Travaux de la commission des finances



- Présidence de M. Alain Lambert, président.

Débat d'orientation budgétaire pour 2002 - Examen du rapport

La commission a tout d'abord procédé à l'examen du rapport de M. Philippe Marini, rapporteur général, sur le débat d'orientation budgétaire pour 2002.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a d'abord présenté les quatre éléments qui fondaient, selon lui, l'actuelle « désorientation budgétaire » du Gouvernement : la montée des aléas sur les prévisions de croissance, de réelles difficultés à tenir l'objectif de maîtrise des dépenses publiques, la fragilité des recettes fiscales, et la réduction compromise du déficit budgétaire pour 2002. Il a rappelé que l'hypothèse de croissance sur laquelle le Gouvernement avait bâti la loi de finances pour 2001 était comprise dans une fourchette de 3 à 3,6 %, qu'elle avait été révisée à la baisse au mois de mars à 2,7 %, et qu'elle le serait sans doute une nouvelle fois en juin ou juillet, à 2,4 %.

Ainsi le scénario économique du Gouvernement, qui suppose un redémarrage de la croissance, est loin d'être vérifié. La norme de progression des dépenses de l'Etat a été fixée à 0,5 % en volume pour 2002, ce qui ne paraît guère crédible au vu des dépenses engendrées par les dernières négociations salariales dans la fonction publique ainsi que du plan de consolidation des emplois-jeunes, qui « saturent » déjà cette norme de progression, dont la valeur est donc purement optique. Enfin, M. Philippe Marini a rappelé que le déficit public structurel ne devrait diminuer que de 0,2 point de produit intérieur brut (PIB) entre 1999 et 2002.

Le rapporteur général a rappelé que la période 1998-2000 avait été marquée par une forte croissance, mais qu'un ralentissement significatif de l'activité était perceptible depuis le dernier trimestre. Ainsi, en rythme annualisé, la croissance au premier trimestre 2001 ne s'établit qu'à 2 %, la conjoncture mondiale étant en partie à l'origine de cette situation. Il a considéré que ce ralentissement devenait préoccupant. D'une part, le ralentissement de l'économie américaine est plus brutal que prévu, et il est également net dans la zone euro. D'autre part, l'affaiblissement de la demande intérieure résulte non seulement de la faible croissance de l'investissement des entreprises au cours du premier trimestre de cette année, mais également des incertitudes relatives au niveau de la consommation des ménages.

En matière d'évolution des prélèvements obligatoires, M. Philippe Marini, rapporteur général, a estimé que les années 1997 à 1999 constituaient une parfaite illustration du « théorème de Dominique Strauss-Kahn », consistant en une baisse des impôts et une augmentation corrélative des prélèvements obligatoires. Il apparaît ainsi que le taux des prélèvements obligatoires, après les mesures nouvelles introduites par le Gouvernement, est supérieur au taux des prélèvements obligatoires spontané. L'objectif du Gouvernement pour les années 2000 à 2002 consiste à revenir au taux de prélèvements obligatoires constaté en 1997, ce qui semble difficile à réaliser en raison des nombreuses incertitudes pesant actuellement sur la croissance. Ainsi, le « plan Fabius » de baisse des impôts est dilué sur l'ensemble de la palette fiscale et poursuit une multitude d'objectifs concomitants, la réduction des inégalités sociales, le soutien de l'investissement, la promotion du pouvoir d'achat et l'emploi. Il a considéré qu'un tel « saupoudrage fiscal » ne pouvait être efficace. Il a ajouté que le « plan Fabius » poursuivait des ambitions modestes en termes de réduction du poids des recettes publiques dans le PIB par rapport à l'ensemble des autres pays de la zone euro, en particulier au regard du programme fiscal allemand, puisqu'il est très coûteux (120 milliards de francs), guère efficace et moins ambitieux que ce qui peut être observé dans les pays étrangers. Au cours des deux dernières années, les engagements du Gouvernement en la matière n'ont du reste pas été respectés. En 1999, les recettes fiscales ont ainsi progressé de 30 milliards de francs, par rapport à la prévision initiale, soit une hausse du taux des prélèvements obligatoires de 0,3 point, puis de 38 milliards de francs en 2000 (+ 0,4 point). Il est donc probable que le taux de prélèvements obligatoires affiché en 2001, soit 44,8 % du PIB, ne sera pas non plus respecté, a conclu le rapporteur général.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a ensuite présenté l'évolution des dépenses. Il a constaté, reprenant les travaux de la Cour des comptes, que les engagements du Gouvernement n'avaient été tenus, ni en 1998, ni en 1999. Pour 2000, la norme de progression des dépenses aurait été respectée, bien que la Cour des comptes ait formulé, dans son rapport préliminaire sur l'exécution des lois de finances pour 2000, d'importantes critiques et réserves d'ordre méthodologique. Il convient par ailleurs de noter que les programmes pluriannuels de finances publiques successifs fixent des objectifs de moins en moins ambitieux en matière de maîtrise des dépenses publiques. Ces derniers sont toujours largement supérieurs au niveau qu'ils ont atteint dans la quasi-totalité des pays de l'OCDE. Ainsi, l'Italie, qui avait un niveau de dépenses publiques supérieur à celui de la France au début des années 1990, présente désormais des résultats meilleurs que ceux de la France, tandis que plusieurs pays convergent vers une zone où les dépenses sont d'un niveau comparable, créant ainsi un espace de compétitivité. Le rapporteur général a souligné le caractère relativement inquiétant de l'évolution des dépenses publiques dans notre pays en raison, en particulier, de l'impact des dépenses de fonction publique, dont la progression, par rapport à l'ensemble du budget général, est de 1,8 point depuis 1997. Plus généralement, la progression annuelle du budget de l'Etat résulte quasi essentiellement de la hausse et de l'inertie des dépenses de fonction publique et de charge de la dette, si bien que le Gouvernement ne dispose plus de marge de manoeuvre budgétaire autre que le recours à des redéploiements de crédits.

Présentant ensuite l'évolution de la dette, M. Philippe Marini, rapporteur général, a rappelé que le besoin de financement de l'Etat - principal agrégat comptable retenu par le traité de Maastricht - avait progressé entre 1999 et 2000, alors que le déficit budgétaire diminuait sur la même période. Il a insisté sur le fait que la réduction des déficits publics résultait à hauteur des deux tiers de la bonne tenue de la conjoncture, le solde conjoncturel s'améliorant beaucoup plus substantiellement que le solde structurel. Il convient d'en déduire que cette amélioration est passagère et qu'elle ne résulte pas des efforts d'adaptation de l'Etat ou de réformes structurelles. Enfin, il a noté qu'en 2001, l'Etat demeurait la seule collectivité publique déficitaire.

Le rapporteur général a ensuite fait observer que le stock de la dette continuait d'augmenter, l'encours de la dette négociable de l'Etat s'étant accru de plus de 1.000 milliards de francs entre 1997 et 2001 : si cette dérive de l'endettement peut être constatée sous tous les gouvernements successifs, il est un fait que la bonne conjoncture observée depuis plusieurs années n'a, en rien, fait reculer le poids de la dette, a-t-il constaté. Il a expliqué que les 591,7 milliards de francs empruntés par l'Etat sur les marchés financiers en 2001 avaient été affectés de la façon suivante : 407 milliards de francs pour le remboursement des emprunts antérieurs, 170 milliards de francs pour le financement des investissements, et 13,8 milliards de francs pour le paiement des dépenses courantes. Rappelant que le Gouvernement avait indiqué vouloir réduire la dette grâce aux recettes exceptionnelles que constitue l'attribution de quatre licences Universal Mobile Telecommunications System (UMTS), soit 32,5 milliards de francs par an pour les années 2001 et 2002, dont le produit devait être affecté au fonds de réserve pour les retraites (FRR) mais aussi, à hauteur de 14 milliards de francs par an, à la caisse d'amortissement de la dette publique (CADEP), il a jugé extrêmement incertaines tant ces ressources, déjà amputées de 50 % en raison de l'attribution de deux licences sur quatre, que leur affectation. Enfin, il a noté que les déficits publics français restaient supérieurs à la moyenne de nos principaux partenaires.

M. Philippe Marini, rapporteur général, présentant ensuite la situation des collectivités territoriales, a noté que l'augmentation des concours de l'Etat aux dites collectivités entre 2000 et 2001 s'élevait à 33 milliards de francs, ainsi répartis : 80 % au titre de la compensation des exonérations fiscales, 15 % au titre des dotations de fonctionnement et d'équipement et 5 % au titre du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) et des amendes de police. Il en a déduit que les « cadeaux » fiscaux consentis aux contribuables par l'Etat avaient été, en fait, supportés par les collectivités territoriales.

S'agissant des administrations de sécurité sociale, il a relevé que la limitation des dépenses d'assurance maladie était restée un « voeu pieux », l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) ayant toujours été réalisé à un niveau supérieur aux prévisions. En fait, l'équilibre de la sécurité sociale est dû à un niveau de prélèvements sociaux toujours croissants, soit 21,4 % du PIB aujourd'hui, la contribution sociale généralisée (CSG) constituant le premier impôt payé par les Français.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a conclu en estimant qu'il existait de graves incertitudes sur l'exécution du budget 2001 et sur le cadrage du projet de loi de finances pour 2002. La charge de la dette, en raison de la remontée des taux d'intérêt, va probablement de nouveau augmenter après la réalisation d'économies de constatation au cours des années précédentes. Le programme de lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) devrait coûter, selon le Gouvernement, 8 milliards de francs en 2001, alors que seuls 2,2 milliards de francs sont aujourd'hui prévus, suite à l'intervention du décret d'avance du 21 mai dernier. La revalorisation des salaires dans la fonction publique va entraîner des dépenses, pour l'Etat, d'un montant total de 19,4 milliards de francs sur les années 2001 à 2003. Par ailleurs, outre le coût résultant de la pérennisation des emplois-jeunes, l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) va engendrer un coût annuel de 5,5 milliards de francs à partir de 2002. Ce sont donc des dépenses supplémentaires de l'ordre de 30 milliards de francs qui sont d'ores et déjà programmées pour 2002.

M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis des lois de financement de la sécurité sociale, a ensuite présenté la situation des finances sociales. Il a indiqué que, pour la deuxième année consécutive, les comptes de la sécurité sociale présentaient des résultats apparemment vertueux, mais que, comme l'année précédente, force était de constater que ces apparences étaient, pour une large part, factices. Un fragile excédent du régime général masquant des disparités croissantes entre branches et, une fois encore, l'impossible maîtrise des dépenses de santé ; un excédent « historique » des comptes des administrations de sécurité sociale n'en rendant que plus flagrante leur déconnexion avec l'évolution des comptes de l'Etat et risquant d'être « réquisitionné » pour assurer le financement des dépenses sociales décidées par le gouvernement : telle est la réalité des comptes sociaux aujourd'hui.

Puis il a présenté les résultats comptables du régime général de la sécurité sociale, rendus très tardivement publics par la commission des comptes de la sécurité sociale. Après son retour à l'équilibre comptable en 1999, le régime général de la sécurité sociale présente un solde excédentaire de 5,2 milliards de francs en 2000. Cette situation excédentaire explique notamment la capacité de financement dégagée cette année par les administrations de sécurité sociale qui s'élève à 54,6 milliards de francs. En outre, cette amélioration des comptes sociaux est, avant tout, le résultat de facteurs éminemment conjoncturels : le retour de la croissance couplé à l'amélioration du marché du travail.

Il a cependant souligné la diversité de la situation de chacune des branches :

- la branche maladie reste largement déficitaire avec, 6,1 milliards de francs en 2000, et une prévision de 3,6 milliards de francs en 2001. Les dépenses maladie du champ de l'ONDAM se sont élevées à 675,3 milliards de francs en 2000, soit une augmentation de 5,5 % par rapport à 1999. Le dépassement de l'objectif initial (658,3 milliards de francs) atteint 17 milliards de francs ;

- la branche accidents du travail affiche un excédent de 2,4 milliards de francs en 2000 et une prévision d'excédent de 3,2 milliards de francs en 2001, malgré les charges supplémentaires qui lui incombent en 2001 au titre de l'indemnisation des victimes de l'amiante ;

- la branche vieillesse bénéficie pour la deuxième année consécutive d'un résultat excédentaire : + 1 milliard de francs en 2000 et une prévision de + 2 milliards de francs en 2001. Pourtant il faut noter un net recul de cet excédent entre 1999 et 2000 puisqu'en 1999, en effet, la branche vieillesse affichait un excédent de 3,7 milliards de francs ;

- la branche famille bénéficie d'un solde positif de 7,9 milliards de francs en 2000 et d'une prévision d'excédent de 6,3 milliards de francs en 2001. Ce chiffre ne tient cependant pas compte du coût des mesures annoncées lors de la conférence sur la famille réunie le 11 juin 2001, et notamment de la création d'un « congé de paternité », qui devrait cependant être financé par les excédents de la branche famille.

Le rapporteur pour avis a précisé que, du côté des recettes, les prélèvements obligatoires en faveur des régimes sociaux constituaient la première source de prélèvements avec 21,4 % du PIB en 2000, en augmentation de 6,7 % par rapport à 1999. La tendance à la hausse continue des prélèvements sociaux depuis 1997 se poursuit donc. Ils seront ainsi passés en quatre ans de 20,5 % à 21,4 % du PIB, soit une augmentation « record » de près de 1 point de PIB. Cette année encore, la volonté du gouvernement de diminuer les prélèvements obligatoires ne s'appliquera pas aux prélèvements sociaux, révélant l'absence de réelle maîtrise des finances sociales, appelées le plus souvent à jouer le rôle de béquille pour le « canard boiteux » des finances publiques qu'est l'Etat.

M. Jacques Oudin a souligné à quel point le financement de la plupart des mesures sociales décidées par le gouvernement était incertain et devait souvent faire intervenir la sécurité sociale pour en assurer la pérennité. Il a notamment cité le cas du financement des 35 heures. La ministre de l'emploi et de la solidarité l'a confirmé jeudi dernier : l'excédent du régime général de la sécurité sociale devra, en partie, contribuer à financer le surcoût des 35 heures estimé par la commission des comptes de la sécurité sociale à 12,5 milliards de francs en 2000. Il a également évoqué l'allocation personnalisée d'autonomie : outre que ses modalités de financement constituent une entorse aux droits de contrôle du Parlement sur les prélèvements sociaux, le détournement, au profit du fonds de financement de l'APA, d'une partie de la CSG affectée au fonds de solidarité vieillesse (FSV) prive le fonds de réserve des retraites de ces « excédents » du FSV, pourtant censés en constituer la première source d'alimentation. Il a pourtant rappelé que, afin de financer les 35 heures, le gouvernement avait déjà supprimé l'affectation des droits sur les alcools au FSV (11,5 milliards de francs en 2001) et diminué une première fois la fraction de la CSG affectée à ce dernier (7,5 milliards de francs en 2001). Les recettes de ce fonds sont ainsi amputées annuellement de plus de 24 milliards de francs. Le risque est que les perspectives de financement de l'APA au-delà de 2003 rendent les régimes de retraite et le FSV premiers contributeurs du financement de l'allocation.

Dans la continuité de l'inquiétude qu'il avait exprimée l'an passé à l'occasion du débat d'orientation budgétaire, le rapporteur pour avis a dénoncé la non-anticipation par le gouvernement du choc financier des retraites. Alors que le conseil d'orientation des retraites, créé en juin 2000, a récemment rendu publiques ses premières projections, le gouvernement ne semble pas prendre conscience de l'effort financier qu'il reste à accomplir pour assurer l'équilibre du régime des retraites même dans un contexte conjoncturel favorable. Au contraire, il ponctionne un hypothétique fonds de réserve des retraites (FRR), ce dernier n'ayant en effet toujours pas d'existence réelle. Il a rappelé que le FRR devait être doté de 1.000 milliards de francs d'ici à 2020, selon le plan annoncé par le Premier ministre en mars 2000, ce qui suppose des recettes annuelles moyennes de l'ordre de 30 à 35 milliards de francs. Or, pour l'année 2000, le FRR accuse déjà un retard de 15 milliards de francs, avec seulement 20 milliards de francs accumulés. En 2001, ce retard va s'aggraver puisqu'au lieu des 55 milliards de francs prévus dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, le FRR ne devrait bénéficier que d'une dotation de 40 milliards de francs.

M. Jacques Oudin a ensuite exprimé son inquiétude devant le déficit persistant du régime d'assurance maladie expliquant que le dépassement de l'ONDAM (17 milliards de francs) portait entièrement sur les soins de ville, en grande partie par la très forte croissance des remboursements de médicaments (+ 11,1 % pour la CNAM).

Il a précisé que l'hypothèse retenue par la commission des comptes de la sécurité sociale dans le compte pour 2001 consistait en un dépassement de l'ONDAM de 9 milliards de francs, correspondant à une augmentation de 3,9 % par rapport aux dépenses de l'année 2000, ce qui supposait malgré tout un ralentissement sensible. Cette hypothèse a paru difficile à tenir a précisé M. Jacques Oudin compte tenu des niveaux déjà atteints par la consommation médicale en début d'année. Il a conclu que les dépenses maladie continuaient leur inexorable augmentation, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) voté chaque année par le Parlement perdant désormais toute signification. Il a ajouté que le « plan médicament » mis en place par la ministre de l'emploi et de la solidarité, devant aboutir à des économies en année pleine de 4 à 5 milliards de francs, intervenait bien tardivement. Il aurait surtout dû s'accompagner, selon lui, d'autres réformes d'envergure toujours repoussées : la restructuration hospitalière et la résorption des inégalités régionales, le désengorgement des caisses de sécurité sociale, l'évaluation médicale ou encore la place donnée à la prévention et à la santé publique.

M. Alain Lambert, président, s'est souvenu que le Gouvernement avait souvent laissé entendre qu'il « décidait » de la croissance et a estimé que, dans ces conditions, celui-ci pourrait sûrement éviter le ralentissement qui se profile. Revenant sur l'accroissement de 1.000 milliards de francs de l'encours de dette négociable depuis 1997, il a considéré que la dérive des dépenses constatée depuis cette date serait financée par les générations futures. Il a jugé que, en matière de dette, le vote du Parlement sur la variation de celle-ci, proposé dans le cadre de la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, permettrait de responsabiliser la représentation nationale. Il s'est demandé si l'augmentation des dépenses publiques ne devrait pas être mesurée en valeur absolue plutôt qu'en pourcentage du produit intérieur brut.

M. Maurice Blin s'est interrogé sur les conséquences de la conjoncture allemande sur le taux de croissance de l'économie européenne. Il a jugé que l'Allemagne n'avait pas tiré profit de la reprise des dernières années en raison de choix de politique économique proches de ceux du gouvernement français, en particulier en matière de réduction du temps de travail. Il a évoqué l'investissement public, en se demandant si sa réduction n'était pas liée à la nécessité de financer l'augmentation des dépenses de fonctionnement.

M. François Trucy a souhaité avoir une comparaison du ratio dette/PIB de la France avec celui des autres pays de l'Union européenne.

Mme Marie-Claude Beaudeau s'est déclarée en accord avec les objectifs du Gouvernement consistant à atteindre un taux de croissance de 3 %, à revenir au plein emploi et à réorienter le partage des fruits de la croissance au profit des salariés. Mais elle a constaté que la politique du Gouvernement, qui ne prend pas en compte la nécessité de soutenir la demande en revalorisant les salaires et le salaire minimum, aboutissait à un ralentissement de la baisse du chômage. Elle s'est déclarée opposée au pacte de stabilité européen, qu'elle n'a pas jugé compatible avec un projet social.

Mme Marie-Claude Beaudeau a également estimé que la norme de progression des dépenses publiques retenue par le Gouvernement ne permettait pas de satisfaire les besoins, notamment en matière de lutte contre les exclusions. Elle a rappelé que la croissance enregistrée depuis 1997 n'aurait pas été aussi bonne si le Gouvernement, dès son élection, n'avait pas choisi de soutenir la consommation des ménages plus modestes. Elle a observé que le programme de baisse des impôts et des dépenses sociales mis en oeuvre en Allemagne s'accompagnait d'une augmentation du taux de chômage. Elle a ajouté que la qualité des services publics français expliquait l'attractivité de notre territoire pour les investisseurs étrangers, et s'est déclarée opposée à une réduction des effectifs de la fonction publique.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a considéré que le rôle d'un Gouvernement dans le soutien de la croissance était de créer les conditions, en particulier législatives et réglementaires, propices à l'activité économique. Il a observé que, en l'absence d'intervention gouvernementale depuis 1997, le taux de prélèvement obligatoire serait inférieur à son niveau d'aujourd'hui et que la dépense publique progresserait moins vite.

Le rapporteur général est convenu avec le Président Alain Lambert que le précédent ministre de l'économie et des finances avait coutume de « s'attribuer » le niveau du taux de croissance. Il s'est demandé s'il s'attribuerait aussi volontiers son ralentissement actuel.

Il a relevé que l'Etat n'avait pas encore atteint le seuil permettant de faire reculer la part de la dette dans le PIB. S'agissant de la dette des administrations publiques, il a observé que la France restait dans une situation avantageuse par rapport à un grand nombre de ses partenaires, mais qu'elle était le pays qui réalisait le moins d'efforts en matière de réduction de cette dette.

Le rapporteur général a estimé que l'investissement public, en matière d'infrastructures de transport en particulier, constituait un outil indispensable pour améliorer la compétitivité de l'économie nationale. Évoquant la conjoncture en Allemagne, il a mis en avant les difficultés posées par le processus d'unification de ce pays, qui ne constitue plus une source d'impulsion mais de lourdeur. Il a estimé que les baisses d'impôts décidées en Allemagne n'avaient pas encore produit leurs effets et a qualifié de contra-cyclique la politique fiscale du gouvernement allemand.

A l'issue de ce débat, la commission a donné acte au rapporteur général de sa communication et a décidé d'autoriser la publication de ses conclusions sous forme d'un rapport d'information.

Nomination d'un rapporteur

Puis la commission a nommé M. Philippe Marini rapporteur sur le projet de loi n° 346 (2000-2001) portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.

Corse - Demande de saisine pour avis - Nomination d'un rapporteur pour avis

Enfin, la commission a demandé à être saisie pour avis et a nommé M. Michel Mercier rapporteur pour avis sur le projet de loi n° 340 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la Corse.

JEUDI 14 JUIN 2001

- Présidence de M. François Trucy, secrétaire.

Contrôle budgétaire - Utilisation des crédits des fonds pour la réforme de l'Etat - Communication

La commission a tout d'abord entendu une communication de M. Gérard Braun, rapporteur spécial des crédits de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur la mission de contrôle qu'il a effectuée sur l'utilisation des crédits du fonds pour la réforme de l'Etat (FRE).

M. Gérard Braun, rapporteur spécial, a rappelé que les crédits spécifiques inscrits au ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat étaient relativement modiques - 1,4 milliard de francs en 2001 - et consistaient essentiellement en des dépenses d'action sociale. Il a précisé que le ministère disposait toutefois d'un instrument lui permettant de financer des actions innovantes de modernisation de l'Etat : le fonds pour la réforme de l'Etat.

Il a rappelé que la création du fonds pour la réforme de l'Etat avait été décidée par le séminaire gouvernemental du 14 septembre 1995, et ses principes de constitution et d'utilisation, définis au cours de la réunion interministérielle du 26 janvier 1996, le fonds ayant effectivement été mis en place au cours du comité interministériel pour la réforme de l'Etat du 29 mai 1996. Alors que la réforme de l'Etat avait été l'un des principaux thèmes de campagne du candidat Jacques Chirac lors des élections présidentielles, elle est devenue l'une des priorités du gouvernement d'Alain Juppé. Le fonds pour la réforme de l'Etat bénéficiait ainsi d'une réelle volonté politique, et devait être mis en oeuvre par le commissariat général pour la réforme de l'Etat, instance de pilotage elle-même créée à cette époque, mais supprimée en 1998.

Il a noté que l'ambition du gouvernement était alors d'agir rapidement, l'opinion publique, comme les administrations, exprimant de fortes attentes à cet égard, de rendre lisibles les actions entreprises, et d'engager un ensemble cohérent de réformes concrètes, présentées clairement afin d'être accessibles à tous et de ne pas rester l'apanage des spécialistes de l'administration. Il avait été également décidé que le fonds pour la réforme de l'Etat aurait vocation à accompagner les chantiers de modernisation et de réorganisation des administrations, centrales et déconcentrées. Toutefois, dans un souci d'efficacité, les chantiers ouverts ne devaient pas être trop nombreux afin d'éviter un risque de dispersion. C'est pourquoi, en 1996, il fut décidé que la réforme suivrait trois grands axes : l'amélioration des relations entre l'Etat et les citoyens, puis celle de la décision publique et enfin la qualité de la gestion publique.

M. Gérard Braun, rapporteur spécial, a souligné que la circulaire du Premier ministre du 9 juillet 1996 précisait aux ministres et secrétaires d'Etat les modalités de constitution du fonds, ses principes de fonctionnement, le type d'opérations susceptibles de bénéficier de son concours, ainsi que la procédure retenue pour l'instruction des demandes et pour les décisions d'emploi du fonds. Cette circulaire établissait également l'existence de deux sections distinctes au sein du fonds, la première étant consacrée au financement de réformes particulièrement importantes ou exemplaires, la seconde à l'action territoriale de l'Etat. Ces grands principes ont ensuite été précisés chaque année par circulaire, même s'il convient de constater que, depuis le changement de gouvernement, cette circulaire n'est plus signée par le Premier ministre, mais par le ministre compétent. Ce dernier adresse également une circulaire aux préfets de région et de département pour l'utilisation de la section territoriale du fonds. Le rapporteur spécial a constaté que l'actuel gouvernement avait considérablement détaillé ces circulaires et en avait multiplié les annexes. Ainsi, la circulaire aux ministres pour 2001 comprend 15 pages et 8 annexes, alors qu'elle ne comptait que 4 pages et aucune annexe en 1996. Il s'est dès lors interrogé sur le bien-fondé de la multiplication des axes de réforme : ne faut-il pas y voir plus un affichage politique qu'une réelle ambition réformatrice ?

M. Gérard Braun, rapporteur spécial, a indiqué que les crédits du fonds pour la réforme de l'Etat étaient inscrits sur le chapitre 37-08 du budget des services généraux du Premier ministre, soulignant leur relative modicité : ils s'établissent, en moyenne annuelle, à 107,75 millions de francs depuis 1996. Les ambitions budgétaires initiales, consistant à doter le fonds de 500 millions de francs dès 1996, n'ont donc jamais été atteintes. Les critères de budgétisation initiale des dotations du fonds sont imprécis et ne paraissent pas véritablement définis, leur mise en oeuvre étant de toute façon sans effet sur le montant des crédits, probablement déterminé à l'avance, dans le cadre des arbitrages budgétaires, alors que le nombre de demandes émanant des services augmente régulièrement.

Il a précisé que les crédits inscrits sur la section centrale du fonds, soit 234,9 millions de francs depuis 1996, représentaient 36,3 % des dotations totales du FRE, ceux de la section territoriale, soit 411,6 millions de francs, correspondant donc à 63,7 %, mais la part de celle-ci n'a cessé d'augmenter depuis l'origine, passant de 60 % en 1996 à 68 % en 2001. Toutefois, la modicité de ces dotations ne les dispense pas d'une régulation budgétaire : en effet, la totalité des crédits n'est pas consommée, le taux de consommation global s'établissant à 90,7 % ; il est toutefois plus élevé pour la section centrale que pour la section territoriale.

M. Gérard Braun, rapporteur spécial, a ensuite présenté le bilan financier du fonds pour la réforme de l'Etat, qu'il a qualifié de « nuancé ».  En effet, la multiplicité des opérations cofinancées et l'impression de « saupoudrage » budgétaire brouillent la portée de l'instrument. De surcroît, la définition de ce qu'est une telle opération est véritablement problématique, à tel point que l'emploi des crédits ne semble pas toujours conforme aux objectifs qui avaient été initialement assignés au fonds.

Il a ainsi noté que les actions cofinancées par le fonds étaient très nombreuses, et bien souvent disparates. Depuis 1996, la section centrale du fonds a cofinancé 488 projets, soit près de 100 projets par an, pour un coût moyen de 384.000 francs : le saupoudrage des crédits est donc manifeste. Du reste, alors que le nombre de demandes émanant des services croît chaque année, le montant des crédits inscrits reste sensiblement le même, ce qui démontre l'émiettement des interventions financières du fonds. En fait, les ministères, ayant progressivement pris conscience des possibilités financières offertes par le fonds, ont saisi cette occasion pour solliciter des financements de sa part, afin d'obtenir des ressources complémentaires. Les deux principales opérations financées par la section centrale du fonds concernent le ministère de l'économie et des finances, à savoir la phase de développement du logiciel d'application coordonnée de comptabilisation, d'ordonnancement et de règlement de la dépense (ACCORD), destiné à améliorer la gestion budgétaire et comptable, et la mise en place du paiement par carte bancaire au ministère des finances.

Il a indiqué que la section territoriale du fonds comprenait deux parts : la première, qui est la plus importante (environ 58 % des crédits de la section, et non pas 70 % comme l'affirme le ministère), est déconcentrée en début d'année aux préfets, la seconde est déléguée sur appels à projet après examen au niveau central. Entre 1996 et le début de l'année 2000, 2.045 opérations ont été cofinancées par la section territoriale, dans 5 principaux domaines : les nouvelles technologies de l'information et de la communication, l'accueil, l'amélioration du fonctionnement des services, le service de proximité, et la coopération interservices.

M. Gérard Braun, rapporteur spécial, a estimé que l'utilisation de ces crédits était trop souvent imparfaite, leur emploi n'étant pas toujours conforme ni à l'objet du fonds, ni à ses missions, cette situation concernant du reste essentiellement les opérations cofinancées par sa section territoriale.

Il a ainsi relevé au moins trois dysfonctionnements :

- d'abord, les crédits du fonds sont exagérément utilisés en lieu et place d'autres moyens de financement : ils financent le fonctionnement ou l'entretien des services, normalement déjà pris en compte par les ministères ; le rapporteur spécial s'est interrogé, par exemple, sur le caractère innovant et sur le lien avec la réforme de l'Etat de l'achat de bicyclettes pour des brigades de gendarmerie ou encore de téléviseurs, et s'est demandé si la chaudière de la cité administrative d'Évry devait être financée sur les crédits du fonds pour la réforme de l'Etat ;

- ensuite, les actions financées reflètent trop souvent des actions ponctuelles sans réflexion d'ensemble : par exemple, le changement du mobilier ou de la signalétique d'une préfecture paraît une opération de réforme de l'Etat bien peu ambitieuse ;

- enfin, certaines actions financées vont même à l'encontre des orientations fixées dans les circulaires ministérielles relatives à l'utilisation des crédits du fonds, qui n'a pas vocation à supporter le fonctionnement des services ni des actions de formation.

M. Gérard Braun, rapporteur spécial, a considéré que le fonds pour la réforme de l'Etat était confronté à une contradiction essentielle, puisqu'il est employé par un Etat qui ne s'est pas lui-même engagé sur la voie des réformes.

Il a expliqué que, dès lors, le fonds souffrait des dysfonctionnements d'un Etat trop lourd, en particulier la mise en oeuvre de procédures excessivement complexes. Cette situation entraîne un manque de lisibilité certain, qui explique que les services chargés de proposer ou de mettre en oeuvre des projets de modernisation administrative se perdent souvent dans ce dédale procédural. Dès lors, désorientés, ils en viennent parfois à s'affranchir et à prendre quelque liberté avec des méthodes de gestion inadéquates, qu'il s'agisse du délai d'envoi des dossiers, rarement respecté, de la grande disparité de leur présentation, de la difficulté de déterminer avec précision le coût total des opérations à financer, voire du respect de critères d'éligibilité essentiels.

Enfin, il a estimé que les opérations cofinancées par le fonds faisaient l'objet d'une évaluation insuffisante, ni les actions engagées ni les résultats obtenus ne donnant lieu à une étude d'impact digne de ce nom, et ce, en dépit des instructions figurant dans les circulaires du ministre. Le fonds pour la réforme de l'Etat ne fait l'objet d'aucun rapport d'activité spécifique, et n'a jamais donné lieu, jusqu'à présent, à des contrôles internes à l'administration ou de la Cour des comptes.

Un large débat s'est ensuite engagé.

M. Maurice Blin a estimé que les conditions de la conduite de la réforme de l'Etat en France étaient pires que celles qu'il imaginait. Il a rappelé qu'en 1991, le Gouvernement de M. Michel Rocard avait pourtant engagé une réelle réforme qualitative concernant essentiellement le ministère de l'équipement, lui donnant davantage de souplesse dans l'utilisation de ses dotations budgétaires et sensibilisant ses personnels.

M. Joseph Ostermann a considéré qu'il était indispensable de communiquer sur les travaux de la commission relatifs à la réforme de l'Etat dans l'opinion publique, afin de lui faire prendre conscience du retard de la France.

M. Jacques Oudin a jugé qu'il était extrêmement pertinent de lier la réforme de l'Etat et la réforme de la fonction publique, étant donné que la première est conditionnée par la seconde. Il a ajouté qu'il serait intéressant de retracer l'histoire des échecs de la réforme de l'Etat, ses seuls succès datant de la Libération et de 1958. Il a regretté le caractère « débilitant » des réunions du comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics, organisme placé auprès de la Cour des comptes. Il a déploré que les fonctionnaires fussent souvent submergés par un nombre considérable de circulaires et de textes divers. Enfin, il a jugé utile d'établir des comparaisons internationales sur le poids de la fonction publique en France par rapport aux principaux pays développés.

M. François Trucy, président, a voulu connaître l'appréciation du rapporteur spécial sur le cumul des fonctions de directeur général de l'administration et de la fonction publique et de délégué interministériel à la réforme de l'Etat, depuis la suppression du commissariat à la réforme de l'Etat en 1998. Il s'est étonné de ce que le fonds pour la réforme de l'Etat n'ait fait l'objet d'aucun contrôle externe depuis sa création, le rapporteur spécial étant le premier à s'y consacrer.

En réponse aux différents intervenants, M. Gérard Braun, rapporteur spécial, a indiqué que les deux sections du fonds pour la réforme de l'Etat présentaient une qualité différente : la section centrale a permis de financer de réelles opérations de modernisation, le projet ACCORD au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, et le paiement par carte bancaire dans les administrations, le mauvais emploi des crédits se rencontrant essentiellement sur la section territoriale. Il a déploré le nombre croissant et l'allongement des circulaires ministérielles et de leurs annexes, qui fixent un cadre rigide aux services, les privant de la souplesse nécessaire à la conduite de la réforme de l'Etat. Enfin, il a indiqué que le cumul des fonctions de directeur général de l'administration et de la fonction publique et de délégué interministériel à la réforme de l'Etat était incohérent, la mission du premier consistant notamment à veiller à la paix sociale au sein de la fonction publique, tandis que celle du second est d'impulser des réformes pouvant remettre en cause des intérêts acquis. Il a dès lors estimé que cette situation traduisait un manque de volonté politique de la part du Gouvernement d'engager une réelle réforme de l'Etat.

La commission a alors donné acte au rapporteur des conclusions de sa communication et a décidé d'autoriser leur publication sous la forme d'un rapport d'information.

Banque de France - Rapport annuel - Audition de M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France


La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, sur le rapport annuel de cet établissement.

M. Jean-Claude Trichet, a, tout d'abord, présenté le rapport d'activité de la Banque de France, reprenant en propos liminaire les conditions qui paraissent nécessaires à une économie prospère et à la création d'emplois : maîtrise de la dépense publique et réduction des déficits, réformes structurelles dans l'éducation, la formation et la protection sociale, et enfin maîtrise des coûts de production.

Il a remarqué que l'ensemble des indicateurs économiques confirmaient la pertinence de la stratégie de maîtrise de l'inflation. Les coûts unitaires de production dans l'industrie ont ainsi nettement moins augmenté en France que dans le reste de la zone euro, engendrant des gains de compétitivité dans l'industrie de l'ordre de 16 % durant cette période.

Il a constaté que cette politique de maîtrise de l'inflation, de solidité monétaire et de compétitivité conduite sur longue période par l'ensemble des sensibilités politiques françaises et par les gouvernements successifs, était dans une large mesure à l'origine de la croissance, de la création d'emplois et de l'excédent de la balance des paiements courants. Cet excédent a été, en 1997, 1998 et 1999 le premier excédent de la balance des paiements courants en Europe et le deuxième excédent dans le monde. Il a souligné que les faits plaident de toute évidence, plus encore que par le passé, pour une poursuite de la modération des coûts de production.

M. Jean-Claude Trichet, notant qu'il s'agissait là d'une novation de la lettre introductive à son rapport, a présenté les trois recommandations que formule la Banque de France pour renforcer le potentiel de croissance en France et en Europe. Il a indiqué qu'un large consensus d'experts estimait aujourd'hui le potentiel de croissance non inflationniste de la France autour de 2,5 %, ce qui correspond à la moyenne des pays européens.

Il a expliqué que l'augmentation du potentiel de croissance appelait tout d'abord un accroissement du taux d'investissement en proportion du PIB, qui, s'il s'élevait de 2 points au cours des dix prochaines années, passant de 11,4 % aujourd'hui à 13,4 %, pourrait engendrer un gain annuel de croissance de 0,5 point en moyenne sur la même période. Il a ajouté qu'un tel objectif supposait de créer un environnement aussi favorable que possible au site productif français, c'est-à-dire à l'investissement en France des entreprises françaises et étrangères. Il a ensuite indiqué qu'il conviendrait d'augmenter la quantité de travail disponible, et rappelé que l'élévation du taux d'emploi avait été la stratégie adoptée unanimement par les Européens depuis le Conseil européen de Lisbonne. Il a précisé que cette stratégie visait à accroître le taux d'emploi de 60 à 70 % au cours des dix prochaines années, pour un gain annuel de croissance sur la même période de 0,5 point à 1 point, en sachant que le même taux avoisine les 75 % aux Etats-Unis. Enfin, il a remarqué que l'augmentation de la productivité du travail était un élément important permettant d'élever le potentiel de croissance, et il a ajouté que la productivité du travail était un indicateur fondamental qui devait être regardé en France et en Europe avec beaucoup plus d'attention et favorisé autant que possible.

Dans une seconde partie, M. Jean-Claude Trichet, a exposé les derniers éléments de conjoncture dont il disposait. Il a révélé que le mois de mai, comme celui du mois d'avril, n'avait pas été particulièrement dynamique ; les carnets de commande se repliant pour les biens intermédiaires et l'équipement, les stocks s'alourdissant et la demande se faisant plus étale. En revanche, il a précisé que l'activité commerciale s'était redressée en mai.

Il a indiqué que les éléments dont il disposait de la part des chefs d'entreprise l'incitaient néanmoins à prévoir que le taux de croissance serait sans doute de 0,5 % au deuxième trimestre, comme au premier trimestre, et qu'il pourrait s'élever, compte tenu toujours de ce que lui disaient les chefs d'entreprise, à 0,6 % au troisième trimestre. L'acquis de croissance à la fin du troisième trimestre serait ainsi de 2,3 % sur l'année. Il a estimé avec prudence que si la croissance du quatrième trimestre se maintenait au même niveau que les trimestres précédents, le taux de croissance annuel moyen serait de 2,5 % environ.

Il a noté qu'il y avait un indéniable ralentissement de la croissance, sans que celui-ci soit de l'ampleur de ce qui est observé aux Etats-Unis.

S'agissant de l'inflation, M. Jean-Claude Trichet a commenté l'augmentation du taux d'inflation en mai. Il a indiqué que cette augmentation était engendrée par deux facteurs principaux ; le premier étant celui de la hausse des prix des produits frais, de plus de 9 % d'un mois sur l'autre, liée en particulier au climat ; le second étant celui de la hausse des prix pétroliers.

Il a souligné que l'eurosystème n'avait pas constaté pour l'instant de spirale prix-salaires, ce qui devait absolument être évité et requerrait la vigilance constante de la banque centrale européenne et de l'Eurosystème.

Il a déclaré pour finir que la vigilance de la Banque Centrale permettrait une retombée de l'inflation, l'Eurosystème s'étant engagé à ce que la hausse des prix soit inférieure à 2 %, ce qui serait le cas au niveau de l'ensemble de l'Europe dans les premiers mois 2002.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Alain Lambert, président a tout d'abord relevé dans le rapport annuel de la Banque de France au Président de la République et au Parlement un encadré établi par les services de la Banque de France, selon lequel le solde structurel des administrations publiques, c'est-à-dire le solde ajusté de l'effet favorable de la conjoncture sur les recettes et les dépenses publiques, se serait détérioré de 1,4 % du PIB en 1999 à 1,5 % du PIB en l'an 2000, ce qui suggérerait que la politique budgétaire était plutôt laxiste. Il a ajouté que les services de la Banque de France suggéraient par surcroît que leur méthodologie conduisait à sous-estimer la dégradation du déficit structurel puisqu'elle enregistrait mécaniquement les surplus de recettes de l'an 2000 comme d'origine structurelle alors même que le ministère de l'économie et des finances reconnaissait dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2001 que ce surplus était exceptionnel. Il a alors demandé à M. Jean-Claude Trichet s'il pouvait confirmer que la politique budgétaire a été expansionniste en l'an 2000 et s'il pouvait indiquer le résultat des travaux semblables conduits par les services de la banque de France pour 2001.

En réponse, M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, a tout d'abord souligné qu'il existait différentes méthodes de calcul du déficit structurel et qu'aucune ne pouvait prétendre à une rigueur scientifique totale, de sorte que la dégradation du déficit structurel en France entre 1999 et l'an 2000 ne dépassait pas « l'épaisseur du trait ». Il a estimé que l'on pouvait plutôt qualifier la situation comme un arrêt de l'amélioration du solde structurel des administrations publiques en France, comme d'ailleurs dans la plupart des autres pays européens. Il a ajouté que l'on constatait en quelque sorte une certaine fatigue de l'ajustement des finances publiques, qui s'expliquait largement par l'état de l'opinion publique des pays de la zone euro, d'importants efforts de pédagogie demeurant nécessaires en France et en Europe pour expliquer que l'économie se porte mieux lorsque l'on réduit les dépenses publiques, quand celles-ci sont élevées en proportion du PIB, parce que cela libère des ressources pour le secteur productif qui est le moteur de la croissance et de la création d'emplois.

M. Alain Lambert, président, a ensuite rappelé que la Banque centrale européenne avait décidé d'interpréter la notion de stabilité des prix prévue par le Traité de Maastricht comme une inflation inférieure à 2 % par an. Il a souligné qu'il s'agissait là d'un choix différent de celui de la réserve fédérale des États-Unis, qui semblait se fixer un objectif implicite d'inflation inférieure à 3 % par an. Il a ajouté que l'inflation dans la zone euro dépassait depuis plusieurs mois ce plafond de 2 %, ce que certains économistes expliquaient pour partie par les conséquences mécaniques du rattrapage des pays les moins riches de la zone euro, de sorte que ce rythme d'inflation ne prêterait pas à conséquence. Dans ces conditions, il s'est interrogé sur l'opportunité de l'objectif d'inflation maximum de 2 % pour la zone euro dans son ensemble.

En réponse, M. Jean-Claude Trichet a estimé que la Réserve Fédérale des États-Unis se fixait un seuil implicite d'inflation probablement supérieur au nôtre.

Par ailleurs, il a rappelé que l'objectif européen de moins de 2 % correspondait au choix explicite effectué par la Banque de France indépendante dès 1994, ainsi qu'au choix implicite des banques centrales de l'ensemble des pays du noyau dur de la zone euro avant 1999, de sorte que la Banque centrale européenne devait retenir elle-même ce seuil de 2 % si elle voulait permettre à l'Euro de bénéficier pleinement de l'héritage de la crédibilité, de la solidité et de la confiance monétaires qui avaient été accumulées en Europe.

M. Alain Lambert, président, a indiqué que la plupart des analystes indépendants s'interrogeaient sur le calendrier des dernières décisions de la Banque centrale européenne consistant à laisser pendant plusieurs mois ses taux d'intérêt directeurs inchangés alors que la conjoncture s'infléchissait, puis à les baisser quelques jours à peine avant la publication de statistiques montrant une nette accélération de l'inflation dans la zone euro, et il a demandé à M. Jean-Claude Trichet son sentiment à ce sujet.

En réponse, M. Jean-Claude Trichet a souligné la volonté de transparence de la Banque centrale européenne pour sa communication. Il a ensuite indiqué que la dernière baisse des taux d'intérêt directeurs de la Banque centrale européenne se justifiait par l'évolution des données objectives relatives aux deux piliers de la politique monétaire. Il a ajouté que le Conseil des Gouverneurs de la BCE demeurait très vigilant et considérait que le réglage actuel de la politique monétaire était approprié.

Soulignant la différence de ton entre la lettre et le rapport transmis au Président de la République et au Parlement, M. Jacques Oudin a ensuite indiqué qu'il partageait la volonté de lutter contre l'esprit malthusien en matière de gestion de la population active, notamment dans la perspective de son ralentissement au cours de la prochaine décennie, et il a exprimé le souhait que la Banque de France profite de son indépendance de jugement pour formuler des analyses à ce sujet. Par ailleurs, il s'est inquiété de la baisse de la part des investissements dans les dépenses de l'Etat et notamment du déclin des investissements en matière d'infrastructures de transport. Ensuite, il s'est interrogé sur l'évolution de la valeur de l'euro et sur le paradoxe consistant pour l'économie française à gagner en compétitivité par rapport à ses partenaires en dépit de l'alourdissement des charges fiscales et sociales.

M. Maurice Blin s'est ensuite inquiété du ralentissement de l'économie allemande et de ses conséquences pour la conjoncture française, et plus généralement, des disparités de conjoncture dans la zone euro. Il s'est demandé comment on pouvait expliquer que la France soit le seul des grands pays de la zone euro à disposer d'une balance des transactions courantes excédentaire. Et il a demandé à M. Jean-Claude Trichet dans quelle mesure la moindre inflation de l'économie française trouvait son origine dans sa moindre vulnérabilité au choc pétrolier grâce à son parc électronucléaire.

Après avoir souligné les inquiétudes des quadragénaires pour leur retraite, M. Jacques Pelletier a demandé le sentiment de M. Jean-Claude Trichet sur ce sujet, puis il s'est interrogé sur l'impact d'un ralentissement durable de l'économie américaine sur la croissance en Europe.

Dès lors que la politique monétaire était désormais déterminée par la Banque centrale européenne, M. Gérard Braun s'est ensuite interrogé sur le besoin de conserver le conseil de la politique monétaire et a demandé si sa suppression était envisagée.

Enfin, après avoir rappelé qu'il était le président du groupe sénatorial France-Irlande, M. Paul Loridant a attiré l'attention sur la situation particulière de l'économie irlandaise et a demandé comment la Banque centrale européenne appréhendait les disparités conjoncturelles dans la zone euro.

En réponse, M. Jean-Claude Trichet a tout d'abord affirmé que les autorités monétaires européennes ne pouvaient rien dire d'autre à propos de l'euro qu'un « euro fort était l'intérêt de l'Europe ».

Concernant les balances des transactions courantes, il a confirmé que les pays industrialisés connaissaient globalement un déficit annuel de plus de 300 milliards de dollars et il a estimé qu'il s'agissait là d'une anomalie grave dans la mesure où elle signifiait que les pays en développement, les pays émergents et les pays en transition étaient appelés à financer les investissements effectués dans les pays industrialisés. Il a ajouté que l'économie française connaissait en revanche un excédent structurel de ses paiements courants qui s'expliquait par le succès de la politique multipartisane poursuivie depuis le milieu des années 80 et visant à favoriser la compétitivité de l'économie française dans son ensemble. Il a précisé que la compétitivité-coût de l'économie française était bonne en raison de la modération de l'inflation au cours de la dernière décennie, même si la France se caractérisait encore par un coût total du travail pour l'employeur beaucoup trop élevé pour les très jeunes les moins qualifiés et pour les salariés de très haut niveau internationalement mobiles.

Il a considéré comme très grave que la France ne soit pas plus résolument engagée dans des politiques de rétablissement de l'attractivité du site économique français pour les services à très haute valeur ajoutée à vocation internationale : consultance de haut niveau, services financiers, communication, quartiers généraux d'entreprises etc.

M. Jean-Claude Trichet a par ailleurs confirmé que le déséquilibre entre les dépenses publiques d'investissement et de fonctionnement était préoccupant, mais il a souligné que la France avait, au cours de toutes ces dernières années, investi une part de son PIB plus importante que dans la plupart des autres pays industrialisés dans les infrastructures publiques.

S'agissant des retraites, il a indiqué que toutes les banques centrales de la zone euro étaient convaincues qu'il faudrait prendre bien davantage en compte les déséquilibres démographiques prévisibles et il s'est inquiété des conséquences, pour l'économie française du refus de notre pays de s'engager jusqu'à présent dans la voie du « provisionnement a priori », de la « capitalisation », dans un contexte où les fonds de pension internationaux connaissent une importance croissante au niveau de l'économie mondiale.

S'agissant de l'inflation, il a également confirmé que la France avait été moins vulnérable au choc pétrolier que d'autres pays industrialisés grâce à sa lucidité en matière de stratégie énergétique, illustrée par son parc électronucléaire.

Par ailleurs, M. Jean-Claude Trichet a estimé que la zone euro ne connaissait pas d'hétérogénéité qui soit réellement préoccupante. Il a également précisé que l'impact d'un point de croissance en moins aux Etats-Unis pouvait être estimé sommairement à 0,2 point de croissance en moins en France et dans la zone euro.

Enfin, il a estimé que le rôle du Conseil de la politique monétaire était et demeurait essentiel et qu'il ne comprenait pas d'où venait à certains l'idée de le supprimer. Il a précisé que les défis de communication et d'explication qui étaient lancés au Conseil de la politique monétaire étaient beaucoup plus importants qu'auparavant avec l'Euro, puisqu'il fallait maintenant appliquer les décisions au niveau de l'économie de l'ensemble de la zone Euro. Il a ajouté que les membres du conseil de la politique monétaire jouaient également un rôle indispensable en recueillant des informations de manière indépendante et devaient selon la loi évaluer les implications de la politique monétaire unique sur l'économie française, ce qui demeurait absolument indispensable et devait être fait par un conseil de sages indépendant. Il a remarqué qu'aucun pays dans la zone euro n'avait d'ailleurs supprimé d'institution équivalente au conseil de la politique monétaire.