Actes du colloque "Les modèles français et japonais du regroupement intercommunal"



Sénat - 23 février 2006 - Palais du Luxembourg

TABLE RONDE 1 : DEUX MODÈLES INSTITUTIONNELS
DE REGROUPEMENT INTERCOMMUNAL

I. HISTOIRE ET ÉTAT DES LIEUX DU REGROUPEMENT INTERCOMMUNAL

A. M. MICHEL VERPEAUX, PROFESSEUR DE DROIT PUBLIC À L'UNIVERSITÉ DE PARIS I, MEMBRE DU COMITÉ D'EXPERTS DE L'OBSERVATOIRE SÉNATORIAL DE LA DÉCENTRALISATION : LE MODÈLE FRANÇAIS DE COOPÉRATION INTERCOMMUNALE : UN MOUVEMENT PROGRESSIF FONDÉ SUR LE VOLONTARISME

1°) La fusion et la coopération

Quelques mots dans la suite de ce que vous venez de dire, pour indiquer peut-être, et je m'en excuse auprès du public français, quelques éléments pour nos amis japonais, ne serait-ce que pour indiquer quelques repères chronologiques.

D'abord, indiquer que le nombre et la taille des collectivités territoriales en France a toujours fait l'objet de débats en France, mais je dis bien de collectivités territoriales, c'est-à-dire de communes mais aussi de départements et de régions. La population moyenne d'une commune française est d'environ 1500-1600 habitants à l'heure actuelle. La superficie est également très petite et dans un cas comme dans l'autre, comme cela a été dit par le Sénateur Philippe Dallier tout à l'heure, la France arrive en bas du classement européen.

De la même manière, les départements, qui ont été construits à l'époque révolutionnaire, avec l'idée de pouvoir se rendre au chef-lieu en une journée de cheval, ont été considérés comme trop petits pour répondre aux exigences d'une administration moderne. Et donc, à ces départements trop petits qui sont au nombre de 100, on oppose fréquemment les régions, qui sont nées dans les années 1950 en France, pour permettre des politiques d'aménagement. Mais les régions elles-mêmes n'échappent pas aux critiques et à ce syndrome en quelque sorte de la petite taille, et plusieurs personnalités de droite et de gauche, des hommes politiques, mais pas seulement, envisagent aussi une réduction du nombre des régions pour que celles-ci puissent soutenir la comparaison avec les communautés espagnoles, ou les Länder allemands, même si on ne se situe pas tout à fait sur le même plan.

La solution à ces questions récurrentes en France consiste apparemment à réduire le nombre de communes, de départements ou de régions. Plusieurs pays en Europe ont choisi cette technique, il y a déjà quelques années, quelques décennies maintenant, notamment les pays d'Europe du Nord. C'est le cas de la Belgique, c'est le cas du Danemark, c'était le cas de l'Allemagne Fédérale et c'était le cas de la Grande-Bretagne, et plus spécialement d'ailleurs de l'Angleterre. Ceci s'est passé dans les années 1960 et de manière autoritaire.

On pouvait, en France, adopter une telle solution et opter pour la technique de la suppression, des communes principalement, puisque ce sont surtout elles qui étaient concernées, c'est-à-dire adopter la technique de la fusion. Comme cela a été rappelé tout à l'heure, cette technique avait été envisagée une première fois sous le régime de Vichy, cela n'est peut-être pas totalement anodin, et reprise en 1971 par la loi dite Marcellin, nom du Ministre de l'Intérieur de l'époque. Dans un cas comme dans l'autre, sous Vichy comme en 1971, comme je vous le disais tout à l'heure, l'échec a été patent. La fusion est en effet, mais je crois que je ne vous apprends rien, la suppression patente de communes existantes, et cette suppression est en quelque sorte extrêmement mal vécue.

Comme le droit français est extrêmement compliqué, et qu'il aime bien distinguer, il existe plusieurs formes de fusions : ce qu'on appelle « fusions simples », en réalité cela veut dire que les communes membres disparaissent au profit des collectivités nouvelles, et ce qu'on appelle des « fusions associations » dans lesquelles on maintient un certain semblant de vie municipale dans les communes qu'on laisse plus ou moins subsister de manière un peu artificielle.

La fusion suscite, de manière générale, l'hostilité des Français, et pas seulement des hommes politiques, et non des élus.

Pour aller plus loin, ce sont sans doute les Français qui n'en veulent pas, parce qu'ils sont attachés à leur commune, c'est ce qu'on appelle en français « l'esprit de clocher », qui est excessivement fort. Il existe aussi une autre raison, qui me paraît, à titre personnel, importante, c'est que le tissu communal très dense, qui existe en France, présente un certain nombre d'avantages sur le plan de la démocratie locale. N'oublions pas qu'il y a plus de 550 000 élus locaux qui sont des élus municipaux, c'est-à-dire un Français sur cent, à peu près, qui est un élu local. C'est une réalité importante en termes de démocratie et, pour employer un mot à la mode, de « proximité ». Ce tissu est remarquable quant au maintien d'un minimum de services publics, là aussi de proximité. Je crois que c'est une question qu'il ne faut jamais oublier.

Parmi les difficultés françaises, il y en a une autre, qui est que le législateur n'a jamais voulu, et cela aussi bien sous la Révolution française qu'au XIXe siècle et au XXe siècle, traiter les collectivités locales de même niveau, de manière différenciée. On aurait pu envisager que, au sein des communes, celles-ci soient traitées de manière différente en fonction de la taille, ou qu'on les dote de compétences différentes. Par un système de strates, on pouvait considérer que jusqu'à un certain nombre d'habitants, les communes exerçaient quelques compétences et puis que ces compétences augmentaient en fonction de leur taille. Cette solution, qui je crois existe en Espagne, n'a jamais été envisagée dans le système français, et je l'ai dit en d'autres occasions et je le répète ici, c'est une solution qui me paraît devoir être creusée. Dans un souci hérité de la Révolution française, un souci dit de rationalité, un souci appelons ça « d'esprit cartésien » si on veut, un souci surtout d'uniformité, la France n'a jamais voulu adopter un système en quelque sorte à plusieurs vitesses.

Parmi les solutions qui ont été envisagées, en ce qui concerne les départements et les régions, certains estiment que la question n'est pas celle de la réduction des départements ni des régions, mais celle de l'augmentation de leurs compétences. Lorsqu'on veut soutenir la comparaison avec les pays voisins, on peut considérer que ce n'est pas nécessairement un problème de nombre de régions, par exemple par rapport à l'Espagne, ou à l'Allemagne. Finalement le chiffre n'est pas très différent. On peut aussi prendre l'exemple de l'Italie, mais c'est plutôt la question de la compétence. La fusion ne semble donc pas une solution tellement prisée en France.

L'autre réponse, que la France a trouvée pour répondre à cet émiettement communal, consiste à faire coopérer entre elles les différentes communes pour la gestion d'affaires précisément communes. C'est dans ce sens que le droit français s'est orienté depuis le XIXe siècle et on peut souligner qu'il y a plusieurs formes de coopération. Une forme, que l'on appelle « verticale », qui consiste à faire coopérer entre eux différents niveaux de l'administration, c'est-à-dire les communes avec les départements et accessoirement avec les régions, et avec d'autres institutions, notamment des établissements publics, et avec même des structures comme des Chambres de commerce. Cette piste, qui est explorée par le droit français, existe mais de manière très modérée, et le droit français a beaucoup de mal à envisager des techniques de solution de coopération « verticale». Et il a fallu effectivement que la Constitution intervienne, il y a deux ans et demi, pour que l'on essaye d'aller dans ce sens, mais c'est extrêmement difficile. L'autre solution, c'est la coopération qu'on appelle « horizontale » et, vous l'avez compris, il s'agit de faire coopérer des communes entre elles. C'est cette solution qui est choisie évidemment dans le système français.

A l'heure actuelle, si l'on cherche le droit applicable, on le trouve donc dans le Code général des collectivités territoriales, et il n'est pas inintéressant de constater que tout ce qui traite de la coopération, se trouve dans la cinquième partie de ce Code général des collectivités territoriales. Et j'insiste un peu sur ce point parce que cette cinquième partie est intitulée « coopération locale » et elle envisage a priori toutes les formes de coopération, elle a une vision, en quelque sorte globalisante, de toutes les formes de coopération. Elle ne se limite pas à la coopération intercommunale, même si celle-ci est bien sûr essentielle. Cette cinquième partie consacrée à la coopération locale commence par un énoncé de quelques dispositions générales et le premier article de cette partie, qui porte le numéro un peu compliqué d'article L. 5111-1, nous dit la chose suivante : « les collectivités territoriales peuvent s'associer pour l'exercice de leurs compétences en créant des organismes publics de coopération dans les formes et les conditions qui seront définies ensuite ». Elles peuvent donc s'associer pour l'exercice de leurs compétences en créant des organismes publics. Nous sommes au coeur de la question. Et ce principe résume bien la philosophie française, c'est-à-dire, les collectivités territoriales et principalement pour nous ici, les communes restent libres en principe de coopérer ou non, lorsqu'elles le décident, elles ne peuvent faire pratiquement qu'une seule chose, c'est constituer un organisme public supplémentaire, qui viendra se superposer à elles. Cette question a déjà été évoquée tout à l'heure, c'est celle de la superposition. Et ainsi, la libre administration des collectivités territoriales qui est ainsi sauvegardée, se retrouve dans les dispositions plus spécifiques consacrées à la coopération entre les communes puisqu'un autre article L. 5210-1, premier article consacré à la coopération intercommunale, définit en quelque sorte le cadre juridique : « le progrès de la coopération intercommunale se fonde sur la libre volonté des communes d'élaborer des projets communs de développement au sein de périmètres de solidarité ». Ce sont les termes employés par le législateur. On retiendra surtout dans cette phrase, le principe de la libre volonté des communes d'élaborer des projets en commun.

On peut trouver dans ces textes fondateurs, un lien nécessaire, obligatoire, entre les établissements publics de coopération et le principe de libre administration des collectivités territoriales, qui soit dit en passant, est un principe de valeur constitutionnelle. Il y a en permanence cette tension entre les formes de coopération et la libre administration des collectivités territoriales. Il y a aussi une tension entre les collectivités territoriales elles-mêmes, et ces organismes publics que le droit français aime bien, et qui sont ces établissements publics de coopération intercommunale. Pour un étranger, on peut sans doute s'interroger sur ce qui peut distinguer une collectivité territoriale à la française, et l'un de ces établissements publics. Qu'est-ce qui les distingue ? La question a déjà été abordée tout à l'heure, permettez-moi d'y revenir deux minutes.

C'est, d'une part et sans doute d'une manière essentielle, l'élection. Les collectivités territoriales sont élues directement au suffrage universel. Pour les établissements publics, je ne dirais pas que les membres sont nommés, ils sont élus, mais à un suffrage universel indirect. La différence est essentielle.

Deuxième distinction : les compétences ne sont a priori pas les mêmes. Les compétences des collectivités territoriales sont dites générales, et celles-ci s'occupent de toutes les affaires d'intérêt local, avec toute la complexité qu'il peut y avoir derrière cette notion. Les établissements publics de coopération n'ont que des compétences d'attribution, c'est-à-dire celles que les collectivités veulent bien leur donner, et ce principe est un principe politiquement fort, mais juridiquement également très fort et très protégé, ne serait-ce que par le juge. Il y a donc des différences, mais aussi quelques points communs, entre les collectivités territoriales et les établissements publics. D'abord, et cela n'est pas évident non plus pour un oeil étranger, le personnel appartient à la même catégorie. Le personnel des établissements publics de coopération et le personnel des collectivités territoriales font partie l'un et l'autre de l'ensemble de la fonction publique territoriale et un fonctionnaire territorial a vocation à travailler aussi bien pour une commune qu'ensuite pour une forme de coopération intercommunale.

Et puis, il y a un autre point de comparaison. Les établissements publics sont soumis, comme les collectivités territoriales, au même régime juridique de contrôle de la part de l'État et il y a sur ce plan une assimilation quasiment totale. Les établissements publics de coopération intercommunale gèrent enfin, qu'on le veuille ou non, un territoire, comme les collectivités territoriales pour lesquelles l'adjectif n'est pas tout à fait neutre. Ces établissements publics de coopération, pour lesquels a d'ailleurs été forgée l'expression d'« établissements publics territoriaux » ont en commun avec les collectivités territoriales d'avoir comme préoccupation principale la gestion d'un territoire et évidemment sur ce territoire, des hommes et des femmes qui y vivent.

2°) L'évolution de l'intercommunalité

En ce qui concerne l'évolution historique, le droit français a mis très longtemps à essayer de se simplifier. Il a été évoqué tout à l'heure par M. le Sénateur que les choses avaient commencé à la fin du XIXe siècle par une loi de 1890 qui a créé une première forme de coopération, que l'on appelle en français des syndicats de communes et qui étaient une formule extrêmement souple. Et cette formule extrêmement souple est d'autant plus importante qu'elle existe toujours, on y reviendra. Ces syndicats ne pouvaient être créés à l'époque que pour un seul service public, par exemple l'eau, et plus tard l'électrification. Il fallait donc pour chaque service public que l'on voulait gérer en commun, créer un établissement public de type syndicat de communes. On le voit, ce n'était pas extrêmement simple, ce n'était pas extrêmement souple. En 1915, on ne comptait qu'une quarantaine de syndicats, ce qui indique bien la persistance de la méfiance envers la coopération à la française. Les choses se sont un peu développées après la guerre, ne serait-ce que pour l'électrification et le ramassage des ordures ménagères, toutes sortes de sujets qui sont toujours au coeur des intercommunalités contemporaines. Passons, si vous le voulez bien, sur la période de Vichy, même si on a évoqué tout à l'heure un projet intéressant. Passons sur la période de la Libération, qui avait essayé de renforcer cette coopération. Les choses n'ont pas beaucoup évolué et on en arrive à une deuxième étape, qui est celle des débuts de la Ve République, c'est-à-dire les années 50, 1959 très précisément. Pourquoi la Ve République ? Pour des raisons techniques, juridiques et politiques de l'époque, il a été plus facile de faire adopter des textes, notamment de les faire adopter par ordonnances, plutôt que par la loi, et il était plus facile de faire adopter des textes sur l'intercommunalité sans passer par le Parlement. Et par conséquent les deux textes fondateurs de l'intercommunalité de 1959, sont ce qu'on appelle en français, des ordonnances. L'une sur la création d'une nouvelle forme de coopération qui s'appelle les districts. Et l'autre ordonnance a permis de créer, ce qu'on appelle des syndicats intercommunaux à vocations multiples. A vocations multiples, cela voulait dire qu'un même syndicat pouvait enfin gérer plusieurs services publics et que les communes n'étaient plus obligées de créer un établissement public pour un service public donné.

Ces deux textes de 1959 sont tout à fait importants et ont, d'une certaine façon, bouleversé le droit de l'intercommunalité. Ils ont provoqué un élan de l'intercommunalité tout à fait essentiel. Ces textes étaient importants mais ils n'étaient pas suffisants et il a fallu les compléter par un autre texte en 1966, qui crée ce qu'on appelle des communautés urbaines. C'est une loi du 31 décembre 1966 qui avait de grandes ambitions et comme très souvent en France, ces ambitions n'ont pas toujours été suivies d'effets. Une chose quand même importante, c'est que la loi de 1966 a créé autoritairement des communautés urbaines à Bordeaux, à Lyon, à Strasbourg et à Lille. On remarque que deux métropoles échappent à cela : Paris, mais il a déjà été évoqué tout à l'heure que la situation dans la région parisienne et en Ile-de-France était de toute façon différente, et puis surtout Marseille, le Maire de Marseille refusant à cette époque toute forme de coopération. Les communautés urbaines avaient une autre caractéristique tout à fait remarquable, elles étaient des modèles d'intégration très poussée des communes puisque le nombre de compétences qui devaient être transférées était très important. Et puis les choses se sont un peu calmées. Ensuite, sous réserve de la loi sur les fusions, pratiquement rien. Il faut dire que le législateur était occupé par d'autres questions en matière de collectivité territoriale. Il faut donc attendre 1992, qui marque une sorte de renouveau de la décentralisation, mais surtout de la coopération intercommunale, lorsque tout le monde prend conscience que la situation n'est plus tenable et qu'il faut absolument que les communes puissent coopérer d'une manière ou d'une autre. Que fait-on dans cette loi de 1992, et bien on crée deux nouvelles formes de coopération intercommunale, deux nouvelles structures : les communautés de communes et les communautés de ville. La carte de l'intercommunalité ressemble à peu près à ce que l'on a sous les yeux, c'est-à-dire à quelque chose de difficilement lisible. C'est-à-dire que les élus locaux ont dans leurs mains, plusieurs modalités de coopération, ce qui n'est pas extrêmement simple. Et pour le citoyen moyen, c'est à peu près incompréhensible. Certains auteurs, ou des hommes politiques, ont employé l'expression de « millefeuille de l'intercommunalité ».

Comme cela a été évoqué tout à l'heure, la nouveauté, c'est l'année 1999 avec la loi que l'on appelle « Loi Chevènement », du nom du Ministre de l'Intérieur de l'époque et qui fait quelque chose qui ne s'était jamais produit avant : des structures intercommunales sont supprimées. Une petite révolution en France, puisqu'on a plutôt tendance à ajouter qu'à supprimer. Le législateur supprime les structures qui n'ont pas rendu les services qu'on attendait d'elles, notamment les districts, non pas parce qu'ils n'avaient pas rendu des services, mais parce qu'ils n'en rendaient plus, et qu'il fallait aller au-delà. Les effets positifs de cette technique de coopération étaient épuisés. Le législateur supprime aussi les communautés de ville, puisque, et on pourra éventuellement y revenir tout à l'heure, ces communautés de ville étaient trop intégrées et qu'elles ont fait peur aux élus, qui n'en ont pas voulu et cela a été par conséquent un échec. La loi supprime donc, mais on crée quand même en même temps, et on renouvelle aussi le droit de l'intercommunalité comme on va le voir tout de suite, et j'insiste, sur le nom de la loi, sur l'intitulé de la loi, qui est assez révélateur, c'est la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement mais aussi à la simplification de la coopération intercommunale. Et il y a dans cette loi une volonté de simplification mais aussi de codification.

3°) Le droit commun de l'intercommunalité

J'en viens à un deuxième point rapide sur ce qu'on peut appeler le droit commun de l'intercommunalité. La loi de 1999 procède à une sorte de nettoyage du droit existant et puis en même temps fixe un maximum de règles communes pour les différentes formes d'intercommunalité, dans un chapitre spécifique du Code général des collectivités territoriales. Mais dans tous les cas, la loi en revient aux principes fondateurs de tout à l'heure, le droit français choisit la forme de l'établissement public de coopération qui se superpose donc aux communes existantes, ce qui ne constitue pas une simplification de l'administration. S'il n'y a pas de substitution, il y a en quelque sorte un ajout, et on ne peut pas ne pas comparer cette situation avec une forme de fédéralisme ou d'autres constructions du même genre. La logique de type fédéral est très souvent utilisée en droit français pour comparer et en tous cas traiter de cette question de l'intercommunalité. C'est donc une personne juridique nouvelle qui est ainsi créée, qui coiffe les collectivités territoriales, les communes, mais qui est organisée comme les collectivités territoriales, c'est-à-dire avec une assemblée délibérante élue au second degré, au suffrage universel indirect, et avec un organe exécutif, mais c'est un établissement public qui a des compétences spécifiques.

Un autre principe, affirmé aussi dans ces textes et réaffirmé en 1999, veut que lorsque les communes décident de déléguer des compétences à un établissement public de coopération, elles ne peuvent plus l'exercer elles-mêmes. Cela paraît peut-être évident, et le juge l'a rappelé dans une jurisprudence déjà ancienne, mais solennelle, c'est une sorte d'abandon presque considéré comme un abandon définitif. Le juge administratif a encore une fois été très ferme sur ce point.

Dans ces dispositions générales, on peut faire ressortir quelques éléments simples, d'abord quant aux règles de création. Comment est crée un établissement public de ce type ? Rappelons que seul l'État a la compétence pour créer des personnes juridiques nouvelles, c'est-à-dire des formes de coopération intercommunale. Ce ne sont pas les communes qui les créent juridiquement. Et donc l'établissement public en question n'est pas le fruit d'un contrat. La création relève d'une décision unilatérale de l'État et ce n'est pas non plus une association au sens du droit des associations. On s'en doute, le préfet, c'est-à-dire le représentant de l'État, va jouer un rôle tout à fait essentiel dans cette création. Et c'est l'arrêté de création signé par le préfet qui donne naissance à la nouvelle structure. On a vu que, dans certains cas, c'était même la loi qui avait créé des établissements publics de coopération intercommunale. Mais ne noircissons pas trop le tableau quand même. C'est le préfet qui crée, mais l'initiative provient soit des collectivités locales, c'est-à-dire des communes, par un système un peu compliqué, soit du préfet lui-même. Peut être rappelée une règle qui remonte à cette ordonnance de 1959 et qui est une règle de création essentielle qui a bouleversé le droit de l'intercommunalité depuis cette date, et qui a toujours été reprise dans tous les textes relatifs à l'ensemble des formes de coopération intercommunale. Cette règle est un peu compliquée à énoncer. Elle vise à essayer d'établir une forme de double majorité, c'est-à-dire qu'il faut, pour que l'intercommunalité puisse voir le jour, la réunion des deux tiers au moins des conseils municipaux, mais représentant la moitié de la population, ou bien l'inverse, c'est-à-dire, la moitié des conseils municipaux, mais représentant cette fois-ci les deux tiers de la population. Je vous laisse méditer cette formule qui paraît comme ça très compliquée, en fait il s'agit de tenir compte de deux éléments, la taille respective des différentes communes, et une question essentielle qui a été évoquée tout à l'heure par Monsieur le Sénateur, celle de la commune-centre et le poids de la commune-centre au sein de cette intercommunalité. On ne peut rien faire contre elle, mais aussi, il faut tenir compte du nombre de communes et notamment des petites communes autour de cette commune-centre. Il y a par conséquent dans ce mode de calcul la volonté de tenir compte de ces deux paramètres.

J'ai parlé plusieurs fois d'élections au second degré, mais il faut préciser que dans toutes les formes de coopération, sauf les syndicats de communes, c'est-à-dire la forme la moins élaborée, ne peuvent être élus, au sein de l'organe délibérant de la structure intercommunale, que des conseillers municipaux. Mais il n'y pas de droits acquis, c'est-à-dire que le Maire d'une commune n'est pas nécessairement membre de la structure intercommunale. L'éventuel conseiller général du canton n'est pas non plus nécessairement membre de la structure intercommunale. Il y a sur ce point une relative liberté. On constate qu'à plusieurs reprises, le Parlement a voulu, avec des majorités ou dans des configurations politiques différentes de celles dans laquelle nous nous trouvons actuellement, faire élire les structures intercommunales directement par les électeurs. A chaque fois, cette proposition a été rejetée soit au sein même de cette assemblée-ci, ou simplement au sein même de l'Assemblée nationale où une majorité n'était pas suffisante pour adopter ce point.

4°) La diversité des structures intercommunales

Un mot pour terminer sur la diversité des structures intercommunales, pour indiquer qu'il existe, à l'heure actuelle, une configuration, à trois étages et demi. Trois étages c'est-à-dire, trois formes de communautés que sont les communautés de communes, les communautés dites d'agglomérations et, au dessus, les communautés urbaines. Comment faire la distinction entre les trois ? En fonction de la taille, de la population de chacune de ces structures, de chacune de ces aires territoriales. Pour simplifier, les communautés de communes sont réservées aux structures rurales ou semi-urbaines, les communautés d'agglomérations pour les agglomérations d'au moins 50 000 habitants. Cela fait environ 150 aires d'agglomérations en France d'après l'INSEE. Les communautés urbaines sont réservées désormais aux très grosses agglomérations de plus de 500 000 habitants. Il y a, à l'heure actuelle, 14 communautés urbaines. Et puis, à ces trois structures de communautés correspondent des compétences différentes et plus le seuil est élevé, plus les compétences sont importantes avec un système un peu compliqué, parfois appelé de manière imagée « de menus et de cartes », pour reprendre une image de restauration, c'est-à-dire que les communes doivent transférer obligatoirement un certain nombre de compétences, puis ensuite des compétences qu'elles choisissent dans une liste, c'est pourquoi on parle d'image de la carte, dans une liste prévue par le législateur. Plus les structures sont grosses, plus le nombre de ses compétences est important. J'ai parlé rapidement de trois et demi, parce qu'il reste les syndicats de communes, qui continuent d'exister, qui sont importants et qui sont en nombre, les plus nombreux, de très loin, alors que certains syndicats de communes existent sur le papier, et plus vraiment dans la réalité. D'autres ont encore une réalité et ces syndicats de communes, qui sont beaucoup plus souples que toutes les autres formes de coopération, ont été, pour la plupart d'entre eux, les formules qui ont précédé les formes nouvelles.

M. Bruno Leprat. - A ceux qui vous demandent : dans vingt ans, à quoi ressemblera le panorama organisationnel, administratif, institutionnel français, que leur répondez-vous ?

M. Michel Verpeaux. - Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, vous avez compris que je ne suis pas totalement favorable à la fusion de communes. Que je ne suis pas favorable à des structures trop autoritaires et que le maintien de petites structures me paraît être quelque chose d'essentiel. J'observe simplement que dans toutes les hypothèses où l'on a voulu créer des institutions vers le haut, on ressent le besoin de créer des institutions vers le bas. Lorsqu'on crée des grandes communes, on crée des comités de quartier, enfin des conseils de quartier, lorsqu'on crée des grandes villes on fait des conseils d'arrondissement à Paris, Marseille et Lyon. Il y a donc quelque chose d'un tout petit peu paradoxal.

Il y a une autre solution qui n'est pas vraiment explorée, c'est de dissocier, parce qu'on ne l'a pas évoqué tout à l'heure, les structures de l'administration de l'État et les structures locales, territoriales décentralisées. L'échelon départemental est un échelon sans doute essentiel qui a rempli des missions importantes et on ne voit pas pourquoi il faudrait absolument s'en séparer, mais on pourrait peut-être conserver cet échelon départemental simplement pour les missions de l'État. On pourrait garder un préfet de département avec des services de l'État, mais ce département pourrait ne plus être nécessairement une collectivité territoriale en même temps. On pourrait très bien concevoir des structures qui ne seraient pas totalement parallèles comme elles le sont à l'heure actuelle. C'est une piste de réflexion pour les 20 ans qui suivent.

M. Bruno Leprat. - Merci beaucoup. Alors on va entendre maintenant, et vous allez rejoindre la salle Monsieur Verpeaux, Toshihiro Shinohara, avec une précision, il est accompagné du Maire de Takayama, qui sera là plutôt en observateur passif, pendant quelques quarts d'heure afin de répondre à vos questions d'ici une demi-heure à trois quarts d'heure. Monsieur le Maire interviendra en propre plus tard.

Monsieur Shinohara, alors dites-nous un petit peu de votre côté, comment s'est passé ce mouvement de fusions de communes, dont on parlait tout à l'heure, avec aussi ces disparitions de postes de conseillers municipaux, 18 000 en quelques années, comme cela a été évoqué tout à l'heure.

Je précise que vous êtes aux affaires intérieures, depuis 19 ans, rattaché à ce ministère, et que vous avez également été en poste à l'étranger, à Paris et en Jordanie, entre 92 et 95. Alors merci de nous éclairer sur ce mouvement très japonais de fusions des communes et puis je demanderai après à Marc Censi où il était en 1971, quand cette loi française a été mise en place, la loi Marcellin évoquée tout à l'heure. Après coup vous nous direz comment vous avez vu cette loi émerger et peut-être les souvenirs d'un jeune combattant de celle-ci.

Monsieur Shinohara, s'il vous plaît.

B. M. TOSHIHIRO SHINOHARA, DIRECTEUR DE LA PLANIFICATION DES POLITIQUES AUPRÈS DU SECRÉTARIAT DU MINISTRE DES AFFAIRES INTÉRIEURES ET DES COMMUNICATIONS : LE MODÈLE JAPONAIS DES FUSIONS DE COMMUNES : COMMENT ET JUSQU'OÙ PEUT-ON FUSIONNER ?

Bonjour Mesdames et Messieurs, je vous remercie par avance de votre attention. Pour ma part, je vous parlerai de la fusion des communes au Japon. Jusqu'où la fusion de communes est-elle allée et où est-ce que l'on en est aujourd'hui ? Je tiens à vous préciser que je travaille au ministère des Affaires intérieures et des communications qui est compétent en matière d'administration territoriale. J'ai également été détaché de 1998 à 1999 auprès du département d'Ehime, en qualité de Directeur des affaires communales.

A l'époque, on parlait beaucoup de la fusion de communes. Comme l'État, les départements donnaient aux communes des conseils sur la fusion, ce que j'ai effectué dans le département d'Ehime. Ensuite, j'ai été affecté à un poste au sein du ministère pour travailler sur les projets de fusion entre 2000 et 2003, période où les communes ont commencé à se mobiliser véritablement. Du fait de ces trois années d'expérience, je connais très bien ce qui s'est passé à l'époque, et c'est ce dont je voudrais vous entretenir. Je dois toutefois vous préciser que la fusion de communes au Japon n'a pas été mise en oeuvre sans difficulté. Le ministère des Affaires intérieures et des communications en charge de la promotion de la fusion était lui-même sceptique à l'origine. En effet, il y avait beaucoup de pression politique. Le nombre des communes était d'environ 3 200 à l'époque. La majorité et l'opposition ont conjointement poussé le gouvernement à promouvoir la fusion de communes. Au début, il a même été question de réduire les 3 200 communes à 1 000 ou à 300, car des objectifs chiffrés donnent toujours un caractère sérieux à un projet. Cependant au sein du ministère, un tel objectif semblait difficile à atteindre. Un de mes supérieurs hiérarchiques m'a même dit un jour que le gouvernement se féliciterait d'une fusion de communes dans chacun des 47 départements. Par ailleurs, il est vrai que pour beaucoup de Japonais, le nombre de 3 200 était considéré comme élevé. C'est pourquoi la politique de fusion serait jugée réussie si le nombre des communes passait en dessous de 3 000. Tel était le point de départ. Mais au fur et à mesure que nous avancions, nous avons pris de l'élan, et un mouvement général s'est produit. Nous n'en sommes toujours qu'au milieu du processus mais d'après une prévision, le Japon comptera 1 821 communes le 31 mars 2006, soit une baisse de 40 %.

Personnellement, je ne pense pas que le modèle de regroupement intercommunal choisi par le Japon soit meilleur que d'autres modèles. Il existe plusieurs modèles de regroupement intercommunal, et la France et le Japon ont opté chacun pour une méthode différente. Il m'arrive souvent de me rendre dans des communes pour la promotion de la fusion, et je discute avec des acteurs communaux. Parmi les personnes que j'ai rencontrées, beaucoup étaient contre la fusion de communes et m'ont dit : « Prenons le cas de la France. Il existe 36 000 communes dans ce pays, et elles fonctionnent très bien. Au Japon, il n'y a que 3 200 communes, soit un dixième des communes françaises. En plus, la taille des communes japonaises est suffisamment grande. Où donc est le problème ? » J'ai alors répondu que la situation japonaise et la situation française n'étaient pas les mêmes. Que nos deux pays n'avaient pas la même histoire et que le rôle des communes japonaises n'était probablement pas le même que celui des communes françaises. Il est en effet difficile de faire une comparaison simple. La France a choisi un autre mode de regroupement intercommunal qui est la coopération intercommunale. Les structures intercommunales appelées « communautés » respectent l'existence des communes. Le colloque d'aujourd'hui est particulièrement intéressant puisqu'il nous permettra de faire une comparaison des deux modes de regroupement intercommunal en tenant compte de ces différences.

A la page 9 du document qui vous a été distribué vous trouverez des données chiffrées qui vous permettront d'avoir une idée sur l'administration territoriale au Japon 1 ( * ) . Il existe au Japon deux niveaux de collectivités territoriales qui sont les départements et les communes. Ces collectivités territoriales sont appelées « collectivités territoriales ordinaires ». Il y a 47 départements. Avant la Seconde Guerre mondiale, les gouverneurs de département étaient désignés par l'État. Ces représentants de l'État étaient envoyés dans les départements pour contrôler les collectivités territoriales. Depuis la fin de la guerre, les gouverneurs sont élus directement par les habitants, ce qui est appelé le « régime Présidentiel ». C'est le changement le plus important pour l'autonomie locale d'après-guerre. Selon certaines statistiques, le nombre des communes est de 2 395, un chiffre qui peut encore évoluer. Il existe par ailleurs des « collectivités territoriales particulières », qui correspondent essentiellement à des « syndicats pour affaires partielles ». Il y a aussi des structures intercommunales appelées « groupements intercommunaux à grand périmètre » qui disposent de compétences plus importantes que les syndicats intercommunaux.

Vous trouverez ensuite, à la première page du document, l'historique de la fusion de communes2 ( * ). Le Japon a connu trois vagues de fusion de communes. La première vague a eu lieu entre 1888 et 1889, époque très ancienne. En France, c'était l'époque de la IIIe République. Une vingtaine d'années auparavant, nous étions encore à l'époque d'Edo au Japon. Il y avait encore des samouraïs qui déambulaient dans les rues. Soudain, le système changea brutalement. La nécessité de moderniser rapidement le pays pour le doter d'un système semblable à celui des pays occidentaux se ressentit fortement. Et tout naturellement, il a semblé nécessaire de créer des communes. Une délégation fut envoyée en Europe pour étudier les systèmes d'administration territoriale des pays européens. A l'origine, les communes japonaises ont été créées à l'instar des communes françaises. Cependant, le Japon a adopté à cette époque une partie du système prussien pour renforcer les compétences des communes et a organisé des fusions forcées. En six mois, le nombre des communes a été divisé par cinq. La deuxième vague correspond à la période allant de 1953 à 1961. Comme ces années se situent pendant l'ère Showa au Japon, elle est appelée « la grande fusion de l'ère Showa ». Après la guerre, le Japon a adopté le système américain. Les communes devaient désormais assurer un nombre important des services, et pour cela, les communes ont été appelées à fusionner. Il s'agissait cette fois de fusions volontaires. Le nombre de communes qui était de 10 000 environ est passé à 3 500. Enfin, la dernière vague de fusion, appelée « la grande fusion de l'ère Heisei », correspond, quant à elle, à la période de 1995 à 1999 jusqu'au 31 mars 2005 3 ( * ) . Précédemment, je vous ai présenté le nombre des communes à la suite de cette fusion. A la page suivante de votre document, vous pouvez voir l'évolution du nombre des collectivités territoriales au Japon. Beaucoup de personnes trouvent la taille démographique des communes japonaises importante, et selon elles, c'était déjà le cas avant la fusion. Ceci est vrai en comparaison des communes en France. En mars 1999, il existait 3 229 communes au Japon, et la moyenne de la population était alors d'environ 36 000 habitants. Toutefois, en réalité, la disparité de population entre les communes était très importante. Cet état de fait était notre préoccupation. Par exemple, la ville de Yokohama comptait 350 000 habitants alors qu'il y avait en contrepartie des communes rurales d'environ 200 habitants. Il y avait vraiment des déséquilibres. La moyenne de la population des communes était de 36 000 habitants, mais la moitié de ces 3 200 communes avaient moins de 10 000 habitants. La taille de ces communes n'était donc pas suffisamment importante par rapport à celle que les communes japonaises devraient avoir. C'est pourquoi la grande fusion de l'ère Heisei a été mise en oeuvre. J'en ai terminé avec ma présentation. Je vous remercie.

M. Bruno Leprat. - Merci, on s'attendait à d'autres pages divulguées, mais ce sera pour un peu plus tard. Marc Censi, une réaction par rapport à tout ce que vous avez pu entendre jusqu'ici. On rappelle que vous êtes le Président d'une assemblée qui rassemble des structures intercommunales, Président de longue date, je crois, cela fait combien de temps, à l'ADCF ?

M. Marc Censi. - 15 ans.

M. Bruno Leprat. - Alors une réaction par rapport à ces propos ? Une réponse de type testimonial, sur cette réforme de 1971, et puis le point que vous vouliez partager avec notre public : où en sommes-nous aujourd'hui concernant cette répartition des compétences entre collectivités, entre EPCI et collectivités ?

* 1 Cf. annexe 3.

* 2 Cf. annexe 3.

* 3 Cf. annexe 3.

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