Travaux de la commission des finances



- Présidence de M. Alain Lambert, président.

Débat d'orientation budgétaire - Audition de M. Michel Didier, directeur de Rexecode

La commission a procédé à l'audition de M. Michel Didier, directeur de Rexecode, relative à l'information sur les finances publiques en vue du débat d'orientation budgétaire.

M. Alain Lambert, président, ayant indiqué que l'audition du directeur de Rexecode portait sur les conclusions d'étape d'une étude pilotée par M. Joël Bourdin en sa double qualité de président de la délégation du Sénat pour la planification et de membre de la commission des finances, a relevé la convergence des préoccupations manifestées par les deux instances sénatoriales.

Ayant rappelé que les hésitations et les incertitudes sur les résultats d'exécution du budget de 1999 avaient souligné la difficulté pour les observateurs extérieurs à l'administration d'accéder à des données fiables sur les finances publiques et de se faire une opinion sur la réalité financière, M. Michel Didier a estimé qu'elles avaient aussi suscité chez beaucoup d'analystes une forte attente de transparence sur l'ensemble de notre secteur public. Il a alors souligné que le problème de la transparence dépassait largement la seule question de l'exécution du budget, touchant plus généralement à l'ensemble du secteur des administrations publiques, de leurs moyens et de leurs résultats.

Il a situé l'importance des enjeux en citant quelques données : les dépenses publiques représentent plus de 53 % du produit intérieur brut (PIB) français ; les administrations publiques emploient 25 % des salariés en France, l'emploi dans les administrations publiques françaises étant passé de 5,2 millions à 5,7 millions de personnes de 1991 à 1999, alors qu'il passait au cours de la même période de 5,8 millions à 5,1 millions en Allemagne et de 5,1 millions à 3,7 millions au Royaume-Uni.

Il a également mentionné le paradoxe au terme duquel les publications statistiques détaillées et régulières sont souvent plus fournies sur le secteur privé en France que sur le secteur public, estimant cette situation particulièrement fâcheuse pour l'exercice normal de la démocratie et pour le pluralisme du débat.

M. Michel Didier a alors exposé la méthode suivie pour conduire l'étude en cours. Elle s'appuiera sur une revue de la littérature sur le sujet, sur une comparaison de l'état de l'information publique sur les administrations (emploi, ressources financières, coûts, etc...) en France et au Royaume-Uni, à laquelle s'ajouteront autant que possible quelques éléments de comparaison avec les administrations allemandes et américaines, et enfin sur une recherche des informations que l'administration française possède mais qui ne font pas actuellement l'objet de publication.

Evoquant la diffusion de l'information économique, il a jugé que si l'initiative prise il y a une vingtaine d'années à la suite du rapport Lenoir, Baudoin, Prot, de diversifier les compétences macro-économiques alors concentrées dans une administration économique publique unique avait fait franchir un pas significatif au débat sur les prévisions et les politiques macro-économiques, cette évolution restait inachevée parce que l'information sur les calculs et les données budgétaires demeurait très peu accessible aux institutions indépendantes.

Il a estimé que, malgré certaines avancées, les objectifs d'il y a vingt ans restaient toujours à concrétiser, tandis que les besoins d'informations avaient grandi.

M. Michel Didier a alors passé en revue quelques éléments de comparaison entre la France et le Royaume-Uni en matière d'information sur les choix budgétaires et sur l'exécution budgétaire en cours d'année, ainsi que d'information sur l'emploi public.

En ce qui concerne l'information sur les choix budgétaires, il a rappelé que la politique budgétaire du gouvernement du Royaume-Uni était fixée dans le contexte de la stratégie financière à moyen terme qui, depuis 1980, sert de cadre à la politique budgétaire. Il a indiqué que le budget annuel était l'occasion de réexaminer la politique budgétaire de manière à s'assurer qu'elle s'inscrivait bien dans l'objectif d'équilibre budgétaire à moyen terme, insistant sur le fait que les projections budgétaires étaient établies en général pour les quatre années à venir et que chaque ministère établissait et publiait un document annuel rappelant les objectifs de chaque service et le degré de réalisation de ces objectifs.

En résumé, il a jugé que deux différences majeures existaient entre la France et le Royaume-Uni :

- la procédure française centre le débat sur une seule année budgétaire, alors que le Royaume-Uni privilégie une approche pluriannuelle ;

- les démarches respectivement suivies manifestent un souci plus accentué de véritable gestion économique dans le cas britannique et de préoccupations beaucoup plus comptables en France.

S'agissant de l'information sur l'exécution budgétaire, il a souligné d'abord le manque d'exhaustivité de sa diffusion sur Internet en France.

Il a ensuite mis en évidence l'imprévisibilité du calendrier de publication des données budgétaires et ses retards, remarquant que la situation du budget de l'Etat, document mensuel, était publiée sans calendrier annoncé et avec un décalage de cinq à sept semaines.

Il a souligné que, par contraste, le Trésor britannique mettait à disposition du public sur Internet un ensemble très complet de documents, chaque ministère proposant sur son site propre son projet de budget sur trois ans.

Il a tout particulièrement mis l'accent sur l'effort réalisé au Royaume-Uni pour proposer des comptes non seulement par ministère mais également par fonction, le détail par fonction retenu dans le document britannique étant bien plus précis que la ventilation présentée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) dans les comptes de la Nation.

Il a enfin souligné la plus grande fréquence des publications des documents mensuels d'exécution au Royaume-Uni qui, généralement, n'excède pas un délai maximum de trois semaines après la fin de chaque mois.

Evoquant enfin l'information sur l'emploi et les salaires publics, M. Michel Didier a d'abord passé en revue la situation française. Ayant jugé que la fonction publique était actuellement placée au coeur de la nécessaire réforme de l'Etat, il a observé que les rapports qui lui sont consacrés dénonçaient tous l'inexistence d'informations nécessaires à une gestion du personnel réellement efficace.

Il a témoigné que, de nombreux concepts coexistant tant en matière de masse salariale que d'emploi public, il n'était généralement pas possible d'en comprendre l'articulation et la portée exacte, ni d'identifier l'ensemble des données correspondantes.

Il a rappelé notamment qu'en matière d'emplois, il fallait distinguer les emplois budgétaires et les personnes physiques effectivement rémunérées sur les budgets publics, et qu'en matière de masse salariale, il fallait distinguer les crédits ouverts par les lois de finances et les paiements effectivement constatés.

Il a indiqué que si l'effectif des administrations publiques au sens de la comptabilité nationale était de 5.700.000 environ, le rapport sur la fonction publique de l'Etat publié par la Cour des comptes en décembre 1999 mentionnait une estimation d'environ 5 millions de personnes, le total des emplois créés ou financés dans les services de l'Etat par la loi de finances pour 1998 étant quant à lui de 2.374.230 selon la Cour des comptes.

Il a poursuivi en précisant que, si dans le rapport annuel du ministère de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, les effectifs réels des agents de l'Etat au 31 décembre 1997 étaient de 2.234.481, la publication INSEE-résultats recensait en décembre 1996 3.118.993 salariés de l'Etat, les salariés des collectivités locales et des établissements hospitaliers étant exclus.

Estimant que certains écarts s'expliquaient par des différences de champs, il a conclu qu'il s'avérait néanmoins difficile d'établir un raccordement clair de ces différents chiffres et donc de disposer d'une information cohérente et fiable.

Il a alors indiqué qu'au Royaume-Uni le recensement des effectifs publics était réalisé sur la base d'un sondage annuel permettant de disposer d'informations plus fréquentes, tandis qu'aux Etats-Unis le recensement des administrations publiques effectué tous les cinq ans en application du titre 13, section 161 du code des Etats-Unis donnait une description très complète et détaillée des dépenses publiques et de l'emploi public.

Il a conclu son exposé en évoquant brièvement l'information sur le patrimoine public, pour juger que si elle était assez généralement déficiente, cette déficience était d'autant plus paradoxale en France que le système foncier s'y trouve extrêmement centralisé.

Un large débat s'est ensuite ouvert.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a tout d'abord demandé à M. Michel Didier, directeur de Rexecode, dans quelle mesure le Parlement et le public disposaient au Royaume-Uni d'une information sur la situation consolidée des finances publiques, tant en prévision qu'en exécution.

En réponse, M. Michel Didier a précisé que, contrairement à la France, le Royaume-Uni publiait régulièrement le besoin de financement consolidé de l'ensemble des administrations publiques. Il a indiqué que cette publication était facilitée, par le fait que l'essentiel des recettes des collectivités locales provenaient de l'Etat, d'une part, par l'intégration des comptes sociaux dans le budget de l'Etat, d'autre part, alors qu'il existait en France un très grand nombre de caisses de sécurité sociale, de sorte que la réalisation de comptes consolidés nécessiterait un dispositif statistique ad hoc.

M. Joël Bourdin a ensuite interrogé M. Michel Didier sur les voies d'amélioration de la disponibilité des statistiques existantes, sur les moyens de remédier aux difficultés de passage de la comptabilité nationale à la comptabilité budgétaire, sur les progrès à attendre de l'harmonisation statistique européenne, sur l'intérêt d'une publication bihebdomadaire de la situation financière de l'Etat, enfin, sur l'opportunité d'inscrire systématiquement les exercices budgétaires dans une perspective pluriannuelle.

En réponse, M. Michel Didier a tout d'abord souligné que l'administration ne répondait pas, à l'heure actuelle, aux questions éventuelles des instituts économiques indépendants. Il a ensuite exposé que l'amélioration de la diffusion des données existantes supposait d'une part la création de structures où l'administration soit de fait contrainte de répondre à des demandes de précision de la part d'observateurs extérieurs, d'autre part le développement d'études, notamment comparatives, sur le secteur public, afin de créer une demande d'informations.

S'agissant de la divergence entre les logiques respectives de la comptabilité budgétaire et de la comptabilité nationale, il a indiqué qu'elle résultait d'une divergence des finalités, la comptabilité budgétaire étant fondée sur un objectif de contrôle du non-dépassement de la dépense, et il a estimé que ces divergences étaient, de ce fait, difficilement réductibles. Il a ajouté que la comptabilité privée s'était toutefois rapprochée de la comptabilité nationale, et qu'il estimait nécessaire que le budget de l'Etat expose de manière détaillée les modalités de passage de l'une à l'autre, de manière à ce que les données budgétaires puissent être recoupées avec les hypothèses macroéconomiques sous-jacentes.

Par ailleurs, il a estimé que le processus européen d'harmonisation des statistiques relatives aux finances publiques avait déjà atteint ses principaux objectifs, à savoir la définition d'indicateurs homogènes pour la dette et le déficit public, et n'irait donc sans doute pas au-delà.

M. Michel Didier s'est ensuite interrogé sur l'utilité réelle de la publication toutes les deux semaines de la situation financière de l'Etat, dans la mesure où les autres indicateurs conjoncturels étaient mensuels. Après avoir rappelé que ces données étaient produites depuis 1968, à l'origine à la demande du Fonds monétaire international, il a en effet estimé qu'il valait mieux publier plus rapidement les données mensuelles, et surtout publier des données plus explicites que celles aujourd'hui disponibles.

De même, M. Michel Didier a jugé que la réalisation de prévisions pluriannuelles n'était intéressante que si elle était pleinement insérée dans la procédure budgétaire.

En réponse à M. Alain Lambert, président, qui lui demandait de commenter l'assertion prêtée à l'organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), selon laquelle la France était relativement bien placée en matière de transparence des finances publiques, M. Michel Didier a précisé que la France n'était sans doute ni parmi les plus mauvais, ni parmi les meilleurs pays industrialisés sur ce plan, mais qu'elle n'était pas bien placée en matière d'accès aux données.

Enfin, en réponse à M. Alain Lambert, président, M. Michel Didier a regretté que l'objectif d'une amélioration de l'efficacité de la dépense publique ait été largement abandonné, au motif que les méthodes successivement retenues, la rationalisation des choix budgétaires, puis l'évaluation des politiques publiques sous l'égide du Commissariat général au Plan, étaient trop ambitieuses et trop lourdes à gérer.

Il a conclu qu'il était nécessaire de rechercher continuellement une efficacité renforcée des choix publics, et que cette démarche susciterait une utilisation et une demande accrue de statistiques sur le secteur public, cette demande étant ensuite facteur d'une transparence accrue.