AFFAIRES CULTURELLES

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Mercredi 20 janvier 1999

- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président. -

Audition de Mme Catherine Lalumière, député européen

La commission a entendu Mme Catherine Lalumière, député européen, co-auteur avec M. Jean-Pierre Landau d'un rapport au gouvernement sur l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI).

Accueillant Mme Catherine Lalumière, M. Adrien Gouteyron, président, a rappelé que ce rapport s'inscrivait dans le cadre de la mission de dialogue avec la société civile sur les négociations commerciales multilatérales dont le Premier ministre l'a chargée, conjointement avec M. Jean-Pierre Landau, en juillet 1998.

Il a souligné que l'échec de l'AMI ne remettait en cause ni la nécessité d'une négociation internationale sur l'investissement, ni les interrogations de la commission sur les moyens de faire valoir, dans une telle négociation, les positions françaises sur " l'exception culturelle " et la sauvegarde du droit d'auteur, et il a remercié Mme Lalumière d'avoir accepté de faire part à la commission de ses réflexions sur ce sujet.

Mme Catherine Lalumière a tout d'abord précisé à la commission que son rapport n'abordait le dossier de l'exception culturelle que dans le cadre du mandat plus vaste que le Gouvernement lui avait confié à propos de l'AMI.

Elle a rappelé qu'au début des années 1990, l'Uruguay round avait abouti à la conclusion d'accords de libéralisation du commerce international ayant d'importantes conséquences économiques et sociales. Un nouveau cycle de négociations devrait débuter dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), une fois que les ministres des Etats membres de cette organisation auront adopté un mandat de négociation, à la fin de 1999 en principe. Dans la mesure où l'OMC comprend 150 Etats membres et fonctionne selon le principe du consensus, la définition du mandat de négociation sera sans doute difficile. Le cycle de négociations en préparation n'en sera pas moins aussi important que l'Uruguay round.

L'un des dossiers cruciaux sera sans doute celui des investissements. En effet, l'Uruguay round avait libéralisé les échanges commerciaux. Il paraît donc naturel que les prochaines mesures de libéralisation des transactions internationales portent sur les investissements. C'est dans cette optique que l'OCDE avait d'ailleurs été choisie en 1995 pour servir de cadre à la négociation d'un accord multilatéral sur l'investissement. L'élaboration d'un consensus y paraissait plus facile qu'au sein du GATT, dans la mesure où l'OCDE ne rassemble que des pays développés, intéressés a priori par la libéralisation des investissements.

La négociation de l'AMI a donc été engagée au début de 1995 selon les méthodes assez discrètes en usage à l'OCDE : des réunions d'experts ont lieu sans publicité et la consultation des acteurs économiques et sociaux est peu approfondie. Ce processus a abouti à l'élaboration d'un avant-projet d'accord dont les représentants d'organisations non gouvernementales américaines et canadiennes ont eu connaissance. Ces organisations ont constaté l'existence dans le texte de mécanismes de libéralisation limitant fortement la souveraineté des Etats et d'autres clauses inacceptables.

Leurs analyses, diffusées sur Internet, ont été reprises en Europe par des syndicats et des organisations non gouvernementales, spécialement dans le secteur de la culture et dans celui de l'environnement. Une offensive contre l'AMI a alors débuté, elle a atteint son point culminant au printemps de 1998.

Les ministres de l'OCDE, réunis à Genève en avril dernier, ont décidé de suspendre la négociation de l'AMI afin de permettre à chacun d'y voir plus clair. C'est alors que le gouvernement a demandé à Mme Catherine Lalumière et à M. Jean-Pierre Landau d'élaborer un rapport avant octobre, date prévue pour la reprise de la négociation. Au vu de ce document, le Premier ministre a décidé que la France se retirerait de la table de négociation. La Grande-Bretagne a adopté la même position.

Mme Catherine Lalumière a indiqué que les contacts qu'elle avait pris antérieurement, spécialement au Canada, avaient montré que ce choix ne serait pas critiqué par nos partenaires.

C'est ainsi que la négociation de l'AMI a cessé à la fin de 1998.

Mme Catherine Lalumière a souligné que toutes les forces politiques avaient, en France, approuvé ces options. Les partisans de l'AMI, en particulier les organisations patronales, ont défendu sans grande conviction un accord dont ils approuvaient le principe mais dont le contenu, tel que dessiné dans l'avant-projet d'accord, n'était pas satisfaisant.

Le problème de la libéralisation des investissements va néanmoins être reposé dans le cadre du prochain cycle de négociations multilatérales, avec d'autres sujets, tels que l'agriculture et les services issus des nouvelles technologies de l'information, le commerce électronique en particulier.

Mme Catherine Lalumière a alors rappelé que l'on entrait dans une période de forte diminution des coûts de transmission de l'information, ce qui appelait la fixation de règles multilatérales dans les secteurs intéressés.

La culture figure parmi ceux-ci. La France est à cet égard à la pointe du combat pour la préservation de l'identité culturelle. Elle ne peut cependant agir seule. Il est indispensable qu'elle favorise chez nos partenaires la prise de conscience des conséquences de la mondialisation sur l'identité culturelle des peuples. Il paraît d'ailleurs possible de nouer de nombreuses alliances sur ce thème. En effet, le XXIe siècle sera sans doute le siècle des identités retrouvées. Le Canada est déjà engagé dans le combat pour la défense de la pluralité culturelle. En Europe, les pays latins y sont sensibles. Et si les pays anglo-saxons méconnaissent souvent ce point de vue, les pays scandinaves, tout en abordant de prime abord sous l'angle économique les dossiers à incidence culturelle, sont susceptibles de nous rejoindre quand ils prennent conscience que leur identité est en cause. Il en est de même avec les pays émergents.

Mme Catherine Lalumière a ensuite noté la difficulté de déterminer les moyens juridiques de protéger les identités culturelles nationales dans le cadre du prochain cycle de négociations multilatérales. Elle a rappelé que le gouvernement français avait obtenu en 1993 au GATT, dans le cadre de l'Uruguay round, une " exception culturelle " qui était en fait une réserve sur l'application de l'accord à l'audiovisuel. Il s'agit d'un acquis très important dans la mesure où la notion d'audiovisuel est plus facile à identifier et à utiliser que celle de culture. Les services issus des nouvelles technologies de l'information ne sont pas couverts par la réserve accordée au GATT. Or les Etats-Unis vont très vraisemblablement donner un caractère prioritaire à la libéralisation dans ce secteur. Il convient alors d'éviter toute remise en cause de " l'exception culturelle " du GATT dans le cadre des discussions qui auront lieu sur les nouvelles technologies. L'exception culturelle limitée à l'audiovisuel est en effet un acquis dont rien ne garantit le maintien s'il devait faire l'objet de nouvelles discussions par un biais ou un autre lors du futur cycle de négociations.

Mme Catherine Lalumière a suggéré une initiative française pour lancer en dehors de l'OMC une réflexion sur les problèmes que pose la préservation de la diversité culturelle. Il s'agit d'esquisser la constitution d'un front commun extérieur aux enceintes de négociation économique, qui se prêtent mal à ce type de débat.

Elle a noté en outre l'important retard de la France par rapport aux Etats-Unis en ce qui concerne la production de matériels et de services issus des nouvelles techniques de l'information. Il serait important, a-t-elle estimé, de lancer dans ce domaine une politique dynamique, à l'exemple des Etats-Unis qui consacrent à la société de l'information d'importants crédits d'origine publique.

Un débat s'est alors engagé.

M. Adrien Gouteyron, président, a estimé que les responsables politiques français devaient surveiller attentivement l'évolution des négociations commerciales multilatérales, et a relevé, parmi les pistes ouvertes par Mme Catherine Lalumière, l'idée de lancer une réflexion internationale sur la diversité culturelle face à la mondialisation.

M. Pierre Laffitte a souligné à son tour la nécessité pour la France de trouver des partenaires susceptibles de partager ses vues concernant la préservation de la diversité culturelle : c'est en effet grâce à cette diversité que le monde évolue. Il a relevé qu'Internet constituait un moyen efficace de promotion des identités nationales. A ce titre, il a souhaité que les pouvoirs publics puissent soutenir des sites susceptibles de diffuser la culture et la langue française et de développer la diversité culturelle.

M. Louis de Broissia a déclaré que les Etats-Unis manifestaient un grand intérêt pour le processus de convergence des médias, domaine auquel ils consacraient un effort financier important et il a souligné la nécessité d'une action européenne dans ce domaine. Il a posé une question sur le calendrier d'élaboration des propositions de directive relatives, d'une part, au commerce électronique et, d'autre part, aux droits d'auteur, dont il a souhaité qu'elles puissent prochainement aboutir.

Mme Danièle Pourtaud s'est félicitée que de nombreux Etats, prenant à leur tour conscience de l'importance des enjeux culturels des négociations économiques internationales, soutiennent la position défendue par la France. Néanmoins, elle a souligné, pour s'en inquiéter, qu'il serait difficile de faire prévaloir une telle position face au développement des nouveaux réseaux. Elle a regretté qu'à la différence des Etats-Unis, l'Europe ne mène pas une action volontariste pour soutenir les secteurs impliqués dans le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication.

M. Jean-Paul Hugot a indiqué que le coût des supports tendant à diminuer, l'enjeu économique essentiel des nouveaux réseaux résidait dans le développement des contenus. Relevant que l'importance croissante des contenus pouvait être l'occasion de faire prévaloir nos spécificités sociales et culturelles, il a insisté sur la nécessité de ne pas présenter notre position comme défensive, mais comme une " contre-offensive " sur le terrain de la culture, que l'Europe devait soutenir.

Soulignant que la volonté d'affirmer l'identité culturelle nationale était unanimement approuvée par le Sénat, M. Jean-Louis Carrère a fait observer qu'elle devait se traduire d'une part par la promotion de la langue française et d'autre part par la défense des identités locales aujourd'hui trop négligées.

M. René-Pierre Signé a fait observer que le mouvement vers la mondialisation s'accompagnait d'un attachement croissant des Français à leurs racines ainsi qu'à la vie locale et associative : la " mondialisation " ne remet pas en cause, bien au contraire, la volonté d'exister de nos 36.000 communes.

M. Ivan Renar s'est interrogé sur la fatalité de la mondialisation, et a jugé que l'affirmation de l'identité culturelle devait se substituer à la défense de l'exception culturelle. Il a souligné que le développement des contenus exigeait une conciliation difficile à réaliser entre l'industriel et le culturel. Enfin, il a manifesté son attachement à l'introduction dans le préambule de la Constitution d'une disposition relative à la francophonie.

M. Franck Sérusclat a fait observer que l'affirmation d'une nouvelle identité européenne constituait une parade contre l'américanisation entraînée par la mondialisation.

Mme Catherine Lalumière a apporté les éléments de réponse suivants :

- les progrès techniques comme les aspirations des peuples plaident pour une plus grande liberté de circulation des biens, des capitaux et des personnes, à l'image de celle déjà réalisée au sein de l'Union européenne ;

- face à cette mondialisation inéluctable, trois types d'actions sont envisageables pour protéger les identités culturelles nationales. La négociation de clauses édictant des garanties juridiques risque de produire des résultats insuffisants. Par ailleurs, le contenu de telles règles reste à définir. En ce qui concerne le soutien apporté aux industries des supports, une action volontariste des Etats européens et de l'Union européenne s'impose pour que des crédits soient dégagés afin d'éviter que le retard ne se creuse vis-à-vis des Etats-Unis. Enfin, pour les contenus véhiculés par les nouveaux réseaux sur lesquels se joue la bataille culturelle, les pouvoirs publics doivent encourager un recours plus systématique à Internet pour diffuser la culture française à des publics nouveaux. Une telle politique est susceptible d'être plus efficace que l'élaboration de barrières protectionnistes peu adaptées aux nouveaux médias ;

- si le parlement européen est très sensible aux enjeux des propositions de directives relatives au commerce électronique et aux droits d'auteur, il demeure encore très divisé sur les règles à adopter dans ces domaines, des divergences se manifestant notamment avec les pays anglo-saxons attachés à la notion de " copyright ". Il importe d'éviter que les pays d'Europe centrale et orientale comme les pays de l'Est n'adoptent des législations inspirées des conceptions anglo-saxonnes afin d'éviter qu'ils ne soient soumis à la domination culturelle américaine.

Nomination de rapporteurs

Au cours de la même réunion, la commission a nommé :

M. Pierre Laffitte, rapporteur du projet de loi n° 152 (1998-1999) sur l'innovation et la recherche ;

Mme Hélène Luc, rapporteur de la proposition de loi n° 121 (1998-1999) de Mme Hélène Luc et des membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant à assurer la présence d'une infirmière ou d'un infirmier dans chaque groupe scolaire.

Sport - Protection de la santé des sportifs et lutte contre le dopage - Désignation de candidats pour faire partie d'une éventuelle commission mixte paritaire

Elle a également procédé à la désignation des candidats titulaires et suppléants pour faire partie d'une éventuelle commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage. Ont été désignés : MM. Adrien Gouteyron, James Bordas, Jacques Legendre, André Bohl, Fernand Demilly, Serge Lagauche et Mme Hélène Luc, en qualité de membres titulaires, et MM. Jean Bernadaux, Jean Bernard, Serge Lepeltier, Jean-Luc Miroux, Jean-François Pichard, Guy Poirieux et Franck Sérusclat en qualité de membres suppléants.