Table des matières




- Présidence de M. Jean Arthuis, président.

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - Qualité de l'eau et de l'assainissement en France - Présentation du rapport de M. Gérard Miquel

La commission a entendu la présentation par M. Gérard Miquel, de son rapport, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sur la qualité de l'eau et de l'assainissement en France.

M. Jean Arthuis, président,
a souligné que c'était la première fois que le contenu d'un rapport de l'Office faisait ainsi l'objet d'une communication à une commission qui n'était pas à l'origine de la saisine correspondante. Il a indiqué que le bureau de la commission avait en effet acté le principe de répondre favorablement aux demandes de présentation devant la commission des rapports portant sur des secteurs suivis par la commission et établis par l'Office, quand des créneaux horaires étaient disponibles et, en priorité, quand des membres de la commission étaient concernés.

En préambule, M. Gérard Miquel a rappelé que le rapport de l'Office faisait suite à une saisine de la commission des finances, de l'économie générale et du plan de l'Assemblée nationale et avait un triple objectif :

- élaborer un document pédagogique destiné aux élus et à leurs équipes. Il ne s'agissait donc pas d'établir de cartes de qualité, ni de « pointer du doigt » telle ou telle région, mais de donner aux élus des références techniques leur permettant de répondre aux préoccupations des Français ;

- établir un bilan des politiques publiques, dans l'ensemble déficientes, de préservation de la qualité de la ressource ;

- ouvrir des pistes de réflexion sur les stratégies de reconquête à mener.

Dans un premier temps, M. Gérard Miquel a présenté son analyse de la qualité de la ressource en eau. Il a rappelé que, dans la nature, toutes les eaux n'étaient pas bonnes à boire et que même l'eau de pluie était chargée en métaux et en pesticides. Il a indiqué que les scientifiques l'avaient mis en garde contre les appréciations hâtives, dans la mesure où la pluie, par son impact sur le transfert ou la dilution des polluants, influençait considérablement les mesures de pollution. Il a noté que la qualité de l'eau devait être appréciée au regard des critères posés par la directive cadre européenne du 23 octobre 2000, qui fixait pour objectif un bon état chimique, écologique et quantitatif des eaux.

M. Gérard Miquel a présenté les différentes origines de la pollution des eaux. Il a estimé que les pollutions industrielles, organiques et chimiques, étaient les mieux identifiées et que l'héritage industriel laissait parfois un « champ de ruines écologique » qui affectait les eaux souterraines et les eaux de surface, mais que, grâce à une réglementation stricte, une mobilisation efficace et des efforts d'équipement, la pollution d'origine industrielle était globalement maîtrisée.

Concernant les pollutions organiques d'origine domestique liées, pour l'essentiel, aux rejets des eaux usées, il a relevé les progrès de l'assainissement et évoqué le rôle des forages individuels dans la pollution des eaux. Il a estimé que des forages mal conçus, mal entretenus, étaient des colonnes directes de pollution des eaux souterraines mettant en contact des nappes polluées avec des nappes qui ne l'étaient pas et que des prélèvements anarchiques pouvaient également provoquer de graves phénomènes d'intrusion marine.

Concernant les pollutions diffuses d'origine agricole, M. Gérard Miquel a rappelé que les nappes et rivières étaient affectées par une contamination de plus en plus fréquente et de plus en plus massive par les nitrates et les pesticides et que les fortes pluies des dernières années contribuaient à aggraver le phénomène, dans la mesure où les nitrates, solubles, se retrouvaient dans les nappes.

M. Gérard Miquel s'est inquiété de cette évolution, moins pour des raisons de santé publique que parce que cette dégradation révélait un échec des politiques publiques. Il a considéré, en premier lieu, que le cadre légal et réglementaire n'était pas adapté. Il a estimé que la loi avait vieilli, dans la mesure où le dispositif des périmètres de protection des captages, conçu il y a quarante ans pour éviter les pollutions accidentelles, était inadapté aux pollutions diffuses, et qu'il était difficile d'en contrôler l'application. Il a estimé que le premier objectif de toute réforme devait être la simplification.

Il a fait valoir, en second lieu, que l'organisation de la gestion de l'eau était défaillante, avec, par exemple, plus de 500 services assurant la police de l'eau, que le cadre communal n'était plus adapté à la protection et à la gestion de l'eau, et que l'intercommunalité dans le domaine de l'eau n'était qu'un palliatif créant un enchevêtrement inextricable de syndicats. Il a indiqué que la France ne pourrait gagner « la bataille de l'eau » sans regrouper les acteurs et qu'il n'était pas possible de conjuguer les attentes du XXIe siècle avec des structures et des mentalités du XIXsiècle. Il a estimé que le département était l'échelon le plus pertinent pour une gestion améliorée de l'eau.

En troisième lieu, le rapporteur a relevé l'échec des interventions publiques, malgré une grande panoplie de moyens (réglementation, plans d'action, opérations volontaires...). Il a toutefois mis en relief quelques succès, notamment dans le cas de la protection des eaux minérales, grâce aux investissements, à la rigueur dans l'application des pratiques agricoles et aux efforts partagés par tous. Il a également noté les premiers résultats encourageants de la mise en oeuvre de « l'éco-conditionnalité », qui consistait à subordonner le paiement de primes agricoles européennes au respect de critères environnementaux, en l'espèce, à la pose de compteurs sur les lieux d'irrigation.

M. Gérard Miquel a évoqué, dans un second temps, la qualité de l'eau distribuée. Il a considéré que les Français avaient raison de s'inquiéter de la qualité de l'eau distribuée, mais qu'ils s'inquiétaient pour de mauvaises raisons. Il a rappelé que le goût et le calcaire étaient des paramètres de confort, et non des paramètres de santé, et estimé que les nitrates et les pesticides, symboles des peurs alimentaires, ne présentaient pas, aux seuils actuels, de risques majeurs pour la santé publique.

Il a noté, concernant les nitrates, que la valeur de 50 microgrammes par litre avait été fixée en fonction du risque de méthémoglobinémie des nourrissons, mais que cet impact était mis en doute aujourd'hui, et que les seuils applicables aux pesticides dans l'eau, soit 0,1 microgramme par litre, étaient de 10 à 100 fois inférieurs à ceux d'autres pays, de 100 à 100.000 fois inférieurs pour les fruits et légumes, qui représentaient pourtant 90 % des sources d'exposition aux pesticides.

M. Gérard Miquel a cependant évoqué les risques potentiels à long terme : risque cancérigène, risque lié aux métabolites des molécules qui pouvaient être plus dangereux que les molécules mères, risque lié aux multiexpositions aux micropolluants à de très faibles doses.

Le rapporteur a considéré que « la focalisation » sur les nitrates et les pesticides occultait le risque microbiologique qui, lui, était parfaitement identifié, à court terme, et à l'origine de 10 % à 30 % des cas de gastroentérite. Il a noté que le risque augmentait avec la turbidité de l'eau et que les mesures de précaution restreignant la consommation d'eau n'étaient que des solutions provisoires qui masquaient les problèmes.

M. Gérard Miquel a rappelé l'importance des réseaux de distribution dans lesquels se développaient la plupart des risques hydriques liés à la constitution de biofilms pouvant abriter des agents pathogènes. Il a évalué le coût pour remplacer les matériaux anciens à 53 milliards d'euros sur 12 ans.

Le rapporteur a regretté que la sécurisation de l'eau soit révélatrice d'une évolution sociale dont les conséquences n'avaient pas été suffisamment analysées.

Il a déploré une certaine « dérive vers l'irrationnel » et un basculement des solidarités. Il a relevé que les protections étaient destinées aux publics les plus fragiles, connus sous le nom de YOPI's (Young, Old, Pregnant, Immunodéficients), mais qu'elles n'étaient pas accessibles à tous, pour des raisons de coût et de rendement, de telle sorte que le clivage entre l'eau des villes et l'eau des champs se développait.

Dans un troisième temps, M. Gérard Miquel, rapporteur, a parlé de la qualité de l'assainissement des eaux usées. Il a exprimé ses craintes sur le plan financier, dans la mesure où les communes ne pourront à la fois protéger la ressource, moderniser les équipements de potabilisation, changer les réseaux et financer l'assainissement. Il a noté qu'une fois les stations d'épuration construites, beaucoup de communes n'avaient pas l'argent nécessaire pour financer les raccordements et que la concurrence possible entre les aides aux communes et les aides aux agriculteurs était très préoccupante.

Il a regretté que l'assainissement collectif ait été favorisé sans soutien parallèle à l'assainissement non collectif et sans que le sort des boues issues des traitements des eaux usées n'ait été réglé, alors même que les boues augmentaient avec la multiplication et le perfectionnement desdits traitements. Il a considéré que les boues hygiénisées et compostées étaient aussi des matières premières secondaires sous-utilisées, mais que leur emploi était freiné par leur classement en déchets.

M. Gérard Miquel a conclu en rappelant l'échec des politiques publiques et l'inadaptation du cadre communal dans la gestion de la ressource en eau. Il a regretté de n'avoir pas pu encore discuter des thèmes de ses travaux et de leurs résultats avec la ministre de l'écologie et du développement durable.

Il a souligné le bilan très médiocre de la protection des ressources en eau et les priorités à accorder, d'une part, à la simplification de leur gestion (par la réduction du nombre d'intervenants) et d'autre part, à un profond changement des pratiques agricoles, principales sources de pollution.

Il a ensuite formulé les propositions suivantes :

- fixer l'objectif de réserver 1 % du territoire de chaque département à des « zones de sanctuarisation de la ressource en eau », zones de protection des eaux destinées à préserver la qualité de ressources stratégiques ;

- envisager un recours plus régulier à l'éco-conditionnalité qui consisterait à subordonner le paiement de soutiens agricoles au respect de pratiques environnementales destinées à protéger la ressource ;

- améliorer l'information sur l'eau ;

- faire du département l'échelon central de la gestion de la ressource en eau et encourager la création de syndicats départementaux de gestion de l'eau sur le modèle des syndicats départementaux des déchets ;

- simplifier la réglementation (en supprimant l'obligation d'inscription aux hypothèques pour les périmètres de protection), la police de l'eau avec une police unique au niveau régional disposant d'antennes départementales (soit 26 services au lieu de 500 services actuellement), simplifier le régime de déclaration/autorisation des prélèvements (en généralisant le système déclaratif en mairie) et la taxation de l'eau en substituant une redevance pollution à taux unique au système actuel inutilement complexe.

Un large débat s'est alors instauré.

Mme Marie-Claude Beaudeau a évoqué les problèmes de la conception, de la mise en conformité et de la protection des réseaux contre les pollutions. Elle a souhaité que des recherches soient menées sur les dangers de certaines utilisations agricoles des boues issues des stations d'épuration. Elle a constaté que certains fonds disponibles pour le traitement des ressources en eau n'étaient pas utilisés.

M. Jacques Oudin a fait part à la commission de trois observations portant, respectivement, sur la dégradation de la qualité des eaux près du littoral et en milieu rural, sur l'insuffisance des financements des programmes concernant l'eau et sur les nouveaux cadres d'intervention à promouvoir tels que les SAGE (schémas d'aménagement et de gestion des eaux). Il a estimé que la meilleure approche, en cette matière, était celle qui privilégierait les bassins versants.

M. François Marc a souligné que la qualité de l'eau était un enjeu de santé publique fondamental. Evoquant la situation de la Bretagne, il a cité en exemple, tout d'abord, l'échec d'une implantation d'une entreprise étrangère dû à l'insuffisance de la qualité de l'eau, puis a constaté que certains progrès avaient été récemment accomplis concernant le respect des lois et de la réglementation.

En réponse aux différents intervenants, M. Gérard Miquel a fait valoir qu'en ce qui concernait la pollution par les métaux lourds, une approche préventive au niveau des installations industrielles devait être conciliée avec l'incinération et une surveillance plus vigilante à partir d'analyses plus systématiques. Il a rappelé, citant l'exemple des collectivités, que les agriculteurs n'étaient pas les seuls utilisateurs de substances telles que les désherbants ou les pesticides.

Il s'est déclaré personnellement favorable à des réseaux séparatifs comportant des bassins de décantation.

Enfin, il a précisé à M. Jacques Oudin que l'approche des problèmes de l'eau à partir des bassins versants était évoquée dans son rapport et compatible, selon lui, avec une gestion départementalisée de la distribution de l'eau potable.

Caisse des dépôts et consignations - Audition de M. Patrick Artus, directeur des études économiques

Puis la commission a procédé à l'audition de M. Patrick Artus, directeur des études économiques de la Caisse des dépôts et consignations.

M. Jean Arthuis, président,
a indiqué que cette audition faisait suite à celle, le 26 mars dernier, de MM. Jean-Paul Fitoussi, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques, et Jean-Paul Betbéze, directeur des études économiques et financières du Crédit lyonnais.

M. Patrick Artus, directeur des études économiques de la Caisse des dépôts et consignations, a affirmé que cette dernière était pessimiste quant aux perspectives de croissance à court terme de l'économie française. Il a considéré que la faible croissance actuelle s'expliquait, non par une augmentation de l'inflation et des taux d'intérêt, comme tel avait habituellement été le cas en France lors des récessions précédentes, mais par un excès d'endettement des entreprises, comme cela était fréquent aux Etats-Unis. Il a estimé qu'elle était, par conséquent, susceptible de durer, compte tenu du délai nécessaire au désendettement des entreprises françaises, et de leurs gains de productivité plus lents que ceux des entreprises américaines. Il a jugé qu'elle était d'autant plus susceptible de se prolonger que l'euro s'était récemment apprécié par rapport au dollar, que l'économie de la zone euro pourrait subir les conséquences d'une augmentation des taux d'intérêt à long terme, importée des Etats-Unis, et que les politiques budgétaires ne pourraient pas relancer l'activité dans la zone euro. Il a indiqué que pour ces raisons, la Caisse des dépôts et consignations prévoyait une croissance du PIB de l'économie française de seulement 1,5 % en 2004.

M. Patrick Artus a également estimé que la zone euro devait éviter l'instauration d'une spirale déflationniste analogue à celle qui s'était mise en place au Japon au début des années quatre-vingt-dix, ce qui impliquait de soutenir la demande, sans attendre que la déflation apparaisse.

M. Patrick Artus a alors abordé les enjeux de long terme pour l'économie française. Il a jugé que l'augmentation de la part des retraités dans la population totale allait nécessiter une augmentation aussi élevée que possible de la productivité du travail. A ce titre, il a rappelé que la croissance annuelle de la productivité du travail était de l'ordre de 3,5 % aux Etats-Unis et 1,5 % dans l'Union européenne, ce qui, à moyen terme, était favorable à la diminution du chômage en Europe, mais à long terme présentait l'inconvénient de susciter une croissance potentielle plus faible. Il a également estimé que la concurrence de pays à fortes réserves de main-d'oeuvre, et dont le coût du travail risquait par conséquent de demeurer faible pendant plusieurs décennies, comme la Chine et l'Inde, allait susciter dans les pays développés un choc comparable à celui des années soixante-dix, qui cette fois-ci concernerait des secteurs comme l'électronique, l'automobile et les services. Il a jugé que les pays développés devaient faire face à cette situation en adoptant une spécialisation économique qui leur soit favorable, c'est-à-dire préserver, par une montée en gamme, la compétitivité de leur industrie, tout en développant leurs secteurs protégés, comme le faisaient les Etats-Unis. Il a estimé que ces évolutions allaient rendre nécessaire une adaptation de la politique de l'emploi : alors que celle-ci consistait essentiellement à susciter une faible croissance de la productivité du travail, il allait falloir favoriser cette dernière dans certains secteurs, tout en permettant de faibles gains de productivité dans d'autres secteurs, afin de préserver l'emploi.

M. Jean Arthuis, président, a estimé que la France n'abordait pas la concurrence internationale dans des conditions favorables.

M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est interrogé sur une éventuelle contradiction entre l'affirmation de la nécessité de soutenir la demande à court terme et celle de respecter les règles du pacte de stabilité et de croissance.

En réponse, M. Patrick Artus a indiqué qu'à court terme sa principale inquiétude concernait le risque de spirale déflationniste, et a considéré que le respect des critères du pacte de stabilité et de croissance, qui avait été conçu en supposant que les récessions seraient courtes (alors que la récession actuelle durerait peut-être cinq années), réduirait la croissance de l'économie française de 1 point en 2004. Il a par ailleurs estimé que si des réformes structurelles étaient nécessaires, elles pouvaient avoir un effet récessif à court terme, et a estimé, pour cette raison, qu'elles devaient être réalisées dans un environnement économique plus favorable.

En réponse à une interrogation de M. Jean Arthuis, président, sur la politique macroéconomique du Japon, M. Patrick Artus a affirmé que l'inefficacité de cette dernière venait du fait que les autorités japonaises avaient réagi trop tardivement au défi structurel auquel elles avaient été confrontées.

M. Roland du Luart s'est interrogé sur la nécessité éventuelle de remettre en cause la réduction du temps de travail, et sur l'impact des grèves sur le niveau du PIB au deuxième trimestre de l'année 2003. M. Maurice Blin s'est demandé dans quelle mesure il y avait contradiction entre soutien de l'offre et soutien de la demande, si les disparités nationales remettaient en cause la viabilité économique de l'Union européenne, et si la faible croissance était un obstacle aux réformes en cours. M. François Marc s'est interrogé sur les limites de la modélisation économique et sur les moyens d'amener les ménages français à réduire leur épargne. M. Jean Arthuis, président, a souligné le risque de délocalisation, le rôle néfaste joué à cet égard par la réduction du temps de travail, et l'existence d'un risque de déflation.

En réponse, M. Patrick Artus a affirmé que personne n'était en mesure d'évaluer l'impact des grèves sur le PIB. En ce qui concernait la réduction du temps de travail, il a jugé que la nécessité d'augmenter la croissance annuelle de la productivité par travailleur allait peut-être entraîner une remise en cause de la législation sur le temps de travail. Il a considéré que si le soutien de la demande pouvait être utile, ces politiques devaient être réversibles. Il a souligné les dangers de la concurrence fiscale en Europe, certains « petits » pays - comme l'Irlande et, prochainement, les pays d'Europe centrale et orientale - allégeant leur fiscalité sur les entreprises, leurs pertes de recettes fiscales initiales étant plus que compensées par l'implantation de nouvelles entreprises. Il a considéré que la règle de l'unanimité en matière fiscale empêchait d'enrayer ce phénomène, qui risquait de conduire à des taux d'imposition des entreprises de l'ordre de 30 % dans les « grands » pays, et de 0 % dans les « petits » pays. Il a jugé que la proposition récente, faite par le gouvernement italien, d'accroître les financements consacrés aux réseaux transeuropéens, grâce à une plus grande implication de la Banque européenne d'investissement, devait être examinée avec précaution, le danger étant qu'elle conduise à financer des infrastructures inutiles, comme cela s'était produit au Japon dans le cas du système autoroutier. Il a estimé que la modélisation macroéconomique ne permettait pas de prendre en compte les ruptures structurelles, comme le développement de la Chine ou de l'Inde, ou le fait que, désormais, une diminution des taux d'intérêt à court terme avait pour principal effet une augmentation des prix des actifs financiers. Il a estimé que le fort taux d'épargne français, de l'ordre de 20 % du PIB, était près de deux fois plus élevé que celui du reste de l'Union européenne, et que son augmentation dans les années quatre-vingt dix - alors qu'il diminuait dans les autres pays - s'expliquait vraisemblablement par les incertitudes relatives au niveau futur des retraites, l'assurance-vie ayant servi de substitut à l'épargne-retraite, de sorte qu'une réforme des retraites instaurant une visibilité à l'horizon de 2040 était susceptible de susciter une diminution du taux d'épargne. Il a considéré que le succès des politiques de réduction des dépenses publiques dans de « petits » pays, comme la Suède, l'Irlande, le Danemark ou la Finlande, qui ne s'étaient pas accompagnées d'une perte de PIB, s'expliquait, en partie, par le fait que les politiques monétaires alors menées avaient été très expansionnistes.

M. Jean Arthuis, président, a estimé que la taxe sur la valeur ajoutée était un bon impôt, parce qu'elle reposait sur une base non délocalisable, et que le problème sous-jacent aux difficultés causées par la mise en oeuvre du pacte de stabilité et de croissance était l'absence de gouvernement économique européen.

En réponse, M. Patrick Artus a estimé qu'à défaut de coordination fiscale, la taxe sur la valeur ajoutée était en effet un impôt intéressant. Il a souligné que l'Union européenne ne disposait pas d'un dispositif de transfert automatique en faveur des Etats en difficulté, alors qu'aux Etats-Unis une réduction de la production dans un Etat donné était, pour moitié, automatiquement compensée par des transferts automatiques, notamment sociaux.

Groupe de travail sur la « péréquation financière » - Désignation des membres

M. Jean Arthuis, président, a fait état de la prochaine mise en place d'un groupe de travail tripartite, comprenant des représentants de la délégation du Sénat à l'aménagement et au développement durable du territoire, de la commission des affaires économiques et de la commission des finances. Il a indiqué que ce groupe de travail avait pour objet, dans la perspective des débats de l'automne prochain sur la décentralisation de réfléchir aux modalités de la péréquation financière entre collectivités locales. Sur sa proposition, la commission a désigné MM. Michel Mercier, Yves Fréville et François Marc pour y siéger.

Mercredi 18 juin 2003

- Présidence de M. Jean Arthuis, président.

Débat d'orientation budgétaire - Examen du rapport d'information

La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Philippe Marini sur le débat d'orientation budgétaire.

M. Philippe Marini, rapporteur général, procédant à l'aide d'une vidéo-projection, a estimé que la situation de l'économie et des finances publiques était d'une exceptionnelle difficulté. Il a regretté que certaines de ses prises de position récentes trouvent confirmation : l'affirmation, il y avait désormais quinze mois, que le retour à l'équilibre des finances publiques en 2004, fixé par le Conseil européen de Barcelone des 15 et 16 mars 2002, n'était pas réaliste ; celle, à l'occasion de l'examen de la loi du 6 août 2002 de finances rectificative pour 2002, que l'équilibre des finances publiques serait atteint, au mieux, en 2007, et non en 2006 ; celle, au début de cette année, que le déficit des administrations publiques serait, en 2003, de l'ordre de 4 % du PIB.

Il a indiqué que, compte tenu des dilemmes auxquels devait faire face le gouvernement, il proposait d'intituler son rapport d'information « La quadrature du cercle budgétaire ? ».

M. Philippe Marini, rapporteur général, a estimé que l'euro supposait une gouvernance économique que l'on semblait avoir renoncé à mettre en place. Il a jugé que le pacte de stabilité et de croissance était inadapté à une période de conjoncture défavorable aussi longue que celle que l'on connaissait, qui risquait de ne pas être terminée en 2004, et à une situation où le risque d'inflation avait été remplacé par un risque de déflation. Il a considéré qu'en l'absence de l'euro, la France et l'Allemagne auraient modifié leurs parités, ce qui aurait été vécu « dans le drame », mais que la monnaie unique ne devait pas dissimuler la nécessité de réaliser des ajustements, de toute façon inévitables.

Après avoir défini le cadrage de l'exercice budgétaire pour les années à venir, M. Philippe Marini, rapporteur général, a examiné les différents points du débat d'orientation budgétaire. En ce qui concernait la croissance, il a constaté que les prévisions de croissance pour 2003 avaient progressivement été revues à la baisse et que, si le consensus prévoyait désormais un chiffre de 1 % pour 2003, certains économistes étaient plus pessimistes. Il a mis en avant les problèmes de gouvernance de la zone euro, aujourd'hui marquée par les difficultés de l'économie allemande, et les conséquences qui en résultaient en termes de croissance. Examinant les risques de déflation en fonction de données issues du Fonds monétaire international (FMI), il a observé que la France et les Etats-Unis étaient dans une situation relativement proche des quatre pays ayant aujourd'hui un indice de déflation élevé, Hong-Kong, Taiwan, Japon et Allemagne.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a montré que la dégradation de la croissance avait pour corollaire une dégradation très rapide des déficits publics, estimés à 3,7 % du PIB en 2003 par la Commission européenne. Il a relevé la disparition de l'avantage comparatif français en matière d'endettement public dans l'Union européenne, remarquant que la France figurait désormais dans le « bas du tableau » avec l'Italie, la Belgique et la Grèce. Il a noté l'exception franco-allemande en matière de finances publiques, les deux pays, représentant 50 % du PIB de la zone euro, étant les deux seuls dont le déficit était supérieur à 3 % du PIB et dont le ratio de la dette par rapport au PIB avait augmenté entre 1998 et 2002. Il a donc considéré que l'on ne pouvait que prendre acte, dans ce contexte, de la procédure pour « déficit excessif » engagée contre la France et s'est montré très favorable à la proposition italienne d'une remise à l'honneur de l'investissement public, dans le respect du pacte de stabilité, par une incitation aux investissements transfrontaliers.

En ce qui concernait les prélèvements obligatoires, M. Philippe Marini, rapporteur général, a évoqué la baisse du niveau des prélèvements obligatoires par rapport au PIB en 2002, qui devrait se poursuivre en 2003 en raison d'une élasticité des recettes fiscales à la croissance sans doute devenue négative comme en 1992 et 1993. Il a estimé que l'appréciation du niveau des prélèvements obligatoires, qui restait élevé par rapport aux autres pays de l'OCDE, devrait s'abstraire des fluctuations les plus marquées de la conjoncture. Il a indiqué que le rapport du gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire mettait en évidence des moins-values fiscales pour l'exécution du budget 2003 d'au moins 5,1 milliards d'euros, soulignant qu'il convenait d'ajouter à cette évolution préoccupante des incertitudes sur le niveau des recettes non fiscales, citant par exemple la diminution de 1,3 milliard d'euros de la contribution de la Caisse des dépôts et consignations au budget de l'Etat.

En matière de dépenses publiques, M. Philippe Marini, rapporteur général, a constaté que la France faisait « la course en tête » et que le haut niveau de dépenses publiques constituait un choix de société dont l'économie assumait la charge. Il a exprimé des inquiétudes en ce qui concernait la charge budgétaire de la dette, se demandant combien de temps encore l'effet-taux pourrait masquer l'effet-volume. Il a montré le poids que représenteraient les pensions de la fonction publique dans les prochaines années, observant que le plan de réforme des retraites présenté par le gouvernement prévoyait, sur un besoin de financement de 28 milliards d'euros pour les retraites des fonctionnaires à l'horizon 2020, un financement de 15 milliards d'euros par les employeurs publics. Il a enfin souligné la sensibilité aux retournements conjoncturels d'un certain nombre de dépenses.

A partir de ces analyses, M. Philippe Marini, rapporteur général, a considéré que l'année 2003 constituerait une « année test » qui demanderait des efforts en termes de régulation des dépenses au-delà des premières mesures, judicieuses, déjà prises par le gouvernement. Il a rappelé qu'une stabilisation des dépenses en volume pour 2004 impliquerait, parmi les ministères non prioritaires, de réelles économies. Il a jugé que le redressement des finances publiques, dont le déficit était le plus élevé enregistré depuis 1995, demanderait des efforts qui reposeraient pour 0,2 point de PIB sur l'Etat et pour 0,3 point de PIB sur les administrations de sécurité sociale. Pour ces dernières, il a rappelé le dépassement systématique de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) et le niveau du déficit actuel de la branche maladie, qui s'établirait en 2003 à près de 10 milliards d'euros.

Pour finir, il a exprimé ses préoccupations en ce qui concernait l'endettement public, dont l'encours avait augmenté de 167 % depuis 1990, et qui finançait des dépenses courantes à hauteur de 22,26 milliards d'euros. Il a enfin rappelé les conditions, selon lui, de la réussite de « l'acte II » de la décentralisation.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Jean Arthuis, président, a souligné la gravité de la situation économique et budgétaire actuelle et la nécessité de prendre des mesures pour la redresser rapidement.

M. Jacques Oudin a félicité le rapporteur général pour sa présentation et a fait cinq observations. Il a tout d'abord constaté que les finances de toutes les administrations publiques se dégradaient, qu'il s'agisse du budget de l'Etat, du budget des collectivités territoriales ou plus encore de la sécurité sociale. Il a ensuite indiqué qu'il serait utile de présenter le budget de l'Etat sous quatre grandes rubriques qui seraient les dépenses de fonctionnement de l'administration, les dépenses de répartition, les dépenses d'investissement et la dette. Rappelant que la France connaissait l'un des plus fort taux de dépenses publiques par rapport au produit intérieur brut dans l'Union européenne, il a expliqué que ce n'étaient pas les pays qui prélevaient le plus qui répartissaient le mieux les richesses. Il a également considéré que l'Etat ne pouvait faire abstraction des autres acteurs des finances publiques, qu'il s'agisse de l'Union européenne ou des collectivités territoriales. Enfin, il s'est interrogé sur la mise en oeuvre de la proposition du gouvernement italien concernant l'augmentation de l'effort d'investissement au niveau européen.

M. Maurice Blin a souscrit aux observations du rapporteur général. Il a considéré que la France ne devait pas s'isoler au nom d'une quelconque « exception » en matière de finances publiques, au risque de subir de sévères conséquences. Il a cité des exemples de pays qui, bien qu'ayant eu de sérieuses difficultés structurelles il y a dix ou vingt ans, avaient réussi des réformes importantes : la Grande-Bretagne dans les années 1980, le Canada avec le plan de réforme de la fonction publique, la Suède, ou encore la Nouvelle-Zélande. Il s'est déclaré en faveur d'un « New-deal » européen qui « remette à plat » les dépenses publiques, tout en soulignant la difficulté de mener une politique de grands travaux dans un contexte où les gouvernements cherchaient à réduire l'endettement.

M. Yves Fréville a estimé que les pouvoirs publics avaient la plus grande peine à comprendre que l'économie connaissait naturellement des cycles de croissance et de dépression, et qu'ils n'étaient, dès lors, pas en mesure de profiter des retournements conjoncturels favorables pour faire les réformes qui s'imposaient. Il a ajouté qu'il existait une difficulté particulière liée au taux de change interne à l'euro pour la France et l'Allemagne. Il a considéré que la politique monétaire européenne était relativement inefficace car la France avait recours, majoritairement, à l'emprunt à taux fixe. Enfin, il a estimé qu'il fallait donner une plus grande liberté aux Etats en matière de politique budgétaire, notamment pour relancer l'investissement public, dans une perspective keynésienne qui n'imposait pas, en revanche, de donner plus de pouvoir d'achat aux fonctionnaires.

M. Aymeri de Montesquiou a évoqué le graphique présenté par le rapporteur général relatif à la parité entre l'euro et le dollar. Il a demandé si un tel graphique pouvait être réalisé en comparant l'euro avec le yuan chinois, dans la mesure où la Chine était le principal pays où se délocalisaient nos industries en raison d'une politique de sous-évaluation du yuan. Il a également interrogé le rapporteur général sur les enseignements à tirer des réformes réalisées par les pays d'Europe centrale et orientale. Enfin, il a souligné que l'importance des dépenses militaires françaises faussait la comparaison de nos dépenses publiques avec celles des autres pays de l'Union européenne.

M. Yann Gaillard a déclaré qu'il ne croyait pas au sérieux des prévisions économiques. Il a estimé que la France était « bloquée » par l'abondance des revenus de transferts et des dépenses sociales qui entravaient les incitations à une reprise de l'activité économique. Il a rappelé que jusqu'à l'introduction de l'euro, les difficultés pouvaient se résoudre par le biais d'une légère augmentation de l'inflation ou par des ajustements monétaires. Il s'est déclaré pessimiste quant à la capacité de l'opinion publique à accepter les réformes structurelles, en prenant pour exemple la réforme en cours des retraites ou la réforme nécessaire de la sécurité sociale.

M. Jean Arthuis, président, a insisté sur l'urgence d'agir pour redresser la situation économique française. Il s'est déclaré plutôt optimiste quant à la capacité de compréhension des Français face aux enjeux des réformes. Il les a estimées d'autant plus nécessaires que les réformes du précédent gouvernement, comme la réduction du temps de travail à trente-cinq heures, n'avaient pas permis à la France de gagner en compétitivité et de ralentir les délocalisations.

En réponse aux différents intervenants, M. Philippe Marini, rapporteur général, a estimé que le vrai sujet d'interrogation était aujourd'hui l'évolution de l'euro et la construction institutionnelle de l'Union européenne. Il a regretté, au moment où la convention européenne achevait ses travaux et avait réussi à rédiger un projet de Constitution européenne, et alors que se tiendra prochainement une conférence intergouvernementale, que la coordination des politiques économiques ne soit pas au coeur des préoccupations.

En réponse à M. Jacques Oudin, il a expliqué qu'il clarifierait la présentation par agrégat du budget de l'Etat lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2004.

A M. Maurice Blin, le rapporteur général a indiqué qu'il aurait pu ajouter aux nombreux exemples de pays ayant réussi à se réformer, celui des Pays-Bas.

Concernant la parité entre le yuan et l'euro, en réponse à M. Aymeri de Montesquiou, il a expliqué qu'il ne disposait pas, sur l'instant, des éléments d'information nécessaires. Il a souligné que les pays d'Europe centrale et orientale s'étaient considérablement réformés ces dernières années, reconstruisant entièrement leurs systèmes de retraites et d'assurance maladie, comme la Pologne, aidés en cela par les meilleurs experts européens. S'agissant des crédits de la défense, il a rappelé qu'il s'agissait d'un choix conscient de la France.

Enfin, il s'est déclaré en accord avec M. Yann Gaillard quant à la nécessité de lutter contre toute politique publique d'assistance décourageant la reprise d'une activité économique ou d'un emploi.

Sécurité financière - Désignation de candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire



La commission a ensuite procédé à la désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi sécurité financière :

Candidats titulaires : MM. Jean Arthuis, Philippe Marini, Jean-Jacques Hyest, Roland du Luart, Aymeri de Montesquiou, François Marc, Paul Loridant.

Candidats suppléants : MM. Denis Badré, Yann Gaillard, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Jean-Philippe Lachenaud, Gérard Miquel, Marc Massion.

Affaires sociales - Réforme des retraites - Nomination d'un rapporteur pour avis

Enfin, la commission a procédé à la nomination de M. Adrien Gouteyron, rapporteur pour avis, sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission, du projet de loi n° 885 (AN-XIIe législature), portant réforme des retraites.