Les enjeux du haut débit : « collectivités locales et territoires à l'heure des choix »



Palais du Luxembourg, 12 novembre 2002

OUVERTURE : Message de M. Christian PONCELET, Président du Sénat

présenté par M. Gérard LARCHER, sénateur des Yvelines,

Président de la Commission des affaires économiques et du plan du Sénat

« Je vous propose d'ouvrir ce colloque consacré aux enjeux du haut débit.

Je voudrais d'abord vous lire le message que le Président Poncelet a souhaité vous délivrer au début :

Monsieur le Directeur général du groupe Caisse des Dépôts et Consignations, cher Daniel Lebègue, chers collègues députés, chers collègues sénateurs, Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous dire mon regret de ne pas être parmi vous aujourd'hui pour l'ouverture de ce colloque organisé par le Sénat et la Caisse des Dépôts et Consignations.

La tenue des assises des libertés locales dans mon département ne me permet pas, en effet, d'honorer ce rendez-vous et je vous demande de bien vouloir m'excuser.

Ce regret est d'autant plus vif que vous abordez aujourd'hui un thème stratégique conçu selon ce que j'appelle la méthode Sénatoriale, à savoir éclairer la décision publique sur les grands choix.

Vous avez, en effet, choisi de radiographier un thème essentiel, tant pour les responsables territoriaux que pour les Français, en analysant les enjeux du haut débit dans une perspective territoriale.

Vous aborderez cette problématique de façon dynamique en vous interrogeant à la fois sur l'usage actuel et potentiel du haut débit, tout en étudiant son intérêt et les risques qu'il comporte pour les territoires, avant de vous prononcer sur le rôle des collectivités locales dans sa mise en oeuvre.

Sans vouloir analyser ce sujet de façon exhaustive, -vous allez vous y livrer, n'est-ce pas, dans quelques instants-, il me semble nécessaire d'insister sur quelques points essentiels :

En premier lieu, le haut débit ou plutôt les techniques qui permettent de l'offrir à des usagers sur un territoire donné doivent avant tout être guidées par la volonté de rendre un territoire donné plus attractif sur le plan économique.

C'est, en effet, un moyen d'offrir, en particulier aux entreprises, mais aussi aux services publics, un instrument contribuant à leur efficacité et à leur productivité.

Il s'agit donc d'un enjeu décisif mais qui suppose, pour être mis en oeuvre, un véritable projet de développement ainsi qu'une certaine dimension territoriale, c'est-à-dire des territoires tels que régions, départements ou villes grandes et moyennes, capables de mettre en oeuvre ces technologies à une échelle pertinente.

En second lieu, la mise en oeuvre, au sein des territoires, du haut débit, est une terre d'élection pour le droit à l'expérimentation qui est sur le point d'être consacré par la Constitution.

Je compte que le Gouvernement sache être à l'écoute des élus et faire preuve d'imagination créatrice dans ce domaine qui, à l'évidence, devrait faciliter l'extension du haut débit dans notre pays.

En effet, ces nouvelles technologies, à l'instar de la téléphonie mobile, ne se démocratiseront véritablement que lorsque nous aurons amorcé un processus de baisse significative des prix. Baisse des prix qui ne résultera en réalité que d'une ouverture à la concurrence dans ce domaine.

Le temps n'est plus aux grands actes de planification décentralisée mais, au contraire, à la multiplication d'expériences constructives dont nous tirerons, après évaluation, tous les enseignements pour les étendre, s'ils sont bénéfiques, ou, dans le cas contraire, pour les abandonner.

Dans ce cadre, il est bien entendu décisif de savoir quel rôle reconnaître aux collectivités territoriales.

Sont-elles -pour reprendre l'intitulé de ce qui sera votre dernière table ronde- des facilitateurs ou faut-il concevoir pour elles un rôle plus ambitieux d'opérateurs ? J'allais dire un rôle d'aménageurs numériques...

Sans prétendre trancher cette interrogation que vous avez non sans raison conservée pour la fin de votre colloque, je vous livrerai mon analyse personnelle.

À l'évidence, ce « nouveau territoire » d'intervention implique pour s'y engager de bien en mesurer la complexité. C'est ainsi qu'une démarche d'opérateur ne peut, à mon sens, être sérieusement envisagée -comme je l'ai déjà précisé- que par des collectivités ou des groupements de collectivités de grande taille. Je pense en particulier aux départements.

Ainsi ces collectivités pourraient contribuer, dans ce domaine, à un processus de libéralisation qui, pour l'instant, a permis une baisse des coûts déterminante pour son extension. Les collectivités qui s'engageraient dans cette voie doivent cependant mesurer toute l'expérience et la technicité requises pour exercer un rôle d'opérateur ?

Enfin, les collectivités devront être très vigilantes pour évaluer la qualité et le sérieux des différents prestataires de services susceptibles de se manifester sur ce marché.

Sous ces réserves, j'attends avec intérêt les pistes de réflexion qui seront les vôtres pour voir dans quelle mesure ces obstacles peuvent être surmontés.

Je vous souhaite de bons et fructueux travaux ici, au Sénat. »

(Applaudissements).

M. Daniel LEBEGUE - Président-directeur général du groupe Caisse des dépôts et consignations

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs,

Au nom de la Caisse des Dépôts et de nos invités communs, permettez-moi d'abord de vous remercier, M. le Président, de nous avoir associés à cette manifestation et de nous accueillir aujourd'hui au Sénat pour ce colloque consacré aux enjeux du haut débit pour les collectivités locales et les territoires.

Cette initiative s'inscrit bien entendu dans les missions institutionnelles dévolues à la Haute Assemblée et, plus particulièrement, dans la mission que la Constitution lui confère de concourir à la représentation des collectivités locales.

Elle illustre aussi, je crois, l'attention constante, soutenue, que porte le Sénat à cette thématique des nouvelles technologies de l'information et de la communication, dont témoignent des rapports nombreux et de grande qualité, à l'origine desquels se trouvent des sénateurs, des membres de la Haute Assemblée, au premier rang desquels le Président Gérard Larcher qui a consacré un rapport connu de tous sur l'avenir de France Télécom.

Je pense aussi au rapport du sénateur Hérisson sur le bilan de la loi de 1995, au rapport des sénateurs Pierre Laffitte et René Trégouët sur les conséquences de l'évolution scientifique et technique dans le secteur des télécommunications.

Le « club-senat.fr », de son côté, n'a pas manqué d'alimenter la réflexion sur les technologies de l'information et de la communication, en particulier sur leur impact dans l'organisation des territoires, je pense notamment aux travaux que le « club-senat.fr » a consacrés au développement des entreprises de la Net économie ou encore à la fracture numérique et aux remèdes à y apporter.

Je citerai enfin la proposition de loi et le rapport de Bruno Sido sur la couverture territoriale en matière de téléphonie mobile, qui confirme, si besoin en était, tout l'intérêt, tout l'investissement des membres du Sénat dans les enjeux de ce qu'il convient dorénavant d'appeler le « développement numérique des territoires » .

Avant d'esquisser, dans la ligne du propos introductif du Président Poncelet, les enjeux et les axes de travail de ce colloque, permettez-moi de rappeler en quelques mots le rôle et les missions impartis à la Caisse des Dépôts dans ce champ du développement numérique de nos territoires.

Notre établissement, vous le savez, est aux côtés de l'État et des collectivités locales, un acteur significatif du développement local et de l'aménagement équilibré et durable des territoires.

La Caisse des Dépôts est à la fois un prêteur de long terme sur les fonds d'épargne et un investisseur dans le champ, en particulier, de la rénovation urbaine, de l'appui à la création d'entreprises et au développement des PME, du développement local, de l'économie sociale et du monde associatif également.

La mission plus nouvelle d'appui au développement numérique des territoires s'inscrit dans le prolongement de ces missions traditionnelles de la Caisse des Dépôts. Certaines d'entre elles ont près de 200 ans dans nos statuts.

Ces missions ont été assez profondément renouvelées dans les années récentes, dans leurs contenus d'une part et, surtout, dans leurs modes opératoires. La manière pour nous d'intervenir aux côtés des acteurs du monde local a profondément changé, pour s'adapter au monde d'aujourd'hui et aux besoins de nos grands partenaires.

Le Comité interministériel d'aménagement du territoire de Limoges, en juillet 2001, a en effet donné à la Caisse des Dépôts un nouveau mandat, celui d'investir, sur ses fonds propres, dans le développement d'infrastructures ou de services ou d'usages Internet au bénéfice de nos partenaires collectivités locales.

C'est ainsi que, depuis plusieurs mois maintenant, nous accompagnons l'émergence des projets des collectivités locales dans ce domaine.

La croissance du nombre et de la qualité de ces projets sont d'ailleurs remarquables. À ce jour, nous avons identifié 129 projets haut débit dans le champ des infrastructures, des services, des usages. Ce sont des projets en cours d'élaboration, de montage ou de mise en place, qui nous ont été présentés par des collectivités locales.

Pour accompagner ce mouvement et cette dynamique, nous avons d'abord constitué une équipe d'experts, de haut niveau, je l'espère. Nous avons engagé également un montant important de crédits d'études et d'ingénierie, mobilisé nos directions régionales et nous sommes en train de déployer, dans nos directions régionales, des experts en technologies de l'information et de la communication.

Notre mandat s'étend donc au delà d'un engagement financier, aussi important soit-il. Il prend tout son sens, toute son ampleur, dans la mise à disposition de nos partenaires d'une capacité d'ingénierie, d'expertise, qui précède et prépare les investissements à venir.

La Caisse des Dépôts est présente et représentée dans les comités de pilotage de pratiquement tous les projets dont j'ai parlés il y a un instant.

J'en viens à la question : pourquoi le Sénat et la Caisse ont-ils décidé d'organiser en cette fin d'année 2002 et ensemble ce colloque ?

Nous avons pensé, avec le Président Poncelet et le Président Larcher, que le moment était bien choisi. C'est aussi l'opinion de l'Autorité de régulation des télécommunications et de la DATAR avec lesquelles nous collaborons étroitement.

Il nous a donc semblé, aux uns et aux autres, que le temps était bien choisi de contribuer au débat, non seulement avec la représentation nationale mais aussi avec le plus grand nombre possible d'élus locaux, dans un contexte que nous pouvons qualifier de porteur d'avenir - arrivent les grandes lois de décentralisation - mais aussi très perturbé, il faut le dire sans détours.

La crise financière frappe durement les opérateurs de télécommunications et les acteurs de la Net économie.

Dans le semestre à venir, trois grands chantiers législatifs devraient s'ouvrir, qui concernent directement les technologies de l'information et de la communication : le projet de loi sur l'économie numérique, les projets de loi sur la décentralisation, enfin un projet de loi sur l'adaptation des directives européennes - le paquet dit « Télécoms » -.

Ce sont là, bien entendu, autant d'occasions de clarifier le rôle et la place impartis aux collectivités locales dans le domaine des télécommunications.

Je vous ai dit combien nous avions pu, au cours des derniers mois, mesurer l'engagement des élus locaux en faveur de l'aménagement numérique de leur territoire.

De nombreux colloques et publications ont confirmé que les nouvelles technologies jouent désormais un rôle essentiel dans l'attractivité des territoires, ce que certains nomment désormais le « marketing territorial » .

Ce mouvement s'accélère dans toutes les régions. J'hésite un peu à citer des départements ou des villes, mais je vais le faire tout de même pour marquer l'extension et la dynamique de ce mouvement.

Des départements comme l'Allier, le Maine-et-Loire, la Manche, la Moselle, le Rhône, l'Oise, les Pyrénées atlantiques ou encore les Yvelines, ont une position pionnière sur ce champ des nouvelles technologies de l'information. De grandes agglomérations elles-mêmes élaborent ou commencent à mettre en oeuvre des projets, des programmes dans le domaine du haut débit. Je pense à Bordeaux, Nîmes, Pau, Toulouse, pour n'en citer que quelques-unes.

Ce mouvement n'est pas limité à la France. Nous avons pu mesurer, au travers d'études que nous avons publiées, combien en Amérique du Nord et dans tous les pays européens, cette appropriation des nouvelles technologies par les collectivités locales s'accélère. En Allemagne, en Italie, en Suède, des villes comme Cologne, Milan, Stockholm, ont déjà mis en oeuvre des stratégies très offensives de développement du haut débit.

Je voudrais saluer les représentants italiens, suédois en particulier, qui sont aujourd'hui présents avec nous et qui vont nous faire partager leurs expériences dans la journée.

Nous pouvons faire, je crois, deux constats :

D'une part, quelle que soit l'ampleur de leur engagement, les investissements des opérateurs de télécommunications restent parfois, souvent même, en deçà des besoins tels qu'ils s'expriment sur le terrain au niveau des acteurs du monde local.

D'autre part, le jeu du marché et de la concurrence a toute son utilité dans ce domaine comme dans d'autres, bien entendu, mais il n'est sans doute pas suffisant pour répondre aux objectifs recherchés par tous, d'un aménagement équilibré de notre territoire et d'un développement de nos collectivités locales, notamment dans le champ économique et social.

Nous enregistrons donc une demande d'action publique, à titre complémentaire à tout le moins, dans ce champ. Une demande également de nouvelles règles, de nouveaux moyens pour contribuer à cette péréquation ou à cette réduction de la fracture numérique.

Ceci ne signifie pas que l'intervention publique doit se substituer au marché et à ses acteurs. L'objectif me paraît être davantage d'articuler l'action de la collectivité publique nationale ou locale avec la concurrence, afin de faire en sorte que cette dernière fonctionne de manière optimale.

La nouvelle étape de la décentralisation qui est engagée, ainsi que les échéances législatives dont j'ai parlées, créent incontestablement une nouvelle donne dans le domaine des technologies de l'information et de la communication. Il ne s'agit pas à proprement parler de transférer des compétences dans la mesure où celles-ci ne sont pas exercées à ce jour par l'État mais, d'une certaine manière, de créer des compétences nouvelles au bénéfice des collectivités locales.

À cet égard, on a l'habitude de dire - je vais livrer cette problématique à votre assemblée et à vos débats - que trois scénarios sont ouverts devant nous, dont vous aurez à débattre au cours de ce colloque :

Le premier s'inscrit dans le cadre de l'organisation actuelle de nos territoires. 11 est celui d'une clarification, selon les termes de l'article L. 1511-6 du Code général des collectivités territoriales, du rôle que peuvent jouer ces collectivités comme gestionnaires d'infrastructures de télécommunications neutres et mutualisables. Dans ce premier scénario, il s'agirait de préciser ce concept, peut-être de modifier et de compléter la loi, afin de bien fixer le cadre de l'intervention des collectivités locales dans l'immobilier des télécommunications.

Le deuxième scénario conduirait à élargir les possibilités d'intervention des collectivités locales dans ce domaine. Il se traduirait d'une certaine manière par l'ouverture d'un champ nouveau, celui du droit des télécommunications réservé, jusqu'à ce jour, aux opérateurs détenteurs d'une licence, d'ouvrir ce champ à des acteurs publics, en particulier aux collectivités locales. Les collectivités pourraient, comme c'est le cas dans d'autres pays d'Europe, passer du statut de simples gestionnaires d'infrastructures neutres à un métier que les Anglo-Saxons qualifient d'opérateur d'opérateurs (« carriers to carriers » ). C'est un scénario dont la Caisse des Dépôts a ouvert l'hypothèse - rien de plus - dans son dernier numéro des Cahiers du Développement numérique des Territoires.

Le troisième scénario est le plus ambitieux : il pourrait voir nos collectivités locales devenir opérateurs de télécommunications, c'est-à-dire être dotées de la capacité d'offrir des services de télécommunications ou d'Internet à des clients finaux.

Le Gouvernement n'a pas, à ce jour, arbitré entre ces différents scénarios et il n'appartient évidemment pas à la Caisse des Dépôts de le faire à sa place.

Je souhaite simplement que nos débats d'aujourd'hui contribuent à éclairer les éléments du choix, ainsi que l'action et l'intervention du législateur, en particulier du Sénat lorsqu'il aura à connaître ces questions.

Je vous souhaite à tous une très bonne journée de colloque. Merci.

(Applaudissements).

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