Actes du colloque "Les modèles français et japonais du regroupement intercommunal"



Sénat - 23 février 2006 - Palais du Luxembourg

II. LE REGROUPEMENT INTERCOMMUNAL : LA RECHERCHE D'UNE NOUVELLE RATIONALITÉ TERRITORIALE

A. M. MARC CENSI, PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE DES COMMUNAUTÉS DE FRANCE (ADCF), MAIRE DE RODEZ, PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ D'AGGLOMÉRATION DU GRAND RODEZ : LE SYSTÈME FRANÇAIS DE RÉPARTITION DES COMPÉTENCES

Bien, tout d'abord, je voudrais saluer Monsieur Shikata que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans des circonstances un peu semblables à celles-ci sur les mêmes thèmes, et que je suis très heureux de retrouver aujourd'hui. Ensuite pour répondre plus précisément à votre question, en 1971, j'étais Maire-adjoint de Rodez et vice-Président du district du Grand Rodez. Ce qui par un calcul simple permet de constater que j'ai un certain nombre d'heures de vol en intercommunalité, 35 ans de pratique de l'intercommunalité. Et que sauf tout le respect que je dois à Monsieur le Sénateur Dallier qui est intervenu tout à l'heure, nous avons semble-t-il sur l'intercommunalité des visions assez différentes, ce qui est bien d'ailleurs, parce que cela prouve qu'un débat est ouvert. Mais que ce que vous avez entendu de la part de Monsieur le Sénateur, n'est pas le seul point de vue que l'on puisse exprimer sur l'intercommunalité.

Bon, ce n'est pas le propos que l'on m'a demandé de développer. Je souhaite Monsieur le Sénateur que nous ayons une rencontre qui nous permettrait d'harmoniser nos points de vue, et que je puisse vous faire part de la modeste expérience de la part de quelqu'un qui, je le répète, pratique l'expérience de l'intercommunalité depuis 35 ans.

Alors vous m'avez demandé de dire quelque chose sur une autre curiosité française qui mérite certainement le détour, c'est la répartition des compétences entre les divers niveaux de collectivités territoriales. On parle souvent des exceptions françaises. Dans ce domaine de la gestion territoriale, il y en a trois qui reviennent souvent sur les devants de la scène. La première, déjà évoquée par les orateurs précédents, ce sont les 36 730 communes, ce qui en effet est une exception, et un record probablement mondial, ramené au nombre d'habitants. Mais c'est assorti d'une autre circonstance qui va de pair avec celle-là, qui est son corollaire, qui a été évoquée d'ailleurs tout à l'heure par M. Verpeaux, et qui est la présence de près de 500 000 conseillers municipaux, c'est-à-dire pratiquement 1 % de la population de la nation qui diffuse de la démocratie locale au sein de la population. Et donc comment essayer de régler la trop grande dispersion entre 36 000 communes en conservant cette richesse de la démocratie locale ? C'est l'intercommunalité, la coopération intercommunale qui, en effet, a été préférée récemment, à la fusion. Et je dois dire, pour avoir longuement participé à toutes ces années de combat, qu'il a fallu beaucoup de temps, à tous ceux qui étaient convaincus des mérites de l'intercommunalité pour convaincre le législateur d'abandonner l'idée de fusion, et d'opter plutôt pour cette solution innovante, qui est également une exception française dont nous sommes particulièrement fiers. La coopération intercommunale permet de modifier le maillage des 36 000 communes en trouvant une dimension de maille beaucoup plus pertinente avec les attributions, les missions et les fonctions des collectivités de base, tout en conservant cette extraordinaire richesse que représentent les quelque 500 000 conseillers municipaux.

Et enfin la troisième exception française, et c'est celle-là que je voudrais notamment développer, c'est ce qu'on appelle la clause générale de compétence, autrement dit, comment ces trois niveaux de collectivités territoriales, qui sont des niveaux gigognes imbriqués les uns dans les autres, se répartissent-ils l'ensemble des compétences de la gestion des collectivités territoriales ?

Donc trois niveaux, je vous le rappelle, et cela n'est pas une exception française, un certain nombre de nations, d'États, notamment dans l'Union européenne, ont en effet trois niveaux de collectivités territoriales, la commune, le département et la région, le problème est de savoir qui fait quoi, et donc quelle est la répartition des compétences. On se heurte (je crois que le mot convient) à deux principes qui ont un caractère à la fois contraignant et contradictoire. Le premier principe résulte de la Constitution, l'article 72 de la Constitution : « en France les collectivités s'administrent librement, par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ». C'est donc la liberté d'administration totale par les conseils élus par le peuple, c'est d'ailleurs ce qu'a rappelé tout à l'heure M. Verpeaux. Premier point.

Deuxième principe : le conseil municipal, régional, ou général, gère par ses délibérations les affaires de la commune, du département ou de la région. Les affaires, c'est tout ce qui concerne la population et le territoire. Ce qui débouche sur un constat que les étrangers en général examinent avec un certain étonnement. Il existe cependant des compétences d'attribution en ce sens qu'elles sont affectées à chaque niveau, par exemple souvent citées en matière d'enseignement, les communes ont l'enseignement primaire, les départements les collèges, et les régions ont les lycées.

En dehors de ces compétences d'attribution, chaque échelon est autorisé à faire ce qu'il souhaite, pourvu que cela dépende et que cela ressorte des compétences de son échelon territorial. C'est ce qu'on appelle la clause générale de compétences qui est une particularité dont vous saisissez bien qu'elle est en quelque sorte une clause subsidiaire car certes, je le répète, il y a des compétences d'attribution, mais tout ce qui est au-delà des compétences d'attribution est un champ ouvert aux collectivités territoriales. C'est la clause générale de compétence.

Donc retenez bien cela. Les trois niveaux de compétences territoriales, en matière par exemple, de culture, de tourisme, d'aménagement du territoire, de développement économique..., ont la possibilité de tout faire. On ne peut contester à aucun d'entre eux que cela représente bien les affaires de la collectivité qu'il administre. Et alors, deuxième aspect, ou deuxième constat qui découle lui aussi des attributions, aucune collectivité locale n'est autorisée à établir ou à exercer une tutelle sous quelque forme que ce soit sur une autre d'entres elles. Tout le monde comprend bien ce que cela veut dire : « charbonnier est maître chez lui », et que ni la région, ni le département ne peuvent exercer une tutelle quelconque sous quelque forme que ce soit sur la commune et réciproquement. Mais en général, la tentation de tutelle, elle est toujours du plus fort sur le plus faible. Il y a quand même quelques exemples qui sont assez croustillants.

Alors la question qui se pose dans ce paysage qui est quand même assez étonnant, c'est : qui assure la coordination des politiques territoriales de ces échelons qui sont, je le répète, imbriqués, puisque par définition, ils ont une composition gigogne ? Qui exerce la coordination ? Autrement dit : qui est susceptible d'orienter les divers efforts et actions de chacun des niveaux, pour que la résultante de l'action de ces diverses actions locales ne soit pas nulle dans le plus mauvais des cas, parce qu'on peut arriver parfois à des initiatives qui peuvent être contradictoires, en tout cas qui ne sont pas toujours et systématiquement convergentes. Et bien la réponse à cette question un peu angoissante, c'est : personne. Personne, aujourd'hui dans le contexte actuel, n'assure la moindre coordination et je le dis avec conviction et sans risque d'être fondamentalement démenti, personne n'assure cette coordination. Vous imaginez que cela a quand même quelques conséquences, et quand on recherche des économies, notamment M. le Sénateur des économies dans l'intercommunalité, je suis à peu près persuadé que si une commission d'enquête voulait bien se pencher sur les conséquences négatives, notamment financières, de cet extraordinaire manque de coordination des initiatives et actions locales, on déboucherait probablement sur des sommes qui relativiseraient beaucoup les reproches que l'on peut encore faire parfois à l'intercommunalité. Evidemment, le législateur est parfaitement conscient de cette situation. Vous imaginez bien que cela n'a échappé aux yeux de personne, mais on se heurte à des inerties qui ont été évoquées ici à plusieurs reprises, et qui font qu'il est très difficile de revenir sur ce qu'on appelle les situations acquises historiquement, parfois très anciennes.

Des propositions ont été faites pour essayer d'apporter une réponse intelligente et efficace. La première a été avec les lois de 1981-82, et c'était suggéré par le père des lois qui a laissé son nom aux lois de décentralisation, Gaston Defferre, à l'époque Ministre des Affaires intérieures : c'était les blocs de compétences. Gaston Defferre avait dit, d'ailleurs il l'a écrit, à l'époque : l'important c'est qu'on ne puisse pas revenir en arrière, on ne règle pas tout, mais ensuite on s'attachera à régler les conséquences de ce premier acte politique important de décentralisation, et il était parfaitement conscient qu'en matière de compétences il faudrait en effet, légiférer, et l'idée qui avait été retenue à l'époque et qui n'a pas été mise en pratique, c'était ce qu'on appelait les blocs de compétence. C'est-à-dire que petit à petit on devait se trouver dans une situation où l'un se chargerait de la culture, l'un du tourisme l'autre du développement économique et par niveau, chacun aurait en charge un véritable bloc de compétences qui éviterait les incidents de frontières ou les financements croisés, enfin un certain nombre de joyeusetés que l'on connaît actuellement. C'est totalement impossible, le système des blocs de compétences se heurte, comme vous vous en doutez à la liberté laissée à chaque niveau de gérer les affaires de son échelon. Puisque, comment pourrait-on dénier à un Maire par exemple de s'occuper du tourisme dans sa commune au prétexte que c'est le département qui s'en occupe ? On ne peut pas prétendre quand même que cela ne dépend pas des affaires de la commune. Et donc on s'est heurté à une impossibilité et le système des blocs des compétences a péri avant de pouvoir être appliqué.

On a également trouvé plus récemment, d'ailleurs inscrite dans la Constitution, la notion de chef de file, autrement dit quand plusieurs partenaires de niveaux différents devraient coopérer pour réaliser un projet commun, ou une action commune, ou une stratégie commune, l'un d'entre eux des trois niveaux, de n'importe quel niveau, n'importe lequel en fonction de la nature de l'opération, pourrait devenir le chef de file. Mais même problème, et la docte assemblée qui nous héberge aujourd'hui dans ses locaux a, si mes informations sont bonnes, longuement réfléchi et discuté sur l'application que l'on pourrait donner à la notion de chef de file sans en définitive pouvoir régler la quadrature du cercle, c'est-à-dire donner systématiquement et toujours retomber sur cette notion de non-tutelle d'une administration d'un niveau quelconque sur les autres. La notion de chef de file, bien qu'elle soit inscrite dans la Constitution depuis 2003 n'a, à ma connaissance, à ce jour donner lieu à aucune application sur l'ensemble du territoire.

Je parlerai d'abord de l'expérimentation. La Constitution prévoit également que les collectivités locales peuvent être autorisées à lancer des expérimentations. Et donc là on a, me semble-t-il, fondé quelque espoir sur la capacité d'innovation. Les collectivités territoriales, on me dira ont peut-être de l'imagination d'où naîtraient des solutions auxquelles on n'avait pas pensé, et qui pourraient ici et là s'appliquer de façons diverses d'ailleurs, et en essayant d'échapper à cette norme républicaine qui, il faut bien le répéter, est un peu contraignante chez nous. Même chose à ce jour, et bien que ce soit inscrit dans la Constitution la notion d'expérimentation a fait l'objet de quelques propositions qui n'ont pas été retenues par le législateur. J'en connais une, puisque c'est nous qui l'avions faite dans le cadre de l'Assemblée des communautés de France. Nous proposions, pour la distribution d'une dotation de l'État qui s'appelle la Dotation globale de fonctionnement, ce qu'on appelle la DGF territoriale, je ne rentre pas dans le détail, ce qui est intéressant, c'est que nous avons proposé une expérimentation et que l'on n'a pas pu l'appliquer.

Autre principe, et autre solution, inscrit lui aussi dans la Constitution, c'est la subsidiarité. Alors peut-être que nos amis qui viennent de territoires lointains ne connaissent pas, ou connaissent mal le débat sur la subsidiarité. C'est un vieux thème de philosophie politique que l'on retrouve chez les anciens. On en retrouve des traces chez Aristote, chez Saint-Thomas d'Aquin, puis chez Hobbes, chez Locke, enfin tous les philosophes qui se sont penchés sur ces questions-là ont abordé plus ou moins cette question de subsidiarité qui consiste tout simplement à dire que quand un niveau ne peut raisonnablement exercer une compétence au plus près du terrain, alors il peut éventuellement la transférer à un niveau d'organisation plus large, mais seulement à cette condition, c'est-à-dire que le niveau le plus important dans cette optique, c'est le niveau de base et que les autres ne sont que des niveaux subsidiaires. En France, c'est tellement révolutionnaire qu'on a pris la précaution en l'inscrivant dans la Constitution de la désigner par un euphémisme mais d'éviter au moins le mot de subsidiarité, qui en fait n'apparaît pas et qui, je le répète, est défini par une périphrase.

Et puis enfin, une dernière solution, qui celle-là a donné quelques résultats et est à mes yeux la piste la plus concevable et la plus raisonnable, c'est le contrat, puisque chaque niveau est totalement libre de ses décisions et de ses mouvements et d'apprécier ce qui dépend des affaires de son territoire et de sa collectivité. Puisque aucun d'entre eux ne peut exercer de tutelle sur l'un quelconque des autres, qu'est-ce qui reste ? Il reste de s'entendre par conventions entre niveaux. Et de fait, c'est une formule qui marche depuis maintenant quelques années avec les contrats de plan État-région, je ne vais pas rentrer dans le détail, qui ont généré toute une série d'approches et de relations contractuelles en cascades entre les divers niveaux, les projets et les contrats d'agglomération, les chartes de pays, les chartes de parcs naturels régionaux... Voilà donc tout un attirail, une boîte à outils de relations contractuelles, qui finalement, très objectivement, apparaissent apporter une réponse extrêmement raisonnable. Mais c'est trop facile. Et du coup, on voit naturellement ressurgir ici ou là, des tentations pour notamment les plus importants, les plus forts, de s'imposer. Comment voulez-vous que l'État négocie avec les régions sans imposer ce qu'on a appelé les noyaux durs ? L'État veut bien négocier mais à condition de définir un cadre absolument strict et de dire quelles sont ses volontés. On accepte ces volontés ou on les refuse. Je ne pense pas que ce soit une bonne méthode, une méthode raisonnable de négociation. De même quand un département ou une région négocie avec une commune ou une intercommunalité, à votre avis qui est le pot de terre et qui est le pot de fer dans cette négociation ? Je crois qu'on s'est heurté là à quelques limites du système et c'est bien dommage parce qu'à mes yeux et à l'expérience il me semble que dans l'architecture actuelle de la gestion territoriale de la France, c'est probablement la meilleure voie qui nous soit offerte.

Et je suis un peu désolé de constater qu'en ce moment, des interrogations s'expriment sur la continuité des politiques contractuelles pour une raison qui n'a rien de psychologique et qui est infiniment prosaïque, c'est que plus personne n'a suffisamment d'argent pour s'engager dans des contrats surtout pas l'État et probablement bientôt plus l'Europe. Alors évidemment à partir du moment où on ne sait plus quoi amener à l'issue d'une négociation dans un contrat, il ne reste plus grand-chose, mais je pense que c'est quand même probablement la meilleure solution à trois conditions et ce sera ma conclusion. Premièrement, que les aides extérieures, c'est-à-dire que les niveaux supérieurs de l'État et de l'Europe conditionnent leur participation à l'existence d'un véritable contrat. Voilà le rôle de l'État. J'interviens, je vous aide, d'accord, mais à la condition que vous vous soyez d'abord entendus entre vous. Et ça a été suggéré, ça a été tenté. Hélas aujourd'hui, cela n'est plus du tout de mise.

Deuxième point, que les négociations soient équilibrées, et que chaque niveau aille à la convention ou au contrat avec des capacités de se faire entendre, équivalentes pour tous, et enfin troisième point, que tout manquement à la parole et à la signature du contrat puisse faire l'objet d'une sanction. Ce qui n'est pas le cas. Avec, pour donner le mauvais exemple, l'État, je suis désolé de le dire mais qui, constatant à certains moments qu'il n'a plus les moyens de faire face à l'ensemble de ses engagements, décide que le contrat de plan va être allongé ou raccourci ou que tout un volet va être interrompu. Ce n'est pas possible. On ne peut pas fonder des politiques et des stratégies sur les relations contractuelles si l'une des parties ne tient pas parole. Et je vous assure que, et je remercie d'ailleurs les organisateurs de cette réunion de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer sur ce sujet, parce qu'il représente à mes yeux, et de loin, et peut-être plus encore que les interrogations que l'on peut avoir sur l'évolution de l'intercommunalité, ou des divers niveaux, un problème d'urgence auquel il convient de s'attaquer, d'abord de bien l'identifier, de faire accepter qu'il existe, et lui apporter des solutions. Je vous remercie.

M. Bruno Leprat. - Merci. Avant de réentendre M. Shinohara et de faire place à quelques questions, Monsieur Censi, juste une question. Quelle signification a le mot « fusion » pour vous ?

M. Marc Censi. - Ah si, la loi sur les fusions existe toujours, et par conséquent si les communes ont la volonté de fusionner, il ne faut surtout pas les en empêcher. Mais je crois que l'excès en tout est un défaut. Il y a aujourd'hui en France, cinq communes qui ont zéro habitant, qui n'ont plus d'habitant. Elles ne sont pas à côté sinon on pourrait les fusionner les unes avec les autres. Mais c'est vrai que l'on peut s'interroger sur la volonté systématique de tout conserver et qu'il n'est tout de même pas très raisonnable d'avoir des communes qui n'ont même pas d'habitant pour pouvoir constituer un conseil municipal.

M. Bruno Leprat. - M. Shinohara, sur la relation entre tout ce qui est fusion et dispositif de décentralisation.

B. M. TOSHIHIRO SHINOHARA, DIRECTEUR DE LA PLANIFICATION DES POLITIQUES AUPRÈS DU SECRÉTARIAT DU MINISTRE DES AFFAIRES INTÉRIEURES ET DES COMMUNICATIONS : LE SYSTÈME DE FUSION JAPONAIS, FONDEMENT DE LA DÉCENTRALISATION

Et bien, je vous invite à vous reporter à la page 3 du document distribué 4 ( * ) qui présente les raisons et les effets attendus de la fusion de communes. Au Japon, il y a quatre raisons de promouvoir la fusion avec en premier lieu, la décentralisation. Je pense que c'est une tendance que l'on retrouve dans le monde entier. Au Japon, la loi globale sur la décentralisation est entrée en vigueur en 1999 pour promouvoir une décentralisation qui s'appuierait sur les décisions et les responsabilités des collectivités territoriales. En effet, une prise de décision engage des responsabilités, donc les communes sont amenées à prendre des décisions et en assumer les responsabilités.

M. Censi a parlé du principe de subsidiarité. Au Japon, nous en sommes très conscients. Ce principe fait partie de la tradition de notre administration locale d'après-guerre. La commune qui est la collectivité territoriale la plus proche de la population peut assurer tous les services. Il faut d'abord envisager de faire assurer des services par les communes, toutefois le département se chargera des services qu'elles ne peuvent assurer. De même, l'État assurera les services que le département ne pourra pas assurer. Tel est le principe, mais dans la réalité c'est difficile. Il existe encore de nos jours un fossé entre la théorie et la pratique. La loi globale sur la décentralisation prévoit que l'État, les départements et les communes sont égaux et qu'ils entretiennent des relations de coopération. C'est un peu comme le contrat de plan État-Région que M. Censi a présenté. Il s'agit d'une relation réciproque. Ceci aussi est facile à dire que difficile à mettre en pratique.

En outre, je peux citer le problème de la dénatalité et du vieillissement de la population comme une deuxième raison de promouvoir la fusion de communes. Le Japon a atteint un pic de population l'an passé et, pour la première fois dans l'histoire du Japon, la population va dorénavant commencer à décroître. A l'avenir il y aura de moins en moins de jeunes et de plus en plus de personnes âgées, ce qui signifie que la charge de l'administration publique sera de plus en plus importante. Il faut donc augmenter la superficie des communes.

Par ailleurs, la demande de services couvrant un périmètre plus étendu croît. En France, il y a l'intercommunalité, et au Japon, on élargit le périmètre des communes par la fusion. Précédemment, M. le professeur Verpeaux nous a expliqué que le département français était d'une taille qui permettait de se rendre au chef-lieu à cheval. Au Japon, durant l'ère Meiji, la commune représentait une superficie que l'on pouvait parcourir à pied. Et à partir de la fusion de 1953, la commune avait un périmètre que l'on pouvait parcourir à bicyclette. Comme on utilise la voiture aujourd'hui, le périmètre de la commune s'élargit pour essayer de recouvrir la sphère d'activités quotidiennes comme le travail ou l'école.

Ensuite, on parle beaucoup de réformes structurelles. C'est le mot clé de la politique de M. le Premier Ministre Koizumi. A une époque où les finances locales présentent beaucoup de difficultés, il est nécessaire de réformer fondamentalement l'État et les collectivités territoriales. La fusion de communes est l'un des volets importants des réformes structurelles.

Alors pour parler plus concrètement, mais succinctement, je vous remercie de vous reporter à la page 4 du document 5 ( * ) . On constate que les mairies ont vraiment très peu de moyens en termes de personnel. Il y a par exemple dix ou vingt personnes, et un grand nombre de tâches à effectuer avec cet effectif. Prenons le troisième service sur le tableau. Il s'agit du service de la santé et des actions sociales en charge de divers services pour les personnes âgées. A gauche, on voit que deux personnes de la mairie doivent travailler avec cinq services du département. Elles doivent donc faire face à toutes sortes de demandes adressées par le département. Elles n'ont même pas le temps de réfléchir, et répondent tout juste à ces demandes. Il leur est donc impossible de faire un travail créatif. Et pourtant il serait souhaitable que les communes soient les plus créatives de toutes les collectivités locales. Mais dans un tel système, même si les agents se donnent beaucoup de mal, il leur est impossible de réaliser un travail créatif. Ensuite, le tableau de la page suivante présente le budget de la commune par habitant 6 ( * ) . Je me demande s'il est approprié de parler de la gestion communale uniquement de la dimension financière, mais il est important de savoir si les recettes fiscales sont utilisées de manière efficace pour chacun des habitants. Par exemple, pour une commune de 30 000 ou 40 000 habitants, le budget par habitant est d'environ 360 000 yens, soit environ 2 500 euros par an. Pourtant lorsqu'il s'agit d'une commune de moins de 5 000 habitants, le budget par habitant est le triple, environ 7 500 euros par an. Le contribuable peut légitimement se poser la question de savoir si les impôts qu'il a payés sont correctement utilisés.

M. Bruno Leprat. - Avons-nous terminé votre intervention, M. Shinohara ? Je vous remercie.

Alors, on a donc maintenant une petite séance d'échanges relais, pour respirer un peu. On aura ensuite un changement de quelques orateurs en tribune. Monsieur, s'il vous plaît. Peut-être pourriez-vous vous présenter ? Je crois que vous venez de l'Ambassade.

C. DÉBAT AVEC LA SALLE

Je m'appelle M. Uemura. Je travaille à l'Ambassade du Japon en France. Comme je suis détaché du ministère des Affaires intérieures et des communications, je suis personnellement impliqué dans la décentralisation et dans les diverses réformes. Au sein des collectivités territoriales, je ne me suis pas occupé de fusions de communes, mais également d'autres domaines dont les finances locales.

J'ai un commentaire à faire et deux questions à poser. Je commencerai par le commentaire. M. Shinohara a soulevé une question sur les capacités des communes. En effet, lorsqu'on compare les systèmes d'administration territoriale de différents pays, on cherche à comparer le nombre de communes, le nombre de niveaux de collectivités territoriales. On a tendance à se contenter des chiffres, mais il faudrait en fait étudier les compétences dont les communes disposent et les services assurés par les communes. On ne peut pas faire de comparaison pertinente sans étudier ces questions. Et en ce sens, on peut imaginer qu'en France où les communes sont de petite taille, le volume de services assurés n'est pas important, ou bien que ces communes ne peuvent pas exercer certaines compétences alors que ces dernières leur sont bel et bien attribuées. Une telle situation peut expliquer le choix de la coopération intercommunale par la France, ce qui fait une grande différence avec le Japon qui a opté pour la fusion de communes. C'est pourquoi une telle différence devra être absolument prise en compte dans ces diverses recherches à mener.

Voici maintenant mes deux questions. Premièrement, au Japon, la fusion de l'ère Heisei n'est pas une fusion forcée. Elle respecte avant tout la volonté des communes. Ceci dit, il est vrai que la fusion a été mise en oeuvre en même temps que la décentralisation et les réformes des finances publiques, pour que les communes puissent exercer leurs compétences dans un nouveau cadre. Au Japon, un grand nombre des compétences ont été attribuées aux collectivités territoriales après la Seconde Guerre mondiale, mais le problème du contrôle exercé par l'État, correspondant à la tutelle exercée par l'État autrefois en France, et le contrôle financier de l'État subsistait depuis. C'est une grande différence entre nos deux pays. C'est ce que je voulais ajouter. En France, la réforme de la décentralisation a été mise en oeuvre au début des années 1980 avec un transfert de compétences de l'État aux collectivités territoriales. La France a procédé ensuite au renforcement de la coopération intercommunale, mais avec un laps de temps entre les deux. J'aurais souhaité connaître les observations des acteurs locaux français sur ce décalage. Est-ce que la décentralisation et le renforcement de la coopération intercommunale auraient dû être mis en oeuvre en même temps ? Ou bien est-ce qu'il y a eu des effets positifs dans le fait qu'il y ait eu un intervalle entre les deux ?

Deuxièmement, je voudrais poser une question sur le rôle du préfet en France. Il n'y a pas d'équivalent du préfet au Japon. L'État et les collectivités locales sont donc complètement distincts, alors qu'en France, il y a le préfet dans le département qui remplit depuis quelque temps un rôle de coordinateur. Si le préfet dispose d'un large pouvoir en matière de création d'un EPCI, est-ce qu'il tient compte vraiment des intentions des communes ? S'il ne donne pas suite au projet de création d'un EPCI, sur quoi s'appuie-t-il pour se prononcer de manière défavorable ? Est-ce que ce ne serait pas là une marque de pouvoir centralisateur ? A ce niveau quelle est la philosophie du système en vigueur et comment ce système est-il apprécié ?

M. Bruno Leprat. - Merci, M. Censi cela s'adresse plutôt à vous en tant que représentant des institutions françaises à cette tribune. Bien sûr, si des personnes dans la salle veulent apporter des éléments de réponse à notre interlocuteur, elles sont bienvenues. M. Censi, sur ces étapes de décentralisation, cette présence du préfet... ?

M. Marc Censi. - D'abord il y a eu une erreur d'interprétation de la part de l'intervenant sur les étapes de la décentralisation. L'intercommunalité s'est généralisée certes après les années 80, et après la décentralisation mais l'intercommunalité à fiscalité propre a été créée en France en 1959, et à la fin des années 70, il y avait à peu près en France, je n'ai pas le chiffre exact, mais en gros 200 districts, donc 200 structures de coopération intercommunale.

La décentralisation s'est produite et dans l'esprit du législateur, jusqu'en 1992, la solution qui avait la faveur officielle, c'était la fusion, pas l'intercommunalité. Et ce sont des mouvements spontanés, associatifs, dont le nôtre, qui ont tenté de dire pendant plusieurs années : « mais l'intercommunalité c'est possible, ça marche et c'est une meilleure solution que la fusion ». Tout ça pour dire que ce sont deux phénomènes finalement qui se sont passés un peu séparément et qui n'ont pas vraiment de répercussions l'un sur l'autre. La seule chose, c'est que l'intercommunalité, comme on la découvre aujourd'hui, est véritablement le premier niveau d'expression d'une volonté de maîtrise d'un projet de développement de la base. Et je crois que c'est vraiment la caractéristique du mouvement intercommunal et c'est un point sur lequel évidemment j'étais en désaccord avec ce qui a été dit par M. le Sénateur en début de réunion. La plupart des politiques des collectivités territoriales sont des politiques qui viennent d'en haut, de l'État. Parce que c'est une tradition française et que cela tient à notre histoire jacobine. Pour la première fois, le niveau de base qui était impuissant du fait de sa dispersion, -- 36 000 communes, cela ne pouvait pas marcher, que voulez-vous qu'elles fassent ces 36 000 communes ? Elles étaient dépendantes du département, de la région, de l'État. Et voilà que dans le cadre de l'intercommunalité, les communes en se regroupant sont capables d'atteindre un niveau d'organisation qui leur permet d'afficher une ambition de maîtriser leur destin et l'avenir d'un territoire déterminé. Est-il pertinent ou pas ? Pas toujours. Mais c'est une première tentative et en cela l'intercommunalité va à la rencontre de la décentralisation. C'est vraiment un mouvement qui émane de la base.

S'agissant du préfet, c'est une autre curiosité française, la présence de l'État sur le territoire à travers les départements et ceci date de la Révolution française et très exactement de la Constitution de l'An VIII, c'est-à-dire 1801, si mes souvenirs sont bons. C'était purement et simplement la volonté d'abord du Consulat et ensuite celle alors affichée, embellie par Napoléon, de maîtriser absolument la totalité de l'appareil de l'État. Cela a été l'expression même du centralisme jacobin et son installation en France pour près de deux siècles (1801-1981). Car il a fallu attendre 1981 pour qu'intervienne le véritable acte qui a ébranlé le système jacobin en France : la suppression de la tutelle par les lois de 1981-82, considérée comme une véritable révolution, maintenant on ne s'en rappelle plus, mais il ne faut pas oublier qu'en 1981, dans les départements, l'exécutif était assuré par le préfet, c'est-à-dire par l'État. Les Maires étaient sous la tutelle du préfet, ils ne pouvaient pas prendre de décision sans en avoir référé au préfet. Et du jour au lendemain, l'État lève le pied, il laisse le pouvoir exécutif à des Présidents élus, il crée la région d'ailleurs et les Présidents des régions sont également détenteurs de l'exécutif, alors qu'auparavant c'était le préfet de région. Alors voyez c'était véritablement un séisme qui a fait que du jour au lendemain, ce n'est plus l'État qui a dirigé les affaires locales, ce sont véritablement cette fois les assemblées élues, y compris avec un pouvoir exécutif. Nous restons dans une organisation où l'échelon départemental est la rencontre harmonisée en termes territorial, du local et du national. Et on assiste, et on a assisté je vais me livrer un peu, j'espère que je ne vexerai personne, dans les diverses étapes de la décentralisation, ainsi que vous l'avez entendu dans les expressions utilisées, même de la part de M. le Sénateur Dallier, à une interrogation sur le département. Et le professeur Verpeaux, quand vous lui avez demandé dans vingt ans comment il voit le paysage, a quand même hésité à dire que le département aurait disparu parce que c'est un peu trop audacieux, mais vous avez senti à travers ses propos qu'il y avait une interrogation.

Et pourtant que ce soit les lois de 82 et puis tous les textes qui ont suivi pour la décentralisation, les lois de 92, les lois de 94, 98, à chaque fois on a dit : « attention le département est menacé... », et à chaque fois, le département est sorti conforté de ces diverses étapes. Ce n'est pas une énigme, en réalité on a assisté à des transferts de compétences de l'État vers qui ? Les compétences de l'État qui étaient essentiellement, pour beaucoup en tout cas, organisées dans le cadre départemental, dès lors que l'État se retire, qui est le plus à même de récupérer par transfert les compétences qui étaient exercées dans le cadre départemental ? Le département. Et donc là, il y a un cas de filiation directe qui remonte à la Révolution française, et qui montre bien qu'il y a parfois non pas des inerties, mais disons des continuités à travers les décennies et les siècles sur lesquelles on a des difficultés à revenir.

M. Bruno Leprat. - Merci, nouvelle question ?

Oui merci. Fabrice Huriot du Centre de recherche sur la décentralisation territoriale de l'université de Reims. C'est une question qui concerne le Japon.

En France, la coopération intercommunale combine respect de la démocratie locale, efficacité des services et rationalisation des coûts. Les projets de fusion qui ont pu être réalisés, dans différents pays européens, au Japon, mais aussi au Canada, récemment, sont axés principalement, voire exclusivement, sur l'efficacité et la rationalisation des coûts. Alors la question concerne la démocratie locale, et l'identité des communes. Par exemple, en Belgique, les communes sont fusionnées, mais l'identité communale a subsisté et les gens sont toujours rattachés à leur ancien village. Alors de quelle manière, au Japon, perçoit-on encore l'identité communale, et de quelle manière les habitants de ces communes, voire des quartiers de ces communes, peuvent-ils faire valoir leur voix au sein d'ensembles qui sont très larges et qui risquent d'oublier la dimension de proximité avec les habitants ?

M. Bruno Leprat. - Merci. M. Shinohara peut-être, M. Tsushino aussi sur cette question très locale puisque là on entre dans la psychologie des individus, des habitants et des quartiers.

M. Toshihiro Shinohara. - Oui, au Japon aussi, les opposants à la fusion abordent souvent cet aspect. Je pense qu'il y a deux fonctions que les communes ont des difficultés à assurer conjointement. C'est d'ailleurs un trait commun des communes du monde entier. Tout d'abord, la commune est une communauté mais également une entité qui défend cette communauté. En outre, la commune est une administration qui assure des services. Ces deux fonctions doivent être remplies dans un même cadre, et c'est là que réside le problème. Au Japon, à la différence de la France, la dimension administrative a été privilégiée, mais des mesures ont été prévues pour préserver l'identité locale dans le cas de la fusion en cours. Par exemple, une commune créée peut installer différentes organisations dans les communes datant d'avant la fusion. Elle peut également mettre en place des conseils pour écouter les habitants. De plus, pour certaines des communes qui allaient perdre leur nom, une mesure leur permettant de garder ce nom a été prévue. Il reste à savoir si ces mesures ont été suffisantes. De toute manière, le but est d'éveiller une prise de conscience de la population sur son appartenance à la commune. Je connais en tous cas très bien la préoccupation d'identité communale.

M. Bruno Leprat. - M. Tsushino, s'il vous plaît ?

M. Mamoru Tsushino. - Je vais de toute façon reprendre la parole tout à l'heure, mais je voulais aborder cette question d'identité locale qui était l'une des questions que nous avons eu à résoudre lors de la fusion. Dans le cadre des dispositifs de fusion prévus, la ville de Takayama a mis en place des conseils locaux afin de remplacer les conseils municipaux des communes qui existaient avant la fusion. Ces conseils locaux ont pour mission d'écouter les habitants et de communiquer leurs avis au Maire. Par ailleurs, les locaux des anciennes mairies sont désormais utilisés comme annexes de la mairie de la nouvelle commune afin que la population continue à bénéficier des services comme avant. La ville de Takayama a en outre prévu un budget spécial de développement local pour préserver l'identité locale dans les domaines de la culture, des traditions, des industries et des particularités locales. Peu de communes ont prévu un budget similaire. Ce budget a été réparti entre les différents quartiers de la nouvelle commune afin d'être utilisés en fonction des besoins. Cela permet de préserver l'unité des anciennes communes.

M. Bruno Leprat. - Merci. Monsieur, troisième question ?

Christophe Mondou, maître de conférences à l'université de Lille. Trois petites questions à M. Shinohara --

Est-ce qu'au Japon, il existe un système qui permet aux communes de « défusionner », le terme n'est pas forcément évident, c'est-à-dire de sortir d'une fusion ? En France il y a souvent eu cet aspect là. Deuxième chose, comment se fait finalement le partage entre communes et départements puisque vous avez quand même deux niveaux ? Sous forme de bloc ou de clause générale ? Troisième chose, dans le tableau qui nous a été distribué 7 ( * ) , sont mentionnées certaines formes de collectivités sous forme de syndicats. Est-ce que ces syndicats pour affaires partielles correspondent à des intercommunalités comme en France ou est-ce que c'est complètement autre chose ? Merci.

M. Bruno Leprat. - Vous voilà soumis à la question.

M. Toshihiro Shinohara. - Pour ce qui est du « défusionnement », c'est une éventualité. Mais ce qui est étrange, c'est que rien n'est précisé sur le « défusionnement » alors que les procédures de fusion sont déterminées dans le détail. C'est normal puisque nous promouvons la fusion, mais en tout cas juridiquement il est possible de « défusionner ». Parmi les fusions qui ont été réalisées juste après la Seconde Guerre mondiale ou dans le cadre de la grande fusion de l'ère Showa commencée en 1953, certaines étaient contre nature. Il y a donc eu des cas de « défusionnement ».

Quant à la deuxième question, le principe de répartition des compétences entre communes et départements est le suivant ; toutes les compétences qui peuvent être exercées à l'échelle communale sont attribuées aux communes. Celles qui couvrent un territoire plus important qu'une commune relèvent des départements. Et l'État assume les autres compétences qui sont exercées au delà de l'échelle départementale. Ceci est un peu approximatif, mais cela se passe de cette façon. Ce qui ne peut pas être fait par les communes est réalisé par les départements, et ce qui ne peut pas être fait par les départements est pris en charge par l'État. C'est le cas de la diplomatie ou de la défense. Enfin, je voudrais vous parler des syndicats pour affaires partielles. Ils correspondent en effet aux syndicats intercommunaux en France, à moins que je n'aie pas bien compris la coopération intercommunale en France. D'ailleurs, je pense que ces syndicats ont pris pour modèle les syndicats intercommunaux français. Ces syndicats existent depuis 1870. Parallèlement à la grande fusion de 1953, l'État a cherché à renforcer la coopération intercommunale durant une vingtaine d'années sans pouvoir atteindre le résultat escompté. Au cours de ces années, il a tenté de mettre en place une structure intercommunale dotée de compétences renforcées qui devait remplacer le syndicat. Il s'agit du groupement intercommunal à grand périmètre, auquel le pouvoir de lever l'impôt n'a toutefois pas été donné.

Par ailleurs, il a été envisagé que le Président du groupement intercommunal à grand périmètre soit élu au suffrage universel, mais cette idée n'a pas été partagée. Nous en sommes arrivés à un compromis, et le groupement intercommunal à grand périmètre qui était conçu initialement comme une structure intercommunale à compétence renforcée s'est retrouvé comme un équivalent du syndicat pour affaires partielles. C'est donc ce constat d'échec ou la réaction à cet échec qui a poussé en quelque sorte le Japon vers la fusion de communes.

M. Bruno Leprat. - Nous allons prendre les deux questions à la suite l'une de l'autre, pour qu'ensuite la parole se termine en tribune.

Je suis Monsieur Naiki, Directeur général du CLAIR Londres. Je voudrais tout d'abord remercier Monsieur Shikata qui m'a invité à ce colloque.

Je voudrais poser des questions aux intervenants français et japonais. C'est avec grand intérêt que j'ai écouté les intervenants français. Il me semble que la question de la taille appropriée des communes est la plus importante et la plus pertinente. C'est en effet une question délicate, mais il est fondamental d'avoir une vision claire sur cette question. En France, la taille des communes est petite. Les communes japonaises, quant à elles, sont assez grandes, mais les communes anglaises sont encore plus grandes. Il existe en plus un courant pour avoir un seul niveau de collectivité territoriale et accroître encore la taille des communes. Cela risquerait cependant d'éloigner les communes de leurs habitants. C'est pourquoi le Ministre chargé de cette question souhaite prendre la France comme modèle.

Ma question est la suivante. Si l'on continue, à l'époque des nouvelles technologies, d'accroître la taille des communes pour deux objectifs qui sont la rationalisation des coûts et l'élargissement du périmètre de la vie quotidienne, comme l'a dit M. Shinohara, je me demande si les communes, collectivités territoriales de proximité, ne finiront pas par devenir, à terme, aussi grandes que des États. En outre, demeure la question de la démocratie locale qui permet de prendre des décisions sur tout ce qui est du ressort du territoire. Les habitants élisent pour cela leurs représentants. Les habitants se rendent toutefois à la mairie en bicyclette, en voiture ou à pied pour y bénéficier de services. Il existe donc deux aspirations. En France, lequel de ces deux aspects les communes vont-elles privilégier ? Et qui, selon vous, devrait prendre la décision sur cette orientation ?

Je voudrais maintenant poser une question aux intervenants japonais. J'ai été Maire adjoint de la ville de Kita-Kyûshû qui a eu le statut de ville désignée par décret à la suite de la fusion de cinq communes. Quels sont les critères pour déterminer le périmètre de la vie quotidienne des citoyens ? Je m'adresse en particulier à M. le Maire Tsuchino. En effet, la procédure de fusion est compliquée, mais la gestion communale suite à la fusion est encore plus difficile. S'il s'agit d'une fusion par regroupement de cinq communes, la nouvelle commune se trouve avec cinq hôpitaux ou cinq bibliothèques. Pour rationaliser la gestion de la commune, il faut donc réduire le nombre de ces établissements, mais cela oblige à modifier la sphère de la vie quotidienne des habitants. La recherche de la rationalité économique et le maintien de la démocratie locale doivent être assurés en même temps. Le périmètre de la vie quotidienne des habitants doit être modifié rapidement. Pourtant l'état d'esprit de ces derniers ne change pas vite. Il est également nécessaire de changer l'état d'esprit des employés municipaux. La ville de Kita-Kyûshû a mis 32 ans. J'aurais donc souhaité connaître le point de vue de Monsieur le Maire.

M. Bruno Leprat. - Merci, je propose qu'on entende la deuxième question et on passera à la table ronde suivante. On a deux Sénateurs qui sont patients et qui attendent, qui peuvent d'ailleurs déjà participer à ces échanges.

Oui bonjour, Daniel Parizot, je suis Directeur du budget dans la région Poitou-Charentes. La question que je voudrais poser s'adresse à M. Censi et je pense qu'il ne sera pas étonné de l'entendre, lui qui a été Président du Conseil régional.

Je pense qu'on oublie aussi le rôle des régions qui ont oeuvré pour l'intercommunalité. Parce que pendant deux décennies il ne faut pas que l'on oublie que les régions ont été des acteurs essentiels en termes d'aménagement du territoire, et qu'on a souvent entendu parler de contrats de pays, et de contrats de territoire. Et donc la question que je voulais poser à M. Censi est : est-ce que vous ne pensez pas que ces deux décennies où les régions ont travaillé sur ces thèmes là, n'ont pas oeuvré en faveur justement de l'intercommunalité ?

M. Bruno Leprat. - Ecoutons peut-être nos interlocuteurs japonais sur ces hésitations de la réglementation et décisions entre rationalité et usage au quotidien, vie pratique, vie quotidienne. M. Shinohara, ou bien M. Tsushino, à leur guise.

M. Mamoru Tsushino. - Je voudrais vous parler de la situation actuelle dans la ville de Takayama. A la suite de la fusion, la longueur des routes que la nouvelle commune doit désormais gérer est passée de 620 km à 1 800 km, ce qui correspond au triple de la distance initiale. Le nombre des équipements publics a également été multiplié par trois, avec 644 équipements au lieu de 220. Quant au nombre de ponts, il est passé d'environ 220 à 1 000. Il était en effet très difficile de conserver tous les équipements. Certains équipements étaient très anciens et d'autres avaient besoin de travaux antisismiques. La rationalisation de la gestion des équipements municipaux faisait donc naturellement partie des conditions préalables de la fusion. Au Japon, récemment, un système de la délégation de la gestion des équipements publics appelé « le gestionnaire désigné » a été prévu par la loi. Dans ce cadre, la commune a décidé de déléguer les deux tiers des 644 installations municipales. Il est d'ailleurs prévu de déléguer la gestion d'environ 170 équipements à des gestionnaires désignés à partir du mois d'avril 2006.

Il faudrait également penser à l'intégration et à la suppression de certaines écoles. Cette perspective peut toutefois remettre en cause les questions d'identité locale précédemment évoquées. Par ailleurs, les enfants qui fréquentent une toute petite école rencontrent des difficultés à exercer un sport collectif, et ils ont peu d'amis. Il faudra donc se mettre à la place des enfants et avoir leur regard pour réfléchir au devenir des écoles. Le projet sera mis en oeuvre dès avril 2006, mais en accord avec les parents. Il existe à l'heure actuelle un grand nombre de petits équipements dispersés qui ne sont pas forcément utiles pour les habitants. Avec les moyens de transports d'aujourd'hui, ils peuvent se déplacer assez facilement pour profiter des équipements plus importants mais situés un peu loin. Cela élargit le périmètre de la vie quotidienne des habitants sans poser de problème particulier. Je crois, moi aussi, qu'il est très important de changer la mentalité des agents municipaux. Pour cela, nous avons organisé des échanges de personnel entre l'ancienne ville de Takayama et les anciennes communes voisines jusqu'à 40 % des effectifs. Plusieurs mesures, comme le renforcement de la formation du personnel, ont également été prévues pour que la ville nouvellement créée puisse présenter rapidement une certaine unité. Il nous faudra bien sûr du temps avant que tout soit bien mis en place. Nous cherchons également à promouvoir la réforme administrative, mais je vous en parlerai plus tard.

M. Bruno Leprat. - M. Shinohara ?

M. Toshihiro Shinohara. - En quelques mots si vous voulez. Monsieur le Directeur général Naiki a été Maire adjoint de la ville de Kita-Kyûshû, grande ville désignée par décret. Il faudra du temps pour que la sphère de la vie quotidienne se superpose au territoire communal. La ville de Kita-Kyûshû est une commune créée à la suite de la fusion par regroupement de cinq communes. Ces communes avaient chacune une identité et aujourd'hui encore, elles continuent à exister au sein du périmètre de la ville de Kita-Kyûshû. Lorsque les communes d'une certaine taille fusionnent pour créer une grande commune, elles restent telles qu'elles étaient dans la commune créée. Quant à la question de l'état d'esprit des agents communaux, je voudrais vous dire que le ministère des Affaires intérieures et des communications a été mis en place il y a trois ans à la suite de la fusion de trois ministères. Aujourd'hui encore, la gestion du personnel du ministère se fait selon les trois compétences et l'effectif est composé du personnel des trois anciens ministères. Par conséquent, le ministère est mal placé pour préconiser la fusion. Je pense qu'il faudra du temps pour qu'il change.

M. Bruno Leprat. - Marc Censi sur cette question d'un haut fonctionnaire territorial ?

M. Marc Censi. - Oui tout d'abord le couple communauté/région, en termes d'aménagement du territoire, en termes de développement local : l'assemblée que je représente ici a toujours eu cette notion d'un couple vertueux entre région et communauté. Et cela se traduit en effet par des contrats de toutes natures : le contrat d'agglomération tel qu'il est sorti de la loi Chevènement est un exemple de l'efficacité, de la rationalité de ce couple région/communauté. Que les régions y aient travaillé, cela me paraît indiscutable, moi mon énigme vient du fait que quelqu'un qui en a toujours été l'ardent défenseur et qui était précisément Président de la région Poitou-Charentes, quand il est devenu Premier Ministre, s'est trouvé confronté à des difficultés et à la réalité des arbitrages du pouvoir, qui l'ont amené pratiquement à abandonner cette notion, à tel point que je l'ai entendu dire, il me semble bien que c'était à Strasbourg, en congrès des départements que le couple à privilégier c'est le couple département/commune.

Bon, ce qui prouve qu'entre les grands principes et puis l'inertie et les résistances du terrain et la modification et les réformes, il y a parfois des accommodements qu'il faut bien trouver. Je reste persuadé aujourd'hui et de plus en plus qu'en termes d'aménagement du territoire et de développement économique, la relation entre le projet de développement régional et le projet de développement local, c'est le couple région/communauté qui me paraît complètement évident.

Sur la question concernant l'arbitrage entre la proximité et la rationalité, les réponses dépendent dans chacun de nos États de notre histoire locale. Les communes en France ont au moins dix siècles, les premières libertés, les premières chartes de liberté communales datent du XIe siècle et du XIIe siècle mais on en retrouve les traces beaucoup plus en amont. Et dès l'époque gallo-romaine et petit à petit avec le développement de la chrétienté dans tout l'Occident chrétien, on a vu se mettre en place des communautés qui ont préfiguré les communes. Donc c'est chez nous une telle réalité ancienne et historique que nécessairement, en France, les solutions que l'on met en place tiennent compte de ce poids de l'histoire. Ceci dit c'est un vrai débat de philosophie politique, j'y ai fait allusion tout à l'heure, et qui a animé les réflexions philosophiques depuis les origines.

C'est toute la question de la relation de l'individu ou du citoyen avec la société et la réponse théorique qui a été apportée, pour notamment l'Union européenne, c'est la subsidiarité qui est inscrite dans les textes fondateurs de l'Europe. Et la subsidiarité a une conséquence inéluctable, c'est qu'elle progresse vers un système fédéral, et que par conséquent cette évolution fatale qui est inscrite dans ses gènes et dont on a un exemple presque chimiquement pur en Suisse -- la Suisse est une organisation qui est fondée très exactement sur le principe de subsidiarité -- se heurte ici ou là à des traditions, à des habitudes nationales qui font que c'est très difficile à mettre en pratique et que vous avez vu la France voter « non » à la Constitution européenne, pour un certain nombre de motifs naturellement, et de tous ordres, mais je pense que au fond la France, vous le savez bien, n'est pas un état fédéral, c'est un État dans lequel l'État a précédé la nation. L'État est venu bien avant la notion de Nation. Et donc la notion même de fédération nous est totalement étrangère en France. Donc, proposer à des Français une évolution vers un système qui présente un caractère fédéral, c'est une véritable provocation. Alors moi j'accepte naturellement, en ce qui me concerne, la provocation. C'était l'occasion de relever le défi, mais majoritairement vous avez vu que la France en a décidé autrement. C'est un véritable problème de fond. Et tous les philosophes depuis 2 500 ans s'y sont un peu cassé les dents.

M. Bruno Leprat. - Je vous remercie.

Nous faisons place maintenant à un nouveau temps fort, c'est une série d'interventions sur l'évaluation des fonctionnements de ces regroupements intercommunaux en France et au Japon. Est-ce qu'ils ont atteint leurs objectifs ? Je suggère que nos invités japonais restent à nos côtés. Merci à Marc Censi, bon retour à Rodez ou bon séjour à Paris, et deux Sénateurs vont se joindre à nous il s'agit de M. Bourdin et de M. Frécon, Joël Bourdin, Sénateur de l'Eure est également conseiller municipal de Bernay, et Jean-Claude Frécon est Sénateur de la Loire, vice-Président d'une communauté de communes.

Les fusions de communes, M. Shinohara, ont-elles permis de rationaliser la gestion ? Vous êtes partis, je crois, pour une réponse à deux voix ? Alors M. Shinohara peut-être sur cette question sur la rationalité. Les premiers résultats, les évaluations, est-ce que cela a porté des fruits ? Quels sont aujourd'hui les points faibles de cette réforme des fusions ? Vous avez l'intention de répondre avec M. Tsushino ?

* 4 Cf. annexe 3.

* 5 Cf. annexe 3.

* 6 Cf. annexe 3.

* 7 Cf. annexe 3.

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