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Mercredi 21 mai 2003

- Présidence de M. Jacques Legendre, vice-président. -

Mission d'information chargée d'étudier l'évolution du secteur de l'exploitation cinématographique - Examen du rapport d'information

La commission a procédé à l'examen du rapport d'information de MM. Michel Thiollière et Jack Ralite, rapporteurs de la mission d'information chargée d'étudier l'évolution du secteur de l'exploitation cinématographique .

M.  Marcel Vidal, président de la mission, a d'abord observé que le hasard faisait coïncider le moment où la mission présentait les conclusions de son rapport et celui où se déroulait, à Cannes, le Festival international du film.

Il a d'ailleurs indiqué qu'en marge de ce Festival, une déclaration baptisée « déclaration de Cannes », traduisant la volonté de mettre en place une véritable Europe de la culture et préconisant le maintien de la règle de l'unanimité en la matière, avait été signée par quatorze ministres de la culture européens, alors même que la place accordée à l'exception culturelle dans la future Constitution européenne fait débat.

Il a souligné qu'au cours du conseil d'administration du Festival, auquel il participait en tant que rapporteur du budget du cinéma, le représentant de la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP) avait émis le voeu d'associer au prochain festival, non seulement des parlementaires français et européens mais également des délégués de l'Association des maires de France, des conseils généraux et des conseils régionaux.

Il a ensuite rappelé les raisons de fond pour lesquelles, il y a maintenant un peu plus d'un an, il avait souhaité la création d'une mission d'information sur le secteur de l'exploitation cinématographique.

La première est liée à la place que tient la salle dans la définition même de l'oeuvre cinématographique. En effet, ce qui fait du cinéma le « septième art », c'est avant tout sa qualité de spectacle ; ce qui distingue le film de cinéma des autres oeuvres audiovisuelles, c'est sa diffusion dans les « salles obscures ». A ce titre, l'exploitation en salle est un facteur déterminant de la spécificité de l'oeuvre cinématographique.

La deuxième réside dans le fait que le réseau d'exploitation est un enjeu de première importance en termes d'aménagement du territoire. La salle de cinéma demeure un élément essentiel de la vie culturelle et sociale locale, un lieu de convivialité et de rencontre dans les petites villes ou les zones rurales.

Mais au-delà de ces raisons de fond, il lui a paru nécessaire d'analyser un phénomène qui semblait, il y a quelques années seulement, tout à fait improbable : la reprise spectaculaire de la fréquentation des salles de cinéma.

Il a considéré qu'au terme d'un an de travail, la mission était parvenue à formuler un ensemble de propositions cohérentes et a remercié les deux rapporteurs pour leur investissement personnel et leur participation aux travaux de la mission.

Après avoir salué le rôle essentiel joué par M. Marcel Vidal dans l'orientation des travaux de la mission, M. Michel Thiollière, rapporteur, a précisé que la première partie du rapport mettait l'accent sur l'évolution de la fréquentation cinématographique et son influence sur l'évolution du parc de salles dans notre pays.

Il a rappelé qu'entre 1957 et 1992, la fréquentation avait connu un effondrement sans précédent, revenant, en l'espace de trente-cinq ans, de 411 millions d'entrées à 116 millions d'entrées par an et entraînant, outre la baisse régulière du nombre de fauteuils, une transformation radicale du parc de salles français.

Cette transformation s'est d'abord traduite par la création des premiers complexes de salles permettant aux exploitants d'intensifier leur activité. Ceux-ci ont en effet divisé les salles uniques existantes, qui pouvaient contenir jusqu'à 2.000 personnes, en plusieurs salles de taille variable permettant d'offrir un choix de films plus important aux spectateurs.

Elle s'est ensuite matérialisée par la concentration géographique des équipements dans les agglomérations les plus importantes, mais également, au sein même des agglomérations, par le regroupement des salles dans les zones animées et les centres-villes.

Elle a enfin entraîné la disparition des programmations, dites « alternatives », concourant à l'uniformisation des films proposés, les exploitants abandonnant progressivement la diffusion de longs métrages de « série B » pour se concentrer sur la diffusion de films en première exclusivité.

Il a rappelé que depuis 1993 néanmoins, le contexte avait bien changé, et qu'après trente-cinq années difficiles, fréquentation et exploitation cinématographiques connaissaient un incontestable regain de vitalité. Sur la période 1993-2002, la fréquentation a ainsi bondi de 47 %, pour atteindre plus de 180 millions d'entrées l'an dernier, alors que le nombre de salles a connu une progression de 22 % et le nombre de fauteuils, une augmentation de 18 %.

Il a noté que ce rebond de la fréquentation était notamment lié à l'apparition d'un nouveau type d'équipements répondant aux exigences d'une importante frange de spectateurs : les multiplexes. Si l'apparition de ce nouveau type de salles ne doit pas être considérée comme l'unique cause de l'augmentation du nombre d'entrées en salles, son impact sur la fréquentation a été largement positif : en proposant aux spectateurs des conditions de projection de grande qualité, en s'implantant dans des zones géographiques sous-équipées en salles, mais aussi en incitant le reste du parc à se moderniser pour élever le niveau de qualité proposé aux spectateurs, les multiplexes ont incontestablement participé à l'embellie de la fréquentation.

Après avoir rappelé que notre pays pouvait s'enorgueillir de disposer d'un parc varié, il a relevé que cette diversité préservée devait beaucoup à une action publique volontariste qui a su, au fil des années, maintenir un environnement réglementaire favorable aux salles et reposant sur deux idées essentielles : soutenir financièrement les exploitants et garantir aux salles la diffusion exclusive des longs métrages.

Il a tenu à souligner l'efficacité d'un système d'aides qui a permis de faciliter la modernisation du parc de salles et le maintien, voire le développement, de lieux de projection dans les zones sous-équipées.

M. Jack Ralite, rapporteur, a précisé que la deuxième partie du rapport était consacrée à l'évaluation des actions menées ces dernières années par les pouvoirs publics en faveur de la diversité, tant du point de vue des équipements que de celui de la programmation.

Il a noté que certaines de ces actions avaient eu pour objectif de préserver la diversité du réseau d'exploitation, au motif que si la diversité du parc de salles ne garantissait pas, en elle-même, la diversité des programmations, elle en constituait néanmoins une condition essentielle.

Il a affirmé que la mise en place de la réglementation destinée à réguler la construction de multiplexes avait certes entraîné quelques effets pervers, mais qu'elle avait néanmoins permis, à quelques exceptions près, d'assurer une répartition relativement homogène des multiplexes sur le territoire et d'éviter que la France, à la différence des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne, ne connaisse de phénomène de suréquipement.

Concernant la régulation des cartes illimitées, il a regretté qu'il ait fallu attendre trois ans pour que ces formules soient juridiquement encadrées, ce qui rend pour l'heure difficile l'évaluation de ce dispositif, qu'il a par ailleurs jugé intéressant.

Il a rappelé que le législateur avait également encouragé l'intervention des collectivités locales en matière d'exploitation en facilitant, par la loi du 13 juillet 1992, l'octroi d'aides aux exploitants. Après avoir indiqué qu'aucune donnée chiffrée ne permettait d'apprécier le montant des subventions octroyées par les collectivités et leur impact éventuel sur le secteur de l'exploitation, il a souligné qu'un questionnaire réalisé par la mission, en collaboration avec le Centre national de la cinématographie (CNC), avait permis d'initier ce travail de recueil de données. Celui-ci fait apparaître de notables différences entre les différentes collectivités. En effet, si les communes soutiennent activement l'exploitation cinématographique, il n'en va pas toujours de même des départements et des régions.

Il a proposé qu'afin de compléter ce travail de recensement et d'analyse indispensable à l'évaluation de l'efficacité du dispositif mis en place par la loi de 1992, le CNC se charge, à intervalle régulier, d'évaluer précisément le montant et la nature des différentes aides consenties par les collectivités aux exploitants.

Il a constaté que la diversité de la programmation posait également problème. En effet, si grâce à l'action du médiateur du cinéma, l'accès des salles aux films est, de l'avis général, efficacement garanti, il n'en va pas de même de l'accès des films aux salles : l'augmentation régulière du nombre de films proposés, la véritable explosion du nombre de copies tirées et la concentration des sorties sur quelques semaines entraînent la rotation de plus en plus rapide des films sur les écrans, empêchant la majorité d'entre eux de trouver leur public.

A cet égard, il a indiqué que la mission proposait d'encadrer ce phénomène par la mise en place d'un code de bonne conduite négocié entre les opérateurs concernés, sous l'égide du ministère de la culture.

M. Michel Thiollière, rapporteur, a enfin abordé la troisième et dernière partie du rapport, consacrée à l'avenir du secteur de l'exploitation.

Il a affirmé que certains éléments objectifs permettaient de penser que l'embellie de la fréquentation serait durable. En premier lieu, force est d'abord de constater que la modernisation du parc n'est pas encore achevée sur tout le territoire : si l'équipement des agglomérations de plus de 100.000 habitants ne devrait plus guère évoluer, il n'en va pas ainsi pour les villes moyennes notamment, délaissées la plupart du temps par les grands opérateurs nationaux. Pour faciliter une modernisation susceptible d'accroître la fréquentation, à l'heure où le montant des investissements nécessaires à la rénovation d'un complexe cinématographique est de plus en plus élevé et où la confiance des banques est de plus en plus difficile à obtenir, la mission propose l'instauration d'un fonds de garantie d'emprunt en faveur des exploitants indépendants.

Il a précisé ensuite que le succès des opérations tarifaires temporaires, telles que la Fête du cinéma, laissait également croire qu'il existait dans notre pays une demande insatisfaite en la matière.

Il a encore souligné que l'avenir du secteur de l'exploitation dépendait du développement annoncé de la projection numérique. Alors que la projection des films en salles demeure le dernier maillon analogique d'une chaîne de production de plus en plus ouverte aux technologies numériques, la plupart des exploitants rencontrés par la mission semblent néanmoins hésiter entre méfiance et franche hostilité à l'égard des nouveaux matériels de projection.

Il a rappelé que cette attitude s'expliquait par des problèmes économiques d'abord, liés au prix encore prohibitif des projecteurs numériques, au refus de financer une technologie qui n'améliorerait pas le spectacle proposé aux spectateurs et à la crainte de perdre la propriété des moyens de diffusion et leur autonomie de programmation, si l'installation de projecteurs numériques devait être financée par de nouveaux entrants, tels que les équipements de télécommunication.

Il a noté que des problèmes techniques, tels que l'absence de standard numérique mondial, les difficultés de transmission en temps réel de fichiers informatiques extrêmement lourds et le piratage des données informatiques, restaient également à résoudre.

Il a enfin estimé que l'impact culturel de l'introduction de la projection numérique restait à déterminer. En effet, si le développement de la projection numérique peut faire peser une menace importante sur la diversité cinématographique, le mythe du producteur hollywoodien installé devant sa console et inondant la planète de ses films en appuyant sur un bouton étant dans l'esprit de chacun, la digitalisation de la projection pourrait également faire le jeu de la diversité culturelle en permettant aux salles d'art et essai et à l'exploitation indépendante de diffuser directement en numérique des productions tournées en Digital Vidéo (DV) et des films de répertoire pour lesquels le prix de fabrication d'une nouvelle copie s'avère trop élevé.

Il a indiqué qu'à cet égard, la mission proposait des mesures garantissant aux spectateurs une qualité au moins équivalente à celle offerte par l'actuelle projection en 35 mm, et la mise en place d'une instance de concertation et de coordination pour gérer la transition vers la projection numérique et faisant appel au programme européen MEDIA pour contribuer à l'équipement des salles.

Un large débat s'est ensuite engagé.

Mme Danièle Pourtaud a fait remarquer que les moyens juridiques et financiers mis à la disposition des collectivités locales souhaitant acquérir une salle de cinéma menacée de fermeture étaient limités. Elle a indiqué que, si le nombre de copies était de plus en plus élevé, les exploitants indépendants n'avaient pas pour autant, en dépit des efforts du médiateur du cinéma, accès à l'ensemble des films. Aussi bien a-t-elle suggéré qu'au lieu de limiter purement et simplement le nombre de copies tirées, il conviendrait de fixer un seuil au-delà duquel un pourcentage du nombre de copies serait réservé aux salles indépendantes.

Elle a souhaité que le soutien grandissant des collectivités locales aux exploitants de salles ne soit pas le prétexte à un désengagement de l'Etat.

Elle s'est enfin interrogée sur l'existence de salles rurales équipées de vidéotransmission et sur l'application, aux salles de cinéma, de l'article 2 de l'ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles, aux termes duquel aucune salle ne peut recevoir une autre affectation ou être démolie sans que le propriétaire ou l'usager ait obtenu l'autorisation du ministre de la culture.

Mme Annie David a souhaité savoir si le ministère de l'éducation nationale était associé aux actions d'initiation du jeune public à l'image en général, et au cinéma en particulier.

Mme Françoise Férat a souligné que, dans les départements ruraux notamment, le coût essentiel pour les collectivités territoriales associées aux actions d'initiation du jeune public au cinéma était lié au transport des élèves de l'établissement scolaire vers la salle.

M. Alain Dufaut a relevé qu'en dépit des craintes exprimées par la quasi-totalité des membres de la commission au moment de la construction des premiers multiplexes, ces équipements avaient contribué efficacement à la reprise de la fréquentation et à la modernisation de l'ensemble du parc de salles. Il a noté que le système d'autorisations mis en place avait permis d'éviter, sauf à Nîmes et Avignon, tout risque de suréquipement en la matière.

Il a estimé que si la création d'une aide sélective à la création de salles dans les communes de moins de 15.000 habitants était une proposition intéressante, il fallait néanmoins veiller à ce qu'elle profite essentiellement aux exploitants indépendants, et non pas aux grands réseaux.

Il a souhaité disposer de précisions complémentaires concernant la modification de la composition des commissions départementales d'équipement cinématographique (CDEC).

En réponse aux différents intervenants, MM. Marcel Vidal, Michel Thiollière et Jack Ralite ont apporté les précisions suivantes :

- en utilisant son droit de préemption, une municipalité a la faculté de se porter acquéreur d'une salle de cinéma menacée de fermeture ; cette salle publique peut, le cas échéant, être confiée, par concession, à un exploitant privé ;

- le problème lié à l'accès des exploitants indépendants aux films les plus « porteurs » est difficile à résoudre. En effet, en leur permettant systématiquement de disposer de ces films, on ne fait qu'augmenter le nombre de copies en circulation et renforcer l'uniformité de la programmation ;

- des partenariats entre les collectivités locales, le CNC et le ministère de l'éducation nationale ont été mis en place depuis le début des années 90 afin de financer les actions d'initiation du jeune public au cinéma. Par ailleurs, dans les directions régionales des affaires culturelles, un fonctionnaire est souvent chargé de développer ce type de partenariat ;

- la commission d'aide sélective à la création et à la modernisation de salles de cinéma dans les zones insuffisamment desservies traite un nombre de plus en plus élevé de dossiers émanant de structures intercommunales et prend en considération de manière réelle et encourageante les différences de situation entre les équipements urbains et les équipements ruraux.

La commission a enfin adopté les conclusions de la mission d'information, à l'unanimité, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.