Travaux de la commission des finances



- Présidence de M. Alain Lambert, président.

Proposition de loi organique relative aux lois de finances - Audition de M. Alain Juppé, ancien premier ministre

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé tout d'abord, dans le cadre des travaux sur la réforme de l'ordonnance organique de 1959, à l'audition de M. Alain Juppé, ancien premier ministre.

En préambule, M. Alain Lambert, président, rapporteur des travaux sur la réforme de l'ordonnance organique, a tenu à souligner qu'il considérait que celle-ci constituait un rendez-vous « historique » pour la démocratie. Il a ensuite rappelé les cinq questions adressées à M. Alain Juppé, portant sur l'utilité de la réforme, l'appréciation portée sur les travaux issus de l'Assemblée nationale, l'articulation entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, le maintien d'une autorisation unique des impositions de toute nature, et enfin la place de la réforme de l'ordonnance de 1959 au sein du projet plus général de réforme de l'Etat.

S'agissant tout d'abord de l'utilité de la réforme de l'ordonnance, M. Alain Juppé a affirmé qu'il croyait en cette utilité et qu'il partageait le sentiment de M. Alain Lambert sur le caractère « historique » de cette réforme (tout en émettant quelques réserves, de nature juridique, sur la qualification de « constitution financière »). Il a estimé en effet que cette réforme recouvrait des enjeux politiques considérables, tout en répondant à une nécessité incontestable, née tout à la fois des frustrations accumulées depuis près d'un demi-siècle d'application, et de l'évolution profonde des circonstances ayant présidé à son élaboration initiale.

Frustration des parlementaires d'abord, de façon croissante, face à un pouvoir de contrôle à la fois partiel -dès lors qu'il ne porte que sur les mesures nouvelles et jamais sur les services votés-, peu significatif -compte tenu de l'ampleur des modifications apportées, en cours d'exercice, par le seul pouvoir exécutif, aux crédits votés par le pouvoir législatif-, et parcellaire -du fait de l'imperfection des évaluations de recettes. Sur ce dernier point, rappelant l'exemple vécu en 1988 de la très forte sous-estimation des recettes de TVA, face à une reprise économique accélérée, M. Alain Juppé a tenu à souligner que ce risque, lié à la forte élasticité des recettes fiscales à l'évolution de la conjoncture, n'épargnait aucun gouvernement, et ne relevait pas nécessairement d'une volonté de dissimulation. Frustration aussi du Gouvernement, face à l'absence de débat de fond sur l'orientation des politiques sectorielles. Frustration ensuite des gestionnaires de crédits, enserrés dans un système cloisonné de près de 850 chapitres budgétaires. Frustration enfin de l'opinion publique, qui en retire généralement l'impression que l'argent du contribuable est gaspillé et les contrôles inefficaces, sinon inexistants.

Rappelant que la conception originelle de l'ordonnance de 1959 s'était inscrite dans une démarche de « rationalisation du régime parlementaire » visant notamment, à l'époque, à mettre un terme aux atermoiements et délais multiples opposés par le Parlement à la mise en oeuvre du budget de l'Etat, M. Alain Juppé a souligné que les circonstances avaient profondément évolué depuis lors. En particulier, le nécessaire respect des critères de convergence européenne et celui des recommandations de la Commission et du Conseil européens constituaient des contraintes nouvelles fortes, et rendaient indispensable la prise en compte d'une forme de pluriannualité.

Enfin, l'alourdissement constant des impôts et de la dette publique ont fini par susciter des exigences nouvelles, portant d'une part sur une efficacité accrue du contrôle parlementaire à l'égard de l'élaboration et de l'exécution des lois de finances, et, d'autre part, sur une véritable évaluation des performances de l'action publique, à l'instar de ce qui se pratique déjà dans de nombreuses démocraties développées.

Concluant sur ce premier point, M. Alain Juppé a souligné la nécessité et les difficultés de passer d'une « culture de la dépense » à une « culture de l'efficacité », et d'une « gestion fondée sur les moyens » à une « gestion fondée sur les résultats ».

S'agissant ensuite des travaux de l'Assemblée nationale, M. Alain Juppé a estimé que les orientations du texte pouvaient être considérées comme globalement satisfaisantes, et correspondaient à un travail approfondi. M. Alain Juppé s'est notamment félicité de la suppression des crédits provisionnels et évaluatifs, de la mise en place de programmes, missions et objectifs, permettant en principe d'améliorer l'évaluation des politiques publiques, de la présentation de projets (en loi de finances initiale) et de rapports (en loi de règlement) annuels de performance, enfin de la fongibilité des crédits disponibles au sein d'un programme donné. Sur ce dernier point, il a toutefois estimé possible d'améliorer le dispositif, estimant notamment regrettable que soit partiellement écartée la fongibilité des dépenses de personnel. Il a, à cet égard, cité les expériences réussies des contrats de préfecture, de la fongibilité des crédits régionaux d'aide à l'emploi mise en place dans certaines régions par Jacques Barrot, ministre de l'emploi en 1995-1997, ou encore des « contrats de gestion » instaurés au ministère des affaires étrangères, pour permettre le « recyclage » des économies liées aux suppressions d'emplois sous forme de crédits destinés à la formation ou à l'équipement informatique.

M. Alain Juppé a considéré qu'il convenait de ne pas modifier le dispositif de l'article 40 de la Constitution, « pilier constitutionnel de la cinquième République », estimant préférable de faire évoluer ses conditions d'application.

Il s'est enfin interrogé sur la portée de l'avis du Parlement prévu sur les décrets d'avances et les arrêtés d'annulation, dès lors que celui-ci n'était assorti d'aucune sanction. De même, la suppression des budgets annexes, dès lors qu'elle était accompagnée de la création de « comptes annexes », ne constituait pas nécessairement un réel progrès. M. Alain Juppé a enfin estimé nécessaire de renforcer encore les conditions d'examen des projets de loi de règlement ; il s'est ainsi interrogé sur l'intérêt de solenniser la procédure par l'instauration d'un vote de confiance.

En conclusion, M. Alain Juppé, rappelant les expériences inabouties des budgets de programmes des années soixante-dix et quatre-vingt, et l'échec des expériences de « rationalisation des choix budgétaires » (RCB), a souligné la difficulté de définir des indicateurs de performance à la fois clairs, pragmatiques et cohérents, et surtout la nécessité, pour voir aboutir une telle réforme, de réunir les conditions psychologiques et humaines requises chez les gestionnaires de crédits.

Relevant le caractère désormais « insupportable » des prélèvements obligatoires pour la majorité des contribuables, M. Alain Lambert, président, a rappelé l'importance qu'il attachait personnellement à cette réforme, « au coeur d'un enjeu de démocratie ». Il a estimé essentiel que soit garantie une véritable interaction entre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, et que l'ensemble des prélèvements de toute nature fasse l'objet d'un document unique proposé à la représentation nationale.

S'agissant de l'articulation entre loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale, M. Alain Juppé a estimé qu'il s'agissait d' « un débat difficile ». Il a rappelé que l'institution même d'une loi de financement de la sécurité sociale, donnant lieu à un débat devant le Parlement, avait constitué un progrès important qu'il fallait veiller à ne pas remettre en cause. Il a appelé de ses voeux une amélioration des liens entre les deux domaines, mais a fermement écarté l'idée d'une fusion complète, compte tenu du caractère fondamentalement différent des dépenses visées, des modalités de réalisation de l'équilibre, et de la personnalité morale des acteurs concernés.

M. Alain Juppé a, en revanche, souligné la nécessité de maintenir en loi de finances l'autorisation de perception des impositions de toute nature, en établissant une meilleure articulation, notamment au niveau du calendrier, entre les deux textes.

Soulignant l'importance de la réforme de l'Etat dans laquelle s'inscrit légitimement la réforme de l'ordonnance de 1959, M. Jacques Oudin a rappelé à son tour les expériences malheureuses de « rationalisation des choix budgétaires » des années soixante-dix, et l'amertume qui en avait résulté. Il a de même estimé que la mise en place plus récente des offices d'évaluation parlementaires se traduisaient par un relatif échec. Il a ensuite déploré la rétention permanente d'informations par le Gouvernement, qui avait contraint la commission des finances à demander les pouvoirs des commissions d'enquête pour obtenir satisfaction. Il a enfin considéré que l'analyse, par deux commissions distinctes, de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale, se traduisait par une absence totale de coordination.

Soulignant que le texte relatif à la révision de l'ordonnance n'avait pas été voté par l'opposition à l'Assemblée nationale, M. Michel Charasse a considéré que, en l'état actuel, les travaux menés aboutissaient à passer d'une autorisation de dépenser à une obligation de dépenser. Il a déploré l'insuffisante prise en compte, tant par le Gouvernement que par le Parlement, des travaux de qualité menés par les différents corps de contrôle existants. Il a estimé que la notion de « performance », réclamée par tous, n'était en réalité souhaitée par personne. Il s'est enfin inquiété de voir les modifications proposées risquer de fragiliser la capacité du pouvoir exécutif à assurer la préservation des intérêts et la continuité du fonctionnement de l'Etat.

M. Maurice Blin s'est inquiété de l'absence totale d'analyse relative à la dette publique. Il a estimé hautement souhaitable la tenue d'un débat et d'un vote public spécifiques sur ce sujet devenu prééminent. Il a évoqué l'intérêt d'une règle visant à exclure le recours à l'emprunt pour financer toute dépense autre que l'investissement, conformément à ce qui est déjà le cas pour les collectivités locales.

M. Joël Bourdin a estimé que, en matière d'information, le Parlement était « sous perfusion ». Il s'est interrogé sur l'intérêt de mettre en place un système d'évaluation autonome et exclusif, à l'instar de ce qui existe aux Etats-Unis.

Tout en soulignant l'incontestable utilité de la réforme de l'ordonnance de 1959, M. Jean-Philippe Lachenaud s'est interrogé sur son opportunité actuelle. Il a également regretté l'insuccès relatif du débat d'orientation budgétaire.

Concluant, M. Philippe Marini, rapporteur général, s'est vivement indigné de l'absence quasi-totale d'informations sur la dette publique, réduite dans la présentation budgétaire actuelle à la seule charge des intérêts annuels, et dépourvue de toute prévision relative au remboursement du capital. Il s'est également interrogé sur les moyens d'éviter que l'Etat ne succombe à « ses tentations » : faire de la relance budgétaire en période de faible conjoncture, recourir à l'emprunt pour financer des dépenses répétitives et ordinaires.

Répondant aux différents intervenants, M. Alain Juppé a d'abord souhaité rappeler qu'aucun texte n'était en mesure de réformer les mentalités. L'ordonnance budgétaire, qui ne saurait tenir lieu de politique budgétaire, ne pouvait se situer qu'au niveau de l'instrument.

En particulier, il a estimé qu'aucun texte ne saurait durablement permettre de se prémunir contre les dérives de l'endettement public, et que, en la matière, la « règle d'or » consistant à limiter le recours à l'emprunt au financement des dépenses d'investissement lui paraissait peu opérationnelle. De fait, il a considéré plus judicieux de définir un niveau de déficit, et donc d'endettement, permettant d'engager la diminution de la dette, tout en soulignant qu'il s'agissait d'un choix politique, qu'aucun texte ne pouvait suppléer.

S'agissant du déficit d'information évoqué par M. Joël Bourdin, M. Alain Juppé s'est déclaré fortement réticent à l'encontre de la multiplication des organismes d'évaluation et de prévision de diverse nature. Il a en réalité estimé que le Parlement gagnerait à s'attacher à une utilisation effective et plus efficace des droits d'investigation dont il dispose d'ores et déjà.

Estimant que l'intérêt du débat d'orientation budgétaire pouvait être amélioré, il a évoqué l'idée de le faire coïncider avec l'examen de la loi de règlement et de l'accompagner de la publication des « programmes » destinés à figurer dans la future loi de finances initiale.

S'agissant enfin de l'opportunité de la réforme de l'ordonnance, M.  Alain Juppé s'est déclaré « partagé ». Rappelant qu'à ce sujet, le consensus demeurait fragile, il a souligné néanmoins qu'un report risquait de se traduire concrètement par un ajournement, pour conclure qu'il était sans doute préférable de « faire quelque chose » maintenant, plutôt que d'attendre un hypothétique « bon moment » qui ne surviendrait probablement jamais.

Proposition de loi organique relative aux lois de finances - Audition de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur

La commission a ensuite entendu M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, accompagné de M. Dominique Bur, directeur général des collectivités locales, M. Pierre-René Lemas, directeur général de l'administration, et M. Claude d'Harcourt, directeur de la programmation, des affaires financières et immobilières.

En introduction, M. Daniel Vaillant a réaffirmé son soutien clair et explicite à la réforme de l'ordonnance organique de 1959, qui permettra à la fois un renforcement des pouvoirs du Parlement et une modernisation de la gestion publique.

Il a noté deux apports majeurs de la réforme votée par l'Assemblée nationale. Le premier apport est la création de la notion de programme, c'est-à-dire un regroupement cohérent de crédits assortis d'objectifs et d'indicateurs de performances. Il a précisé que le ministère de l'intérieur pourrait ainsi créer cinq à six programmes. Il a souhaité que les programmes soient suffisamment larges et stables au cours du temps afin de faciliter la gestion budgétaire. Le deuxième apport est la fongibilité des crédits budgétaires qui permettra une plus grande liberté pour les gestionnaires locaux. Il a toutefois indiqué que l'Assemblée nationale avait partiellement exclu les dépenses de personnel de la fongibilité, ce qui allait un peu moins loin que l'expérience menée par le ministère de l'intérieur au travers du budget des préfectures.

En conclusion de ce propos liminaire, le ministre de l'intérieur a déclaré qu'avec la réforme de l'ordonnance organique de 1959, la France rejoindrait les nombreux pays européens qui avaient déjà rénové leur procédure budgétaire au cours de la dernière décennie. Il a prédit que les débats parlementaires relatifs aux lois de finances gagneraient en pertinence après la réforme.

M. Daniel Vaillant a ensuite détaillé l'expérimentation menée par le ministère de l'intérieur et relative à la globalisation des crédits des préfectures. Il a rappelé que cette expérimentation, menée en accord avec le ministère du budget, avait trois caractéristiques : un accroissement garanti des crédits budgétaires de 0,3 % par an pour les préfectures, un engagement pour trois ans, et une fongibilité complète des crédits, y compris les crédits de personnel. A l'issue de cette expérimentation dans 14 préfectures, il est apparu que la réforme fonctionnait parfaitement, que les préfets pouvaient engager des démarches pluriannuelles et faire face à des surcroîts imprévus d'activité, que la réforme engendrait des comportements vertueux, par exemple dans le département de la Seine-Maritime, et qu'enfin elle incitait au dialogue avec le personnel sur l'amélioration de la gestion budgétaire.

M. Daniel Vaillant a ajouté que le ministère de l'intérieur était également un ministère « pilote » dans la mise en place de la nouvelle application informatique budgétaire et comptable de l'Etat, le programme ACCORD qui sera étendu à tous les ministères d'ici 2004. Par ailleurs, il a indiqué que le ministère de l'intérieur avait créé une sous-direction spécialisée dans le contrôle de gestion de son administration, faisant appel à l'expérience du secteur privé, et qu'il était en permanence à la recherche d'indicateurs de performance, pour gérer plus efficacement ses moyens, notamment concernant la police de proximité.

M. Alain Lambert, président, a demandé au ministre de l'intérieur quel était son point de vue sur la notion de pluriannualité et sur l'utilisation de certaines procédures budgétaires comme les virements de crédits. Il lui a également demandé s'il s'était préparé à la mise en oeuvre de la réforme et s'il était favorable à la création de programmes interministériels.

M. Daniel Vaillant a répondu que son soutien clair à la réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ne signifiait pas qu'il considérait le texte voté par l'Assemblée nationale comme entièrement satisfaisant. Il a expliqué que le Sénat pourrait l'améliorer sur plusieurs points, et notamment sur la question de la pluriannualité, pour laquelle il estimait le texte encore trop restrictif. De même, il a jugé que la rédaction de l'article 16 de la proposition de loi, concernant les modalités de reports de crédits, était trop sévère, puisque, seuls, les crédits de paiement disponibles, dans la limite de 3 % des crédits initiaux, pourraient être directement reportés. Il a craint que ce dispositif ne renforce les effets de l'annualité budgétaire, tous les gestionnaires cherchant à consommer leurs crédits dans l'année, de peur qu'ils ne soient pas reportés. Il a souhaité qu'une formule plus souple soit trouvée, par exemple par un renvoi aux lois de finances pour fixer le montant maximal des crédits à reporter.

Ensuite, le ministre a indiqué qu'il n'était pas souhaitable que la réforme budgétaire entrave l'interministérialité. Il a insisté sur le fait que la fongibilité des crédits était inséparable d'une présentation interministérielle de certaines politiques publiques. Sur la question du traitement budgétaire des concours de l'Etat aux collectivités locales, il a relevé l'incertitude constitutionnelle pesant sur la notion de prélèvements sur recettes, mais il a ajouté que cette notion avait un double intérêt : donner aux parlementaires une vision d'ensemble des concours de l'Etat aux collectivités locales, et simplifier la gestion de ces crédits. Il s'est également interrogé sur la pertinence de la rédaction de l'article 31 de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, qui pourrait créer une instabilité dans les ressources des collectivités locales, et sur la disparition de la notion de crédits provisionnels et évaluatifs.

M. Yves Fréville a interrogé le ministre sur la disparition de la notion de prélèvements sur recettes dans le texte voté par l'Assemblée nationale. Il a souhaité que l'ensemble des concours de l'Etat aux collectivités locales soit regroupé sous la forme d'un seul prélèvement, alors qu'aujourd'hui on constatait un éparpillement de ces concours.

M. Dominique Bur, directeur général des collectivités locales, a indiqué que l'essentiel était l'information du Parlement sur l'ensemble des dotations aux collectivités locales, qui comprenait actuellement des dotations budgétaires spécifiques, des dotations globalisées et des prélèvements sur recettes. Il a précisé que les prélèvements sur recettes représentaient 200 milliards de francs sur un total de contributions de 335 milliards de francs, et que la suppression de ces prélèvements conduirait donc à augmenter de manière considérable le volume du budget de l'Etat. Il a ajouté que les prélèvements sur recettes n'apportaient pas moins d'informations que les dotations budgétaires, puisqu'on pouvait les différencier en grandes masses comme la dotation globale de fonctionnement (DGF), le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), ou le fonds national de péréquation de la taxe professionnelle (FNPTP). Il a expliqué que les prélèvements sur recettes étaient de gestion commode, car ils ne nécessitaient pas la procédure lourde de délégation des dotations budgétaires.

M. Yann Gaillard a demandé au ministre de l'intérieur s'il pensait que la réforme de l'ordonnance organique de 1959 avait une chance d'aboutir et s'il estimait que cette réforme devait conduire à la modification du règlement intérieur des Assemblées.

M. Daniel Vaillant a répondu qu'il croyait à une adoption de la réforme budgétaire et qu'il n'y aurait en aucun cas obstacle du Gouvernement à son adoption. Il a expliqué que les ministères dits dépensiers avaient parfois une vision différente de celle du ministère des finances, mais que cela n'entraînait pas de conséquence sur une volonté commune de réforme. Il a ajouté que la révision de l'ordonnance organique de 1959 allait dans l'intérêt du Parlement et de la transparence de la gestion publique, ce qui nécessitait de la séparer entièrement des débats partisans.

M. Alain Lambert, président, a rappelé que le bureau de la commission des finances du Sénat avait adopté le principe de travailler à une réforme de l'ordonnance de 1959 et ce, dès 1998. Les deux Assemblées ont travaillé séparément, le Sénat publiant un rapport d'information sur le sujet, et le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale déposant une proposition de loi. Mais il a insisté sur la convergence de ces travaux et il a souligné la contradiction qui conduirait le Parlement, d'une part à regretter son manque d'influence sur la discussion budgétaire, et d'autre part à refuser toute modification de cette même procédure budgétaire. Puis le président a interrogé les directeurs accompagnant le ministre de l'intérieur sur les indicateurs de performance qu'ils envisageaient de mettre en place.

M. Pierre-René Lemas, directeur général de l'administration, a indiqué que les services du ministère de l'intérieur avaient déjà réfléchi à la création d'indicateurs de performance. Une réflexion avait d'abord été engagée sur la notion d'effectifs de référence par préfecture puis, il y a deux ans, avec le programme ARCADE, la réflexion s'est orientée vers la répartition optimale entre les effectifs des préfectures et les missions qui leur sont attribuées. Il a ajouté que dans la mesure où une enveloppe globale de crédits incluant les rémunérations, les moyens de fonctionnement et les moyens d'investissement était déléguée en début d'année aux gestionnaires locaux, il était indispensable de disposer d'indicateurs précis. Il a cité le programme INDIGO comprenant plus de 40 indicateurs essentiellement qualitatifs, et le programme BALISE combinant des indicateurs quantitatifs et qualitatifs. S'agissant de l'administration centrale, il a déclaré qu'un groupe de travail s'était mis en place pour étendre la notion d'indicateurs de performance, mais qu'il en était au tout début de sa réflexion.

M. Claude d'Harcourt, directeur de la programmation, des affaires financières et immobilières, a confirmé qu'il existait un lien très fort entre la fongibilité des crédits budgétaires et la création d'indicateurs de résultats. Il a pris l'exemple de l'agrégat « police » présenté avec les crédits du ministère de l'intérieur dans la loi de finances pour 2001, dont la décomposition reflétait le travail de chaque direction, et non pas ses résultats. Or, il a rappelé que le ministère souhaitait mettre en place des indicateurs par objectif, notamment pour la police de proximité, c'est-à-dire non pas des indicateurs de moyens, mais des indicateurs de performance.

Proposition de loi organique relatives aux lois de finances - Audition de M. Henri Guillaume, inspecteur général des finances

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Henri Guillaume, inspecteur général des finances.

M. Henri Guillaume
a tout d'abord rappelé qu'il était l'auteur, pour le compte de l'inspection générale des finances, d'une étude comparative menée sur huit pays étrangers et relative aux systèmes de gestion de la performance et à leur articulation avec les procédures budgétaires. Il a estimé qu'un tel système de gestion devrait permettre tout à la fois d'expliciter les objectifs de chaque organisation administrative, de définir des normes de performance et des indicateurs de résultat, d'accorder des souplesses aux gestionnaires en contrepartie d'engagements de résultats et de mettre en place des procédures renouvelées d'audit et de contrôle a posteriori.

M. Alain Lambert, président, a souhaité connaître les conditions requises pour la mise en place de tels systèmes de gestion de la performance dans les organismes publics, ainsi que les difficultés pratiques qui pouvaient apparaître dans la définition des programmes.

M. Henri Guillaume a souligné que les systèmes qu'il avait étudiés s'étaient toujours appuyés sur des expériences de réforme de l'Etat engagées de longue date. Il a distingué quatre autres éléments communs à ces expériences étrangères :

- en premier lieu, un assainissement des finances publiques, parfois brutal, s'appuyant sur des démarches d'examen systématique des programmes et des politiques ;

- en deuxième lieu, une rénovation des procédures budgétaires, avec la définition d'enveloppes globales, dites « descendantes », sous la responsabilité des ministres ; en contrepartie de cette souplesse de gestion, un contrôle global de la dépense publique a été instauré. La proposition de loi organique va d'ailleurs dans le sens de cette globalisation souhaitable des crédits ;

- en troisième lieu, une très forte décentralisation des décisions de gestion des ressources humaines ;

- en dernier lieu, un développement important de l'information comptable, notamment analytique et patrimoniale.

Il a ensuite distingué les trois principales étapes de la mise en place des systèmes de gestion de la performance :

- tout d'abord, une planification stratégique, sur une échelle de trois à cinq ans, pour définir les objectifs retenus, cette planification étant un « exercice politique » dont la responsabilité revenait à l'exécutif ;

- ensuite, une identification de centres de responsabilité claire avec une séparation entre la fonction de définition et d'évaluation des politiques qui revenait à l'administration centrale et la fonction de gestion, décentralisée au sein de services autonomes ;

- enfin, des engagements sur les performances en échange de souplesses de gestion.

Il a rappelé que seuls quatre pays avaient engagé, parallèlement à ces réformes, une révision de leurs nomenclatures budgétaires (notamment au Royaume-Uni et aux Pays-Bas) et que dans ces pays, un exercice comptable « à blanc » avait toujours été prévu avant l'introduction de la nouvelle nomenclature non réalisée d'ailleurs à ce jour.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a tout d'abord rappelé que la réforme de l'ordonnance organique était plus qu'une simple réforme de procédure budgétaire. Il a souhaité savoir si, dans un contexte où l'on se dirigerait vers une connaissance pluriannuelle des dépenses et des ressources de l'Etat, les notions mêmes de performance ne devaient pas, elles aussi, évoluer.

M. Henri Guillaume a rappelé qu'il fallait distinguer la mesure de l'efficacité des politiques publiques et celle de l'efficience des organismes qui concourent à ces politiques. Il a en particulier souligné le fait qu'un pays pouvait être doté d'organismes bien gérés d'un point de vue micro-économique, alors qu'au plan macro-économique, les politiques mises en place étaient inefficientes. Il a insisté pour que la mise en place de systèmes de gestion de la performance se fasse progressivement et de façon pragmatique.

M. Jean-Philippe Lachenaud, en sa qualité de rapporteur spécial des crédits de l'enseignement supérieur, a souhaité savoir comment transposer en France les expériences étrangères, notamment finlandaise, de décentralisation dans l'enseignement supérieur, alors qu'en France moins de 10 % de l'enveloppe budgétaire sont aujourd'hui décentralisés au niveau des établissements. Il s'est également déclaré favorable à des programmes limités, définis de façon pragmatique dans les seuls secteurs où ils auraient un sens.

En réponse à M. Jean-Philippe Lachenaud, M. Henri Guillaume a reconnu qu'un président d'université, en règle générale, ne connaissait pas la masse salariale de son université et ne disposait ni de comptabilité analytique, ni de bilan patrimonial de son établissement. Il a donc estimé que des progrès sur ces trois points devaient constituer l'amélioration minimale attendue dans de tels établissements. Sur la notion de programme, il a affirmé qu'il fallait agir de façon pragmatique et ne mettre en place des programmes que dans les secteurs où les conditions de leur réussite étaient réunies. Il a également rappelé que tous les pays étudiés avaient prévus des expérimentations. Aux Etats-Unis en particulier, la loi a prévu un calendrier de mise en oeuvre de la réforme. Il a enfin réaffirmé la nécessité d'un réexamen périodique des programmes.

M. Yves Fréville a interrogé M. Henri Guillaume sur les modalités de la définition des objectifs à moyen terme et leur articulation avec la procédure budgétaire devant le Parlement. Il a également souhaité connaître le sentiment de l'intervenant sur la fongibilité asymétrique des crédits prévue dans la proposition de loi organique de M. Didier Migaud.

M. Henri Guillaume a indiqué que la définition des objectifs à moyen terme relevait du ministre gestionnaire qui prenait un engagement politique, formalisé dans un document public. Il a rappelé à cette occasion toute l'ambiguïté de la notion de programme, à la fois instrument de gestion publique et instrument du contrôle parlementaire. Il s'est déclaré favorable à une fongibilité des dépenses de fonctionnement, qu'il a retrouvée dans tous les pays étudiés, et a jugé raisonnable la règle de fongibilité asymétrique de l'actuelle proposition de loi organique. Il a ajouté qu'à ses yeux la masse salariale constituait un meilleur indicateur que le volume d'emplois, dont les rapports de la Cour des comptes montraient régulièrement le peu de réalisme.

M. Yann Gaillard a souhaité savoir quel était le cheminement idéal de telles réformes. En particulier, il s'est demandé si la réforme de l'Etat était un préalable indispensable à la réforme de la procédure budgétaire.

M. Henri Guillaume a estimé que, dans le contexte national, la réforme de la procédure budgétaire était une condition nécessaire de la modernisation de la gestion publique et le point de départ d'une réforme de l'Etat plus vaste.

M. Alain Lambert, président, a souhaité connaître le sentiment de M. Henri Guillaume sur les notions de mission et de programme. Il a également demandé quel pouvait être le rôle du Parlement dans la définition ou le contrôle des objectifs et enfin de quelles sources d'information le Parlement pouvait disposer pour nourrir son contrôle.

M. Henri Guillaume a estimé que le développement de l'interministérialité cachait parfois un refus de définir de façon claire les responsabilités. Il a souhaité que les futurs programmes ne soient pas la simple transposition de tous les agrégats. Le dispositif envisagé par la proposition de loi organique lui paraît suffisant pour traiter le cas des programmes interministériels. Puis il a rappelé les trois raisons qui avaient conduit les pays étudiés à s'engager dans des réformes de modernisation de la gestion publique : la contrainte budgétaire, le souci d'une utilisation plus efficace de l'argent public et, surtout, l'impératif de transparence de l'action administrative. Le Parlement est, selon lui, un lieu privilégié du débat sur l'efficacité de l'action administrative, grâce notamment à la transmission des rapports d'activité, mais avec le risque dans certains pays d'être mal informé, car surinformé. Il a ajouté que cette réforme devait constituer une occasion de transformer, d'une part le contrôle interne administratif (passage à un contrôle a posteriori, développement des audits comptables et des audits de la performance, renforcement des corps de contrôle des ministères) et, d'autre part, le contrôle externe, celui de la Cour des comptes, mais aussi celui du Parlement, qui y trouvera l'occasion d'étoffer ses structures de contrôle. Il a conclu en rappelant l'importance de l'attention portée à la certification des systèmes d'information pour assurer une information claire et incontestée.

Proposition de loi organique relative aux lois de finances - Audition de Mme Sophie Mahieux, directeur du budget

Enfin, la commission a procédé à l'audition de Mme Sophie Mahieux, directeur du budget.

Répondant à M. Alain Lambert, président, qui l'interrogeait sur le sentiment de la direction du budget à l'égard du texte adopté par l'Assemblée nationale, Mme Sophie Mahieux, directrice du budget, a tout d'abord fait observer que le Gouvernement n'avait proposé aucun amendement sur la proposition de loi relative à la réforme de l'ordonnance organique discutée à l'Assemblée nationale, témoignant ainsi de son accord avec les principes contenus dans ce texte.

Elle a ajouté que ladite réforme confirmait les orientations déjà prises par le Gouvernement en matière de gestion des finances publiques.

Mme Sophie Mahieux a alors décrit les grandes lignes de cette proposition de loi, qui vise à optimiser la gestion publique par la globalisation des crédits et à instaurer des objectifs de performances dans le cadre de chaque action publique.

Elle a ensuite décrit les points techniques sur lesquels il était souhaitable d'améliorer encore le texte adopté à l'Assemblée nationale. Ceux-ci concernent pour l'essentiel les points suivants : la définition des programmes doit conduire à ce que les crédits ouverts en loi de finances sur un programme puissent être affectés à un service responsable de leur gestion ; il serait par ailleurs souhaitable de prévoir la possibilité d'une fongibilité variable, en fonction des progrès effectués par les services gestionnaires en matière de mesure et de pilotage de la performance ; par ailleurs les motifs d'annulation des crédits et le délai de révision des taxes parafiscales pourraient être revus.

Par ailleurs, Mme Sophie Mahieux a indiqué que le nombre d'agrégats existant actuellement pourrait, « grosso modo », correspondre au nombre de programmes résultant de la nouvelle loi organique. Elle a également déclaré que les futurs programmes devraient refléter la réalité de la gestion administrative afin de pouvoir identifier les responsables des différentes actions publiques.

Concernant le rôle futur de la direction du budget, elle a considéré que celui-ci serait particulièrement significatif sur les domaines suivants : détermination des conditions de soutenabilité de la politique budgétaire ; accompagnement méthodologique des ministères, en particulier pour la formalisation de la démarche de performance ; approche au premier franc pour le calibrage concernant des dotations budgétaires, plus efficace et transparent que la présentation du budget, à partir des crédits votés l'année précédente.

Interrogée sur la compatibilité de l'existence des comptes spéciaux du Trésor et des budgets annexes avec la règle de l'universalité budgétaire, Mme Sophie Mahieux a estimé que le problème était probablement plus d'opportunité que juridique : le principe d'affectation d'une recette à une dépense réduit le pouvoir d'arbitrage du politique pour ce qui est de l'allocation des ressources entre les différentes dépenses relevant du budget. De plus, le financement d'actions similaires, à la fois par le budget général et le produit de recettes particulières, ce qui est parfois le cas, n'a pas de justification. Elle en a pris pour exemple le budget de la jeunesse et des sports et le fonds national pour le développement du sport (FNDS).

Un large débat s'est alors instauré.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a insisté sur la nécessité de moderniser les méthodes comptables de l'Etat et d'instaurer une comptabilité patrimoniale. Il a rappelé les propos tenus par M. Jacques Bonnet, président honoraire de la première chambre de la Cour des comptes, qui avait dénoncé les insuffisances de la comptabilité de caisse. Par ailleurs, il a critiqué le manque de transparence sur la situation de la dette de l'Etat, dont seuls les intérêts, et non le capital, figurent dans le budget. Il a ensuite rappelé les importantes erreurs de prévision qui avaient accompagné la préparation du budget pour 2000 et a insisté sur la nécessité d'instaurer un principe de permanences des méthodes comptables de l'Etat.

Il a souhaité connaître les objections qu'oppose la direction du budget à la distinction, au sein du budget de l'Etat, d'un budget de fonctionnement et d'un budget d'investissement.

Enfin, il a plaidé pour une meilleure coordination des prévisions en matière budgétaire et en matière sociale et s'est déclaré favorable à une présentation globale et consolidée des prélèvements obligatoires.

M. Jean-Philippe Lachenaud a également regretté le manque de transparence des informations relatives à la dette publique et aux prélèvements obligatoires. Il a souhaité des informations complémentaires sur les programmes prévus par la proposition de loi.

M. Alain Lambert, président, a fait observer qu'à ses yeux, la réforme de l'ordonnance organique ne devait pas viser à limiter le pouvoir de l'exécutif, mais à permettre au Parlement de disposer d'informations claires et exhaustives sur les finances publiques.

M. Yves Fréville a rappelé que, depuis 1959, les finances publiques avaient connu une profonde évolution en raison de deux phénomènes, d'une part la modification de la répartition des ressources entre l'Etat, les collectivités territoriales, la sécurité sociale et l'Union européenne, et d'autre part, l'importance des obligations liées à la construction européenne. Il s'est demandé si la présentation de l'article d'équilibre ne devrait pas mieux correspondre au concept de besoin net de financement de l'Etat.

En réponse, Mme Sophie Mahieux a déclaré que la réforme comptable de l'Etat figurait parmi les objectifs du Gouvernement. Elle a cependant ajouté que l'évolution vers une comptabilité d'exercice afin de connaître le coût des actions publiques engagées n'était pas incompatible avec le maintien d'une budgétisation en engagement et en caisse, et donc de la production d'un résultat budgétaire, « en caisse ». A cet égard, elle a constaté que la majorité des grands pays avaient gardé un budget en caisse qui présente une plus grande lisibilité pour le Parlement sur la nature de l'autorisation qu'il donne au Gouvernement.

En ce qui concerne les informations fournies au Parlement sur la dette et son évolution, Mme Sophie Mahieux a estimé qu'il fallait distinguer les choix de politique économique, c'est-à-dire la soutenabilité de la politique budgétaire, et la qualité de l'information fournie au Parlement. Elle a ajouté, sur le premier point, que le débat d'orientation budgétaire ou encore la présentation du programme pluriannuel des finances publiques apportaient des éléments d'information importants quant à la l'évolution future de l'endettement. Quant à la qualité de l'information fournie au Parlement, le texte de l'Assemblée Nationale apporte des éléments nouveaux, sans instituer un plafonnement de la dette qui pourrait, dans certaines modalités, aboutir à un blocage de la gestion.

S'agissant de la permanence des méthodes comptables, Mme Sophie Mahieux a rappelé que la charte de budgétisation présentée par le Gouvernement prévoyait déjà la présentation de l'évolution des lois de finances à structure constante. Concernant la comptabilité d'exercice, il est nécessaire de définir des normes comptables, ce qui n'est pas évident s'agissant d'Etats souverains qui posent des problèmes particuliers (s'agissant par exemple des impôts). Ce travail est engagé. Il permettra d'évaluer la permanence des méthodes comptables, grâce à la certification des comptes, pour laquelle la direction du budget n'a pas d'objection à ce qu'elle soit effectuée par la Cour des Comptes. Elle a ajouté que, dans la plupart des pays étrangers, la certification des comptes portait d'abord sur les comptes de chaque ministère puis sur le compte général de l'Etat.

En ce qui concerne la présentation budgétaire, elle a rappelé que la loi organique portait sur les procédures budgétaires et qu'il ne serait donc pas opportun d'y inclure des dispositions relevant des choix stratégiques de politique économique des gouvernements. A cet égard, elle a fait état de l'engagement de la France de respecter le pacte de stabilité et de croissance et de l'objectif qu'il fixait, à moyen terme, de parvenir à un équilibre de son budget. Elle a considéré que la loi organique ne devait pas contenir de normes pouvant amener un gouvernement à mener une politique budgétaire « procyclique » ce qui risquerait d'être le cas avec la « règle d'or » prévoyant un équilibre de la section de fonctionnement. Elle a rappelé que, au contraire, le Gouvernement souhaitait laisser jouer, s'agissant des recettes, les stabilisateurs automatiques tout en respectant une norme intangible de progression des dépenses.

Par ailleurs, la distinction entre section d'investissement et section de fonctionnement, serait difficile à concilier avec le principe de la globalisation des dépenses et la fongibilité asymétrique des crédits des programmes. A ce titre, elle a souligné qu'une sanctuarisation des dépenses d'investissement serait incompatible avec une globalisation, rappelant par ailleurs que, s'agissant de l'Etat, la notion économique d'investissement ne pouvait pas être identifiée aux actuels titre V et VI du budget.

En ce qui concerne les prélèvements obligatoires, elle a affirmé que leur présentation devait permettre de récapituler l'ensemble des ressources affectées à l'Etat et de connaître l'évolution de leur poids dans le produit intérieur brut. Elle n'est pas opposé à ce que, à titre d'information, l'ensemble des prélèvements obligatoires soit présenté à l'occasion de la loi de finances, quelle que soit leur affectation, ce que prévoit aujourd'hui la proposition de loi organique. En revanche, un monopole de la loi de finances sur les mesures fiscales me paraît juridiquement possible.

Mme Sophie Mahieux ayant également rappelé que la comptabilité nationale était destinée à résoudre les difficultés de comparaison des comptes publics de chaque Etat membre de l'Union européenne d'une part, et à décrire et consolider les flux entre agents économiques, elle a considéré que l'utilité de convertir l'article d'équilibre de la loi de finances dans les termes de la comptabilité nationale lui semblait peu évidente compte tenu de sa nature, non strictement comptable.

Enfin, Mme Sophie Mahieux a jugé que le texte issu de l'Assemblée nationale traitait de manière satisfaisante les concours versés à l'Union européenne et a pris acte de l'avis du Conseil d'Etat selon lequel le mécanisme du prélèvement sur recettes ne pouvait pas être retenu pour définir de façon générale les relations financières entre l'Etat d'une part, et les collectivités locales et l'Union européenne d'autre part.

MERCREDI 9 MAI 2001

- Présidence de M. Alain Lambert, président.

Proposition de loi organique relative aux lois de finances - Audition de M. Yves Cannac, président de l'Observatoire de la dépense publique de l'institut de l'entreprise

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a, dans le cadre des travaux sur la réforme de l'ordonnance organique de 1959, procédé tout d'abord à l'audition de M. Yves Cannac, président de l'Observatoire de la dépense publique de l'Institut de l'entreprise.

M. Alain Lambert, président,
a demandé à M. Yves Cannac s'il lui semblait souhaitable que soit communiqué au parlement, à l'occasion du débat budgétaire, un recensement exhaustif des impôts et taxes de l'Etat. Il l'a également interrogé sur la manière d'éviter que la pluriannualité des crédits ne conduise, de la part des administrations, à la constitution de réserves de crédits reportés d'année en année.

En réponse, M. Yves Cannac s'est déclaré favorable à ce que les impôts et taxes soient répertoriés de manière exhaustive. Il a également proposé que le projet de loi de finances soit obligatoirement accompagné d'une note de la Cour des comptes attestant qu'il rassemble bien toutes les recettes et dépenses de l'Etat.

Il a par ailleurs estimé que le principe d'universalité devrait aussi s'appliquer aux excédents de recettes. Il a ainsi indiqué qu'aux Pays-Bas, le Gouvernement avait l'obligation de préciser dans la loi de finances quelle serait l'utilisation d'un éventuel excédent de recettes et également comment il serait fait face, le cas échéant, à une insuffisance de recettes. De telles dispositions devraient être introduites dans la loi organique.

En ce qui concerne la pluriannualité des crédits, M. Yves Cannac a considéré que si une pluriannualité des crédits d'investissement lui semblait indispensable, une pluriannualité des crédits pour dépenses courantes risquait d'inciter les administrations à se constituer des réserves, ce qui selon lui n'était pas souhaitable. Il a donc proposé de conserver le système actuel. Il a considéré que l'incitation actuelle des administrations à consommer tous leurs crédits à des fins de tactique budgétaire disparaîtrait si une véritable logique d'objectifs était mise en place et si, par suite, les responsables d'administration se savaient désormais jugés sur leur efficience.

M. Yves Cannac a également envisagé une réforme de la programmation pluriannuelle des finances publiques.

Il a suggéré que la programmation globale des finances publiques repose sur une meilleure coordination avec les collectivités locales (grâce à une conférence annuelle, comme cela est le cas en Allemagne, où le Bund et les Länder conviennent annuellement de leurs responsabilités respectives en cas de dépassement des déficits autorisés entraînant une amende de la Commission).

M. Yves Cannac a également suggéré que soit instaurée une loi de programmation pluriannuelle, relative au seul Etat, qui serait un nouveau type de loi de finances, et que, dans le cas où au moins la dernière année de la programmation ne serait pas à l'équilibre, le Gouvernement ait l'obligation de s'en expliquer.

La loi de programme de l'année s'imposerait à la loi de programme et à la loi de finances de l'année suivante, sauf révision explicite faisant l'objet d'un vote.

Mme Marie-Claude Beaudeau a souligné que les autorisations de dépenses accordées par le Parlement n'étaient souvent pas mises en oeuvre, du fait de « gels » de crédits, découlant notamment des engagements de la France dans le cadre de l'Union européenne.

En réponse, M. Yves Cannac a estimé que l'exécution de la loi de finances était, par nature, soumise à des aléas, et qu'il était important que ce document précise les conséquences qui seraient tirées, en ce qui concerne les dépenses et le solde, d'une évolution des recettes différente des prévisions.

M. Yves Fréville a envisagé qu'un article de la loi de finances indique l'affectation de certains impôts et taxes. M. Yves Cannac s'est déclaré favorable à cette disposition.

M. Alain Lambert, président, a demandé à M. Yves Cannac comment le passage d'une logique de moyens à une logique de résultats pourrait, selon lui, être réalisé.

En réponse, M. Yves Cannac a insisté sur trois points.

Tout d'abord, il a estimé nécessaire de distinguer les objectifs d'impact (comme une réduction du taux de chômage) et les objectifs de performance opérationnelle (comme un développement de certains dispositifs d'aide à l'emploi). Il a considéré que si les seconds pouvaient être fixés à des services, les premiers - de nature politique - ne pouvaient l'être qu'au Gouvernement ou à des ministres. C'est la responsabilité de ces derniers de choisir de tels objectifs et de les traduire en objectifs opérationnels assignés à leurs services.

Par suite, le budget ne devrait pas reposer sur un découpage par programmes, (définis eux-mêmes par leurs objectifs, mais non expressément rattachés à un responsable opérationnel), mais sur un découpage par centres de coût et de responsabilité. C'est à ces derniers que le budget devrait assigner des objectifs opérationnels précis et allouer des moyens et des crédits en emplois. C'est à ses yeux la condition pour que la logique de responsabilité et de résultats se substitue réellement à la logique de moyens. Il a précisé qu'un tel système était au coeur des réformes introduites dans la plupart des pays comparables aux nôtres, sous forme d'« agences ».

Enfin, il a estimé que le passage à une logique d'objectifs impliquait en même temps que la responsabilisation des « patrons » administratifs sur des résultats, une autonomie accrue de ces derniers dans l'emploi de leurs moyens ("top down budgeting", ou budgétisation descendante). Par suite, le contrôle bureaucratique du ministère des Finances sur les administrations dépensières justifié dans une logique de moyens, devrait, dans une logique de résultats, être fortement réduit. De son côté, le Parlement lui-même devrait concentrer son contrôle sur l'atteinte des résultats et sur l'efficience des administrations, et non sur le détail des moyens. La proposition de loi organique devrait être modifiée en ce sens.

M. Alain Lambert, président, a considéré qu'en effet, à vouloir être trop actif en amont sur le détail des moyens, le Parlement risquait de se priver de sa légitimité pour juger de la performance des administrations.

M. Paul Loridant s'est interrogé sur la compatibilité entre fongibilité des crédits et démocratie. M. Yves Fréville s'est, quant à lui, demandé quelle devait être la forme du contrôle des résultats réalisé par le Parlement.

En réponse, M. Yves Cannac a estimé que les Français souhaitaient que leurs impôts soient efficacement utilisés ("value for money"), mais jugeaient que c'étaient aux pouvoirs publics de déterminer les moyens à mettre en oeuvre.

En ce qui concerne les modalités du contrôle des résultats, il a considéré que l'information financière et non financière mise à la disposition du Parlement devait être fortement améliorée, ce qui impliquerait selon lui une réforme du système comptable (avec l'instauration d'un véritable compte de bilan de l'Etat) en même temps que du mode de collecte et de traitement de l'information. Il a considéré, d'une part, que les comptes publics devaient être certifiés par la Cour des comptes, et, d'autre part, que l'institution compétente en dernier ressort pour l'évaluation des performances et des résultats devait être le Parlement lui-même. Il a suggéré qu'à cette fin l'office parlementaire d'évaluation soit complètement réformé. Il lui reviendrait de valider les choix techniques faits par les administrations pour définir et mesurer leurs objectifs et leurs résultats et d'éclairer sur ce sujet les décisions du Parlement.

Enfin, M. Yves Cannac a souligné que si le Parlement entendait donner toute sa portée à sa responsabilité de contrôle budgétaire, cela nécessiterait que de nombreux parlementaires s'y consacrent à plein temps, comme dans beaucoup d'autres démocraties, et renoncent donc au cumul des mandats.

Proposition de loi organique relative aux lois de finances - Audition de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat

Le président Alain Lambert a rappelé que, en tant que ministre de la réforme de l'Etat, mais également en tant que ministre chargé de la fonction publique, M. Michel Sapin était largement impliqué dans la réforme de la loi organique relative aux lois de finances.

Il a souhaité que le ministre indique à la commission le rôle de son ministère dans la préparation et la mise en oeuvre de cette réforme.

M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a souligné que la réforme de la loi organique comportait deux aspects inséparables : l'évolution du débat et du droit d'amendement parlementaire et la réforme de la manière de dépenser l'argent dans l'administration. Il a rappelé que la nouvelle loi organique relative aux lois de finances n'aurait de plein et total effet que dans quatre ou cinq années, et serait appelée à être appliquée longtemps. Par conséquent, il a considéré qu'elle devait poser des principes forts et pérennes, mais laisser une grande capacité d'adaptation à l'Etat. Il a insisté sur le fait que le texte rendra plus responsables les ministres, mais également les fonctionnaires, jusqu'à un niveau très proche du terrain.

M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a rappelé que la réforme devait permettre une plus grande liberté de gestion des crédits, mais également d'introduire davantage de pluriannualité et de ne pas exclure une extension de l'interministérialité. Il a considéré que cette réforme incitait les administrations à effectuer une véritable révolution culturelle et constituait l'une des réformes les plus importantes qui puisse être techniquement et politiquement adoptée aujourd'hui.

Il a souligné que les modalités de contrôle seront largement transformées par le nouveau texte : le contrôle sera principalement un contrôle de gestion, et les résultats des politiques publiques seront appréciés lors de l'examen de la loi de règlement, qui deviendra un moment fort de la vie politique.

M. Alain Lambert, président, a insisté sur la bonne entente régnant entre les deux assemblées dans la préparation de cette réforme. Il a souhaité connaître le sentiment du ministre de la réforme de l'Etat sur la pluriannualité, l'interministérialité, mais également l'adaptation des structures administratives induite par la réforme de la loi organique.

M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a considéré que la pluriannualité devait être développée, sans retirer au ministère de l'économie et des finances sa capacité à piloter l'exécution du budget. Il a estimé que la fixation d'un plafond de reports de crédits de la loi organique n'était pas souhaitable, et qu'il était préférable de confier la fixation de ce plafond, par programme, à la loi de finances.

Il a souligné l'importance de l'interministérialité, qui n'est pas explicitement prévue dans le texte adopté par l'Assemblée nationale. Il a cependant considéré que sa mise en oeuvre ne devait pas nuire à l'identification des responsabilités ministérielles.

S'agissant de la spécialisation des crédits par programme, il a insisté sur l'importance de fixer des objectifs et des indicateurs pertinents, et a indiqué que son ministère était largement impliqué dans la définition des programmes et des objectifs, et très attentif à la mise en oeuvre d'un contrôle de gestion dans les ministères.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Michel Charasse a souligné l'impact potentiellement considérable de la réforme de la loi organique sur la fonction publique. Il a insisté sur les rigidités de sa gestion et a estimé que celles-ci engendraient des turpitudes dénoncées récemment par un rapport de la Cour des comptes. Il a souhaité que l'Etat retrouve son autorité sur ses fonctionnaires et a exprimé des doutes quant à la possibilité de mieux gérer la fonction publique dans le cadre des dispositions du texte adopté par l'Assemblée nationale.

En réponse à M. Michel Charasse, M. Michel Sapin a indiqué que les rigidités dénoncées par lui découlaient en partie de principes de valeur constitutionnelle. Il a noté que le Parlement votait actuellement de manière très précise sur les variations des emplois des ministères, obligeant parfois ces derniers à contourner l'autorisation parlementaire. Il a ajouté que le vote de la masse salariale et du nombre de fonctionnaires serait accompagné d'une plus grande information sur l'emploi public, grâce à la création récente d'un Observatoire de la fonction publique, et a considéré que ces dispositions offraient une meilleure lisibilité de l'autorisation par le Parlement, tout en conférant une souplesse de gestion suffisante aux ministères.

M. Paul Loridant a demandé au ministre les conséquences pratiques de la mise en oeuvre de la nouvelle loi organique pour son propre ministère.

M. Alain Lambert, président, a souhaité connaître le sentiment du ministre sur la fongibilité asymétrique des crédits, ainsi que sur le plafond d'autorisation des emplois par ministère. Il lui a également demandé ce qu'il pensait de la création d'un programme spécifiquement consacré aux « mesures générales de rémunérations » prévu dans le texte adopté par l'Assemblée nationale.

En réponse à M. Alain Lambert, M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, a indiqué qu'il était favorable au caractère asymétrique de la fongibilité des crédits et à la fixation d'un plafond d'emploi, s'interrogeant sur le niveau auquel devait s'appliquer ce plafond, entre le programme et le ministère. Il a indiqué que le Gouvernement n'était pas en mesure de connaître l'évolution de la rémunération des fonctionnaires lors de l'élaboration du projet de loi de finances, mais a souhaité que l'Etat puisse conclure les négociations avec les syndicats avant que le Parlement n'examine la loi de finances, afin que ce dernier puisse se prononcer en connaissance de cause sur ce sujet.

En réponse à M. Paul Loridant, il a rappelé que son ministère avait des caractéristiques particulières et qu'il contribuait activement à la préparation de la mise en oeuvre de cette réforme, en collaboration avec le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, notamment pour améliorer le contrôle de la dépense, mais également pour mettre en place, au sein des ministères, un contrôle de gestion et une gestion prévisionnelle des emplois.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a souhaité connaître le sentiment du ministre sur l'hypothèse d'inscrire les dépenses de pension de l'Etat dans un compte particulier.

En réponse, M. Michel Sapin a rappelé que les documents distribués avec la loi de finances permettaient aujourd'hui de connaître les dépenses de pension de l'Etat et le taux de cotisation implicite des fonctionnaires. Il a indiqué que l'inscription des dépenses de pension dans un compte particulier posait une difficulté juridique, dès lors que ces dépenses n'étaient pas distinctes en droit des rémunérations d'activité des fonctionnaires, selon le statut de la fonction publique. Il a cependant estimé qu'un meilleur éclairage sur ces dépenses pouvait être étudié, afin d'améliorer la transparence et l'information du Parlement.

Proposition de loi organique relative aux lois de finances - Audition de Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget



Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.

En introduction, M. Alain Lambert, président, a posé deux questions à Mme la secrétaire d'Etat. Tout en relevant que la notion de programme se situait au coeur de la réforme de l'ordonnance organique de 1959, il a souhaité connaître la différence entre les futurs programmes et les agrégats budgétaires actuels, et le rôle qui serait dévolu au Parlement dans la définition de ces programmes. Puis il l'a interrogée sur les délais dans lesquels l'administration pourrait se conformer à la réforme budgétaire et sur la manière dont le Gouvernement associerait le Parlement à ce processus.

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a en préalable indiqué que la proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, avait deux mérites essentiels : d'une part, rééquilibrer les pouvoirs budgétaires en faveur du Parlement, et d'autre part, moderniser la gestion publique. Sur la forme, elle a estimé que le texte adopté par l'Assemblée nationale était suffisamment « ouvert » pour résister à l'épreuve du temps et, sur le fond, elle a déclaré partager les principales options prises par les députés, tout en jugeant que le texte de la proposition de loi pourrait sans doute encore être amélioré. Elle a précisé que le Gouvernement attachait beaucoup de prix à la réussite de la réforme en cours, même s'il n'en était pas à l'origine.

Concernant la notion de programme, la secrétaire d'Etat au budget a rappelé qu'il existait aujourd'hui près de 850 chapitres budgétaires et que le Parlement votait le projet de loi de finances par titres. Avec la réforme de l'ordonnance organique, les gestionnaires disposeront de moyens presque entièrement fongibles, et un seul gestionnaire sera responsable d'un programme, afin de ne pas diluer les responsabilités. Chaque programme comprendra trois séries d'éléments : des objectifs clairement définis, des indicateurs de résultats chiffrés sur lesquels s'engageront les ministres, enfin, une répartition indicative des crédits. Le ministère des finances ne définira pas de manière unilatérale les programmes budgétaires : une concertation se tiendra avec l'ensemble des ministères concernés, permettant une « remise à plat » des politiques publiques, dans le cadre plus large de la réforme de l'Etat.

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a ajouté que les agrégats insérés actuellement dans les « bleus » budgétaires ne préfiguraient pas forcément les nouveaux programmes. S'agissant du rôle du Parlement, elle s'est déclarée attachée à l'association des parlementaires à l'élaboration des nouveaux programmes, à l'exercice de leur droit de contrôle sur les crédits ainsi globalisés et à la garantie de leur droit d'amendement.

Concernant les délais de mise en oeuvre de la réforme - dont l'entrée en vigueur est prévue avec la loi de finances pour 2006 dans le texte voté par l'Assemblée nationale - elle a jugé qu'ils étaient incompressibles en raison de l'importance des changements à réaliser au sein des services ministériels. Outre l'élaboration d'un cahier des charges, le passage d'une gestion par chapitre à une gestion par programme exigera une modification de l'ensemble du système comptable informatisé des ministères. Les administrations devront en outre se doter d'une comptabilité analytique et de nouveaux instruments d'évaluation de la dépense publique. De plus, afin de se conformer au nouveau principe introduit dans la proposition de loi votée par l'Assemblée nationale, selon lequel l'Etat ne pourra être soumis à des règles comptables spécifiques qu'à raison de ses missions particulières, la secrétaire d'Etat au budget a expliqué qu'une mission serait créée, rattachée à la direction du budget et à la direction générale de la comptabilité publique pour élaborer des projets de normes comptables. Ces projets seront soumis au conseil national de la comptabilité publique.

Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a ensuite répondu aux questions de M. Philippe Marini, rapporteur général.

S'agissant de l'absence d'évaluation globale des prélèvements obligatoires dans le projet de loi de finances soumis au Parlement, elle a souligné que la réforme de l'ordonnance organique de 1959 devait tenir compte de l'existence de la loi organique relative au financement de la sécurité sociale. Elle a confirmé qu'il n'existait pas actuellement de bilan des prélèvements obligatoires dans le projet de loi de finances, mais elle a rappelé que le Gouvernement donnait au Parlement des éléments d'information sur ce sujet dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances. Elle a également mentionné l'article 38 de la proposition de loi votée par l'Assemblée nationale, qui prévoit en annexe du projet de loi de finances un document récapitulant les impositions de toute nature affectées à d'autres personnes morales que l'Etat.

Concernant le besoin de transparence en matière d'évolution et de gestion de la dette publique, elle a indiqué que l'article 31 de la proposition de loi organique soumise au Sénat prévoyait d'intégrer à l'article d'équilibre de la loi de finances un tableau regroupant l'ensemble des besoins et des moyens de financement de l'Etat pour l'année à venir. Elle a ajouté qu'en application de la réforme, la dette publique constituerait un programme, ce qui permettra au Parlement de débattre des grands choix en matière d'émissions d'emprunts et de gestion active de la dette, et d'être informé sur le coût de gestion de cette dette. Elle a rappelé qu'avait été créée une agence de la dette, qui allait entamer des travaux sur ce sujet.

S'agissant de la création d'une autorisation parlementaire de financement de l'Etat par l'emprunt, elle a déclaré que le Gouvernement n'était pas opposé à une réflexion sur ce sujet, non sans toutefois deux préoccupations : d'une part, que le plafond d'emprunt qui serait déterminé par la loi de finances ne place pas le Gouvernement dans l'incapacité brutale d'assurer le fonctionnement régulier des services publics par défaillance de sa trésorerie, comme cela peut arriver aux Etats-Unis, et d'autre part, que l'existence d'un plafond d'emprunt ne porte pas atteinte à une gestion optimale de la dette.

Concernant l'interdiction de recourir à l'emprunt pour financer les dépenses courantes de l'Etat, elle a estimé que ce principe pouvait être inscrit dans un texte fondamental, mais devait faire l'objet d'une discussion politique à l'occasion de chaque loi de finances.

Puis M. Michel Charasse a posé quatre questions à la secrétaire d'Etat.

En réponse, Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, a tout d'abord confirmé que les ministres seraient bien les seuls responsables des programmes budgétaires et elle a souhaité que la rédaction de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, si elle était floue sur ce point, soit précisée.

Puis, concernant l'impossibilité de définir des programmes interministériels sous l'autorité d'un seul ministre sans se mettre en contradiction avec les textes réglementaires de partage des pouvoirs ministériels, signés par le Président de la République, et modifier ainsi l'organisation des pouvoirs publics, elle a reconnu qu'il s'agissait d'une difficulté réelle.

S'agissant de l'articulation des dispositions de la future loi organique avec l'article 40 de la Constitution - M. Michel Charasse évoquant l'absence complète d'initiative parlementaire en matière de dépenses, interdisant au Parlement de créer de nouveaux programmes - elle a estimé que les choix faits par l'Assemblée nationale sur ce point avaient été mûrement réfléchis par la commission spéciale.

Enfin, concernant la nécessité de définir une règle relative à l'équilibre budgétaire, avec la possibilité pour le Gouvernement de s'en affranchir en cas de circonstances exceptionnelles, elle a réaffirmé que la vocation de la nouvelle loi organique n'était pas de trancher a priori des débats politiques, déjà organisés entre le Gouvernement et le Parlement, notamment à l'occasion du débat d'orientation budgétaire et de la présentation du programme pluriannuel sur les finances publiques, mais de poser des principes juridiques durables.

Proposition de loi organique relative aux lois de finances - Audition de M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes

Puis la commission a procédé à l'audition de M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes.

M. Alain Lambert, président,
a voulu connaître l'appréciation du Premier président de la Cour des comptes sur la proposition de loi organique relative aux lois de finances qui sera prochainement examinée au Sénat. Il a notamment souhaité savoir comment il envisageait la nouvelle mission que lui conférait ce texte concernant la certification des comptes de l'Etat. Puis il s'est interrogé sur les conséquences de la réforme de l'ordonnance organique de 1959 sur les relations entre le Parlement et la Cour des comptes, notamment à l'occasion de contrôles effectués par les rapporteurs spéciaux des commissions des finances du Parlement.

M. François Logerot a d'abord indiqué que les attentes du Sénat sur ce point étaient constitutionnellement légitimes et qu'il veillerait à ce que la Cour des comptes y réponde. Il a rappelé que la Constitution prévoit que la Cour des comptes assiste le Parlement pour le contrôle de l'exécution des lois de finances et de financement de la sécurité sociale et que, pour exercer cette mission constitutionnelle, la Cour jouit d'une position médiane lui permettant d'assurer son autonomie et d'être cohérente avec son statut de juridiction et la qualité de magistrat de ses membres. Il a insisté sur le fait que les cours des comptes étrangères ne se trouvaient pas toutes dans la même situation, certaines d'entre elles étant les auxiliaires directes du Parlement. Il a indiqué que la Cour se réjouissait de l'initiative parlementaire sur la réforme de l'ordonnance de 1959, d'autant plus que cette dernière avait été élaborée exclusivement par le pouvoir exécutif, sans intervention du législateur. Il a par ailleurs rappelé que la Cour des comptes, notamment dans ses rapports successifs sur l'exécution des lois de finances, avait mis en évidence les défauts de l'ordonnance de 1959 et avait appelé à sa réforme. Ainsi il a considéré que cette réforme ne pouvait pas ne pas avoir d'impact sur les missions de la Cour, mais qu'il lui faudrait maintenir la dualité de ses missions, juridictionnelle et non juridictionnelle, qui sont complémentaires. Enfin, il a indiqué que des questions comme celles de la séparation des ordonnateurs et des comptables ou de la responsabilité pécuniaire des comptables faisaient également l'objet de réflexions, mais qu'elles ne figureraient pas dans l'ordonnance réformée.

M. François Logerot a ensuite abordé la question de l'institution d'un budget fondé sur des missions et des programmes, les lois de finances n'étant plus présentées par moyens, mais par objectifs, avec une fongibilité des crédits et une globalisation des dotations budgétaires. Il a soulevé la question de savoir si l'orientation de la réforme faciliterait la gestion publique. Il a apporté une réponse nuancée, estimant que l'assouplissement de la gestion qui en découlerait nécessairement devait s'accompagner d'une responsabilisation croissante des gestionnaires administratifs, mais que certaines conditions préalables devaient être remplies, telles que la définition claire et la stabilité du périmètre des programmes ou encore l'établissement d'une batterie d'indicateurs d'activité, de résultats et d'impact. Or il a fait observer que de telles conditions n'étaient pas encore réunies. Il s'est ensuite interrogé sur les conséquences de la réforme de l'ordonnance organique s'agissant des contrôles des crédits publics. Il a estimé qu'il fallait tendre, sur ce point, vers une situation d'équilibre prenant en considération les contraintes pesant sur les gestionnaires, mais également les limites de l'activité des contrôleurs, les indicateurs de résultats choisis devant être pertinents pour pouvoir être correctement appréciés. A cet égard, il a indiqué que le prochain rapport de la Cour des comptes sur l'exécution des lois de finances pour 2000 commenterait les indicateurs d'activité élaborés par le Gouvernement et figurant depuis l'année dernière dans les comptes rendus de gestion budgétaires de six ministères. Il a rappelé que les autres cadres de référence s'imposant aux gestionnaires, tels que les règles de la fonction publique, la réglementation comptable ou encore les dispositions du code des marchés publics continueront de s'appliquer, et que, dès lors, la Cour veillerait à contrôler leur application.

Le Premier président de la Cour des comptes a insisté sur l'importance de la modernisation du système comptable de l'Etat. Il a rappelé que la France était en retard sur ce point, non seulement par rapport à de nombreux pays étrangers, mais également aux collectivités territoriales et aux établissements publics qui ont mis en place une comptabilité d'exercice, sans parler des entreprises privées. Il a fait part de l'inquiétude de la Cour sur le maintien de la distinction entre la comptabilité budgétaire, dite « de caisse », d'une part, et la comptabilité générale de l'Etat, qui retrace les charges et les produits, d'autre part, estimant que la première n'était qu'une partie de la seconde, et mettant également en évidence les problèmes liés au retraitement des données comptables. Il a toutefois considéré qu'il fallait conserver la comptabilité en encaissements/décaissements, ne serait-ce que parce qu'elle commande les besoins en trésorerie de l'Etat, notamment au niveau infra-annuel. Toutefois, la France ne saurait ignorer le travail effectué en matière de recommandations de normes comptables internationalement reconnues pour le secteur public.

M. François Logerot a rappelé que, pour l'instant, la Cour des comptes se limitait à produire la déclaration générale de conformité, qui est pourtant, selon lui, un « exercice vain », notamment depuis que les comptes des ministres, qui devaient être cohérents avec les comptes des comptables, n'existaient plus. La Cour a cependant constamment enrichi la déclaration générale de conformité par ses observations qui peuvent s'assimiler aux réserves d'un commissaire aux comptes, comme elle l'a fait en 1999 s'agissant des imputations de recettes fiscales. Il a expliqué qu'actuellement les comptes de l'Etat n'étaient pas certifiables, faute d'un référentiel constituant un ensemble de normes comptables préétablies par rapport auxquelles seraient appréciées l'exhaustivité et la sincérité des comptes. Il conviendra donc de redéfinir les normes comptables de l'Etat dès l'adoption de la loi organique. Par exemple au sein d'un comité ad hoc disposant d'une indépendance suffisante, une réforme du règlement général de la comptabilité publique de 1962 sera nécessaire. La certification des comptes de l'Etat sera alors seulement possible, mais cette mission inédite, pour la Cour des comptes, demandera beaucoup de moyens nouveaux, dont elle ne dispose pas pour l'instant. Il a du reste estimé que cette mission supplémentaire ne pourra être assumée de façon immédiate : un temps d'adaptation sera nécessaire, au cours duquel il serait possible de procéder à des certifications partielles, par exemple sur les recettes publiques, ce qui ne devrait pas susciter trop de difficultés, mais seulement plus tard sur le hors-bilan de l'Etat, ce qui constitue une opération beaucoup plus délicate, bien que le prochain rapport de la Cour sur l'exécution des lois de finances pour 2000 doive comporter de premiers éléments sur ce point. Il s'est par ailleurs interrogé sur les éventuelles conséquences, du refus par le Parlement, de voter les projets de loi de règlement sur la base de la certification des comptes par la Cour, assortie de réserves et d'observations.

M. François Logerot a ensuite analysé les propositions de la commission des finances du Sénat relatives à l'élargissement des tâches qui seraient confiées à la Cour des comptes par la nouvelle loi organique relative aux lois de finances. Il a estimé que cette dimension nouvelle paraissait déborder le rôle constitutionnel de la haute juridiction, et a rappelé que la Cour produisait déjà de nombreux rapports : le rapport sur l'exécution des lois de finances, précédé d'un rapport préliminaire, le rapport sur la sécurité sociale, le rapport public annuel avec ses monographies, les rapports publics particuliers, par exemple ceux portant sur la fonction publique de l'Etat ou sur le soutien de l'Etat au secteur public financier, sans compter la quarantaine de rapports particuliers sur les entreprises publiques, la communication aux commissions des finances du Parlement de l'ensemble des référés adressés aux ministres, au titre du nouvel article L. 135-5 du code des juridictions financières, les réponses aux questions que lui ont adressées les commissions des finances et des affaires sociales, ou encore la participation aux travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale. C'est ainsi plus du tiers des moyens de la Cour qui est dévolu en permanence à l'ensemble de ces tâches.

S'agissant de l'assistance technique que la Cour pourrait apporter aux rapporteurs spéciaux dans leurs contrôles sur pièces et sur place, sa nouvelle mission entrerait bien dans le champ de l'exécution des lois de finances, mais sortirait des procédures traditionnelles de la Cour. Il serait envisageable de procéder à des contrôles au cours desquels les services contrôlés seraient préalablement tenus informés de l'initiative des commissions des finances du Parlement, la Cour leur apportant son concours technique, mais n'utilisant pas ses procédures habituelles, en particulier le débat contradictoire.

Sur une suggestion du président Lambert d'imposer un délai de huit mois pour répondre à des demandes d'enquête, il s'est interrogé sur la pertinence de ce délai, estimant qu'il pouvait être trop court pour évaluer une politique publique, mais également qu'il risquerait de désorganiser le programme de travail établi par la Cour, étant bien entendu précisé que les demandes parlementaires seraient traitées en priorité. Il a également considéré qu'il fallait éviter les erreurs d'optique concernant le rôle du General Accounting Office (GAO) américain, ce dernier ne travaillant pas uniquement sur commande du Congrès, comme on le croit souvent.
M. François Logerot, commentant la proposition d'annexer systématiquement au projet de loi de finances une analyse de la Cour des comptes portant sur les annexes aux « bleus » budgétaires, a estimé qu'il ne pouvait s'agir de demander à la Cour son avis sur la sincérité des prévisions sur lesquelles est fondé ledit projet de loi, car elle ne dispose ni d'un corps d'experts économiques ni du pouvoir d'apprécier les sources de l'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ou de la direction de la prévision du ministère des finances. Il a ajouté qu'un tel procédé reviendrait à juxtaposer, à un avis politique résultant d'un arbitrage du Gouvernement, un avis technique de la Cour des comptes, qui pourrait être considéré comme un avis sur l'opportunité politique. Par ailleurs, il a insisté sur le problème des délais dont disposerait la Cour pour produire ces analyses, rappelant que le Conseil d'Etat ne disposait que de dix à quinze jours pour examiner un projet de loi, moins encore parfois. Il a alors suggéré que la Cour puisse donner des indications plus fournies concernant l'exécution du budget de l'année en cours.
M. Maurice Blin a observé que la frontière était délicate à établir entre la fonction juridictionnelle de la Cour des comptes et une appréciation politique, notamment lorsqu'il s'agissait de contrôler l'emploi des crédits publics. Il s'est interrogé sur les moyens dont dispose le Parlement pour contrôler la consommation des crédits, et, plus généralement, pour assumer sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement.
M. Michel Charasse a rappelé que l'ordonnance organique de 1959 avait placé la comptabilité publique dans le domaine réglementaire et que, selon lui, le décret de 1962 comporte ainsi des dispositions à l'évidence législatives, notamment en ce qui concerne le droit des personnes ou celui des fonctionnaires. Il a ainsi estimé que le Conseil constitutionnel pourrait censurer la reprise de ces dispositions par la proposition de loi organique. Il s'est interrogé sur les conséquences d'une éventuelle divergence d'appréciation entre la Cour des comptes et les conclusions d'un rapporteur spécial, s'agissant d'un même contrôle. Enfin, il a regretté que les rapports de contrôle qu'il établit en sa qualité de rapporteur spécial, et qu'il communique systématiquement à la Cour des comptes, ne fassent pas l'objet d'observations.
M. Yves Fréville s'est interrogé sur les problèmes statistiques qui ne manqueront pas de se poser au moment de l'élaboration des indicateurs de résultats.

En réponse, M. François Logerot a estimé que le renforcement des effectifs et des moyens de contrôle de la Cour des comptes s'imposera suite à l'adoption de la proposition de loi organique. Il a considéré qu'il n'était pas nécessairement pertinent pour le Parlement de se doter d'une nouvelle structure permanente de contrôle, et qu'il était peut-être préférable de bénéficier de l'appui d'experts en fonction de ses besoins de contrôle. Il s'est engagé à ce que la Cour donne suite aux rapports que les rapporteurs spéciaux des commissions des finances du Parlement adresseraient à la haute juridiction. Puis il a jugé que le programme des enquêtes statistiques des ministères devra être adapté aux indicateurs de résultats mis en place, l'appareil statistique de l'Etat devant être de toute façon développé.

JEUDI 10 MAI 2001

- Présidence de M. Alain Lambert, président.

Prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et allocation personnalisée d'autonomie - Examen du rapport pour avis

La commission a examiné le rapport pour avis de M. Michel Mercier, rapporteur pour avis, sur le projet de loi n° 279 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et allocation personnalisée d'autonomie.

M. Michel Mercier, rapporteur, a observé que le projet présenté par le Gouvernement conservait toutes les innovations introduites par la prestation spécifique dépendance (PSD) et notamment l'évaluation de l'état de la personne à partir d'une grille nationale, l'aide personnalisée tenant compte de l'état et des revenus de la personne, le caractère d'aide en nature et la mise en place d'un plan d'aide. Il a indiqué que le projet du Gouvernement organisait les dépenses des départements par la mise en place d'un barème national, mais s'abstenait de prévoir, pour ceux-ci, une ressource correspondante.

Il a précisé que la nouvelle allocation personnalisée d'autonomie (APA) ferait l'objet à la fois d'un financement départemental et d'un financement par l'intermédiaire d'un établissement public administratif, dont les ressources proviendraient des caisses de retraite pour 500 millions de francs, et de 0,1 % du produit de la contribution sociale généralisée (CSG), soit environ 5 milliards de francs. 

Il a identifié trois problèmes posés par le projet gouvernemental. En premier lieu, faisant référence à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il s'est interrogé sur la conformité à la Constitution de la mise en place d'une dépense obligatoire pour les départements dont la portée n'aurait pas clairement été précisée.

En deuxième lieu, il a constaté que les dépenses du « fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie » ne seraient retracées ni dans la loi de financement de la sécurité sociale, ni dans la loi de finances, et a regretté cette atteinte au principe d'universalité budgétaire.

En troisième lieu, il a contesté les modalités de financement du nouveau dispositif en observant que, si le coût total de l'APA en régime de croisière est estimé à 23 milliards de francs, les ressources du fonds de financement consacrées à cette allocation ne devraient pas dépasser, quant à elles, 5,5 milliards de francs. Il en a déduit que la différence, soit 17,5 milliards de francs, serait à la charge des départements. Il a constaté que ce montant représentait un triplement du montant actuellement consacré par les départements aux personnes éligibles à l'APA.

Il a précisé que, en 2002, l'APA coûterait 16,5 milliards de francs dont 11 à la charge des départements. Il a cependant évoqué les arguments du Gouvernement selon lesquels le coût net pour les départements en 2002 serait limité à 8,3 milliards de francs, en raison des économies réalisées à la suite de la réforme de la tarification des établissements d'hébergement et du rattrapage de certaines dépenses qui auraient dû intervenir dans le cadre de la PSD.

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis, a considéré qu'il fallait revoir ce dispositif afin de faire figurer au budget de l'Etat les dépenses en faveur de l'APA, préservant ainsi à la CSG sa vocation de financer les organismes de sécurité sociale et améliorant la sincérité du débat budgétaire. Il a également insisté sur la nécessité de rééquilibrer le financement de la nouvelle allocation et a annoncé qu'il présenterait des amendements établissant une neutralité du coût de l'APA pour les départements en 2002 et répartissant le financement des dépenses nouvelles à raison de 2/3 pour les départements et 1/3 pour l'Etat.

M. Claude Belot a estimé que, dans l'état actuel du projet de loi, son application se traduirait certainement par une augmentation de la pression fiscale locale et a appelé l'Etat, à l'origine de cette initiative, à assumer une part plus importante de son financement. Il a par ailleurs observé que les dispositions du texte contribuaient à transformer progressivement les départements en organismes distributeurs sous contrôle administratif. Se référant aux notions de morale publique et de solidarité nationale, il s'est déclaré surpris par la suppression, par l'Assemblée nationale, de toute possibilité de recours sur les successions.

Mme Marie-Claude Beaudeau a constaté que la finalité du projet de loi faisait l'objet d'un consensus, mais que son financement n'était pas assuré. Elle a regretté la mise en oeuvre de mesures sociales nouvelles qui ne soient pas financées par des moyens nouveaux, mais par le recours aux finances départementales et la baisse des recettes du fonds de solidarité vieillesse (FSV). Elle a déploré l'utilisation de plus en plus fréquente de la technique des fonds de financement, dont la pérennité ne lui semble pas assurée et qui sont de nature à remettre en cause la sécurité sociale. Elle a cité l'exemple du fonds consacré aux victimes de l'amiante que l'Etat n'a toujours pas abondé, alors qu'il s'y était engagé dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale. Elle a indiqué que son groupe ne partageait pas les propositions du rapporteur, considérant qu'il serait plus efficace de créer une cinquième branche à la sécurité sociale, consacrée à la prise en charge de la dépendance. Elle a précisé que cette branche devrait être alimentée par la taxation des revenus financiers, faute de quoi il serait inévitable d'augmenter les impôts ou de réduire d'autres services rendus à la population.

M. Philippe Adnot a considéré que le texte ne posait pas seulement des problèmes financiers, mais donnait le sentiment qu'il était possible de tout faire sans en assumer les conséquences financières, participant ainsi à la déresponsabilisation familiale et personnelle. Il a souligné que, pour financer le nouveau dispositif, il faudra trouver des ressources nouvelles et donc vraisemblablement, puisque le recours sur succession est supprimé, augmenter les impôts. Il n'a pas jugé souhaitable que la société accroisse ainsi ses charges de structure.

M. Jacques Pelletier a constaté que certaines personnes ne demandaient pas à bénéficier de certaines prestations sociales afin que leurs enfants ne soient pas pénalisés au moment de leur succession.

M. Michel Mercier, rapporteur, a contesté que l'existence du recours sur succession puisse être un frein au bénéfice de certaines prestations, car il existe, dans de nombreux cas, un seuil en deçà duquel le recours ne joue pas. Il a regretté les disparités dans la réglementation applicable aux différents dispositifs d'aide sociale. Il a évalué à 4 milliards de francs le montant total des recettes départementales liées aux recours sur succession, la quasi-totalité de ces sommes provenant de l'aide sociale à l'hébergement de l'allocation en faveur des handicapés. Il a ajouté que, s'agissant de la PSD, le montant des recettes provenant des recours sur succession serait de l'ordre de la centaine de millions de francs. Il a pronostiqué qu'une suppression du recours sur succession pour l'APA entraînerait la remise en cause future de la totalité des possibilités de recours. Il s'est étonné que la majorité gouvernementale se transforme en défenseur de l'héritage en préconisant cette suppression.

Il a considéré que la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale constituait une solution envisageable, mais que, dans cette hypothèse, il faudrait également mettre en place une cotisation sociale qui rapporte 23 milliards de francs. Il a ajouté que, la sécurité sociale n'étant pas en capacité de fournir des prestations en nature, le cinquième risque se traduirait alors par le versement de prestations en liquide.

M. Claude Belot a insisté sur le fait que l'existence du recours sur succession s'accompagnait de seuils protecteurs pour les personnes dont le patrimoine est de faible valeur.

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis, a souligné que la charge nouvelle pour les départements prévue par le projet de loi s'inscrivait dans un cadre plus large de création de dépenses nouvelles pour les départements. Il a évoqué à ce titre le futur projet de loi sur la démocratie locale, qui mettrait à la charge des départements 80 % des dépenses nouvelles des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS).

La commission a alors procédé à l'examen des amendements présentés par le rapporteur.

A l'article premier, M. Michel Mercier, rapporteur, a présenté un amendement tendant à compenser pour les départements les pertes de recettes liées à la suppression du recours sur les successions.

M. Philippe Adnot a jugé préférable de rétablir le principe d'un tel recours. Il a considéré que cet amendement revenait à accepter le principe de sa suppression.

M. Paul Loridant a demandé si l'augmentation des impôts liée à la compensation aux départements était compatible avec les positions de la commission en matière de baisse de la pression fiscale.

M. Roland du Luart a regretté la suppression du recours sur les successions pour les personnes aisées et a jugé préférable de faire appel à la solidarité familiale plutôt qu'au budget de l'Etat.

M. Michel Mercier, rapporteur pour avis, a indiqué que son amendement était un amendement de précaution dans l'hypothèse où le recours serait supprimé. Il a considéré qu'il revenait à la commission des affaires sociales, saisie au fond, de se prononcer sur la pertinence de cette suppression.

M. Paul Loridant s'est déclaré plutôt favorable au principe du recours, avec un seuil élevé, mais a souhaité entendre les arguments des partisans de la suppression avant de se prononcer définitivement.

Après une intervention de M. Alain Lambert, président, rappelant qu'il convenait que la commission ne se prononce que sur les aspects financiers du dispositif, la commission a adopté l'amendement présenté par le rapporteur pour avis, tout en précisant qu'il ne s'agissait pas de cautionner le principe de la suppression du recours sur succession.

Après l'article premier, le rapporteur pour avis a présenté un amendement tendant à organiser la participation de l'Etat au financement de l'APA en remplaçant le fonds de financement par un concours particulier créé au sein de la dotation globale de fonctionnement des départements, réparti pour 80 % en fonction de la part du département dans le total des dépenses au titre de l'APA, pour 10 % en fonction du potentiel fiscal et pour 10 % en fonction du nombre des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion. Le montant de ce concours particulier serait fixé à 8,2 milliards de francs en 2002, de manière à assurer la neutralité financière pour les départements lors du lancement de la nouvelle allocation, puis serait revalorisé chaque année du tiers de l'augmentation du coût de l'APA, laissant ainsi les 2/3 de cette augmentation à la charge des départements.

M. Philippe Adnot s'est déclaré en désaccord avec la mise à la charge des départements des 2/3 de l'augmentation du coût de l'APA entre l'année 2002 et le régime de croisière, soit les 2/3 de 6,5 milliards de francs.

M. Michel Mercier, rapporteur, a reconnu que le dispositif qu'il proposait maintenait une charge nouvelle importante pour les départements, mais que cette charge était atténuée par rapport au projet du Gouvernement. Il a donc proposé à la commission d'adopter un amendement partageant à parité le financement de l'APA entre les départements et l'Etat de manière à permettre à ce débat d'avoir lieu au cours de la séance publique.

Afin d'améliorer la clarté des propositions de la commission, il a proposé de présenter dans un amendement distinct les modalités de répartition du concours particulier aux départements.

La commission a alors adopté les trois amendements présentés par le rapporteur.

Nomination d'un rapporteur

Puis la commission a désigné M. Philippe Marini comme rapporteur du projet de loi n° 301 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier.