Actes du colloque "Les modèles français et japonais du regroupement intercommunal"



Sénat - 23 février 2006 - Palais du Luxembourg

II. LE REGROUPEMENT INTERCOMMUNAL PERMET-IL D'AMÉLIORER LE SERVICE AUX CITOYENS ?

A. M. MAMORU TSUSHINO, MAIRE DE TAKAYAMA : LA FUSION DE LA VILLE DE TAKAYAMA POUR UNE MEILLEURE QUALITÉ DE SERVICES COMMUNAUX

Je voudrais vous présenter cette fois les effets de la fusion sur l'amélioration des services proposés à la population. D'abord, avant de fusionner, il a fallu faire un ajustement des services proposés à la population. C'était en effet la question la plus importante pour la population. La ville de Takayama a fusionné avec neuf autres communes, et les services proposés à l'origine aux habitants étaient très différents. Nous avons donc fait l'ajustement des politiques sur 4 000 points. Pour cela, 29 groupes de travail thématiques ont été mis en place, et plus de 500 réunions de concertation ont été organisées. C'est ainsi que les niveaux des services proposés à la population et de la contribution de la population après la fusion ont été arrêtés. Comme il y avait dix communes, les services proposés variaient entre elles. Etant donné que le niveau des services proposés par la ville de Takayama avant la fusion était le plus élevé, les autres communes ont aligné le niveau de leurs services sur celui de Takayama. Je pense que l'amélioration des services rendus à la population ne signifie pas l'amélioration de tous les services ni la baisse systématique de la contribution des habitants. Il s'agit de services dont la population a besoin et qui sont assurés à un niveau satisfaisant et de manière stable et durable. Pour les habitants de la ville de Takayama, il n'y a pas eu d'amélioration visible des services à la suite de la fusion. Par contre pour les habitants des autres communes qui ont rejoint la ville de Takayama, le niveau des services s'est amélioré considérablement. Quant à leur contribution, elle a baissé pour certains services, mais a augmenté pour d'autres.

En outre, comme la fusion allait faire de la ville de Takayama la commune la plus grande du Japon, certains craignaient que la voix de la population ne soit plus entendue ou encore que la culture et les traditions locales ne soient perdues. Il fallait donc faire disparaître toutes ces inquiétudes. Pour que le niveau des services ne baisse pas, quatre mesures ont été prévues. Premièrement, comme je vous l'ai déjà dit dans ma réponse à la question, nous avons mis en place, dans tous les secteurs correspondant aux anciennes communes voisines, des conseils locaux représentés par un certain nombre d'habitants afin de refléter les avis de la population sur les politiques menées par la ville. Deuxièmement, dans chacune des neuf anciennes communes, des annexes de la mairie ont été installées pour que les habitants puissent continuer à bénéficier des services comme avant. Troisièmement, ce qui est particulier dans la ville de Takayama, c'est qu'indépendamment du budget général, il existe un budget spécial de développement local d'un montant annuel d'un milliard de yens, soit 7,15 millions d'euros, utilisé pour des événements touristiques, des spectacles traditionnels, des manifestations locales ou des services publics spécifiques assurés dans un secteur déterminé. Enfin, quatrièmement, un service chargé du développement local directement placé sous l'autorité du Maire a été mis en place pour assurer une bonne coordination entre la mairie et ses annexes. Ces quatre mesures avaient pour objectif de donner rapidement l'unité à la nouvelle ville, de conserver la culture et les traditions locales, et de maintenir le niveau des services sur l'ensemble du territoire.

Pour ce qui est des effets de la fusion du point de vue de l'amélioration des services, je voudrais vous en parler sous deux aspects : la réponse à la demande de services de plus en plus techniques et diversifiés d'une part, et la facilité d'accès aux services de la population d'autre part. Je vais présenter quelques exemples. D'abord, en ce qui concerne le premier aspect, nous constatons l'amélioration des services dans des domaines très étendus. Les actions menées en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées, et les actions en matière de garde d'enfants en particulier ont été renforcées. Je n'entrerai pas dans le détail puisque le temps est limité, mais par exemple, pour la petite enfance, les horaires d'ouverture des crèches en semaine ont été prolongés et les enfants peuvent être accueillis dans les crèches le dimanche. D'autre part, les enfants peuvent bénéficier de soins médicaux gratuits dès leur naissance et jusqu'à leur troisième année d'école élémentaire. A compter du mois d'avril 2006, cette gratuité s'appliquera jusqu'à la sixième année d'école élémentaire.

Dans le domaine du travail, du commerce et de l'industrie, un système de financement personnalisé et d'aide au remboursement des intérêts d'emprunt a été prévu pour les PME et les travailleurs.

Dans le domaine du tourisme, la promotion touristique, qui était faite autrefois par chacune des communes fusionnées, est assurée aujourd'hui pour l'ensemble du territoire de la nouvelle commune. La fusion a d'ailleurs donné davantage de possibilités de promotion touristique.

Quant au domaine de l'éducation, je vous ai parlé tout à l'heure de la suppression ou de l'intégration des écoles élémentaires et des collèges de petite taille. Cela permettra aux enfants de suivre un enseignement plus complet ou de former des équipes pour participer à des compétitions sportives, ce qui était auparavant difficile à réaliser faute d'élèves en nombre suffisant. Il s'agit donc d'une amélioration de la qualité de l'enseignement qui se fera en partant du point de vue des enfants. Voici donc quelques exemples qui illustrent la diversification ou l'amélioration des services proposés à la population.

Je vais maintenant parler de l'amélioration de l'accès des habitants aux services communaux. La fusion a élargi le territoire de la commune. Les habitants ont aujourd'hui plus de choix en termes d'équipements culturels et sportifs tels que les bibliothèques, les salles polyvalentes, les salles de sport, ou les équipements sociaux comme les centres d'action sociale ou les crèches. Les habitants peuvent utiliser les équipements de leur choix et ceci est un effet très positif.

La réforme administrative mise en oeuvre après la fusion a permis à la ville de Takayama de dégager des ressources nécessaires à l'amélioration des services. Et la commune améliore la qualité des services rendus à la population dans des domaines très étendus. La ville de Takayama, collectivité territoriale de proximité, cherchera à améliorer davantage les services dont les habitants ont vraiment besoin, en exerçant pleinement les compétences qui seront transférées par le département ou par l'État dans l'avenir, et en contribuant ainsi à la mise en oeuvre de la décentralisation.

Voilà la présentation de la fusion de la ville de Takayama. On dit que la fusion de communes est une réforme administrative poussée à l'extrême. Je crois que l'un des principaux objectifs de la fusion de communes est de renforcer les moyens administratifs et financiers de la commune créée en restructurant son organisation, son effectif et ses équipements qui ont pris chacun de l'importance à la suite de la fusion. Aujourd'hui, la ville de Takayama fait des efforts pour atteindre cet objectif le plus rapidement possible. A terme il faut rassurer les habitants, et c'est notre responsabilité à nous qui sommes chargés de l'administration territoriale. C'est dans ce sens que nous travaillons. Je vous remercie de votre attention.

M. Bruno Leprat. - Merci. M. Shinohara peut-être avez-vous fait quelques calculs financiers.

M. Toshihiro Shinohara. - Monsieur Bourdin a parlé des économies d'échelle réalisées par l'intercommunalité. Il en est de même pour la fusion de communes qui a deux effets, l'effet de taille et l'effet d'étendue des questions traitées. L'effet de taille permet d'absorber les coûts fixes et l'effet d'étendue des questions traitées permet de faire face à des enjeux comme la baisse de la natalité, le vieillissement de la population ou les technologies de l'information. Comme Monsieur Tsuchino l'a dit, les communes japonaises déploient leurs efforts pour réaliser des économies d'échelle, mais cela prendra du temps. Depuis le début de l'année, cette question fait l'objet d'une étude du ministère des Affaires intérieures et des communications. Il est toutefois très difficile d'en faire l'évaluation au Japon comme en France, car l'évaluation de la fusion de communes ne se mesure pas au nombre des communes réduit à 1 821, mais plutôt aux effets de la fusion sur la vie de la population. Cette étude est en cours et nous espérons la mener à bien.

M. Bruno Leprat. - Merci. Jean-Claude Frécon, vous êtes Sénateur de la Loire, vous êtes également le Maire d'une commune de 1000 habitants qui s'appelle Pouilly-lès-Feurs, cela doit être joli en japonais, vous êtes également vice-Président d'une communauté de communes qui s'appelle quant à elle Feurs-en-Forêt, vous évoquiez la ruralité de vos territoires, elle n'est pas à démontrer, 14 000 habitants pour cette communauté, et vous présidez également une commission des communes et territoires ruraux à l'Association des Maires de France, voulez-vous nous parler de cette dynamique de cette intercommunalité sur laquelle vous avez préparé quelques éléments de langage ?

B. M. JEAN-CLAUDE FRÉCON, SÉNATEUR DE LA LOIRE, MAIRE DE POUILLY-LÈS-FEURS, VICE-PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DE FEURS-EN-FORÊT : LA DYNAMIQUE DES POLITIQUES INTERCOMMUNALES EN FRANCE

Oui, merci, j'ai effectivement préparé quelques petits points à vous dire sur la retombée sur les populations de l'intercommunalité, telle qu'elle est vue en France.

Je voudrais auparavant si c'était possible simplement après avoir assisté à tout cet après-midi comme la plupart des gens qui sont ici, bien mettre en avant les situations différentes, du Japon et de la France par rapport à cette institution qu'est la commune. Dans tout ce que nous avons entendu cet après midi, j'ai noté quelques chiffres aussi, naturellement ces différences vont avoir des conséquences aussi sur le domaine qui nous concerne, c'est-à-dire quels services on peut rendre à nos populations car on est tous dans la même dynamique, on veut tous essayer de rassembler pour rendre un meilleur service encore à la population, comme nous venons de l'entendre, et nous nous inscrivons tout à fait dans la même démarche.

Mais avec des situations de départ, des situations d'arrivée et des moyens qui sont en grande partie bien différents. Quelques chiffres simplement par rapport à ce qui a été dit. Au Japon vous êtes partis de 71 000 communes. En France nous étions partis de 44 000 paroisses avant la Révolution française. Au moment de la Révolution française, il y a eu très peu de différences entre le nombre de paroisses qui existait avant, et le nombre de communes qui a existé une dizaine d'années après. Après la période trouble qui avait entraîné un certain nombre d'événements, on est à 40 000 communes. Et on est resté en France à 40 000 communes jusque dans les années 1960, 1970. 150 ans plus tard, nous étions au même chiffre de 40 000 communes. Là, est arrivée la loi dont Monsieur Verpeaux vous a parlé tout à l'heure, la loi de 1971, loi de fusions de communes, je dis bien de fusions. Et ça c'est un point commun avec vous, Japonais, mais c'est un des seuls. Avec cette loi de fusion il y a eu à peu près 4 000 communes de moins. On est donc passé à 36 000 communes dans les années 70 à 75. Et puis dans les années qui ont suivi 75, et bien cela a été le phénomène inverse. Moins important bien sûr, mais il y a eu à peu près 700 communes qui se sont créées parce qu'on a annulé les fusions qui avaient été faites, quelques années auparavant. Voilà pourquoi nous sommes au chiffre de 36 700 communes. Première différence importante.

Population moyenne, d'après les chiffres que vous nous avez donnés, et dont je vous remercie, je remercie nos amis japonais, population moyenne par commune maintenant 65 000 habitants au Japon, population moyenne des communes en France (population moyenne ne veut pas dire grand-chose), population moyenne 1 500 habitants. 1 500 habitants d'un côté, 65 000 de l'autre. Naturellement les effets, les conséquences ne sont pas les mêmes. Et au niveau du nombre des communes, vous annoncez dans votre document 489 communes de moins de 10 000 habitants. Nous c'est 35 700. Ce qui veut dire là aussi c'est un point de rassemblement, qu'au Japon vous avez 1 300 communes de plus de 10 000 habitants, nous on en a 1 000. Le nombre de communes de plus de 10 000 habitants est pratiquement le même, mais celui des communes de moins de 10 000 habitants n'a rien de comparable. Alors naturellement, en partant de ces chiffres les conséquences ne peuvent pas être les mêmes, et puis l'autre point de différence essentielle, c'est que vous vous êtes engagés au Japon, et je ne fais pas de reproche, c'est un constat, vous vous êtes engagés dans une politique de fusion de communes, depuis plus de 100 ans, avec des chiffres qui nous ont été donnés tout à l'heure et qui sont très intéressants d'ailleurs, avec différentes vagues successives de fusions.

Nous, en France, mis à part le petit moment de la loi Marcellin, entre 1971 et 1975, on s'est engagé pour l'intercommunalité, quand je dis « on », c'est l'ensemble de la classe politique, tous partis politiques confondus. Dans chacun de nos grands partis politiques en France, on a quelques individualités qui sont pour les fusions de communes, mais dans chacun de nos grands partis politiques, ceux qui sont pour les fusions sont très minoritaires. Et dans chaque parti politique, la grande majorité disent : « on ne touche pas au nombre de communes », alors on fait de la coopération intercommunale. Voilà pourquoi le nombre de communes ne diminue pas chez nous.

Voilà les deux grandes différences que je voulais vous rappeler car naturellement nous n'avons pas tout à fait les mêmes visions. Alors ce qui peut nous rassembler par contre, c'est l'objectif. J'ai entendu tout à l'heure certaines phrases qui rejoignent des phrases que j'avais entendues aussi par ailleurs. J'avais entendu un élu, c'était un élu étranger, pas un élu français, mais d'un pays francophone, qui disait « seul on peut aller vite, mais ensemble on peut aller plus loin ». Et je crois que c'est très vrai dans notre coopération intercommunale française. Chacun d'entre nous étant engagé dans une communauté de communes, on peut dire que si on est à 10 à 15 communes ensemble dans une communauté, et bien il faut d'abord discuter à 15, se mettre d'accord à 15, et puis c'est un peu plus long que s'il y en avait un seul qui décidait, c'est sûr. On va moins vite, mais est-ce qu'on ne peut pas aller plus loin, pour ma part la réponse est oui, et je voudrais faire un petit aparté par rapport à ce qui s'est dit tout à l'heure.

Deux de mes collègues vous ont parlé en début de réunion, mon collègue Sénateur Philippe Dallier, et mon collègue et ami Marc Censi qui n'est pas Sénateur mais qui est un élu rural comme moi. Naturellement, nous n'avons pas les mêmes approches. Parce qu'il y en a un, mon collègue Sénateur qui vous a parlé au début, qui est élu dans la grande agglomération parisienne, et naturellement les problèmes ne sont pas les mêmes que dans nos zones rurales, et dans les zones rurales, ce n'est pas pareil dans toutes les zones rurales, il y a des zones rurales très fragiles, et puis il y a des zones rurales qui vivent une vie à peu près normale, alors tout ceci naturellement avec une loi, Monsieur Verpeaux vous l'a dit tout à l'heure, avec une loi qui est la même pour tous quelle que soit l'importance de nos communes.

Le petit aparté sur les communes qui ont zéro habitant : cela arrive périodiquement, tous les 10-15 ans. L'État, et c'est bien normal, supprime quelques communes qui ont zéro habitant, toutes, et puis après il s'en recréé d'autres, pourquoi ? Et bien parce qu'une commune, avec la logique de ce qu'était une paroisse avant la révolution, c'est d'abord un territoire, et dans certains endroits le territoire se désertifie, et au bout d'un moment et bien tous les gens qui habitaient dans la commune sont partis. Mais le territoire, les hectares, les forêts, les propriétés restent là. Donc, il n'y a plus que zéro habitant dans la commune, c'est vrai mais le territoire est toujours là. Actuellement, il y a six communes sans habitant. Il va donc y avoir bientôt un « petit balayage » de ce qui n'est qu'une toute petite anecdote, mais il est vrai qu'il y a de toutes petites communes et qu'il y a même des communes dans lesquelles il n'y a pas suffisamment d'habitants adultes pour composer un conseil municipal. Mais le conseil municipal dans notre législation française peut ne pas être composé uniquement par des personnes qui habitent la commune mais aussi par des gens qui y payent des impôts, même s'ils n'y habitent pas mais qui sont propriétaires par exemple de terrains ou de maisons, ce qui veut dire que dans les toutes petites communes et bien c'est vrai qu'il y a des gens qui habitent à l'extérieur quelquefois loin : pour ma part, j'ai des exemples précis dans mon département d'une commune administrée par une majorité de parisiens, c'est une commune qui a une très grosse valeur touristique avec des propriétés qui valent cher et beaucoup de gens de la région parisienne sont venus acheter ces propriétés et le conseil municipal est composé en majorité de personnes qui ne vivent pas dans la commune. Ce sont des exceptions, mais c'est notre législation française puisque c'est la même pour les 36 700 communes.

Alors « seul on peut aller plus vite, mais ensemble on peut aller plus loin ». Tout à l'heure on nous a dit aussi, « faire mieux et à moindre coût ». Je crois que c'est tout le défi de l'intercommunalité, que nous avons essayé de relever en France avec la loi de 1992, et Marc Censi a bien fait de le rappeler tout à l'heure, il y a eu avant cette loi des quantités d'intercommunalités. Il y avait en 1992, il a dit 200, je suis à peu près d'accord sur le chiffre, je crois que c'était 180 structures intercommunales qui existaient avant, dont les neuf communautés urbaines dont vous a parlé Monsieur Verpeaux, neuf communautés urbaines qui avaient été constituées bien avant et puis les districts, districts urbains ou districts ruraux. Voilà ce qui existait. La loi de 1992 a commencé de donner un formidable essor. Beaucoup plus dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Ce qui fait que sept ans plus tard en 1999, Monsieur Verpeaux vous l'a dit aussi tout à l'heure, une deuxième loi est arrivée et a nettement favorisé la coopération en milieux plus urbains. Cela a été une explosion c'est vrai, comme l'a dit Joël Bourdin il y a un instant, et nous siégeons lui et moi depuis longtemps dans un organisme qui s'appelle le Comité des finances locales où justement nous voyons toute l'importance de tout ce qui est mis à disposition par l'État au titre de la dotation globale de fonctionnement, c'est quand même de l'argent qui appartient aux communes, c'est de l'argent qui est aux communes, qui a une origine communale si on veut remonter un petit peu loin dans la fiscalité. Donc c'est une redistribution d'argent, mais cette redistribution d'argent, l'État a dit qu'il fallait en consacrer une partie pour l'intercommunalité. Alors qu'on l'appelle « carotte » ou d'un autre nom, c'est de toute façon quelque chose qui a marché. Cela a marché au-delà des espérances des législateurs. Le législateur de 1992 puis le législateur de 1999, ne pouvait pas penser que, quinze ans après la première loi de 92, notre territoire français serait à 90 %, et peut-être que cela sera à 100 % sous peu, on passera par 95-98 % - les derniers pour cent sont toujours difficiles à faire - mais à une presque totalité, recouvert par des structures intercommunales. La loi de 1992 au Parlement, pas au Sénat, mais à l'Assemblée nationale en première lecture a été votée à une voix de majorité. Parce qu'il y avait un grand débat pour savoir si justement les communes n'allaient pas perdre leur âme dans l'intercommunalité, si on n'allait pas supprimer les communes, et personne ne voulait le faire. Mais les joutes politiques ou les jeux politiques font qu'il y avait un débat très important. Et après cette loi votée à une voix de majorité, l'année suivante il y a eu en France, changement de majorité, et ceux qui sont arrivés au pouvoir en 93, qui n'étaient pas les mêmes qui avaient voté la loi de 92, et qui avaient même voté contre, ne sont pas revenus sur cette loi parce que c'était dans la dynamique de l'histoire, et que dans cette dynamique de l'histoire, les communautés ont continué et que le gouvernement après 93 a même fait une loi pour améliorer l'intercommunalité.

Voilà donc des éléments qui vous disent comment cette intercommunalité, finalement les gens sur le terrain, dans le fond, la vivaient bien et c'était un besoin pour eux. Et on s'est engagé là-dedans. Alors quels sont les services rendus ?

Faisons un bilan, au bout de douze ans d'intercommunalité. D'abord elle est différente cette intercommunalité entre les zones rurales et les zones urbaines. Elle est différente pourquoi ? Je suis élu rural d'une commune de 1 000 habitants. La communauté de communes qui s'est faite chez moi et bien c'est une petite ville centre de 8 000 habitants et puis onze communes autour. Des communes, la mienne a 1 000 habitants, les autres ont toutes moins de 1 000 habitants. On s'est mis tous ensemble parce que qu'est-ce qui fait vivre tous ensemble ? Ce sont les activités qui sont rassemblées dans la petite ville. Ce sont les équipements de la petite ville qui nous font aussi tous travailler. Et c'était normal que nous soyons ensemble car l'intercommunalité mise en oeuvre dans la loi, c'est une intercommunalité de projets : vouloir se mettre ensemble parce qu'ensemble on a des choses à faire. C'est pas simplement parce que c'est l'air du temps et qu'il faut se mettre ensemble, comme ça pour faire bien ? Non, cela ne sert à rien. Si on se met ensemble c'est pour travailler ensemble. C'est parce qu'on a des intérêts communs et que l'entreprise qui est installée dans une des douze communes, que ce soit la grosse ou une petite commune à côté, elle ne vit pas qu'avec des ouvriers qui sont originaires de sa commune, mais elle vit évidemment avec des ouvriers qui viennent de toutes les communes autour aussi. Les commerçants, en particulier de la petite ville, ne vivent pas qu'avec les clients de la petite ville, mais tous les habitants des communes autour viennent aussi dans ces commerces. Et quelquefois même trop, parce que ça laisse les petites communes sans commerce. Donc il faut équilibrer tout ça et c'est le rôle d'une communauté de communes. D'ailleurs la loi de 1992, comme la loi de 1999 ont mis comme première compétence obligatoire pour les communautés de communes, le travail économique, la vocation économique. Il s'agit de voir ce qui se passe au niveau du commerce et naturellement ce qui se passe dans une autre activité du monde rural qui est l'agriculture. Alors les communautés du monde rural se sont beaucoup bâties sur ce mode avec quelquefois des petites communautés. On en a parlé dans l'après-midi, il y a des communautés qui sont trop petites, et bien il faudra encore qu'elles fassent avec la voisine qui est aussi trop petite. Qu'elles en fassent une plus grande, cela viendra. Mais là aussi, il n'y a pas de mode obligatoire, c'est un mode de volontariat. Volontariat suscité quelquefois, les « carottes » c'est fait pour ça, et les finances aussi, mais c'est ça l'intérêt et la population est-ce qu'elle s'y retrouve ?

Quand on dit qu'il y a une amélioration du service rendu et si on pose la question, pour ma part je réponds oui. Sans problème. Mais je distinguerai trois parties dans le service rendu. La première partie c'est de savoir si l'intercommunalité coûte trop cher. Je n'ai pas eu la réponse que j'espérais moi aussi de nos amis japonais, sur le coût des conseillers municipaux. Dans le document qui nous a été donné tout à l'heure et je suis sûr que tous les citoyens français qui sont ici doivent se poser cette question, il y a une économie considérable, sur le nombre de conseillers municipaux.

Alors soyons clairs pour nous la France, en France les conseillers municipaux sur ces zones rurales ne perçoivent rien du tout comme indemnités : zéro. C'est pas là-dessus qu'on aurait fait des économies. Par contre au Japon ils doivent certainement percevoir quelque chose puisqu'il y a une économie substantielle. Donc en France l'intercommunalité ne peut pas avoir coûté plus cher. Ce n'est pas possible, par contre ce qu'on peut dire c'est que les citoyens n'ont pas une vision négative de l'intercommunalité, des sondages récents dont je vous parlerai tout à l'heure font état d'une bonne vision du citoyen par rapport à cela.

Deuxième question, on l'a abordé beaucoup, je la passerai donc en vitesse, est-ce que l'intercommunalité permet des économies d'échelle ? Oui, sur certains domaines incontestablement. Sur les marchés publics à faire, sur l'importance des commandes à passer, sur des personnels qui peuvent être parfois doublonnés, et qui à terme peuvent être remplacés par une seule personne alors qu'il y en avait deux avant. Je dis à terme, parce qu'il n'y a pas forcément beaucoup de suppressions d'emplois mais plutôt de transformations.

Troisième question, est-ce que l'intercommunalité améliore le service rendu ? Là, je suis, comme je vous l'ai dit, tout à fait affirmatif et je réponds oui. Et ça certains de nos élus, nationaux, certains de nos collègues au Sénat, il n'y en a pas beaucoup qui parlent de ceci mais il y en a dans tous les partis politiques qui disent : « ça coûte cher l'intercommunalité ». Qu'est-ce qui coûte cher ? Si c'est des communes qui ont transféré une de leurs compétences à la communauté de communes, je prends un exemple précis, l'entretien des chemins, l'entretien de la voirie et des rues (on n'a pas beaucoup de rues en milieu rural, ce sont surtout des chemins, mais c'est aussi quelques rues), si on a transféré ça à la communauté de communes, naturellement que la communauté de communes devra émettre des impôts pour avoir les moyens nécessaires pour entretenir les chemins. Mais à ce moment-là, comparativement, la commune, les communes qui avant entretenaient ces chemins n'ont plus maintenant cette dépense à faire. Elles peuvent donc baisser leurs impôts et la communauté montera les siens, et l'équilibre devrait être à peu près le même pour le citoyen contribuable. Par contre, s'il s'agit de créer un service nouveau, et nos communautés de communes ont fait des services nouveaux, dans ce cas-là évidemment, il y a des dépenses supplémentaires qui arrivent parce qu'il y avait un service qui n'était pas rendu. Je vous donne deux exemples. Le transport en commun, dans nos zones rurales il n'y en avait pas beaucoup, dans les villes il y en a un peu. S'il y a une communauté de communes avec une ville au centre qui a un transport, et bien dans le cadre de la communauté, le transport va être étendu et il y aura dans chaque village, une fois par jour, deux fois par jour, quatre fois par jour, un bus qui passera, ça c'est un service nouveau. Naturellement ce service nouveau a un coût et ça se paye et ça c'est une augmentation effectivement de la fiscalité, mais il y a un service rendu à la place. Dans ma communauté de communes nous avons décidé de faire une piscine pour le public. Cette piscine n'existait pas. C'était un service qui nous était demandé par la population. Aucune des petites communes, bien sûr, mais même pas la commune-centre, ne voulait s'y engager toute seule parce que c'était un coût trop important. A douze communes, on s'y est mis. Naturellement, ça coûte. C'était un service qui n'existait pas avant, qui existe maintenant, et bien il faudra le payer. Il faut le payer déjà. Donc voilà une augmentation du service rendu qui correspond effectivement à des dépenses supplémentaires. Par contre, je le répète bien, il y a certains services qui ne sont pas des services supplémentaires, qui sont des services réorganisés. Dans ce cas-là, il ne doit pas y avoir de services supplémentaires. Je connais des communes qui ont baissé leur taux d'imposition aussi. Ah il n'y en a pas autant qu'on le voudrait, ça c'est sûr, mais il y en a. Alors cela m'entraîne vers une autre question, est-ce que l'intercommunalité a joué surtout dans certains domaines ? Oui, en particulier, dans ce qu'on appelle les milieux mi-urbains mi-ruraux, avec une ville moyenne de l'ordre de 30 000, 50 000 habitants, 70 000 habitants, ce qu'en France on appelle une ville moyenne. Autour des villes moyennes il y a souvent toute une zone qui n'est pas forcément une zone rurale, qui peut être déjà une zone urbanisée, et qui s'est organisée, et bien qu'est-ce qu'on constate ? La Fédération des villes moyennes en France a fait un sondage là-dessus et montre que ces villes ont transféré à la communauté, souvent d'ailleurs des communautés d'agglomérations (et pas des communautés de communes), elles ont souvent transféré les gros réseaux : le réseau d'eau potable, le réseau d'assainissement, tout ce qui concerne les ordures ménagères, aussi bien le ramassage que le transport ou le traitement, et aussi les transports urbains. Tout ça, ce sont de gros réseaux que la commune-centre avait pour elle et qu'elle a transférés à l'intercommunalité, en revanche, les communes ont souvent gardé ce qui concerne la restauration scolaire, les parcs de stationnement, les médiathèques, les écoles de musique. Naturellement c'est une moyenne, vous trouverez tous des exemples inverses, on aura à reprendre ça aussi, mais ces équipements de proximité, équipements ponctuels, sont plus souvent restés au niveau des communes. Et alors quand on parle entre nous de la façon dont les citoyens perçoivent ces évolutions et bien c'est peut-être bien aussi après d'aller leur demander. Et pour cela je voudrais vous faire part de deux sondages, réalisés très dernièrement. Un sondage vient d'être effectué par un grand institut, l'IFOP, qui a montré que les citoyens sont très favorables à l'intercommunalité. Ces derniers sont encore plus favorables que les élus municipaux à l'intercommunalité car il y a eu des effets financiers positifs sur certains services.

85 % des Français sont contents d'être dans une commune qui appartient à une intercommunalité, 85 %. L'opinion publique, d'après ce sondage, juge favorablement le rapport qualité-prix qui a découlé de l'adhésion de leur commune à une intercommunalité. Et les élus ? Il y a un autre sondage qui a été fait, un sondage partiel : notre Président du Sénat est allé dans différentes régions de France et a fait des états généraux de l'intercommunalité pour savoir où ça en est. La dernière fois, il est parti en Franche-Comté où on a interrogé les Maires. Et là on trouve 57 % seulement des élus qui sont contents de l'intercommunalité, il y en avait 85 % au niveau de la population, il n'y en a que 57 % au niveau des élus. Et pourtant ce sont des élus qui la pratiquent cette intercommunalité. Cela veut dire qu'il y a des moments où ça ne se passe pas si bien que ça. Il ne faut pas être idyllique bien sûr. Il y a des conflits à certains moments. Il y a des affrontements, il y a des votes qui sont parfois arrachés à peu de choses près. C'est vrai. C'est la vie. C'est comme ça aussi qu'on avance.

Alors, en conclusion générale, l'intercommunalité a incontestablement amélioré le service rendu aux citoyens. Toutefois, il y a encore des améliorations à apporter, des périmètres qui sont trop petits qu'il va falloir agrandir, des services qui doublonnent ici ou là. Et je suis sûr que dans les pays qui ont pratiqué des fusions, là aussi il y a des choses à améliorer. Merci.

M. Bruno Leprat. - Merci. Merci pour cette énergie qui est à l'image de l'intercommunalité en France. On va peut-être faire l'économie d'un échange avec la salle pour privilégier un échange interpersonnel lors du petit cocktail qui vous sera servi, et demander à Henri Revol, qui nous a rejoint, de conclure cet après-midi. Sénateur de la Côte-d'Or, également Maire de Messigny-et-Vantoux, c'est dans la Côte-d'Or avec une population que je ne connais pas, cela ne doit pas être très grand, et vous venez de l'énergie de l'industrie atomique, vous êtes ingénieur, et cela devait être assez bien pour décortiquer l'usine qu'est aujourd'hui le millefeuille institutionnel français.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page