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Mardi 27 mars 2001

- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président. -

A l'ouverture de la réunion, M. Adrien Gouteyron, président, a rendu hommage à la mémoire de deux membres de la commission, Pierre Jeambrun, décédé le 7 février 2001, et François Abadie, décédé le 3 mars 2001. La commission a ensuite observé, à l'invitation de son président, une minute de silence.

Communication audiovisuelle - Audition de M. Dominique Baudis, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Dominique Baudis, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

M. Dominique Baudis
a évoqué les principaux dossiers qui seront traités par le CSA pendant l'année 2001.

Le premier est la télévision numérique de terre, dite TNT. L'application de la technique numérique à la diffusion hertzienne terrestre, a-t-il rappelé, permettra de faire passer de six à, théoriquement, 36 le nombre des chaînes nationales. Il est en effet possible de faire passer jusqu'à 6 signaux numériques dans chaque canal existant. Pour des raisons techniques, le nombre effectif de programmes sera sans doute plus proche de 30. En tout état de cause, la TNT bouleversera le paysage audiovisuel si son lancement réussit.

La loi du 1er août 2001 a prévu à cet égard un calendrier serré en fonction duquel le CSA se propose de publier en juin et juillet prochain les premiers appels à candidatures afin de procéder en fin d'année aux premières attributions de fréquences. Les premiers programmes pourraient alors être diffusés aux environs de Noël 2002.

Il est nécessaire que tous les intéressés se mobilisent rapidement à cette fin. C'est le cas du CSA, auquel la loi a accordé une responsabilité importante à l'égard de la transition. C'est bien entendu aussi le cas des opérateurs, comme celui des industriels, qui devront livrer des téléviseurs équipés pour la réception numérique ou des décodeurs. C'est en outre le cas du Parlement, auquel quelques aménagements législatifs seront vraisemblablement demandés. C'est enfin le cas du Gouvernement, auquel il appartient de donner au secteur public les moyens financiers d'étendre son périmètre.

M. Dominique Baudis a estimé qu'en dépit d'un calendrier très serré le pari de la TNT pouvait être gagné.

La suppression rapide de quelques obstacles en faciliterait la réussite.

Il s'agit en particulier du plafond de 49 % de détention par un même opérateur du capital d'un service de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre. Cette disposition est nécessaire pour la télévision analogique, dont l'impact social est considérable, afin d'éviter la concentration excessive des opérateurs. En ce qui concerne la diffusion numérique terrestre, des assouplissements seraient justifiés afin de permettre la reprise de chaînes thématiques du câble et du satellite dont le capital est actuellement détenu à 100 % par les opérateurs historiques. Le Gouvernement est conscient de cette difficulté, qui pourrait compromettre le développement de la TNT si elle n'était pas résolue dans un délai de 10 à 12 mois au plus.

La deuxième difficulté concerne le niveau de la dotation financière qui permettra l'entrée de France Télévision dans le numérique de terre. La tradition française d'économie mixte du secteur audiovisuel justifie la diversification thématique de France Télévision. Il s'agit au surplus d'un enjeu vital pour la télévision publique, peu présente sur le câble et moins encore sur le satellite.

Le second grand dossier évoqué par M. Dominique Baudis est la radio numérique. La diffusion numérique permet, comme en télévision, de démultiplier l'offre radiophonique, ce qui facilitera les arbitrages du CSA en matière d'attribution des fréquences. La radio numérique présente en outre l'avantage de permettre la diffusion de services associés aux programmes de radios, comportant des images. Il sera ainsi possible de passer à Paris de 50 à 100 stations de radio, à condition que le public s'équipe avec de nouveaux postes récepteurs. Le CSA a décidé de faire un gros effort afin de lancer dans les mois qui viennent une centaine de stations de radios numériques sur la région parisienne.

Le troisième dossier important est la reconduction des autorisations de TF1 et de M6. Aux termes de la loi, ces deux services bénéficient, en l'absence de graves transgressions de leurs obligations légales, réglementaires et contractuelles, de la procédure de la reconduction hors appel à candidatures, pour autant que des points de désaccords fondamentaux n'apparaissent pas entre le CSA et les dirigeants au cours des entretiens précédant la reconduction.

Une audition publique des dirigeants de M6 a déjà eu lieu afin de définir le cadre de la reconduction. Le CSA a insisté à cette occasion sur la nécessité d'inscrire dans la convention de M6 le caractère paritaire des droits de vote détenus par les deux principaux actionnaires, Suez et RTL Groupe.

M. Dominique Baudis a aussi évoqué le problème de la réciprocité des droits et des obligations des opérateurs entre les pays européens, dans le respect des règles de l'Union européenne, problème sur lequel les phénomènes de concentration en cours dans l'audiovisuel ont récemment attiré l'attention : en particulier, l'opinion publique et les milieux audiovisuels ont fortement ressenti la montée en puissance de Bertelsmann dans le groupe RTL. Or, le CSA a été saisi par des opérateurs de radio des obstacles rencontrés pour entrer sur les marchés allemand et britannique. Ces opérateurs s'estiment victimes de pratiques discriminatoires de la part des instances locales de régulation. Une plainte a été déposée à la Cour de justice de Luxembourg. De son côté, le CSA a décidé d'évoquer prochainement ce dossier avec le commissaire européen compétent, Mme Viviane Reding. La réunion, prévue à Barcelone, des régulateurs européens offrira une autre occasion de débattre de cette question.

Le CSA a par ailleurs décidé de développer son activité de médiation entre les téléspectateurs et les diffuseurs. M. Dominique Baudis a illustré l'utilité de cette fonction en rappelant que les diffuseurs avaient négligé de diffuser des programmes spéciaux pour la jeunesse dans une zone académique pendant les dernières vacances scolaires. Le CSA ne dispose pas de pouvoirs juridiques pour corriger ce genre de situations, aussi est-il important qu'il transmette aux diffuseurs les doléances des téléspectateurs.

Il a aussi évoqué le problème préoccupant de la violence à la télévision. Dans ce domaine, le CSA a suscité des innovations qui ont fait école, telle la signalétique des programmes. Il envisage de lancer une nouvelle réflexion associant, par exemple dans le cadre d'un colloque, l'ensemble des intéressés : Parlement, diffuseurs, familles, producteurs, téléspectateurs, médecins spécialisés.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Jean-Paul Hugot, se félicitant de ce que le lancement du numérique de terre soit au premier plan des préoccupations du CSA, a rappelé que le Sénat avait mis en doute la pertinence économique du régime juridique créé par la loi du 1er août 2000, et avait proposé des solutions permettant d'éviter les difficultés mentionnées par le président du CSA. Ainsi, le plafond de 49 %, justifié en ce qui concerne la diffusion analogique mais inadapté à la diffusion numérique, n'existait pas dans le régime juridique proposé par le Sénat, inspiré par la réglementation du câble et du satellite.

Evoquant les rumeurs, dont la presse se fait régulièrement l'écho, de réduction du périmètre de la télévision publique, il a demandé si le CSA considérait qu'une telle réduction pourrait être un moyen de financer la diversification thématique de France Télévision.

Il a aussi souhaité savoir si les demandes présentées par TF1 et par M6 étaient de nature à faire obstacle à la reconduction de leur autorisation sans appel à candidatures.

Il a demandé des précisions sur le fonctionnement de la réciprocité entre les pays européens en matière de liberté d'installation des opérateurs audiovisuels.

Il a enfin estimé utile que la fonction de régulation du CSA soit prolongée par une fonction de médiation qui confortera sa légitimité.

M. Pierre Laffitte s'est associé aux remarques présentées en ce qui concerne la réciprocité entre les pays de l'Union européenne et a estimé que ce problème se posait aussi au regard de la faible diffusion d'Arte en Allemagne.

Il a demandé s'il ne serait pas opportun d'accroître la coopération entre les instances nationales de régulation afin de prévenir les initiatives que la Commission européenne pourrait prendre dans ce domaine, notant que l'attitude de la Commission sur les licences UMTS avait contribué à déprimer l'économie européenne des télécommunications.

Il a aussi remarqué que la convergence des nouvelles technologies dans la radio numérique connaîtrait de nouveaux développements avec la diffusion de programmes de télévision par l'internet à grand débit. Il a noté que la régulation allait ainsi revêtir une dimension de plus en plus transnationale.

Il a demandé si les fréquences terrestres numériques seraient distribuées gratuitement, et quelles obligations seraient imposées aux opérateurs, notamment en matière d'aménagement du territoire, affirmant la rentabilité sociale et économique de programmes tels que la formation à distance. Il a aussi regretté à cet égard que la loi du 1er août 2000 n'ait pas abordé de façon plus précise la question des contenus à diffuser. Il a souhaité connaître la position du CSA sur cette question.

Il a aussi demandé quelles relations le CSA entretenait avec l'Agence de régulation des télécommunications et avec l'Agence nationale des fréquences.

Il a enfin posé la question de l'avenir du monopole de TDF, entreprise qui prélève une dîme sur les opérateurs tout en ayant accaparé des " points hauts " qui constituent une richesse nationale.

M. Ivan Renar a approuvé le rappel de la dimension politique de la télévision numérique de terre, exprimant la crainte que le Parlement ne débatte tardivement de son lancement.

Après que le président Adrien Gouteyron eut à cet égard informé la commission qu'il avait demandé à la conférence des présidents du Sénat l'organisation d'un débat sur l'audiovisuel, M. Ivan Renar a exprimé la crainte que France Télévision, dont le projet de lancer six chaînes thématiques était extrêmement intéressant, ne soit réduite à la portion congrue pour des raisons financières.

Il a souhaité savoir quelle était la réflexion du CSA sur l'évolution de la redevance.

Il a remarqué qu'il pourrait être utile de doter France Télévision d'un outil de production intégré, notant que la télévision publique disposait d'un tel outil en Allemagne et en Grande-Bretagne.

Il s'est interrogé sur l'opportunité de confier au CSA un rôle de gendarme de l'internet dans le cadre du projet de loi, en cours d'élaboration, sur la société de l'information.

Il a enfin estimé, en ce qui concerne la violence à la télévision, que le véritable problème était celui de la présentation complaisante d'une violence dont la présence dans la société ne peut être dissimulée, et a estimé nécessaire d'associer le Parlement à la réflexion envisagée par le CSA.

M. Jean-Pierre Fourcade s'est inquiété de la pauvreté des programmes de télévision, estimant que les contenus poseraient à terme plus de problèmes que les " tuyaux ", et notant que l'audimat avait rendu justice à la qualité du feuilleton inspiré de l'oeuvre de Balzac récemment diffusé sur l'antenne de France 2.

Il a approuvé le développement de la fonction médiatrice du CSA, estimant utile que le régulateur ait aussi la capacité de lancer une réflexion sur les dossiers qui le méritent. Il s'est inquiété à cet égard de la violence accrue des matchs de football et de l'exposition de cette violence à la télévision.

Il a enfin souhaité savoir si les collectivités territoriales ou leurs groupements pourraient être attributaires de fréquences de radio numérique.

M. Dominique Baudis a présenté les réponses suivantes :

- le plafond de détention de parts du capital des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre est un obstacle dirimant à l'entrée des opérateurs privés dans le numérique de terre. Une modification de la loi serait nécessaire avant l'été pour permettre au CSA de lancer les appels à candidatures dans de bonnes conditions. Si les opérateurs n'ont pas au plus tard en septembre prochain la visibilité nécessaire sur les conditions juridiques de leur entrée dans le numérique de terre, ils ne s'y engageront sans doute pas ;

- il serait aussi indispensable que France Télévision, qui demande une dotation d'un milliard à 1,5 milliard de francs pour financer quatre chaînes numériques gratuites, sache rapidement à quoi s'en tenir sur le plan financier.

Si l'ensemble de ces conditions n'est pas satisfait, le numérique de terre subira un retard d'un an et le calendrier serré prévu par la loi ne sera pas respecté ;

- les demandes présentées par le CSA à l'occasion du renouvellement des autorisations de TF1 et de M6 sont plus importantes que celles de TF1 et M6. M6 souhaite bénéficier de trois minutes supplémentaires de publicité par tranche horaire. Le contexte n'est pas favorable à l'acceptation de cette demande dans la mesure où le lancement du numérique de terre nécessitera la mobilisation de ressources publicitaires significatives ;

- les problèmes que pose vis-à-vis du principe de réciprocité l'attribution des fréquences de radio en Allemagne sont largement liés au fait que chaque Land dispose d'une instance de régulation, proche des opérateurs locaux et souvent soucieuse de protéger ceux-ci au détriment des intervenants étrangers ;

- Arte est en dehors de la compétence du CSA, qui ne peut se prononcer sur ses conditions de diffusion en Allemagne ;

- il est improbable qu'internet puisse se développer en dehors de toute régulation : la liberté sans règles n'est en effet rien d'autre que la loi du plus fort. Plusieurs instances de régulation resteront sans doute compétentes à l'égard d'internet. La répression des délits commis sur le réseau appartient à la justice et à la police, la régulation du commerce en ligne appartient au Conseil de la concurrence, et la régulation des médias audiovisuels appartient au CSA. Celui-ci entend que les services déjà conventionnés pour une diffusion par voie hertzienne respectent les mêmes obligations dans le cadre d'une diffusion par internet. En ce qui concerne les services audiovisuels spécifiques d'internet, l'absence de rareté des capacités de diffusion justifie un moindre niveau de contraintes. Il s'agit cependant de médias audiovisuels à l'égard desquels le CSA est en principe compétent, et qui ont besoin d'un cadre déontologique ;

- le CSA n'est pas compétent pour définir les contenus des services diffusés en numérique de terre. Il appartient aux professionnels d'identifier les créneaux intéressants. Le CSA effectuera bien entendu des arbitrages dans le cadre de la procédure d'attribution des fréquences ; il veillera en particulier à éviter les doublons et vérifiera la crédibilité économique des services candidats. Au demeurant, un décret va définir les obligations des chaînes thématiques ;

- le Parlement sera informé par le CSA de l'avancement des travaux de lancement du numérique de terre ;

- le CSA est incompétent à l'égard de l'évolution de la redevance, il a cependant constaté dans une étude le sous-financement de la télévision publique française par rapport à l'Allemagne et à la Grande-Bretagne. La redevance est par exemple deux fois plus importante en Allemagne qu'en France. Il est nécessaire de porter remède à cette situation afin que la télévision publique soit capable de produire des contenus ;

- la télévision numérique de terre sera fondée sur un équilibre entre le secteur public et le secteur privé et entre les services gratuits et les services payants. La priorité donnée par le législateur aux services gratuits se heurte à des obstacles économiques. Il est nécessaire de mettre en place un nombre suffisant de services payants afin d'assurer le financement des décodeurs numériques et la production de nouveaux programmes. Il est probable que cette offre payante sera compétitive ;

- la consommation moyenne de télévision est de trois heures par jour, et un Français sur deux regarde chaque soir la télévision. La télévision est donc un phénomène social fondamental qui justifie de la part du CSA une attention accrue à l'exercice d'une fonction médiatrice. C'est ainsi qu'après la suppression par France 2 de l'émission " la chance aux chansons ", le CSA a reçu un très grand nombre de plaintes de la part des téléspectateurs se prévalant de leur qualité de contribuables pour exprimer leurs doléances à l'égard des programmes de la télévision publique. Après avoir reçu l'animateur de l'émission, le CSA a informé France Télévision des réactions du public ;

- le problème de la violence à la télévision restant posé, il est opportun de mener plus loin la réflexion, à laquelle le Parlement doit être associé par le biais d'un colloque.