresse. Elle est maîtresse du produit qui va être nécessaire pour remplir certaines compétences. A la différence de la ressource transférée, qui est une ressource transférée la plupart du temps par l'État, ou par une autre collectivité d'Europe ou d'ailleurs, mais qui est une ressource dont la collectivité n'a pas la maîtrise du montant du produit affecté chaque année à son sujet. Cela ne veut pas dire que ces ressources transférées ne sont pas indispensables pour les collectivités locales, mais elles ne sont pas de la catégorie des ressources propres, qui seule permet une véritable autonomie.

Alors, nous avons eu quelques discussions et parfois quelque peine à faire admettre à un Gouvernement, à certains experts nationaux, que cette notion de ressource transférée, indispensable, n'était pas le meilleur critère d'autonomie locale, et que le meilleur critère était celui des ressources propres.

Les ressources propres sont bien sûr les impôts, dont le taux est voté par la collectivité, et non pas les impôts qui vont être transférés par l'État. Les ressources propres sont vraiment les ressources décidées au moins par le taux, quelquefois même par l'assiette et par le taux, par la collectivité territoriale. Les autres ressources propres sont des ressources de redevance de service, service défini par la collectivité et dont le tarif est fixé par cette collectivité.

Voilà quelles sont les deux grandes catégories de ressources propres, dans lesquelles on peut rajouter, pour les pays qui permettent cette ressource, le recours à l'emprunt.

Le recours à l'emprunt est une ressource propre, même si elle entraîne ensuite un certain nombre de dépenses et de relèvements d'impôts. Quant aux ressources transférées, elles consistent en la multitude de ressources des collectivités locales dont le conseil municipal de base n'a pas la maîtrise, mais qui lui sert naturellement beaucoup à équilibrer son budget. Dans certains pays, il y a très peu de ressources propres, et beaucoup de ressources transférées. Ce sont des impôts partagés par exemple, mais dont le taux n'est pas fixé par la collectivité mais par une loi nationale ou régionale, qui attribue à telle ou telle commune un pourcentage précis d'un impôt transféré. Cet impôt transféré peut être sur la TVA, sur l'impôt sur le revenu, c'est une part importante de nos budgets, mais la collectivité en tant que telle n'en a pas la maîtrise. On lui donne en début d'année une certaine somme, avec laquelle elle doit se débrouiller, et la commune, si elle a quelques difficultés, n'a pas la possibilité de faire varier le taux. Cela constitue une différence très importante entre la ressource propre et la ressource transférée.

Tels sont les propos que je souhaitais tenir sur ce point. Nous avons, avec certains collègues allemands, eu un très large débat sur les ressources financières des communes allemandes, qui ont fait appel au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux en 1997. Des élus allemands nous avaient à l'époque dit qu'un certain nombre de communes étaient en état de cessation de paiement. Les communes allemandes ne sont absolument pas brimées. La démocratie allemande est vivante et constitue un modèle pour de nombreux pays. Mais au niveau de la ressource, le Gouvernement allemand avait transféré à ces communes des compétences supplémentaires, en particulier suite à la réunification et aux problèmes survenus en Europe du Sud. Avec un afflux de réfugiés important, des compétences nouvelles avaient été données aux communes, mais avec des ressources financières pour la plupart encadrées, transférées par l'État et les Länder. Les communes n'avaient à ce moment-là plus la possibilité d'obtenir des ressources supplémentaires. Un certain nombre de communes allemandes, dont beaucoup de grandes villes, étaient obligées pour équilibrer leur budget 1996/97 de vendre une partie de leur patrimoine. Elles nous ont appelé au secours à ce moment-là. Elles n'étaient pas en situation difficile sur le plan juridique, mais elles ne pouvaient pas boucler leur budget. Elles ne disposaient pas de ressources propres suffisantes, elles recevaient l'essentiel en dotations. Cette notion de ressource propre indispensable à l'exercice de l'autonomie locale est un point essentiel que nous avons voulu mentionner dans nos études.

Le troisième principe est celui de connexité. Il rejoint un peu ce que je viens de dire sur l'Allemagne. C'est un principe mis en avant dans les constitutions et dans la législation d'un certain nombre de pays d'Europe. Ce principe peut s'appeler différemment selon les pays, mais affirme que lorsque l'État, ou une collectivité d'ordre supérieur, transfère une compétence à une collectivité de rang inférieur, il faut qu'en même temps soient transférées les ressources indispensables pour l'exercice de cette compétence. Selon cette règle de la connexité, est pris en compte le montant des dépenses affectées l'année précédant le transfert de la compétence, le montant des ressources affectées par l'État à cette compétence, et ce montant doit être intégralement reversé aux collectivités locales l'année suivante. Ensuite, cette dotation financière doit évoluer, comme l'évolution des finances de l'État et des collectivités territoriales. Ce principe de connexité est un principe indispensable si l'on ne veut pas asphyxier l'apparente autonomie que certains États pourraient donner à un certain moment aux collectivités territoriales, en leur donnant beaucoup de compétences, mais sans leur donner la capacité financière correspondante.

Le quatrième principe est celui de transparence, qui est essentielle pour nous. Nous devons travailler en transparence entre les 43 pays du Conseil de l'Europe. Nous ne sommes pas là pour porter un jugement péremptoire sur la façon dont tel ou tel pays arrive peu à peu à mettre en accord sa législation avec les principes, mais nous devons demander à ces pays de le faire dans la transparence. Certains pays de la vieille Europe peuvent aider les pays de nouvelle démocratie. La réciproque est également vraie. Dans les multiples missions que, membres du Congrès, nous faisons dans les pays du Conseil de l'Europe, nous avons toujours le souci de voir comment les principes peuvent s'adapter dans ces pays. Ce principe de transparence est inscrit dans notre Charte de l'autonomie locale, dans l'article 9, alinéa 10, et dans l'article 4, alinéa 6.

Nous pensons également que les ressources affectées aux différentes compétences doivent être diversifiées. Il ne s'agit pas de n'avoir qu'une sorte d'impôt ; il faut essayer de diversifier les types d'impôts. Nous devons le plus souvent chercher à ce que les dépenses soient évolutives. L'impôt foncier seul, nous le constatons dans tous les pays d'Europe, est un impôt qui globalement augmente moins vite que la richesse générale du pays. Cela veut dire que nous demandons, dans les impôts ou dans les dotations que l'État paie aux collectivités, qu'il y ait impérativement une indexation sur l'activité économique, activité qui a permis à l'Europe de se développer, et qui doit permettre à chaque pays, et à chaque collectivité locale, de profiter des fruits de la croissance.

Enfin, le dernier principe est celui de solidarité. Nous souhaitons que les pays le mettent en application en particulier avec ce que nous appelons, et que beaucoup de pays appellent, la péréquation. Cette péréquation financière est indispensable. Nous avons tous, à l'intérieur d'un même pays, à l'intérieur d'une même région, à l'intérieur d'un même département, besoin de mettre en place des systèmes de solidarité. Les différentes communes n'ont pas la même situation géographique, économique, ne sont pas desservies de la même façon par les grands axes de communication, les voies ferrées ou les autoroutes. Nous avons besoin que l'État ou les autres collectivités locales apportent un peu plus à celles qui sont défavorisées. Ce principe de la péréquation s'applique naturellement et plus facilement par l'intermédiaire des dotations de l'État, c'est-à-dire des transferts. Je vous rappelle que dans le cadre des transferts il est normal que la loi, voire la Constitution pour certains pays, mette en place ce principe de péréquation.

Je reprendrai l'exemple de l'Allemagne. Après la réunification il y a dix ans, l'Allemagne a continué d'appliquer les principes de péréquation en RFA. La différence entre les Länder ne pouvait excéder plus ou moins 10 % par rapport à la moyenne. Lorsque les cinq Länder de l'ancienne Allemagne de l'Est sont rentrés dans la République fédérale d'Allemagne, on a appliqué ce même principe. On a alors assisté à un dévoiement de la notion de péréquation, car les Lander les plus riches de l'Allemagne de l'Ouest se disaient qu'il était inutile de demander un effort fiscal à leur population, car cet effort, par le principe des vases communicants, bénéficierait à d'autres Lander : « Donc on impose nos citoyens, et ils n'en profitent pas du tout ». La réaction était la même sur les Lander qui recevaient cet argent. Ils considéraient que ce n'était pas la peine de demander plus d'impôts à leurs concitoyens : « Nous préférons leur en demander moins ; si nous disposons de moins de ressources, nous recevrons davantage ».

Le principe de péréquation est positif, mais il doit être fondé sur des critères qui risqueraient à l'extrême de noyer l'idée même de péréquation. Je rappelle toutefois que le principe de péréquation est un principe essentiel dans la solidarité. Cette solidarité existe pour l'instant à l'intérieur de chaque pays, et devrait s'exprimer entre les pays de notre Grande Europe.

* 1 Leur liste figure en annexe

* 2 C'est une des dispositions qui fait l'objet du plus de réserves.

* 3 Les juridictions administratives offrent également des possibilités plus aisées mais elles n'existent pas partout (Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Liechtenstein, Luxembourg, Portugal. Ailleurs, principalement en Scandinavie, les tribunaux civils peuvent interpréter les actes et statuer par voie d'exception sur la conformité des actes ou des décisions concernant les collectivités locales dont ils peuvent écarter l'application. S'agissant des références à la Charte dans les décisions des juridictions on a longtemps manqué d'exemples significatif mais il semble que la situation soit en train de changer (la Cour constitutionnelle russe vient par exemple d'annuler une loi de l'un des sujets de la Fédération ( oblast de Koursk) qui portait atteinte à l'autonomie locale.

* 4 Cet aspect a d'ailleurs fait l'objet du premier et du quatrième rapport général au Congrès dans le cadre de la procédure de contrôle de l'application de la Charte à compter de 1992.

* 5 On pourra se reporter à son texte qui figure en annexe.

* 6 On pourra se reporter sur ce point au deuxième rapport général de contrôle du Congrès.

* 7 Notamment dans sa recommandation n°R (95)19 aux États membres sur la mise en oeuvre du principe de subsidiarité.

* 8 On peut ainsi observer un spectre allant des pays à statut (Grèce, Luxembourg, Portugal) aux pays qui privilégient la liberté contractuelle (Scandinavie). Au sein de chaque groupe principal existent de fortes nuances. Ainsi, au sein des pays Scandinaves, observe-t-on des degrés croissants de liberté contractuelle, de la Norvège à la Finlande et au Danemark jusqu' 'à la Suède en passant par l'Islande. Entre les deux pôles principaux, subsistent des systèmes mixtes (Allemagne). Tous les personnels-locaux présentent cependant des caractères proches qui les distinguent des personnels nationaux (plus grand nombre d'emplois d'exécution, plus grand nombre d'emplois à temps partiel). Quel que soit le modèle retenu, il existe aussi un point commun : le domaine du personnel est sans doute celui où la liberté des autorités locales est la moins grande, qu'elle soit limitée par la loi ou par les conventions collectives. La part des dépenses qui y est consacrée -et qui est toujours importante pour les budgets- fait l'objet de contrôles spécifiques dans certains pays (Espagne et surtout Portugal). Les Pays-Bas ont fait une réserve d'interprétation afin de s'assurer que l'article 6-2 ne saurait servir de base à revendications financières de la part des collectivités locales. Enfin, dans certains pays (Espagne, Italie, Pays-Bas), existent parmi les personnels locaux, et souvent à des postes importants, des personnels d'État. Il semble toutefois qu'il n 'y ait qu'en Italie que cette réalité, certainement choquante en elle-même, se traduise par une sorte de contrôle interne (secrétaire de mairie) susceptible de dépasser la simple légalité.

* 9 Le plus souvent naturellement sur la proposition des organisations représentatives des pouvoirs locaux.

* 10 Mais a souhaité toutefois réserver à cet égard sa compétence.

* 11 Résolution statutaire n° 1 du Comité des Ministres adoptée le 15 mars 2000.

* 12 CG/INST(7)33 rév.2 approuvé par la commission institutionnelle le 27 avril 2001.

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