Actes du colloque Vive la Loi


Le système français de la loi vu de l'étranger :
l'impact de la mondialisation sur la fonction législative de l'Etat

M. Valentin PETEV, Professeur de philosophie du droit, Université de Münster

La problématique de la loi n'est pas spécifiquement française. Elle renvoie à l'état actuel de nos sociétés, mais elle est également immanente à la fonction législative même. L'un des aspects de cette problématique réside dans l'impact que la mondialisation produit sur la fonction législative de l'Etat.

La politique législative se déploie de nos jours sur le fond d'une doctrine constitutionnelle traditionnelle. La suprématie de la loi dans le système des normes juridiques, le contrôle de constitutionnalité, la loi comme pilier du principe de l'Etat de droit sont autant de principes que la doctrine constitutionnelle a développés au fil du temps. La fonction législative se déploie toutefois aujourd'hui dans l'environnement complexe de la mondialisation, qui est marqué par les tensions que génèrent les activités de nouveaux acteurs sociaux. Ceux-ci sont en effet devenus des producteurs alternatifs de régulation des affaires sociétales, qu'il s'agisse d'entreprises multinationales, d'organisations non gouvernementales, d'associations ou d'individus. Ce processus complexe se vérifie tant sur les plans national et supranational, que sur les plans régional et local.

Ainsi, l'Etat se voit confronté depuis près de deux décennies à de multiples formes de revendications et de demandes économiques, sociales et politiques, émanant de différents groupes d'intérêt, qui s'expriment par le biais d'actions spontanées ou organisées. A cet égard, loin de déplorer la « sur-régulation » de la société, c'est-à-dire la surproduction de textes juridiques, il convient d'analyser le défi d'une nouvelle gouvernance, que font surgir ces nouveaux acteurs sociaux.

Dans le contexte actuel de la mondialisation, caractérisé par l'ouverture des espaces publics, à la fois nationaux, internationaux et transnationaux, de manière à la fois interconnectée et transversale, la fonction législative des Etats doit être reconceptualisée. Il ne serait pas raisonnable pour le législateur de se retirer d'emblée de ces nouveaux champs ouverts, dans lesquels une régulation alternative s'énonce, en les abandonnant à des actions spontanées, dont le but et la direction seraient imprévisibles. Il importe de capturer toutes les initiatives et toutes les forces sociétales, dans le but d'un agencement plus flexible et plus opératoire des intérêts qui y sont en jeu.

Pour ce faire, la loi doit proposer un cadre institutionnel à ces mouvements de gouvernance. Du point de vue théorique, deux concepts se révèlent pertinents : le concept participatif et le concept délibératif.

Le premier renvoie à une ouverture de l'Etat par l'intégration des demandes et des actions de divers groupes d'intérêt aux différents degrés d'organisation étatique. Cette démarche contribuerait de manière décisive au renforcement de la base démocratique, c'est-à-dire à la justification axiologique de la production législative. Si elle reste à institutionnaliser, celle-ci engendrerait une nouvelle qualité de la fonction législative, au-delà du parlementarisme traditionnel et de la grille des partis politiques.

Une orientation plus délibérative de la fonction législative conduirait, quant à elle, à une discussion plus enrichie, par la recherche des meilleurs arguments lors du processus d'élaboration de la loi. Elle permettrait de profiter d'une rationalité discursive, qui ne saurait être sous-estimée. Dans la mesure où une politique délibérative, qui transcende le simple modèle majoritaire, est en train de s'établir, il faut s'interroger sur la nature de notre droit dans cette nouvelle perspective. Alors que la loi est considérée comme l'expression de la volonté générale, on ne peut que constater aujourd'hui l'existence d'une société pluraliste et conflictuelle. Il ne suffit donc pas de dire que la loi est valable pour tous les citoyens. Il faut souligner que la loi n'exprime qu'une conception politique et éthique élaborée sur la base d'un discours en vigueur à un moment donné. Une nouvelle conceptualisation de la fonction législative de l'Etat est nécessaire pour mieux correspondre aux données sociales actuelles.

M. Theodore ZELDIN

Cette exigence d'une nouvelle conception de la fonction législative est d'autant plus légitime que, historiquement, les juristes ont créé l'Etat, avant de céder le pouvoir à la royauté, puis de créer un système démocratique. Aujourd'hui, les citoyens réclament une nouvelle forme de participation à leurs institutions dans le sens d'un plus grand pluralisme. Etant dans l'ensemble plus éduqués, ils refusent de se voir imposer des décisions pensées sans leur participation et souhaitent pouvoir en discuter. Les juristes doivent prendre en compte cette nouvelle dimension, en repensant l'Etat avec le concours large des populations.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page