Travaux de la commission des finances



- Présidence de M. Alain Lambert, président.

Audition de M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France

La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France.

M. Alain Lambert, président,
ayant souligné le caractère symbolique, après la mise en oeuvre de l'euro, de l'audition du gouverneur, a souhaité que celle-ci permette de faire le point sur les modalités de gestion de la monnaie unique européenne, sur les événements monétaires et financiers internationaux et sur les modalités de coordination des politiques budgétaire et monétaire.

M. Jean-Claude Trichet a alors rappelé qu'il intervenait en tant que gouverneur de la Banque de France, c'est-à-dire à la fois comme l'un des 17 membres du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) et comme responsable de l'une des banques centrales appelées dans chaque Etat à mettre en oeuvre les décisions de la BCE. Il a souligné que le système européen de banque centrale (SEBC) était caractérisé par un fonctionnement totalement collégial comme c'est le cas pour toutes les banques centrales indépendantes, compte tenu de l'importance des décisions portant sur la politique monétaire. Il a précisé qu'au sein du système européen de banques centrales, il y avait douze entités : la Banque centrale européenne et les onze banques centrales nationales et que toutes devaient jouer leur rôle.

Il a précisé que, du fait du maintien des responsabilités des banques centrales nationales, le plan de charge des personnels de la Banque de France n'avait pas été bouleversé et que la nécessité d'une étroite coopération entre les différents acteurs du système s'imposait.

Il a alors rappelé que le premier acte collectif pris par les participants au SEBC avait été, le 3 décembre dernier, de baisser le taux d'intervention au niveau de 3 %. Il a souligné le fait que le taux de l'euro puisse être aussi bas était mis en doute par beaucoup dans un passé proche, l'argument étant que le taux de l'euro se situerait entre le taux du franc et du mark et celui de la lire et de la peseta. Les faits ont démontré que l'euro avait acquis la même crédibilité que le franc et les autres monnaies très crédibles de l'Europe, et que cela avait été le résultat d'un processus de convergence ordonné selon les critères du traité de Maastricht autour des meilleures performances observables en Europe.

Il a estimé que le taux d'intérêt de départ de l'euro était le bon même si des critiques contradictoires pouvaient être émises ici ou là. Concédant que ce taux d'intérêt pouvait être considéré comme exceptionnellement bas, il a précisé que, de fait, les taux longs constatés en France étaient plus bas que ceux constatés aux Etats-Unis et que cela n'avait pas été le cas depuis 1920. Le niveau des taux d'intérêt à long terme se révèle dans l'absolu particulièrement modique avec un taux de 3,75 % pour les obligations assimilables du Trésor à 10 ans. Il a dès lors souligné les dangers d'une multiplication des appels à une baisse supplémentaire des taux d'intérêt, estimant qu'elle risquait de créer une situation d'attentisme de la part des emprunteurs, préjudiciable au dynamisme de l'économie.

Il a alors noté le niveau trop élevé des taux administrés par rapport aux taux de marché et à l'ensemble des taux pratiqués en Europe, estimant préjudiciable une situation au terme de laquelle le financement du logement social, en particulier, se trouvait fortement pénalisé.

Il a conclu son propos en rappelant que l'enjeu essentiel était aujourd'hui d'assurer le plus grand degré possible d'efficacité, de compétitivité et donc de croissance et de création d'emplois à l'économie française dans un cadre de liberté totale des échanges et des mouvements de capitaux. Il a illustré son propos en évoquant la situation des services financiers représentant un très grand nombre d'emplois, estimant qu'il fallait que nos institutions financières soient en mesure d'affronter la concurrence dans des conditions de parfaite égalité avec leurs partenaires étrangers.

Après avoir rappelé la position constante de la commission des finances au sujet des taux administrés, et le travail qu'elle avait mené concernant l'application de la directive sur les services d'investissements en juillet 1996,M. Philippe Marini, rapporteur général, a interrogé le gouverneur de la Banque de France sur la stabilité des prix et ses conséquences sur les recettes fiscales, le programme pluriannuel des finances publiques à l'horizon 2002, présenté par le Gouvernement, la sécurité financière internationale et les perspectives offertes par l'euro. Il l'a également interrogé, en sa qualité de président de la commission bancaire, sur le projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière.

M. Jean-Claude Trichet a répondu que, grâce à la stabilité des prix, les taux d'intérêt en Europe étaient aujourd'hui à un niveau très bas, et que le consensus actuel du conseil des gouverneurs de la BCE ne prévoyait pas de baisse dans un avenir prévisible.

Concernant le programme à moyen terme pour les finances publiques, présenté par le Gouvernement, le gouverneur de la Banque de France a estimé que l'ensemble des pays de l'Union européenne pouvaient faire davantage d'efforts en matière de finances publiques. Il a regretté que l'opinion publique européenne pense encore parfois que les emplois sont créés grâce aux déficits publics, ce qui montre qu'un très grand effort de pédagogie reste à faire. M. Jean-Claude Trichet a ensuite précisé que la France se situait sans doute dans la moyenne européenne en se fixant comme objectif 1 % de déficit public en 2002, l'Allemagne ayant exactement la même cible. Il a indiqué que les chiffres objectifs précisés par le ministre des finances, M. Dominique Strauss-Kahn, pour 2002, allaient dans le bon sens : 50 % pour les dépenses publiques, 45 % pour les prélèvements obligatoires et 55 % pour l'encours de la dette, par rapport au produit intérieur brut. Toute la question était de faire en sorte que ces objectifs soient bien atteints dans les délais prévus.

En matière de sécurité financière internationale, le gouverneur de la Banque de France a indiqué qu'il s'agissait d'un sujet de très grande importance sur lequel travaillaient de nombreuses institutions internationales, tel le groupe des sept pays les plus industrialisés (G7) ou encore le " Willard group ", qui rassemble 26 pays. Il a considéré que l'euro serait à la fois un moyen de se protéger des crises internationales et d'améliorer la coopération sur la scène économique mondiale. Concernant la représentation internationale de la zone euro, il a indiqué qu'il fallait, dans un certain nombre de cas, l'accord de l'ensemble de nos partenaires internationaux, mais que tous les problèmes lui paraissaient surmontables.

S'agissant de la réforme des caisses d'épargne, inscrite dans le projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière, il a déclaré que la Banque de France avait été consultée sur ce projet. Il a toutefois indiqué qu'il aurait souhaité une banalisation progressive du livret A, naturellement avec une période de transition. Concernant les nouveaux pouvoirs de la Commission bancaire, il a déclaré que les épargnants avaient besoin d'une garantie des dépôts.

En réponse à M. Roland du Luart, M. Jean-Claude Trichet a indiqué qu'il ne pouvait pas chiffrer immédiatement le surcoût, pour le budget de l'Etat et pour l'économie française, de l'épargne administrée, mais qu'il pourrait le communiquer à la commission ultérieurement, si celle-ci le souhaitait. Il a alors rappelé que les banques françaises avaient un marché domestique moins rentable que celui de leurs concurrents européens. S'agissant de l'impact de la fiscalité française sur le choix de la place financière de Paris par les investisseurs, le gouverneur de la Banque de France a insisté sur le fait qu'il fallait prendre en compte à la fois la fiscalité de l'épargne et du patrimoine, et la fiscalité des personnes. Concernant le rôle international que pourrait jouer l'euro, il a estimé que s'il n'était pas nécessairement rapide, son positionnement sur la scène financière internationale était inéluctable.

En réponse à Mme Marie-Claude Beaudeau, il a déclaré que la convergence fiscale en Europe devait être réalisée, et qu'il était probable que l'harmonisation se fasse progressivement vers une fiscalité plus basse que la nôtre. Il a estimé qu'un bon moyen de faire converger les fiscalités serait de mettre fin à la règle de l'unanimité au Conseil européen, pour en venir à la règle de la majorité qualifiée. S'agissant des salariés de l'institut d'émission d'outre-mer, il a indiqué qu'il avait une forte préférence pour la filialisation de cet institut. Celle-ci permettrait de tenir compte de l'évolution nécessaire de l'institut, en conservant sa spécificité et en garantissant la stabilité de ses structures décentralisées ainsi que l'emploi de ses salariés.

En réponse à M. Joël Bourdin, le gouverneur de la Banque de France a confirmé qu'il subsisterait un mécanisme de " policy-mix " dans l'Union européenne, car il sera toujours possible de se demander si l'équilibre entre la politique monétaire et la politique budgétaire est satisfaisant. M. Jean-Claude Trichet a ensuite affirmé que la compétitivité de l'économie française s'était considérablement améliorée, ce qui expliquait le très fort excédent des transactions courantes. Il a indiqué que l'économie française était très compétitive dans l'industrie en général et que nous avions encore des progrès à faire dans les domaines des services à forte valeur ajoutée, une autre faiblesse étant que nous n'avons pas assez d'emplois dans les services à très faible valeur ajoutée, qui emploient notamment les jeunes non qualifiés.

En réponse à M. Paul Loridant, M. Jean-Claude Trichet a déclaré que le compte de résultat de la Banque de France dépendait de la valeur du dollar et du niveau des taux d'intérêt, si bien qu'il était par définition vulnérable. Il a ainsi justifié le mouvement de restructuration d'une partie des caisses institutionnelles de la Banque de France dans l'intérêt même des agents. Concernant l'opportunité d'ajouter aux missions de la Banque centrale européenne des objectifs en termes d'emploi et de croissance, il a déclaré que la formule retenue, selon laquelle la Banque centrale européenne devait soutenir la politique économique menée par l'Union européenne, sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix, avait constitué un très bon compromis, qu'il convenait de ne pas remettre en cause.

En réponse à M. René Ballayer, le gouverneur de la Banque de France a indiqué que malgré l'engouement médiatique, l'arrivée de l'euro sur les marchés financiers n'avait pas induit de comportements irrationnels de la part des investisseurs.

En réponse à M. François Trucy, M. Jean-Claude Trichet a confirmé que l'Italie avait fait un remarquable effort pour réduire ses déficits publics. Il a ajouté que, s'agissant du franc CFA, l'euro n'apporterait aucun changement puisque le franc CFA était lié au franc français, lui-même maintenant subdivision de l'euro, et que le budget français continuerait à garantir le risque pesant sur cette monnaie.

En réponse à M. Jean-Philippe Lachenaud, il a déclaré que le conseil des gouverneurs jouissait d'une excellente atmosphère de travail, car ses membres partageaient la volonté commune de voir l'euro réussir. Concernant les hypothèses de croissance pour 1999, il a indiqué qu'une croissance de 2,4 % était désormais envisagée au niveau de la zone euro, mais qu'en tout état de cause, il fallait se garder d'un raisonnement à trop court terme. Il a rappelé les inquiétudes suscitées fin 1997 par l'effondrement des économies thaïlandaise et coréenne, qui avait fait peser de sérieux doutes sur la croissance en 1998, alors que celle-ci devrait finalement être de l'ordre de 3 à 3,1 %.

En réponse à M. Michel Charasse, le gouverneur de la Banque de France a indiqué que les réserves d'or mises à disposition de la Banque centrale européenne seraient moins importantes que celles qui étaient déjà confiées à l'Institut monétaire européen. Concernant les déficits publics réalisés depuis 1997, il a estimé que la France, comme tous les pays de l'Union européenne, avait un programme pluriannuel qui allait dans la bonne direction, celle de la réduction de la dépense publique et de la réduction des déficits. Mais le Conseil de la politique monétaire, comme la BCE et toutes les autres banques centrales, considérait que, compte des points de départ, les européens dans leur ensemble n'allaient pas assez vite. S'agissant des taux administrés, il a rappelé que le Conseil de la politique monétaire avait toujours regretté qu'ils conduisent à une collecte d'argent à un coût supérieur aux taux du marché, d'autant que l'argent collecté servait à financer le logement social. Enfin, concernant le budget de l'Union européenne, il s'est félicité qu'il ne puisse exister de déficit européen.

En réponse à Mme Maryse Bergé-Lavigne, M. Jean-Claude Trichet a indiqué que la parité du franc par rapport à l'euro avait été fixée par référence à la valeur de l'écu "panier" sur les marchés financiers fin 1998.

Mercredi 20 janvier 1999

- Présidence de M. Alain Lambert, président.

Etablissements financiers - Prorogation des mandats des membres des conseils consultatifs et des conseils d'orientation et de surveillance des caisses d'épargne et de prévoyance - Examen du rapport

La commission a tout d'abord procédé à l'examen du projet de loi n° 133 (1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, portant prorogation des mandats des membres des conseils consultatifs et des conseils d'orientation et de surveillance des caisses d'épargne et de prévoyance, sur le rapport de M. Philippe Marini, rapporteur général.
Qualifiant ce projet de loi de projet de loi de procédure, M. Philippe Marini, rapporteur général, a indiqué qu'il visait à proroger jusqu'au 1er novembre 1999 les mandats des membres des conseils consultatifs et des conseils d'orientation et de surveillance des caisses d'épargne et de prévoyance afin de ne pas troubler le débat sur la réforme des caisses d'épargne. Il a rappelé que la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier (MUFF) du 10 novembre 1997 avait déjà prolongé la durée de ces mandats jusqu'au 1er mars 1999, mais que les aléas du calendrier législatif n'avaient pas permis au Gouvernement d'inscrire à l'ordre du jour des débats du Sénat le projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière avant le mois d'avril 1999, ce qui nécessitait un nouveau report.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a cependant fait valoir que la prorogation ne visait pas les mandats des membres du conseil de surveillance et du directoire du Centre national des caisses d'épargne (CENCEP), dont la durée ne relève pas de la loi, mais des statuts de cet organisme. Après avoir rappelé qu'une assemblée générale extraordinaire avait prorogé ces mandats jusqu'en mars 1999 après le vote de la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, il s'est montré favorable à un nouveau report de la durée de ces mandats jusqu'au 1er novembre 1999 afin de ne pas ajouter, à l'instabilité causée par la réforme des caisses d'épargne, de nouvelles incertitudes liées à des rivalités entre personnes. M. Philippe Marini, rapporteur général, a ainsi proposé un amendement en faisant valoir qu'il avait pour objet d'amener le Gouvernement à préciser ses intentions à ce sujet.

Après les interventions de MM. Jean-Philippe Lachenaud, François Trucy et Joël Bourdin, M. Philippe Marini, rapporteur général, a rappelé que le projet de loi ne visait pas les membres des directoires des caisses, dont les mandats ont été renouvelés en avril-mai 1997 pour une durée de cinq ans renouvelable.

Puis, à l'article unique du projet de loi, la commission a adopté l'amendement du rapporteur général tendant à proroger les mandats des organes dirigeants du CENCEP jusqu'au 1er novembre 1999, et approuvé le projet de loi ainsi modifié.

Recherche - Innovation et recherche - Demande de saisine pour avis et nomination du rapporteur

Après un échange de vues au cours duquel sont intervenus MM. Jean-Philippe Lachenaud et Philippe Marini, rapporteur général, la commission a ensuite décidé de se saisir pour avis sur le projet de loi n° 152 (1998-1999) sur l'innovation et la recherche, et a nommé M. René Trégouët rapporteur pour avis.

Recherche - Innovation et recherche - Audition de M. Henri Guillaume, président du comité d'engagement des fonds publics pour le capital risque

Puis la commission a procédé à l'audition de M. Henri Guillaume, président du comité d'engagement des fonds publics pour le capital risque.

M. Alain Lambert, président,
a indiqué, à titre liminaire, que cette audition ouvrait un cycle consacré à l'innovation et à la recherche et il a tenu à en souligner l'intérêt dans la perspective du prochain examen, par le Sénat, du projet de loi sur l'innovation et la recherche.

M. Henri Guillaume a tout d'abord relevé la faiblesse de la recherche technologique en France, révélée par un décalage croissant entre la position scientifique de la France et sa position technologique qui se dégradait, notamment dans les domaines de la biotechnologie et de l'information, et cela en raison d'une insuffisante collaboration entre le secteur de la recherche publique et le monde économique. Il a rappelé que cette coopération était essentielle comme le soulignait la volonté croissante, de la part des entreprises, de travailler en liaison avec les établissements de recherche. Il a indiqué que, selon lui, plusieurs raisons pouvaient expliquer ce mauvais couplage. Il a tout d'abord fait état d'attitudes culturelles ou de différences de mentalité se traduisant par le faible nombre des passages entre les deux sphères des entreprises et de la recherche, phénomène qui était particulièrement marqué s'agissant des petites et moyennes industries (PMI). Il a ensuite relevé l'existence de blocages statutaires et réglementaires et s'est alors félicité du prochain examen du projet de loi sur l'innovation et la recherche qui devrait permettre de lever certaines ambiguïtés existant en ce domaine, et notamment de fournir à ces relations un cadre déontologique adéquat. Il a ainsi rappelé qu'aux Etats-Unis les universités disposaient de filiales chargées spécifiquement de gérer les brevets et qui constituaient des structures intermédiaires entre le monde de la recherche et le monde de l'entreprise, facilitant ainsi la tâche des chercheurs.

Il a enfin souligné la faiblesse des moyens affectés au financement du capital risque, tout en relevant que cette situation était en voie d'amélioration, notamment avec la création du " Nouveau Marché " qui permettait d'accroître la liquidité de ces sociétés, ou la généralisation de " success-story " concernant des dirigeants qui privilégiaient désormais la croissance de leur entreprise plutôt que le contrôle du capital de celle-ci. Il a par ailleurs indiqué que les capitaux apportés étaient à hauteur de 50 % en provenance de fonds de pensions d'origine anglo-saxonne, le reliquat étant réparti entre les particuliers à hauteur de 30 % et les investisseurs institutionnels pour 20 %. Il a également fait état de mesures gouvernementales positives, telles que la possibilité de réinvestir dans des conditions fiscales favorables les capitaux issus de la revente d'une entreprise (mécanisme du " roll-over "), ou le développement des fonds publics pour le capital risque.

M. Henri Guillaume a néanmoins fait état de deux points faibles tenant, d'une part, aux difficultés rencontrées lors de la phase précédant la création de l'entreprise, " l'amorçage ", période dont le financement n'était pas encore suffisamment assuré en France. Il s'est ainsi déclaré favorable à l'octroi de dotations complémentaires en faveur de ces fonds d'amorçage. D'autre part, il a évoqué les risques liés à l'importance de la participation des fonds de pensions anglo-saxons au capital de ces entreprises et souhaité que l'épargne longue française puisse être réorientée vers le capital risque grâce à une évolution en ce sens de la fiscalité ou à la mise en place de fonds de pensions à la française.

M. René Trégouët a confirmé la réalité des difficultés rencontrées par de nombreuses entreprises lors de la phase d'amorçage et souhaité, à ce titre, connaître les moyens d'y remédier.

S'agissant de l'amorçage, M. Henri Guillaume a préconisé la mise en place d'un dispositif à plusieurs étages permettant tout d'abord au monde de la recherche, à celui de l'industrie et à celui de la finance de se regrouper afin de travailler ensemble.

Il a également souhaité que puissent être mis en place des fonds d'amorçage régionaux ayant une action de proximité et rappelé l'intérêt du mécanisme fiscal du " roll-over ". Il est enfin convenu de la difficulté d'arriver à changer les attitudes culturelles, changement qui se traduirait notamment par la reconnaissance du droit à l'erreur ou le renforcement des liens et des synergies devant exister entre les gestionnaires et les entrepreneurs.

M. Jean-Philippe Lachenaud a souhaité obtenir des précisions concernant l'implication des conseils régionaux et généraux dans les fonds de capital risque. S'agissant des stock-options, il s'est par ailleurs interrogé sur l'intérêt de mettre en place un régime fiscal spécifique au profit des entreprises innovantes, ainsi que sur la nature des dispositions pouvant en accroître la transparence globale.

M. Henri Guillaume a tout d'abord relevé, de façon générale, la faible connaissance statistique des interventions économiques des collectivités locales. Il a néanmoins estimé que l'action des collectivités locales était plus orientée vers le capital-investissement, c'est-à-dire vers l'aide aux entreprises déjà existantes que vers le capital risque. Il a également rappelé que les collectivités locales devaient avoir un rôle important à jouer mais qu'il fallait cependant veiller à ce que les capitaux privés soient également présents et que, parallèlement, existe une expertise technique indépendante. Il s'est par ailleurs déclaré favorable au mécanisme des stock-options qui permettait de financer le risque et de récompenser la création de richesse et qui devait s'effectuer dans la transparence. Il a souhaité, à ce titre, que l'on puisse sanctionner les éventuels abus plutôt que de réformer l'ensemble du dispositif.

M. Joël Bourdin l'a interrogé sur la nature des relations existant entre le monde de l'université et le monde de l'entreprise, ainsi que sur l'intérêt de mettre en place un statut spécifique aux enseignants-chercheurs. M. Henri Guillaume lui a indiqué que le texte actuel du projet de loi sur l'innovation permettrait de résoudre un certain nombre de problèmes déjà rencontrés par les chercheurs, notamment en mettant fin à certains conflits d'intérêt, tout en rappelant que le statut des enseignants-chercheurs, qui relevaient du statut de la fonction publique, leur offrait déjà une latitude d'action non négligeable.

Mme Maryse Bergé-Lavigne, après avoir relevé le faible nombre de chercheurs détachés auprès d'entreprises, a souhaité que les relations entre l'entreprise et l'université puissent se renforcer notamment par le biais de contrats liant un " chercheur-visiteur " à des PMI.

M. Henri Guillaume a rappelé l'intérêt pour les entreprises de cette fonction d'expertise et de consultance extérieure, et indiqué que certaines formules expérimentées au plan local permettaient déjà, de façon souple et peu coûteuse pour les PMI, d'associer les chercheurs au fonctionnement de l'entreprise.

M. Alain Lambert, président, s'est demandé si la France ne manquait pas plus de projets de création d'entreprises que des moyens de les financer, et si le report de la décision du Gouvernement en matière de réforme des stock-options ne constituait pas un signal négatif adressé aux entreprises et à leurs dirigeants. De façon plus générale, il s'est demandé si le niveau actuel de l'impôt sur le revenu et de l'impôt de solidarité sur la fortune n'exerçait pas un effet défavorable sur le développement de l'esprit d'entreprise en France.

M. Henri Guillaume lui a indiqué, s'agissant des entreprises de capital risque, que le niveau actuel des financements publics lui apparaissait satisfaisant et qu'à ce titre il était plutôt préférable de développer les financements privés en mettant en contact offre et demande de financement. S'agissant des stock-options, il a rappelé la nécessité de trouver une solution reposant sur la moralisation et la plus grande transparence du dispositif. Il a enfin souligné l'absence de données statistiques fiables permettant de mesurer de façon complète la réalité et l'ampleur du phénomène de " fuite des cerveaux ". Il a estimé par ailleurs indispensable que la fiscalité de l'épargne soit réorientée vers l'épargne à risque et les actions.

Recherche - Innovation et recherche - Audition de M. Bruno Vanryb, président de l'association " croissance plus "

La commission a enfin procédé à l'audition de M. Bruno Vanryb, président de l'association " Croissance plus ".

M. Bruno Vanryb
s'est, dans un premier temps, félicité de l'existence du projet de loi sur l'innovation et la recherche, qui traduit une évolution des mentalités prenant en considération une réalité économique trop souvent négligée dans le passé. Il a rappelé que les 500 premières entreprises de croissance européennes avaient créé 180.000 emplois depuis cinq ans, ce chiffre révélant les gisements d'emplois considérables de l'innovation. Il a rappelé que le taux de chômage américain était de 4 %, alors même que le secteur de l'industrie continue à détruire des emplois, les services à haute valeur ajoutée faisant plus que compenser la disparition des emplois industriels.

M. Bruno Vanryb a indiqué que le projet de loi reprenait beaucoup de mesures que l'association " Croissance plus " avait proposées dans son livre blanc sur l'innovation. Il a, à cet égard, précisé qu'il se prononçait davantage sur l'esprit du texte que sur le détail de ses dispositions, considérant que chaque avancée législative, même partielle, était bénéfique à l'innovation et à l'emploi.

Il a jugé très positive la possibilité donnée aux chercheurs de créer une entreprise ou de participer à son capital, et de bénéficier d'une disponibilité d'une durée de deux ans. Il a cependant fait part de sa crainte de voir cette disposition remise en cause en raison des abus, même très limités, qu'elle engendrera nécessairement.

Il s'est en revanche montré beaucoup plus réservé sur les dispositions relatives aux fonds d'amorçage, estimant qu'il s'agissait de distribuer des subventions aux entreprises. Il a considéré que la création d'entreprises innovantes devait résulter de modifications fiscales. Il a, par exemple, proposé de faire de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) un impôt plus citoyen en faisant bénéficier d'un crédit d'impôt de 50 % les sommes aujourd'hui imposables à l'ISF, qui seraient investies dans des entreprises innovantes. Il a assuré que cette réforme permettrait de mobiliser des capitaux considérables.

M. Bruno Vanryb a souhaité que le crédit d'impôt recherche fasse l'objet d'un remboursement par avance, les entreprises innovantes étant avant tout confrontées à un problème de trésorerie. Il a regretté à cet égard que le crédit d'impôt ait été simplement prolongé par la loi de finances pour 1999.

Il a déploré que le volet fiscal relatif aux stock-options ait été finalement retiré du projet de loi, tout en insistant sur la divergence d'appréciation au sein même du Gouvernement. Le système des stock-options apparaît aujourd'hui déconsidéré en raison des abus auxquels il a donné lieu et de sa réputation de salaire déguisé pour les dirigeants d'entreprises. Il a dès lors proposé d'étendre ce dispositif à au moins 20 % du personnel de l'entreprise afin d'accroître la participation des salariés au capital et d'éviter une fuite des cerveaux préjudiciable à l'économie française. Il a également plaidé pour l'introduction d'une plus grande transparence du dispositif.

S'agissant des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, il a considéré que l'extension du dispositif, qu'il a qualifié de " mini stock-options ", était tout à fait favorable aux " start up ", mais a exprimé son souhait de le voir prolongé au-delà de l'an 2000.

Il a ainsi estimé que l'ensemble des dispositions du projet de loi allaient dans le bon sens et qu'elles devaient selon lui être soutenues, d'autant plus qu'elles surviennent dans un contexte difficile pour les entreprises, marqué notamment par la loi sur les 35 heures.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a exprimé son accord avec l'orientation générale des propos du président de " Croissance plus ", et a également insisté sur la décrispation des positions gouvernementales sur la question des stock-options . Il s'est interrogé sur la manière d'éviter que les stock-options n'apparaissent comme " des sur-rémunérations sous-fiscalisées ", alors qu'ils doivent favoriser la prise de risque. Il a également rappelé que l'attribution d'options sur le capital de filiales réduisait les exigences de transparence, et augmentait les risques d'abus. Il s'est ainsi interrogé sur l'équilibre qu'il fallait trouver entre un devoir de transparence et une indispensable incitation fiscale.

Il a fait part de son scepticisme relatif aux bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, qui constituent une nouvelle espèce de valeurs mobilières compliquant un droit commercial déjà archaïque. Il s'est alors interrogé sur le fait de réserver ce dispositif aux entreprises innovantes, et a souhaité connaître la définition que donne " Croissance plus " d'une entreprise innovante, alors même que l'environnement économique et fiscal de toutes les entreprises devrait être amélioré.

M. Bruno Vanryb a affirmé partager l'avis du rapporteur général sur la nécessité pour les entreprises de bénéficier de dispositions fiscales simples et globales, mais a expliqué que l'urgence actuelle imposait une démarche pragmatique, la tentative d'élaborer des mesures globales risquant d'être infructueuse. Il a estimé qu'il était préférable de parler d'entreprises de croissance plutôt que d'entreprises innovantes, et a proposé une définition de l'entreprise de croissance combinant deux critères, le doublement du chiffre d'affaires sur cinq ans, et la création d'emplois. Il a dès lors jugé qu'il existait, d'une part, des entreprises de croissance, et, d'autre part, des entreprises jeunes, une entreprise ancienne pouvant être innovante.

M. Bruno Vanryb a expliqué qu'il était souhaitable de ne plus assimiler les stock-options  à un complément de rémunération. Pour ce faire, " Croissance plus " propose de supprimer le rabais permettant d'obtenir une option à un niveau inférieur de 20 % à son cours de bourse, et d'établir une période d'indisponibilité fiscale de trois ans. Il a également suggéré de désigner les attributaires de stock-options, comme c'est le cas dans les pays anglo-saxons, afin d'accroître la transparence du dispositif, mais aussi de permettre d'élargir le nombre de participants au capital, qui est, par exemple, de 40 à 50 % du personnel d'une entreprise de la Sillicon Valley. La possibilité pour les salariés de devenir actionnaires de leur propre entreprise constitue la meilleure façon de récompenser le travail. Il s'est déclaré hostile à l'attribution d'options sur le capital d'une filiale, les salariés de cette dernière devant plutôt bénéficier d'options de la maison mère.

M. René Trégouët a insisté sur le fait que, contrairement à des affirmations persistantes, le Sénat n'était pas hostile aux entreprises innovantes. Il a souhaité connaître le nombre d'entrepreneurs français quittant chaque année leur pays pour l'étranger.

M. Bruno Vanryb a rappelé que les statistiques ne faisaient pas apparaître une fuite des cerveaux revêtant le caractère d'un mouvement de masse. Il a néanmoins estimé que beaucoup d'entrepreneurs quittaient la France en raison de l'injustice qu'ils ressentent face à une fiscalité qu'il a qualifiée de " confiscatoire " et qui ne prend pas en considération le travail considérable qu'ils ont accompli, notamment au moment de la création de leur entreprise. Il a jugé préoccupant le départ de jeunes diplômés français pour l'étranger, rappelant que le marché du travail était désormais pour eux européen et non plus national. Cet exode, à sens unique, trouve son origine dans la fiscalité.

M. Jean-Philippe Lachenaud a indiqué que le Sénat préférerait une disposition générale à une disposition applicable aux seules entreprises innovantes, et a estimé qu'un régime spécifique n'était motivé que par des raisons politiques. Il a ajouté qu'un régime spécifique devait être juridiquement solide, et a, à cet égard, considéré fragiles les critères ébauchés pour définir une entreprise de croissance.

M. Bruno Vanryb a souligné que " Croissance plus " était favorable à un régime général applicable aux entreprises de croissance. Mais il a rappelé que le contexte actuel militait en faveur de l'extension des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, qui réduisent considérablement les abus et qui sont réservés aux entreprises de croissance de petite taille. A cet égard, le projet de loi sur l'innovation constitue une position de repli, qui ne nécessite pas, de ce fait, une définition précise de la notion d'entreprise de croissance.

M. René Ballayer a souhaité obtenir des précisions s'agissant des propositions fiscales de " Croissance plus ". Il a voulu savoir comment seraient sélectionnés les 20 % de salariés d'une entreprise auxquels seraient attribuées des options. Puis, il s'est interrogé sur le nombre d'entreprises ayant doublé leur chiffre d'affaires depuis 5 ans.

M. Bruno Vanryb a estimé que l'Etat était un mauvais actionnaire et qu'il allouait des subventions aux grandes entreprises sans prendre véritablement en considération leurs besoins. Il a considéré que l'action de l'Etat en faveur des entreprises devait porter sur le niveau des charges sociales et sur la fiscalité. S'agissant des charges sociales, il a estimé que l'Etat devait éviter de mettre en place des réductions de charges ciblées, sur les bas-salaires par exemple, et a préconisé une diminution globale de leur niveau. Il a rappelé que l'ISF était un impôt confiscatoire, pénalisant les investissements productifs.

Il a souligné que, actuellement, le seul moyen de récompenser les salariés les plus méritants résidait soit dans l'augmentation des salaires, soit dans l'attribution de primes. Eu égard aux inconvénients de ces deux solutions, il a estimé que seul l'octroi d'options aux salariés d'une entreprise permettait de récompenser leur investissement professionnel.

Il a fait état de mauvaises connaissances statistiques qui rendent impossible un chiffrage exact du nombre d'entreprises ayant doublé leur chiffre d'affaires en cinq ans, mais a toutefois précisé qu'environ 20.000 entreprises étaient inscrites sur le fichier européen des entreprises de croissance.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a considéré que l'un des principaux avantages de la loi sur les 35 heures était de permettre aux femmes d'accéder à des postes d'encadrement au sein des entreprises. Elle a en effet rappelé que les cadres féminins, pour concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale, ne bénéficiaient que de perspectives de carrière trop souvent limitées à la fonction publique. 

M. Bruno Vanryb a indiqué que les entreprises adhérentes à l'association " Croissance plus " comportaient un nombre important de femmes à des postes d'encadrement. Il a en outre souligné que, en termes d'horaires de travail, la différenciation habituelle entre les cadres et les non-cadres était inopérante dans les entreprises de croissance, qui connaissent un mode de travail très souple, reposant essentiellement sur l'annualisation du temps de travail. Il a rappelé que " Croissance plus " n'était pas hostile au principe de la réduction du temps de travail, qui constitue une avancée sociale, mais que la loi sur les 35 heures avait un caractère technocratique satisfaisant essentiellement les grandes entreprises. La logique de "pointeuse " qui a présidé à son élaboration est incompatible avec le mode de fonctionnement des petites entreprises de croissance. Il a jugé préférable de réduire le temps de travail en augmentant le nombre de journées de congé plutôt que de réduire les horaires hebdomadaires.

M . Maurice Blin a voulu savoir si M. Bruno Vanryb avait obtenu des aides particulières lors de la création de son entreprise. Puis il s'est interrogé sur le niveau de la productivité des entreprises françaises.

M. Bruno Vanryb a expliqué que, s'étant retrouvé au chômage en 1983, il a bénéficié, afin de payer les premiers salaires de ses employés, de six mois d'allocation chômage versée en une seule fois. Il a également obtenu de ne pas payer d'impôts pendant trois ans puis de les payer de manière dégressive pendant deux ans, cette mesure étant réservée alors aux entreprises nouvelles. A cet égard, il a estimé préjudiciable, à la création d'entreprise, l'instabilité législative ayant affecté cette disposition. Il a ajouté que la réussite professionnelle aux Etats-Unis ne nécessitait pas des qualités personnelles remarquables, alors que la France célèbre des entrepreneurs présentés comme ayant des qualités exceptionnelles. Il a d'ailleurs estimé que les aides publiques devaient être essentiellement destinées aux nombreux entrepreneurs qui restent inconnus. Il a considéré que la période actuelle constituait un contexte très favorable à la création d'emplois, notamment dans le domaine des nouvelles technologies, et qu'il fallait tirer profit de cette fenêtre de tir dont la durée sera nécessairement brève.

M. Bruno Vanryb a affirmé que les ingénieurs français étaient probablement les plus créatifs mais que les entreprises françaises souffraient d'un handicap en termes d'action commerciale. Il a estimé que la productivité des entreprises françaises était très bonne, bien meilleure que celle des entreprises allemandes, même si le niveau plus élevé des salaires Outre-Rhin permettait de consommer davantage. De même, aux Etats-Unis, le niveau très élevé des salaires dans les entreprises de croissance fait plus que compenser le faible niveau des charges sociales.