Travaux de la commission des finances



- Présidence de M. Alain Lambert, président.

Impôts et taxes - Prime pour l'emploi - Audition de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et de Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, sur le projet de loi n° 217 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant création d'une prime pour l'emploi.

En introduction, M. Laurent Fabius a rappelé que le Gouvernement souhaitait, d'une manière générale, accroître la rémunération du travail par rapport aux allocations versées pour compenser l'absence d'activité. Il a fait observer que malgré les améliorations constatées dans la lutte contre le chômage, l'activité salariée n'était toujours pas suffisamment rémunérée et il a pris l'exemple d'un foyer percevant le revenu minimum d'insertion (RMI) : si un des deux conjoints reprend un emploi à plein temps payé au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), le foyer ne gagne que quatre francs supplémentaires de l'heure. Il a également relevé que l'amélioration du marché du travail n'engendrait pas mécaniquement une réduction de la pauvreté, comme l'avait démontré une récente étude de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Il a enfin rappelé les mesures prises par le Gouvernement afin de faire sauter les obstacles à la reprise du travail : la possibilité de conserver un revenu d'activité en même temps que le RMI, introduite dans la loi relative à la lutte contre les exclusions, la réforme des allocations logement décidée par la conférence de la famille de juin 2000, enfin diverses mesures fiscales votées au printemps et à l'automne 2000.

Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a ensuite rappelé les circonstances qui avaient conduit le Gouvernement à déposer le projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi : un mécanisme de ristourne dégressive de contribution sociale généralisée (CSG) avait été adopté par le Parlement à l'automne, puis censuré par une décision du Conseil constitutionnel du 19 décembre 2000, conduisant le Gouvernement à déposer un projet de loi créant une prime pour l'emploi dès le mois de janvier 2001.

Puis, M. Laurent Fabius a souhaité comparer le mécanisme de la prime pour l'emploi présenté par le Gouvernement avec deux propositions formulées par le Sénat. Reprenant la mesure introduite par le Sénat dans le projet de loi de finances pour 2001 puis le projet de loi de finances rectificative pour 2000 et consistant à créer un crédit d'impôt d'activité, il a estimé qu'il s'était agi d'un débat honorable, mais que la proposition du Sénat différait, sur de nombreux points, de celle du Gouvernement. Il a expliqué que la proposition sénatoriale ne retenait qu'un seul revenu d'activité, dissuadant ainsi l'un des deux conjoints de travailler, et que la mesure aurait entraîné des distorsions entre les couples mariés et ceux vivant en concubinage au profit de ces derniers. Il a ajouté que la proposition du Sénat ne concernait que cinq millions de foyers, pour un effort financier de quinze milliards de francs, alors que celle du Gouvernement toucherait dix millions de ménages, pour un coût final de trente milliards de francs.

M. Laurent Fabius a ensuite abordé la seconde proposition du Sénat, à savoir la création d'un revenu minimum d'activité, en rappelant qu'une proposition de loi sur ce sujet avait été adoptée par le Sénat le 8 février dernier. Il a relevé que dans ce mécanisme, l'Etat versait directement à l'entreprise les allocations qu'il donnait auparavant aux salariés. Il s'est déclaré favorable à l'activation des dépenses passives, mais il a critiqué le dispositif en ce qu'il reconnaîtrait que certains employés n'ont pas une productivité suffisante pour recevoir un salaire décent. Il y a vu une menace pour le SMIC, alors que la prime pour l'emploi proposée par le Gouvernement s'ajouterait aux revenus du travail sans les remplacer. Il a précisé qu'avec la prime pour l'emploi, un ménage avec deux enfants ayant un revenu équivalent à deux SMIC toucherait, au terme de trois ans, 9.400 F par an, sans aucune intervention de l'employeur.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a ensuite souhaité dissiper certaines inquiétudes. Il a rappelé que la priorité du Gouvernement était de faire bénéficier les Français de la prime pour l'emploi le plus tôt possible, malgré la censure du Conseil constitutionnel, sans attendre la fin du processus législatif. Il a expliqué qu'outre les indications contenues dans les soixante millions de formulaires de déclarations d'impôt envoyés aux contribuables, le ministère de l'économie et des finances avait édité des dépliants d'information à cinq millions d'exemplaires et qu'il avait délivré des messages par voie de presse tant nationale que régionale, et une campagne relayée directement par les services des impôts. Il a expliqué que ces informations avaient permis d'améliorer le taux de remplissage correct des feuilles de déclaration d'impôt mais qu'en tout état de cause, le ministère engagerait, après traitement informatique des déclarations, de nouveaux contacts avec les contribuables susceptibles d'être concernés par la mesure fiscale.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a rappelé que l'origine du débat était le plan de baisse d'impôts et de prélèvements obligatoires annoncé en août 2000 par le Gouvernement. Ce plan avait pour disposition principale la ristourne dégressive de CSG, et il n'est toujours pas entré en vigueur fin mars 2001, puisque le processus législatif n'a pas encore abouti. Il a rappelé qu'à l'automne 2000, la commission des finances s'était livrée à une analyse approfondie des propositions du Gouvernement, dans le rapport pour avis de M. Jacques Oudin et au cours du débat sur la loi de finances pour 2001, analyse que le Gouvernement n'avait malheureusement pas voulu prendre en compte.

Il a expliqué que la majorité sénatoriale souhaitait lutter contre l'assistanat par le revenu minimum d'activité et contre les trappes à inactivité par un crédit d'impôt. Bien que la vision du Gouvernement diverge de celle du Sénat, il a observé que la prime pour l'emploi était très proche des propositions faites par le Sénat, mais qu'elle avait un coût plus important pour les finances publiques. D'une manière globale, il a souhaité connaître le niveau des prélèvements obligatoires en France et les marges de manoeuvre des finances publiques alors que l'économie française montrait des signes de ralentissement. Il a rappelé que la prime pour l'emploi serait seulement attribuée aux contribuables qui auront donné les indications nécessaires sur leur feuille d'impôt ; or, la loi n'étant pas encore en vigueur, les contribuables n'ont aucune obligation sur ce point. Il a relevé que le projet de loi présenté par le Gouvernement ne donnait pas d'indication sur les conditions de versement de la prime pour l'emploi et il a souhaité savoir quelles seraient les modalités de ce versement. Enfin, il a rappelé que le dispositif de ristourne dégressive de CSG avait un caractère pluriannuel et il a demandé si la prime pour l'emploi le serait aussi.

M. Laurent Fabius a rappelé l'objectif principal du Gouvernement, à savoir faire bénéficier de la prime pour l'emploi les personnes qui y ont droit. Il a ajouté que si le plan de réduction d'impôts présenté en août 2000 n'avait pu être mis en oeuvre sur ce point, cela s'expliquait uniquement par la censure du Conseil constitutionnel, qui résultait d'un recours déposé par les parlementaires.

Après une intervention de M. Alain Lambert, président, soulignant que la censure du Conseil constitutionnel était avant tout liée à l'inconstitutionnalité du dispositif, le ministre de l'économie, des finances et de l'industriea déclaré que la proposition du Sénat de subordonner l'octroi du crédit d'impôt à un plafond de ressources indépendant de la composition du foyer et l'inégalité que ce dispositif créait entre les contribuables auraient été des motifs certains de censure pour le Conseil constitutionnel. Il a réaffirmé que même les contribuables n'ayant pas rempli correctement leur déclaration de revenus pour bénéficier de la prime pour l'emploi pourraient envoyer des corrections à celle-ci après la date limite de dépôt des déclarations et que le ministère de l'économie et des finances ferait lui-même un tri informatique a posteriori. Concernant les modalités de versement de la prime, il a expliqué que 70 % des bénéficiaires de la prime pour l'emploi n'étaient pas imposables et recevraient donc un chèque du Trésor public avant le 15 septembre 2001, les autres bénéficiant d'une imputation sur leur impôt et, le cas échéant, d'un chèque. Enfin, il a précisé que la prime pour l'emploi aurait la même montée en puissance que la ristourne de CSG qui avait été votée à l'automne 2000.

En réponse à M. Yann Gaillard, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a expliqué que la feuille de déclaration préremplie était certes une idée séduisante, mais difficile à mettre en oeuvre immédiatement. Il a expliqué que le ministère de l'économie et des finances avait fait une expérimentation sur un échantillon de quelques départements qui débouchait sur un taux d'erreurs de 60 %. Il a ajouté que la direction générale des impôts travaillait actuellement au projet de déclarations préremplies mais qu'il n'était pas question de lancer cette réforme sans qu'elle soit suffisamment opérationnelle pour constituer une véritable simplification administrative. S'agissant du prélèvement à la source, il a indiqué qu'une telle réforme nécessitait une série de modernisations administratives et une évolution importante de l'administration fiscale. Toutefois, il a ajouté que le ministère faisait des efforts pour se mettre au service des contribuables et il a cité le service MININFO en faveur des entreprises, qui permettait à celles-ci d'avoir un seul correspondant fiscal.

En réponse à M. René Trégouët, qui lui reprochait d'introduire dans des imprimés publics des mentions faisant la promotion de l'action gouvernementale, M. Laurent Fabius a expliqué que la feuille de déclaration de revenus ne contenait aucune mention de nature politique, mais que la notice qui l'accompagnait incluait un certain nombre de précisions, qu'il a estimées d'ordre pédagogique. Il a considéré que l'hostilité des contribuables à l'impôt s'expliquait par leur méconnaissance de l'utilisation de l'argent public et que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie avait à coeur de faire un effort d'explication à l'adresse des contribuables français. Il a ajouté qu'en raison de la proximité des élections municipales, il n'avait toutefois pas souhaité, contrairement à la coutume, ajouter d'éditorial à la déclaration de revenus. Il a confirmé que le prochain avis d'imposition comporterait la mention du taux moyen d'imposition du contribuable, celui-ci ayant souvent tendance à confondre le taux marginal d'imposition avec le taux moyen.

En réponse à Mme Marie-Claude Beaudeau qui soulignait le caractère modeste et provisoire de la prime pour l'emploi en comparaison d'une augmentation directe du SMIC et des salaires, M. Laurent Fabius a expliqué que le Gouvernement s'était longuement interrogé sur les différentes solutions possibles pour favoriser l'emploi. Il a précisé que le Gouvernement n'avait pas souhaité augmenter le SMIC pour deux raisons : une telle augmentation ne concernerait que deux millions de foyers alors que la mesure gouvernementale en touche dix millions et le Gouvernement aurait été contraint de verser des compensations aux entreprises, ce qui ne lui semblait pas une bonne méthode. En réponse à M. Roland du Luart qui l'interrogeait sur le coût administratif de gestion de la prime pour l'emploi, M. Laurent Fabius a précisé que le coût de saisie informatique des données figurant dans les déclarations était infinitésimal, et qu'il fallait simplement y ajouter le coût des campagnes d'information (9 millions de francs). Il a confirmé que la mention du taux moyen d'imposition du contribuable ne concernerait que l'impôt sur le revenu. Enfin, en réponse à M. Alain Lambert, président, il a nié que le refus du Gouvernement de présenter un dispositif fiscal en faveur de l'emploi ait pu être lié à la réticence des services du ministère de l'économie et des finances à gérer un tel dispositif.

Contrôle budgétaire - Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie - Communication

Puis la commission a entendu une communication de M. Philippe Adnot, rapporteur spécial des crédits de l'environnement, sur la mission de contrôle qu'il a effectuée à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).

M. Philippe Adnot, rapporteur spécial, a tout d'abord rappelé que trois événements de l'année 1999 avaient motivé sa décision d'effectuer un contrôle de l'ADEME en 2000 : la création de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui a supprimé les taxes affectées à l'ADEME, l'augmentation du taux de la taxe sur les déchets ménagers et la baisse des aides accordées par l'ADEME aux collectivités locales pour subventionner leurs installations de déchets.

En premier lieu, il a estimé que l'ADEME constituait un bon exemple des retards pris en matière de modernisation de l'Etat : la relocalisation de l'agence a pris plusieurs années de retard ; son contrat d'objectifs, annoncé il y a plus de deux ans et demi, n'est toujours pas signé ; et l'ADEME présente encore aujourd'hui une situation indigente en matière de contrôle de gestion et d'inspection interne. Il a également rappelé les dysfonctionnements qui ont amené à la " crise des déchets " de 1998-1999 et à la révision en catastrophe du barème des aides aux collectivités locales. A ce sujet, il a émis des doutes sur l'avancée réelle des dossiers traités par l'ADEME par rapport aux prévisions très sombres qui avaient été dressées en 1998 pour justifier l'augmentation de la taxe sur les déchets et la baisse des aides.

En deuxième lieu, M. Philippe Adnot, rapporteur spécial, a regretté la création de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui a supprimé les taxes auparavant affectées à l'ADEME, désormais remplacées par une subvention inscrite au budget de l'environnement. Le gouvernement a en effet supprimé le principe du dépollueur-aidé, corollaire efficace du principe pollueur-payeur et il a affecté le produit de la TGAP au financement des 35 heures, faisant passer ainsi cet impôt d'une logique environnementale à une logique de financement. En outre, il a souligné que l'ADEME ne bénéficiait à ce jour d'aucune garantie sur la pérennité de ses ressources. Il a estimé d'une façon générale que la réforme de la TGAP avait été dictée par un marchandage politique interministériel : le ministère de l'environnement acceptant l'affectation de la TGAP aux 35 heures en échange du contrôle de l'ADEME et d'une dotation budgétaire importante inscrite à son budget.

En troisième lieu, il a dénoncé le surdimensionnement des crédits votés pour l'ADEME en 1999 et 2000 à la demande du gouvernement. Il a en effet constaté, lors de ses contrôles sur place, des taux de délégation des crédits disponibles très bas (inférieurs à 50 % en 1999 et à 20 % en 2000). Il a estimé que ce mauvais calibrage des crédits demandés par le gouvernement résultait moins d'une erreur de prévision que d'une volonté délibérée de tromper le Parlement pour donner des gages budgétaires factices au ministère de l'environnement.

Puis M. Philippe Marini, rapporteur général, a souhaité que le rapporteur spécial  lui indique si des économies pouvaient être réalisées sur le budget de l'ADEME.

En réponse, M. Philippe Adnot, rapporteur spécial, a indiqué qu'un montant important d'économies était déjà réalisé en 1999 et en 2000 par le budget de l'Etat, dans la mesure où, seuls, les crédits correspondant à des besoins de l'ADEME lui étaient délégués, soit une économie de plus de deux milliards de francs pour 2000 par exemple.

M. Jacques Oudin est ensuite intervenu pour rappeler que le débat sur la fiscalité écologique avait été insuffisamment approfondi en France et que le système choisi lors de la création de la TGAP était insatisfaisant. Il a ajouté que de graves problèmes environnementaux se posaient aujourd'hui avec notamment la question de l'épandage des boues sur les terres agricoles, face aux réticences croissantes des exploitants, et celle de l'installation de centres d'enfouissement techniques et d'usines d'incinération, face aux protestations des habitants des communes concernées. Il a estimé que l'ADEME avait manqué de vision prospective.

M. Gérard Braun a indiqué qu'il partageait le diagnostic établi par le rapporteur spécial et a souhaité évoquer les problèmes posés au plan local par la situation de monopole de la société Eco-Emballages.

M. Alain Lambert, président, a souhaité savoir si la suppression des taxes affectées à l'ADEME avait donné à cet établissement plus de souplesse dans sa gestion financière.

En réponse, M. Philippe Adnot, rapporteur spécial, a indiqué que les conditions d'une meilleure gestion, et en particulier, celle relative à une plus grande visibilité budgétaire, ne lui semblaient pas à ce jour réunies.

La commission a alors donné acte au rapporteur de sa communication et a décidé d'autoriser la publication de ses conclusions sous la forme d'un rapport d'information.

Nomination de rapporteurs

Enfin, la commission a nommé M. Philippe Marini rapporteur sur :

- le projet de loi n° 217 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant création d'une prime pour l'emploi,

- le projet de loi n° 219 (2000-2001), portant ratification de l'ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000, relative à la partie législative du code monétaire et financier,

- et la proposition de loi organique n° 223 (2000-2001), présentée par M. Jean-Claude Carle, limitant le recours aux dispositions fiscales de portée rétroactive.

Elle a désigné M. Alain Lambert rapporteur sur la proposition de loi organique n° 226 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux lois de finances.

MERCREDI 28 MARS 2001

- Présidence de M. André Vallet, vice-président.

Impôts et taxes - Prime pour l'emploi - Examen du rapport

La commission a procédé à l'examen du projet de loi n° 217 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant création d'une prime pour l'emploi, sur le rapport de M. Philippe Marini, rapporteur.

Le rapporteur a commencé par un rappel de calendrier :

- le 30 août 2000, le Gouvernement a présenté son plan de réduction des prélèvements obligatoires, le plus " ample " jamais conçu, dont la mesure phare était la ristourne dégressive de contribution sociale généralisée (CSG) ;

- le 14 novembre 2000, le Sénat a examiné cette mesure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 ; M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances, en avait pointé trois motifs d'inconstitutionnalité : les inégalités entre couples mono-actifs et bi-actifs, entre couples avec ou sans enfants, entre actifs et pluriactifs ; il avait esquissé une proposition alternative de crédit d'impôt que la ministre de l'emploi et de la solidarité, Mme Elisabeth Guigou, avait alors réfuté, la qualifiant d'impôt négatif et de mesure trop complexe nécessitant quinze mois pour entrer en vigueur ;

- le 24 novembre 2000, le Sénat a adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2001 le dispositif du crédit d'impôt ; au cours de la discussion, la secrétaire d'Etat au budget Mme Florence Parly avait repris les arguments de Mme Elisabeth Guigou en ajoutant que la logique de la mesure du gouvernement n'était pas de favoriser les familles. Elle avait conclu en faisant état d'un " différend d'ordre politique et non pas d'ordre technique " entre la majorité sénatoriale et le Gouvernement ;

- le 19 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a censuré la ristourne dégressive de CSG, reprenant en tous points l'argumentaire du Sénat. Cette décision fut mal accueillie par le Gouvernement qui souhaitait faire porter la responsabilité de la censure, sur les auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel ;

- le 21 décembre 2000, le Sénat a adopté à nouveau le crédit d'impôt lors de la nouvelle lecture du collectif budgétaire, le Gouvernement se refusant à examiner la proposition, cette fois pour de contestables motifs de procédure ;

- le 16 janvier 2001, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Laurent Fabius, a présenté à la presse sa solution alternative : le crédit d'impôt rebaptisé " prime pour l'emploi " ;

- le 31 janvier 2001, le Conseil des ministres a adopté le texte, examiné le lendemain en commission des finances à l'Assemblée nationale et adopté en première lecture le 6 février.

M. Philippe Marini, rapporteur, a constaté que depuis lors et avant même la première lecture au Sénat, la machine administrative s'était mise en route : impression et envoi des déclarations de revenus, actualisation des logiciels, publication de notices d'information. Sans remettre en cause les nécessités de la préparation de l'action administrative, il a fait remarquer que, malgré ces efforts, une majorité des bénéficiaires potentiels de la mesure ne remplissent pas les cases sibyllines nécessaires pour le calcul et l'obtention de la prime. Il s'est également fait l'écho des réactions syndicales des agents de l'administration fiscale, inquiets à la perspective de faire les frais de ces " ratés ". Quant au débat parlementaire, il a déploré qu'il ne doive se dérouler que pour la forme, aucun amendement n'étant possible d'après les services du ministère.

Le rapporteur a estimé que ce calendrier et ces difficultés soulevaient une question : le Gouvernement pouvait-il mieux faire ? Il a considéré que si M. Laurent Fabius avait beau jeu de se féliciter de la mise sur pied d'une mesure en un mois et demi, le délai restait néanmoins trop court pour qu'elle soit convenablement appliquée. M. Philippe Marini a fait observer qu'une solution existait : écouter les avertissements exprimés par le Sénat le 14 novembre 2000, examiner sa proposition le 24 novembre 2000, quitte à la modifier pendant la navette, pour l'adopter définitivement avec la loi de finances le 20 décembre 2000. Il en a conclu que la principale erreur du Gouvernement résidait justement dans la perte de ce précieux mois et demi.

M. Philippe Marini, rapporteur, a ensuite décrit le détail de la mesure. Il a expliqué que la prime pour l'emploi était ouverte à tous les foyers fiscaux sous une double condition :

- ne pas dépasser un plafond global de revenus fixé entre 1,5 et 3 fois le salaire minimum interprofessionnel (SMIC) selon les cas ;

- ne pas dépasser, par actif, un plafond de revenus tirés des activités professionnelles, de 1,4 à 2,1 SMIC selon les cas.

Il a ensuite détaillé la prime, composée de deux volets : la prime de base dépend des revenus d'activité et du temps de travail dans l'année ; elle est majorée par enfant à charge de manière forfaitaire (400 francs ou 200 francs par personne selon les cas). Il a expliqué qu'elle s'imputerait sur l'impôt à acquitter, le trop perçu étant reversé le 15 septembre par chèque sur le Trésor public.

Il a estimé que la comparaison de la prime avec le crédit d'impôt adopté par le Sénat était flatteuse : ils sont tous les deux assis sur l'impôt sur le revenu, avec un système de reversement identique ; ils varient de la même manière, selon les revenus d'activité et le temps de travail ; ils prévoient une majoration substantielle pour les personnes à charge.

M. Philippe Marini, rapporteur, a cependant distingué deux particularités dans la prime proposée par le Gouvernement :

- elle introduit une innovation dans l'impôt sur le revenu en prenant en compte distinctement les revenus de chaque actif du ménage ; le crédit d'impôt du Sénat, lui, restait dans le cadre de l'impôt sur le revenu et donc, souffrait des imperfections de ce dernier, comme celle de favoriser les concubins par rapport aux couples mariés ; en cela, le crédit d'impôt du Sénat n'était pas plus inconstitutionnel que l'impôt sur le revenu lui-même ;

- elle a un coût pour les finances publiques de 8,5 milliards de francs, alors que le crédit d'impôt du Sénat ne coûtait que 5 milliards de francs, la différence expliquant pour quelles raisons la prime pour l'emploi est, dans la plupart des cas, plus généreuse que le mécanisme du Sénat.

Le rapporteur a également rappelé que le dispositif était destiné à monter en puissance pour tripler d'ici à 2003, soit un coût de 25 milliards de francs qui viendra s'ajouter aux autres charges à venir de l'Etat, comme le financement des 35 heures.

Sur le fond, M. Philippe Marini, rapporteur, a dit partager les trois objectifs de la mesure proposée : favoriser l'emploi, baisser les prélèvements obligatoires, donner du pouvoir d'achat. Cependant, il a considéré qu'il fallait y ajouter une démarche spécifique pour les personnes privées d'emploi et a rappelé que le Sénat avait adopté le 8 février 2001 sa proposition de loi cosignée par M. Alain Lambert, portant création d'un revenu minimum d'activité. Il a estimé que la prime pour l'emploi était assise sur des modalités techniques très largement inspirées du crédit d'impôt du Sénat et qu'elle se conformait à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Il a décrit les deux principaux défauts que présentent à ses yeux la prime pour l'emploi :

- pourquoi parler de prime pour l'emploi alors qu'il s'agit d'un crédit d'impôt ? Il a indiqué qu'il changerait le nom de la mesure, ce dernier étant peut-être inspiré par le souci de ne pas froisser les oreilles de la majorité plurielle ;

- la prime, telle qu'elle est conçue, pose un problème pratique qui inquiète à juste titre les Français : tant que la loi n'est pas publiée, ils ne sont pas obligés de remplir les cadres relatifs à la mesure dans leur déclaration ; quand la loi sera publiée, ils seront obligés de le faire mais ne le pourront plus. Pour éviter ce paradoxe kafkaïen, il a indiqué qu'il proposerait un amendement " pragmatique ", pour reprendre le mot de M. Laurent Fabius.

Il a conclu en regrettant que le Gouvernement s'attribue ainsi la paternité d'un projet de loi dont l'origine revient au Sénat.

M. Michel Charasse a ensuite souhaité formuler quelques observations. Il a considéré qu'il ne fallait pas " ergoter " sans cesse sur le calendrier et que tous devaient souhaiter la réussite rapide de cette nouvelle mesure. Il a cependant regretté que trop souvent l'administration applique un dispositif fiscal alors même qu'il n'a pas été adopté par le Parlement, et souhaité que dans le cadre de la réflexion sur la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, il soit remédié à cette situation. S'agissant du coût total de la mesure, M. Michel Charasse a rappelé qu'il ne pourrait s'apprécier qu'une fois passées les élections de 2002. Enfin, il a demandé au rapporteur si la prime pour l'emploi serait juridiquement et comptablement traitée comme une baisse des prélèvements obligatoires ou comme une hausse des dépenses publiques.

M. Philippe Marini, rapporteur, s'est dit d'accord pour que la réforme de l'ordonnance organique apporte une solution à ces acrobaties juridiques peu conformes avec l'autorisation parlementaire. Il a rappelé que dans le cas présent une autre solution avait été proposée au Gouvernement en novembre 2000, qui aurait permis de les éviter. Il a précisé à M. Michel Charasse, citant le IV de l'article unique du projet de loi, que la prime constitue bien un crédit d'impôt et sera traitée comme tel en comptabilité budgétaire et nationale.

La commission a ensuite adopté trois amendements présentés par son rapporteur :

- le premier rebaptisant la prime pour l'emploi " crédit d'impôt en faveur de l'activité " ;

- le second, à l'issue d'un débat entre M. Philippe Marini, rapporteur, et M.  Michel Charasse et après une rectification, prévoyant que les contribuables pourraient, jusqu'à la date de l'émission des rôles de l'impôt sur le revenu, indiquer à l'administration fiscale les informations nécessaires au bénéfice de la mesure ; M. Michel Charasse s'est dit d'accord pour cosigner l'amendement ainsi rectifié et adopté ;

- le troisième, de coordination sur l'intitulé du projet de loi.

La commission a alors décidé de proposer au Sénat d'adopter le projet de loi ainsi modifié.