La décentralisation française vue d'Europe - La France et la charte européenne de l'autonomie locale



Palais du Luxembourg, 26 juin 2001

CONCLUSIONS ET DISCOURS DE CLÔTURE

M. Christian PONCELET, Président du Sénat

C'est avec plaisir que je viens conclure les travaux du colloque « La décentralisation française vue d'Europe » , organisé par le Sénat et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe.

Orchestré autour de deux thèmes « La charte européenne de l'autonomie locale » et le « Processus de la décentralisation en France » , ce colloque a tout d'abord permis à des responsables venus de Pologne, de Hongrie, de Roumanie, du Royaume-Uni, d'Allemagne, d'Espagne, du Portugal et de Belgique de nous faire part de leurs expériences et de leurs regards croisés sur la Charte européenne de l'autonomie locale. Ce colloque a ensuite été l'occasion de réfléchir au modèle français de décentralisation et à son avenir, ainsi qu'au positionnement de notre pays par rapport à cette charte, que la France a signée mais pas ratifiée.

En conclusion de vos travaux, je souhaite donc, d'une part, insister sur l'adéquation qui existe entre le modèle français de décentralisation, facteur de démocratie, et les grands principes posés par la Charte européenne de l'autonomie locale, avant d'aborder, d'autre part, le nécessaire approfondissement de la décentralisation en France et son corollaire : la ratification de la Charte européenne de l'autonomie locale.

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A l'évidence, la décentralisation « à la française » apparaît, dans ses principes fondamentaux, très largement conforme aux exigences de la Charte européenne, même si, la pureté originelle de notre « modèle » a subi certaines altérations, notamment en ce qui concerne l'autonomie fiscale des collectivités locales.

Historiquement, force est de constater que la décentralisation en France revient de loin.

La décentralisation, sous sa forme moderne, a en effet été voulue et dessinée, en 1968 et 1969, du discours de Lyon à celui de Quimper, par le visionnaire que fut le Général de Gaulle ; elle a été ensuite été préfigurée à la fin des années soixante-dix par les Gouvernements de M. Barre ; mais c'est sans conteste à Pierre Mauroy et à Gaston Defferre que revient le mérite de l'avoir réalisée.

De de Gaulle à Defferre, la décentralisation a donc été le fruit d'un patient labeur qui a débouché, en 1982, sur une rupture radicale avec « l'effort multiséculaire de centralisation ».

La suppression des tutelles a priori, le transfert de l'exécutif des mains du préfet à celles du président du conseil général ou du conseil régional, la consécration de la région comme collectivité territoriale de plein exercice et l'octroi aux collectivités locales de nouvelles compétences ont été les fondements de cette réforme désormais irréversible.

Aujourd'hui, la décentralisation fait véritablement partie intégrante de notre patrimoine républicain.

Ce consensus, qui transcende les clivages politiques, trouve sa source dans le caractère bénéfique de la décentralisation. En effet, cette réforme a libéré les initiatives et les énergies locales, constitué un facteur d'efficience de l'action publique et donné corps et âme à la démocratie de proximité à un moment où les incertitudes de la mondialisation amplifient le besoin d'enracinement. A l'évidence, la décentralisation française répond aux principaux critères énoncés par la Charte européenne.

Aujourd'hui cependant, la décentralisation, en dépit de ses aspects bénéfiques, semble inachevée, « au milieu du gué » , et même fragilisée comme en témoigne notamment la disparition de pans entiers de la fiscalité locale et leur remplacement par des dotations à la « merci de Bercy » .

Ce phénomène, qui a vu au cours des quatre dernières années 80 milliards de recettes fiscales transformées en dotation, a été, à juste titre, critiqué par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe, dont la recommandation de mai 2000 sur la démocratie locale et régionale en France relève, je cite, « sa préoccupation » en ce qui concerne « une évolution paradoxale où la fiscalité propre des collectivités régresse en même temps que la décentralisation semble progresser ».

Le Conseil de l'Europe exprime ensuite la crainte que ces suppressions « entraînent une étatisation de la fiscalité propre des collectivités territoriales [...] qui constitue, pour celles-ci, une perte d'autonomie ».

A cet égard, je ne peux que souscrire entièrement, au-delà de ce constat, au rappel que « la fiscalité propre constitue le principal moyen pour les collectivités territoriales de se procurer des ressources », qu'elle est « ainsi un fondement essentiel d'une autonomie véritable ».

Il en va de même lorsque le Conseil de l'Europe affirme « que le temps est venu de sortir d'une logique d'ajustement annuel par le biais de lois de finances ne donnant pas une vision d'ensemble et qui font peu de cas de l'autonomie financière des collectivités territoriales » et « qu'une refonte de la fiscalité locale s'impose à travers la consolidation de l'autonomie fiscale ».

Si j'ai pris la peine de citer de larges extraits de cette recommandation, c'est parce que j'ai placé ma présidence sous le signe non seulement d'une consolidation de la décentralisation, mais, plus encore, d'une relance de cette grande réforme pour aller vers ce que j'ai appelé la « République territoriale » .

Dans ce combat pour l'autonomie locale, le Sénat possède déjà un bilan remarquable auquel les États généraux des élus locaux que j'ai eu l'honneur d'organiser dans sept régions françaises ont très largement contribué.

Loin d'être des « grands messes » sans lendemain, les États généraux sont des ateliers de réflexion républicains qui ont vocation à déboucher sur des propositions de réforme pour faire vivre et prospérer la décentralisation.

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Fondamentalement, j'entends poursuivre mon action pour que le concept restreint de libre administration des collectivités locales par des conseils élus énoncé à l'article 72 de notre Constitution évolue vers celui d'autonomie locale retenu et développé par la Charte européenne.

Vous ne serez donc pas surpris que ma volonté de promouvoir et de construire une République territoriale s'accompagne d'un engagement à conduire notre pays sur la voie d'une ratification de la Charte européenne de l'autonomie locale dans les meilleurs délais.

C'est dans cette perspective que j'ai formulé un certain nombre de propositions qui sont appelées à déboucher, d'une part, sur une révision constitutionnelle, et, d'autre part, sur une véritable « loi-cadre »de dévolution de compétences aux collectivités locales.

Très brièvement, cette réforme constitutionnelle devrait permettre :

- la reconnaissance aux collectivités locales d'une faculté d'exercer un pouvoir réglementaire leur permettant d'adapter, dans le cadre de leurs compétences, les règlements nationaux aux réalités locales,

- la consécration du principe de l'autonomie fiscale, afin de garantir aux collectivités la maîtrise de ressources fiscales propres dont elles fixent le taux.

A cet égard, le Sénat a choisi de donner un coup d'arrêt au processus de démantèlement progressif de la fiscalité locale en adoptant une proposition de loi constitutionnelle dont j'ai pris l'initiative. Ce texte, en instance d'examen par l'Assemblée nationale, tend à conférer une valeur constitutionnelle au principe de prépondérance des recettes fiscales au sein des ressources de fonctionnement de chacune des trois catégories de collectivités locales.

La « loi-cadre », qui serait organique car prescrite par la révision constitutionnelle, aurait, quant à elle, pour vocation d'instituer « une décentralisation à la carte, mais pour tous ». Je m'explique, il s'agit au-delà d'un droit à l'expérimentation ou d'une simple régionalisation d'ouvrir, sur la base du volontariat, à toutes les collectivités de France, une possibilité d'accéder, d'exercer, puis de se voir transférer un ensemble de nouvelles compétences.

Au-delà des domaines du développement économique, de la formation professionnelle, de l'environnement et des transports sur lesquels existe un certain consensus, je préconise aussi de permettre à celles des collectivités locales qui en feraient le choix d'intervenir plus fortement dans les domaines de la sécurité et de l'enseignement.

Enfin, l'ensemble de ces transferts de compétences doit être soumis au contrôle d'une autorité administrative indépendante, un véritable Conseil des Finances locales, possédant des pouvoirs d'analyse, d'injonction et de sanction, chargé de veiller en particulier à l'intégralité de la compensation des transferts de compétences et, plus largement, de veiller au respect d'un « code de bonne conduite » entre l'État et les collectivités locales dans le domaine financier.

Vous comprendrez aisément que le Sénat, défenseur et promoteur de l'autonomie locale à l'intérieur de nos frontières, soit aussi à la pointe du combat en faveur de l'autonomie locale au plan européen.

Il est donc grand temps que notre pays mette un terme à l'anomalie qui consiste à ne pas avoir encore ratifié la Charte européenne de l'autonomie locale, signée par 38 des 43 pays membres du Conseil de l'Europe et ratifié par 34 d'entre eux.

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Le Sénat, assemblée parlementaire à part entière, qui exerce en plus la mission constitutionnelle spécifique de représentation des collectivités territoriales, prendra donc la tête d'une « croisade » en faveur du développement de l'autonomie locale tant en France qu'en Europe.

C'est la raison pour laquelle j'attache un grand prix aux actions de coopération décentralisée qui peuvent s'organiser entre nos pays et dont la prochaine concrétisation se déroulera au mois d'octobre à Budapest, à l'occasion des Assises de la coopération franco-hongroise.

Je vous remercie.

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