Les Parlements dans la société de l'information



Palais du Luxembourg, 18 et 19 novembre 1999

VII. CONCLUSION DES DÉBATS : M.JEAN-LUC PARODI, CEVIPOF

« La réflexion sur le lien entre démocratie et nouvelles technologies se prolonge dans bien d'autres institutions. Je me contenterai d'exprimer une interrogation de sociologue : comment pourrait-on construire la démocratie électronique que certains appellent de leurs voeux alors que l'analphabétisme ne cesse de progresser dans nos sociétés ? Un historien, quant à lui, vous aurait expliqué que l'histoire est faite d'une suite de tentatives d'amélioration de la démocratie et de périodes de désillusion. Le philosophe politique, lui, vous aurait dit que nous vivons dans un jeu d'utopie, et qu'il faut se préoccuper avant tout de ceux qui n'ont pas les moyens de prendre le recul nécessaire par rapport aux utopistes.

De plus, depuis que la démocratie est un thème de réflexion, on s'interroge sur ses rapports conflictuels avec la notion de nombre. On retrouve aujourd'hui ce même problème dans le débat sur la démocratie électronique : comment est-il possible de gérer le nombre ? De même, les parlementaires sont très bien placés pour savoir que l'on délibère d'autant mieux que l'on est en petit nombre (et que l'absentéisme parlementaire, qui est tant décrié dans les médias, rend en réalité de grands services à la démocratie...). Enfin, quelle vie abominable serait la vie d'un citoyen connecté en permanence et qui serait sans cesse sollicité pour donner son avis sur tous les sujets de société ? Aurait-il encore le temps de lire, de se promener, de dormir ou de manger ? »

DISCOURS DE CLÔTURE DE M. LAURENT FABIUS, PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

« Une démocratie moderne doit utiliser les nouveaux outils qui sont à sa disposition. La crise de confiance que connaît le monde politique n'est pas nouvelle (elle remonte à plusieurs décennies), mais face à elle, les nouvelles technologies de l'information et de la communication peuvent constituer une chance. En effet, elles nous fournissent l'occasion de rapprocher nos institutions des citoyens et de moderniser nos méthodes de travail. Internet permet aussi aux citoyens de formuler des propositions et de faire connaître leurs opinions. Le réseau constitue également une arme de contestation nouvelle et très puissante : les révolutions se font le plus souvent lorsqu'il fait beau, alors qu'Internet fonctionne quel que soit le temps. On peut par exemple considérer que l'Internet a joué, dans la contestation contre l'AMI (accord multilatéral des investissements), un rôle plus important que les manifestations de rue. Il en va de même pour le mouvement d'opinion qui s'est élevé contre la volonté de la société Monsanto de commercialiser son germe Terminator. On voit donc se développer des formes nouvelles de démocratie directe, avec les dangers qui s'y attachent (sondages instantanés manipulés, propagation des rumeurs, etc.). De même, le Sénateur Huriet avait tout à fait raison de souligner que la loi pouvait être contournée par l'utilisation des nouvelles technologies. De même, que pèse le débat sur « l'exception culturelle » quand n'importe qui pourra, depuis n'importe quel lieu, diffuser des oeuvres que tout un chacun pourra consulter dans des conditions techniques proches de celles offertes par la télévision ou le cinéma ?

Nous, responsables politiques, avons à inventer des formes nouvelles d'écoute et d'action. J'évoquerai deux ou trois pistes, parmi d'autres. D'abord, pourquoi ne pas ouvrir systématiquement, avant la discussion des textes de loi, un forum électronique qui contribuerait à enrichir les débats en commission ? De la même façon, il ne faut pas seulement s'interroger sur le rapport entre les citoyens et les parlements, mais se demander comment, plus largement, on pourrait utiliser systématiquement le courrier électronique pour effectuer des interventions auprès des administrations et demander une réponse par le même canal. Internet va rendre rapidement obsolète un certain nombre de nos pratiques politiques. Par exemple, j'avais moi-même déposé une proposition de loi modifiant la législation sur les sondages politiques, qui à l'heure d'Internet n'a plus aucun sens.

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication : de formidables outils de liberté

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication ouvrent de formidables perspectives à l'éducation. Jean-Luc Parodi a évoqué tout à l'heure l'illettrisme. Mais il ne faudrait pas que la France ajoute à ce handicap un analphabétisme de l'Internet, et il importe donc que le système éducatif se préoccupe d'enseigner l'utilisation des nouvelles technologies, au même titre qu'il apprend à lire, écrire et compter. Ne pas connaître les technologies constituera incontestablement un handicap énorme dans les années qui viennent, à tel point qu'il pourrait s'agir d'un facteur d'exclusion de la cité.

Qu'est-ce qu'une politique démocratique de la technique, nous demandait tout à l'heure une participante à votre colloque ? L'affirmation de l'importance de la régulation ne nous dispense pas de la fixation des règles. Les politiques ont le devoir non seulement de définir les règles, mais aussi de vérifier que l'autorité de régulation a fonctionné conformément à ces règles. Le législateur ne peut donc pas se retrancher derrière la régulation pour ne pas intervenir.

Des risques d'aliénation des libertés qu'il faut prévenir

Il existe tout d'abord des menaces liées aux contenus transmis sur Internet (pornographie, pédophilie, racisme, etc.). Mais il existe aussi des menaces liées aux données personnelles. Or un individu n'est pas réductible à la somme de ses connexions informatiques. Il a aussi un droit à l'oubli, et je n'accepte pas, pour ma part, que les nouvelles technologies puissent l'en priver. Que peut-on faire pour se prémunir contre ces risques ? On peut penser au renforcement des pouvoirs de la CNIL pour répondre à ces nouveaux défis. Nous pouvons aussi agir dans les instances internationales pour demander l'institution d'une véritable protection des données personnelles, ou pour définir une procédure de labellisation des sites. On peut enfin former les citoyens à la lecture critique d'Internet.

Je tiens une nouvelle fois à remercier le Sénat pour avoir organisé ce colloque sur un sujet essentiel, et tous ceux qui sont venus de très loin pour y participer. Je souhaiterais qu'ils soient bien convaincus que nous n'avons, pour une fois, aucune leçon à leur donner, mais qu'au contraire nous avons beaucoup à gagner à les écouter. »

ANNEXE-PRÉSENTATION DES INTERVENANTS

Jouny BACKMAN

Député de Mikkeli - Membre du Parlement de Finlande depuis 1987, membre de la « commission du futur », ancien Président du Conseil Gouvernemental pour la société de l'information (1995-1999).

Robert BADINTER

Sénateur des Hauts-de-Seine, ancien Garde des Sceaux, ministre de la Justice, ancien Président du Conseil Constitutionnel, Agrégé des Facultés de Droit.

Christine BELLAMY

Professeur d'administration publique à l'université Nottingham Trent, auteur de nombreux articles sur l'entrée des démocraties dans la société de l'information et co-auteur, avec John TAYLOR, de l'ouvrage « Gouverner à l'heure des NTIC », Open University Press.

Patrick BLOCHE

Député de Paris - Co-président du Groupe Nouvelles technologies à l'Assemblée nationale, auteur d'un rapport au Premier ministre « Le désir de France : La présence internationale de la France et la francophonie dans la société de l'information » (1998).

Thierry BRÉHIER

Journaliste au Monde depuis 1980 - Adjoint au Chef de séquence France du quotidien « Le Monde ».

Roland CAYROL

Directeur de recherche à la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Directeur de l'institut de sondage CSA.

Yves COCHET

Vice-président de l'Assemblée nationale - député du Val d'Oise - Professeur à l'Université de Rennes.

Stephen COLEMAN

Professeur à la London School of Economics & Political Science, mène des recherches en médias et communication. Directeur d'études à la Hansard society où il dirige le programme « Parlement et médias électroniques ».

William H.DUTTON

Professeur à l'Annenberg School for Communication de Los Angeles, auteur de « Society on Line », 1999, travaille sur la démocratie électronique depuis 1974.

Hélène FLADMARK

Députée d'Oslo - Membre du Parlement de Norvège depuis 1997.

Johnny GILLING

Député de Karlskrona - Membre du Parlement de Suède depuis 1998 -Membre du Comité des transports - Parti Démocrate Chrétien - Ingénieur.

Claude HURIET

Questeur du Sénat - Sénateur de Meurthe-et-Moselle depuis 1983 - Membre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - Professeur d'Université.

Henri LE ROY

Société COMEST - Promoteur de l'initiative Agoranet ( www.agoranet.org ).

Karl LOEFGREN

Chercheur au Centre de recherches sur les organisations publiques, Copenhagen Business School et Département de Science politique, Copenhagen University.

Patrice MARTIN-LALANDE

Député du Loir-et-Cher depuis 1993 - Co-président du groupe d'études Nouvelles technologies à l'Assemblée nationale - Auteur du rapport au Premier ministre « L'Internet : un vrai défi pour la France » en 1997.

Didier MAUS

Président de l'Association française des Constitutionnalistes - Directeur de l'Institut international de l'Administration publique.

Olivier de MAZIÈRES

Administrateur civil, adjoint du Chef du bureau des élections et des études politiques, Ministère de l'Intérieur.

MILLER Andrew

Député Elesmere Port Leston (Labour - Chambre des communes britannique), diplômé de la London School of Economics, auteur de « les NTIC au service d'une meilleure administration » (Étude commandée par le Cabinet Office en préparation du livre blanc du Gouvernement).

Dieter OTTEN

Professeur de sociologie et d'informatique à l'Université Onasbruck (Allemagne), Directeur du centre de recherche sur Internet, Responsable du projet « Voting via Internet ».

Christian PAUL

Député de la Nièvre - Administrateur civil - Organisateur de la première édition des rencontres parlementaires sur la société de l'information et Internet.

Pascal PERRINEAU

Professeur des Universités à l'IEP de Paris, Directeur du CEVIPOF.

Charles RAAB

Professeur à l'Université d'Edimburgh, conduit des recherches sur l'accès public à l'information. A notamment co-publié un rapport de la Commission européenne sur la protection des données dans les pays non membres de l'Union européenne.

Jordi SANCHEZ

Professeur à l'Université autonome de Barcelone.

Colin SMITH

Professeur à l'Université Glasgow Caledonian.

John TAYLOR

Professeur à l'Université Glasgow Caledonian, travaille sur la citoyenneté électronique depuis 12 ans, a publié « Les Parlements à l'âge d'Internet » (1999), co-auteur avec Christine BELLAMY de l'ouvrage « Gouverner à l'heure des NTIC », Open University Press.

René TREGOUËT

Sénateur du Rhône depuis 1986 - Président du Groupe d'études de Prospective au Sénat - Auteur du rapport « des Pyramides du pouvoir au réseau de savoirs » en 1998.

Jacques VALADE

Vice-président du Sénat - Sénateur de la Gironde depuis 1980. Ancien ministre délégué à la Recherche et à l'Enseignement supérieur. Professeur d'Université.

Jos VAN GENNIP

Sénateur des Pays-Bas depuis 1991 - Membre du CDA.

Thierry VEDEL

Chercheur CNRS, Responsable du séminaire Démocratie électronique, CEVIPOF.

Marina VILLA

Professeur de théorie et techniques de l'information à l'Université de Milan-Brescia, travaille sur les rapports entre médias et politique.

Dominique WOLTON

Directeur de recherche au CNRS - Directeur du laboratoire Communication et politique au CNRS - Directeur de la publication de la revue semestriel HERMÈS depuis 1989.

Thomas ZITTEL

Professeur assistant à l'Université de Mannheim (RFA), ancien assistant parlementaire au Congrès américain (1996).

Comme les citoyens, comme les entreprises, les Parlements entrent dans la société de l'information. Parce qu'ils sont au coeur de nos démocraties représentatives, ils sont particulièrement confrontés au défi des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Celles-ci, en accélérant la circulation de l'information, en provoquant de nouveaux échanges d'idées et en facilitant l'interaction entre individus, peuvent bouleverser le rôle et le fonctionnement des Parlements. Parlementaires et universitaires venus d'Europe et des États-Unis ont examiné, ensemble, durant deux jours, à l'occasion d'un colloque organisé par le Sénat et le Centre d'Étude de la Vie Politique Française (CEVIPOF) les 18 et 19 novembre 1999, les premières expériences de mise en ligne d'assemblées représentatives. Ils ont débattu des relations, complexes et controversées, qu'entretiennent technologie et politique.

Ainsi, le réseau mondial permettra-t-il une plus grande transparence du processus législatif et une meilleure lisibilité des lois ? De quelle manière les technologies de l'information peuvent-elles modifier le travail des parlementaires? Peut-on imaginer à l'avenir la tenue d'élections électroniques ? Plus fondamentalement, les technologies de l'information favoriseront-elles de nouvelles relations entre les Parlements et les citoyens ?

Telles sont les questions que pose cet ouvrage, avec, toujours présente, l'utopie d'une nouvelle démocratie. Une démocratie électronique ?

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