Les Parlements dans la société de l'information



Palais du Luxembourg, 18 et 19 novembre 1999

VI. DÉBAT AVEC LA SALLE

Thierry VEDEL, CEVIPOF

« On s'interroge sur les impacts des nouvelles technologies de l'information et de la communication sur les institutions. Mais ne faut-il pas également s'intéresser à la relation inverse ? Tant Stephen Coleman que John Taylor ont montré que la diversité des institutions parlementaires ne se retrouve pas dans les différents sites parlementaires, qui sont tous assez similaires.

Il me semble que la question de l'accessibilité du citoyen à ces nouvelles technologies a été quelque peu escamotée dans nos débats cet après-midi. On peut dire qu'il ne s'agit que d'une question transitoire, tant les efforts conjugués des pouvoirs publics, des fabricants et des distributeurs de matériel informatique devraient grandement faciliter cet accès. Il me semble néanmoins que la question mérite d'être posée.

Nous avons évoqué à plusieurs reprises le phénomène de marchandisation de l'Internet, qui peut aboutir à céder des parcelles de vie privée. Je souhaiterais là aussi que nous en disions un mot.

Enfin, nous devons sans doute nous interroger sur les forums de discussion qui font florès aujourd'hui sur Internet. Les intervenants qui se sont succédé à la tribune ont bien montré les limites de ces forums, qui nous rappellent que la démocratie ne se résume pas à la discussion. Allons-nous pouvoir faire mieux ? Comment passer de la discussion à la prise de décision, à une délibération ? Au fur et à mesure que les forums de discussion vont se multiplier, peut-être un jour en arrivera-t-on à envisager la création d'un lieu où l'on discute des grands problèmes de société. Si c'est le cas, ce lieu pourrait bien être un Parlement ! »

Anne de la PRESLE, Journal officiel

« Ne voyez-vous pas une contradiction entre la mise en chantier d'un projet de loi sur la société de l'information au plan français, d'un côté, et le développement de l'autorégulation, de l'autre ? Ne faudrait-il pas travailler d'emblée au plan international ? »

Michael CONNAUTRY, député écossais

« Au terme de ces deux journées de travail, je suis convaincu que les nouvelles technologies peuvent changer le travail des élus. Mais cela dit, nous pouvons aussi très bien faire abstraction de celles-ci aussi longtemps que nous nous en tiendrons à nos méthodes traditionnelles. En tant que parlementaire, j'ai récemment assisté aux élections palestiniennes : il n'y avait pas un seul ordinateur en vue, mais le taux de participation a atteint 97 % ! J'espère que la technologie permettra un jour de renforcer la démocratie. »

Bertrand du MARAIS, Commissariat au Plan

« L'Internet comporte au moins deux dimensions : l'interactivité (entre parlementaire et citoyen) et l'information. Pour cette dernière, il est clair qu'Internet permet une accélération et un élargissement de sa diffusion. Cela ne transformera peut-être pas la démocratie, mais cela peut l'améliorer.

Internet est aussi une fabuleuse machine de redistribution des cartes, des pouvoirs. Le parlementaire lui-même, qui est un intermédiaire, ne risque-t-il pas d'être « by-passé » ? »

Daniel SOUDANT, Conseiller de presse du Sénat de Belgique

« Comment a réagi la société lorsque le téléphone, la radio ou la télévision étaient inventés ? En élaborant un code d'utilisation. Ne serait-il donc pas opportun de chercher à rédiger dès maintenant un corpus de règles d'utilisation de l'Internet ? »

Axel HEYER, Politik-Digital

« On s'informe encore beaucoup aujourd'hui par les journaux et la télévision, et les sites de ces médias comptent d'ailleurs parmi les plus fréquentés. De ce point de vue, je dois faire part de mon scepticisme devant les forums. En réalité, je crois qu'il faut combiner les deux, information et possibilité d'expression, comme le fait notre site en Allemagne. Vous y trouverez des informations, mais vous aurez aussi la possibilité, si vous le souhaitez de signer une pétition. »

Andrew MILLER

« La technologie est un outil. Il ne faut pas que l'outil façonne l'homme ; c'est l'inverse qui doit se produire. Les choses n'ont pas encore changé, nous disent certains : je ne partage pas ce point de vue. Les choses ont déjà changé.

Faut-il, comme le suggère le représentant du Sénat de Belgique, établir un code de bonne conduite sur Internet ? Oui et non. Oui pour assurer un niveau minimal de décence, mais non pour peu que l'on croie en la nécessité de la liberté d'expression. En outre, pour être applicable, un tel code se devrait d'être négocié au niveau mondial. D'ailleurs, dès le prochain round de négociations de l'OMC, le thème de la protection de la propriété intellectuelle devrait supplanter le prix du blé canadien ! Mais pour l'instant, je ne vois pas de modèle susceptible de fonctionner correctement. »

Stephen COLEMAN

« Sur la question de l'accès des citoyens aux nouvelles technologies, je dirai deux choses. D'abord, les démocraties peuvent fonctionner avec des inégalités. Il ne faut pas en faire un prétexte pour ne rien faire. Il y aura d'autres moyens d'accès au réseau que les ordinateurs. D'ici cinq ans, en Grande-Bretagne, toutes les télévisions seront numériques, et offriront des services interactifs. Ces services seront d'abord marchands, bien sûr, mais je crois que la télévision numérique ne sera un réel succès que si on lui trouve aussi une utilité citoyenne.

Je ne crois pas beaucoup au phénomène du désengagement de la politique que chacun croit déceler dans la baisse du nombre de militants des partis traditionnels : les gens ont simplement trouvé d'autres moyens de s'impliquer dans la vie sociale, notamment par l'action associative.

Quelqu'un disait tout à l'heure que tous les sites web parlementaires du monde tendaient à se ressembler. On ne trouve même pas de différence majeure entre les systèmes présidentiels et les systèmes parlementaires, a-t-on dit. C'est sans doute parce que le système parlementaire, comme en Grande-Bretagne, ressemble de plus en plus à un système présidentiel ! »

Claude HURIET

« Je ne pense pas, pour ma part, que les parlementaires soient en passe d'être contournés du fait du développement des technologies de communication directe. En revanche, je pense que le travail parlementaire va changer de nature, notamment du fait de l'élargissement des possibilités d'audition. Je m'interroge en revanche sur la représentativité : comment évaluer la représentativité d'un internaute ? Plus que le législateur, c'est donc la loi qui risque d'être contournée. Ainsi, la France a récemment légiféré pour définir très précisément le cadre dans lequel la recherche génétique pouvait se développer. Mais l'utilité de cette loi n'est-elle pas complètement remise en cause avec l'apparition sur Internet de sites qui proposent des tests de paternité ? »

Christian PAUL

« Je ne crois pas non plus que le parlementaire voit son rôle court-circuité par le développement de l'Internet. De même, peu importe la légitimité de ceux qui participent au débat, tant qu'est assurée la légitimité de ceux qui prennent la décision finale. Je crois donc qu'Internet est au contraire de nature à combler le fossé qui s'est creusé entre les élus et les citoyens. »

Karl LOFGREN, Copenhagen Business School

« Savez-vous qui sont les utilisateurs (répartition par sexe, catégorie socioprofessionnelle, etc.) d'Internet ? Une étude que nous avions menée il y a quelques années avait montré que les internautes qui fréquentaient notre site étaient essentiellement des hommes, de moins de 40 ans, diplômés de l'enseignement supérieur et membres d'un parti politique à 60 %. En est-il de même chez vous ? »

Danny van ASSCHE, Université d'Anvers

« L'internet va-t-il nous permettre d'intéresser à la politique ceux qui se sont détournés de la politique ? Beaucoup de nos concitoyens ne lisent pas la presse écrite. Pourquoi iraient-ils consulter des sites web ? Je crois au contraire que ceux qui sont déjà les mieux informés et les mieux insérés dans la vie sociale seront encore mieux informés, ce qui contribuera à élargir le fossé qui existe déjà. »

Françoise MASSIT-FOLLEA, École Normale Supérieure de Fontenay Saint-Cloud

« Internet n'est pas un univers stable : ses normes, ses standards, ses frontières évoluent chaque jour. Quel peut être le rôle des politiques pour élaborer une politique démocratique de la technique ? »

Christian PAUL

« Au-delà des aspects technologiques, il y a aujourd'hui une place pour un projet politique et démocratique autour de l'Internet. Nos débats l'ont largement montré. Par ailleurs, je crois en la nécessité de réguler cet espace de liberté. L'élaboration de règles permettant d'assurer cette régulation est justement de la responsabilité des politiques. Cette régulation se fera par le droit, chaque fois que nécessaire, mais aussi, chaque fois que possible, par l'autorégulation. Il ne faut pas opposer un modèle européen, qui serait fondé sur la loi, à un modèle américain, fondé sur l'autorégulation. Il faut au contraire trouver un compromis des deux, un modèle de corégulation. »

Andrew MILLER

« Nous sommes tous d'accord pour penser qu'Internet peut être un outil qui nous aide à inverser la tendance au désintérêt des citoyens pour la politique. Si l'on veut que le public visite nos sites, il nous faut adopter une véritable démarche marketing, qui permette d'attirer les visiteurs et de les faire revenir aussi fréquemment que possible. Je suis également convaincu que les nouvelles technologies vont permettre aux citoyens de mieux comprendre les discours respectifs de chacun des partis, et ainsi de battre en brèche l'opinion superficielle qui veut que tous les partis tiennent peu ou prou le même discours. »

Thierry VEDEL

« À l'évidence, ces deux journées de travaux nous ont permis de progresser dans la compréhension des enjeux des nouvelles technologies pour le travail parlementaire. Je crois que nous avons aussi atteint notre objectif, qui était d'organiser un colloque véritablement international. Les multiples témoignages que nous avons entendus nous ont permis de constater que chacun à son niveau était confronté à peu près aux mêmes problèmes. Pour les Français, qui ont souvent tendance à l'autoflagellation, c'est particulièrement réconfortant de constater que le soi-disant retard français ne résiste pas à l'épreuve de la comparaison internationale.

Ce colloque a été aussi l'occasion de constater que l'on ne pouvait plus tenir, sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication, le discours manichéen que l'on entendait il y a quelques années. Internet n'est ni la solution à tous nos problèmes, ni le danger ultime que certains dénoncent. C'est là encore une avancée dont nous ne pouvons que nous féliciter. »

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