Actes du colloque Vive la Loi


VIVE LA LOI !

Actes du colloque organisé
à l'initiative et sous la présidence
de M. Christian PONCELET, Président du Sénat, en partenariat avec le Centre d'Etudes constitutionnelles et politiques
de l'Université de Paris II
le 25 mai 2004

 
 

Paris, Palais du Luxembourg

Ouverture des travaux

M. Christian PONCELET, Président du Sénat

Mes chers collègues,

Mesdames et Messieurs les universitaires,

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Chers étudiants,

Chers amis,

Que le Sénat engage une réflexion sur la loi, quoi de plus naturel pour celui qui partage avec l'Assemblée nationale le privilège de la représentation des Françaises et des Français et la responsabilité de la coproduction de la loi, « expression de la volonté générale » ?

Je fais partie de ceux qui considèrent que la pédagogie implique la répétition. Je voudrais donc rappeler que le Sénat est une assemblée parlementaire et, donc, législative, à part entière. Son apport à la loi a été considéré à deux reprises au moins par les Français comme indispensable : en avril 1946 et en avril 1969. Les observateurs, même les moins indulgents, s'accordent à penser que cette contribution est utile, voire indispensable. Ce constat me paraît évident si je me reporte au taux de reprise des amendements du Sénat par l'Assemblée nationale, qui s'élève à 92 % pour la présente session. Ce pourcentage est lui-même proche du taux d'adoption dans les mêmes termes par les deux assemblées de l'ensemble des textes législatifs votés depuis 1958, toutes périodes politiques confondues.

Si ce regard sénatorial est généralement apprécié, c'est qu'il est marqué par un certain nombre de spécificités qui fondent l'utilité du bicamérisme, dont l'efficacité repose sur l'existence de deux assemblées différenciées. Cette singularité sénatoriale, fondatrice de l'utilité du bicamérisme, trouve son origine dans notre mode d'élection, qui nous permet de nous adjoindre l'expérience du terrain, l'esprit pratique et la pondération des élus locaux, dans la stabilité de notre assemblée, dans la durée de son mandat - même ramené par nous-mêmes à six ans -, et dans le climat naturellement respectueux et tolérant du Palais du Luxembourg. Nous veillons également, ici au Sénat, à ce que notre réflexion puisse s'alimenter au contact de la « société civile », c'est-à-dire, au contact des « futurs sujets » de la loi.

Le colloque d'aujourd'hui, que nous avons organisé en partenariat étroit avec le Centre d'Etudes constitutionnelles et politiques de l'université de Paris II, dirigé par le professeur Dominique Chagnollaud - que je tiens ici à remercier chaleureusement pour son précieux concours -, porte la marque de ces spécificités sénatoriales. Il entend combattre les idées reçues qu'une approche trop étroite du phénomène législatif conduit parfois à inspirer.

Loin de moi l'idée de penser, en cette année du bicentenaire du Code civil, que la loi n'est pas d'abord un phénomène juridique qui s'inscrit dans une hiérarchie normative, définie par notre constitution, mise en oeuvre par le Conseil constitutionnel, mais aussi dictée par nos engagements internationaux et européens.

Nous pensons certes, comme Montesquieu, que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » mais nous savons aussi faire sa place et sa part au phénomène social et symbolique que constitue l'acte de législation. L'évolution même de notre société et des attentes de nos compatriotes nous invite désormais à élargir et à aérer l'ancien concept de démocratie représentative. C'est cette loi, que l'on dit volontiers « affaiblie », parce qu'elle est « concurrencée », « contestée », « contrôlée » ou « en manque » - sans jeu de mot - de « normativité », cette loi que l'on dit « banalisée », mais qui a retrouvé son domaine naturel sous le regard bienveillant du Conseil constitutionnel, cette loi n'a jamais été autant « plébiscitée » par ceux-là même à qui il arrive de la critiquer.

La société individualiste contemporaine qui, à certains égards, marque le triomphe de notre régime de libertés, a volontiers tendance à préférer la « loi pour chacun » ou la « loi pour les autres » à la « loi pour tous ». La première difficulté pour les institutions politiques d'aujourd'hui est donc de faire comprendre aux citoyens que l'idée de démocratie implique nécessairement, par un moyen ou par un autre, des sacrifices mutuels pour le plus grand bien de l'ensemble, actuel et futur. La loi, c'est ce qui « lie ».

En fait, j'ai la conviction que les institutions ne peuvent à elles seules faire comprendre cette évidence au citoyen. Il faut à certains égards que celui-ci les réinvente à travers sa propre expérience et, confronté à sa propre réalité, en redécouvre la nécessité.

Nous avons donc pris le parti de sortir délibérément du cadre classique et, il faut bien le dire, souvent ronronnant des débats juridiques sur la loi. Il ne s'agit pas aujourd'hui de se demander pour la énième fois si « trop de loi tue la loi » ou si « la loi bavarde », même si ces questions conservent une certaine pertinence. Je pense que la nature, même juridique, a horreur du vide et que l'instauration de la session unique a constitué un appel d'air dans lequel s'est engouffrée la demande de loi. D'une manière plus générale, il me semble que, compte tenu de la force irrésistible de la demande de loi, la solution n'est pas de légiférer moins - peine perdue -, mais d'essayer de légiférer mieux - au besoin en rénovant nos méthodes de travail législatif.

Aujourd'hui, nous voulons tenter avec vous de renouveler ce débat fondateur de toute société politique. Il ne s'agit plus désormais de répondre simplement à la question « comment faire la loi ? », mais surtout de s'interroger sur les ressorts, les motifs, voire les mobiles de cette demande de loi, bref, de répondre à la question « pourquoi la loi ? ». C'est pour tenter de sonder les reins et les coeurs de nos concitoyens que nous avons fait appel à des hommes et des femmes de réflexion, engagés dans différentes disciplines du savoir humain. Le programme de ce colloque a été établi sans a priori , ni tabous, mais avec l'intuition très forte que la problématique de la loi était à redécouvrir avec un oeil neuf : rechercher l'âme des lois, au-delà de l'esprit des lois.

Nous pensons pouvoir faire un pas vers cette redécouverte à travers la pluralité d'origines et d'expériences des intervenants. Nous avons conscience, ce faisant, que nous n'avons pas fait de cadeau aux présidents de table ronde. Il leur reviendra la délicate et lourde tâche de gérer, d'animer et de pacifier vos débats, que je souhaite vifs, incisifs et constructifs.

Nous avons voulu que chacun se sente libre d'exprimer ses convictions, ses réflexions et ses opinions. Cet état d'esprit est inhérent à la méthode sénatoriale, qui consiste à écouter avant de légiférer. Nous pensons, ici au Sénat, que l'opinion d'un citoyen a parfois autant d'importance que celle d'un bureau trop sûr de lui. Nous sommes convaincus, ici au Sénat, que les idées sur un sujet ne peuvent être que le résultat d'une confrontation entre tous les acteurs du jeu social.

Vous comprendrez, dans ces conditions, que le législateur, spectaculairement interpellé, puisse s'agacer quelque peu de l'activisme de la machine réglementaire. Il éprouve des difficultés à comprendre que lorsque le législateur a répondu clairement au peuple, le pouvoir réglementaire - la loi sur la laïcité en constitue un exemple récent - veuille recommencer le débat autour d'une simple circulaire.

C'est donc à un colloque sans précédent et répondant à la définition même de la démocratie auquel je vous invite. Sachez que le Sénat l'aborde avec confiance, car ce colloque répond sans doute aux nouvelles méthodes auxquelles confusément notre société aspire et qu'il s'efforce lui-même, depuis longtemps déjà, d'expérimenter pour mieux conforter notre démocratie.

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