Table des matières




- Présidence de M. Jacques Oudin, vice-président.

Audition de MM. Jacques Bonnet et Philippe Nasse, chargés de la réalisation de l'audit des finances publiques

La commission a procédé à l'audition de MM. Jacques Bonnet et Philippe Nasse, chargés de la réalisation de l'audit des finances publiques.

M. Jacques Bonnet a indiqué que si M. Philippe Nasse et lui-même avaient été plus aidés par les services de l'Etat que lors de leur précédent audit, cinq ans auparavant, les conditions de délai et de date étaient moins favorables, dans la mesure où ils avaient dû effectuer leurs travaux en moins d'un mois et plus tôt dans l'année, c'est-à-dire à un moment où les informations disponibles étaient relativement sommaires. Il a précisé que la fourchette de besoin de financement des administrations publiques indiquée dans leur rapport, comprise entre 2,3 % et 2,6 % du PIB, s'entendait à législation constante et selon les hypothèses de croissance retenues par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Il a considéré que le besoin de financement devait être compris de manière globale pour l'ensemble des administrations publiques, les relations financières entre les différents groupes d'administrations publiques variant fortement d'un exercice à l'autre. Il a donné comme exemple le cas des organismes divers d'administration centrale, dont le solde largement positif provenait, selon lui, du fait qu'on y avait inclus le fonds de réserve des retraites, contribuant à plus de la moitié de l'excédent.

M. Jacques Bonnet a indiqué que l'écart de l'évaluation figurant dans le rapport avec la prévision de besoin de financement des administrations publiques transmise à la Commission des communautés européennes au mois de mars de l'année 2002, de 1,85 % du PIB, provenait à la fois de dépenses supérieures et de recettes inférieures aux prévisions.

Il a considéré que la prise en compte tardive, par le Gouvernement, du ralentissement de l'activité économique, provenait non d'une volonté de dissimulation de la situation des finances publiques, mais du fait que les prévisionnistes avaient tendance à sous-estimer les évolutions à court terme de la croissance. Il a indiqué que le fait que les recettes aient été inférieures aux prévisions avait également été suscité par divers accidents dans l'établissement et le recouvrement de l'impôt, en particulier des problèmes informatiques de la direction générale des impôts et la fusion de la direction des grandes entreprises au sein de celle-ci.

Il a estimé que l'absence d'infléchissement à la baisse du rythme de croissance des dépenses publiques avait mécaniquement accru le déficit public, alors que la croissance diminuait. Il a en particulier souligné l'importance du dépassement, observé chaque année, de l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie qui, en 2002, devrait être essentiellement le fait du secteur non hospitalier. Il a insisté sur le fait que l'excédent prévu pour la sécurité sociale provenait notamment de celui des caisses de retraite qui, compte tenu des évolutions démographiques prévues, ne pourrait se maintenir à long terme.

M. Jacques Bonnet a conclu sur trois points. Il a tout d'abord rappelé la nécessité, déjà affirmée à l'occasion du précédent audit réalisé avec M. Philippe Nasse, d'améliorer l'efficacité de l'administration de l'Etat, et d'éviter une complexité législative contre-productive. Il a ensuite déploré que l'objectif de dépenses d'assurance-maladie voté par le Parlement soit considéré comme un simple souhait et s'est interrogé sur la signification de la loi de financement de la sécurité sociale. Il a cependant souligné qu'aucun Etat, à sa connaissance, n'était parvenu à résoudre le problème de la maîtrise des dépenses de santé. Enfin, il a considéré que l'Etat pouvait effectuer lui-même des audits analogues à celui qu'il venait de réaliser avec M. Philippe Nasse, par exemple avant les principales élections, sans recourir à d'anciens magistrats de la Cour des comptes.

M. Jacques Oudin, président, a indiqué que certains Etats avaient une telle pratique.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a demandé à MM. Jacques Bonnet et Philippe Nasse s'ils avaient eu l'occasion d'examiner des documents gouvernementaux datant des mois de février ou mars 2002 et indiquant des risques de dérapage des soldes publics, s'il était légitime de prendre en compte le fonds de réserve des retraites dans la détermination du solde public, comment améliorer la maîtrise des dépenses d'assurance maladie, et s'ils avaient eu des contacts avec la Commission européenne. Il s'est en outre réjoui de certaines remarques figurant dans le rapport d'audit, en particulier de celle qualifiant les comptes sociaux d' « inextricable dédale ».

En réponse, M. Philippe Nasse a indiqué que M. Jacques Bonnet et lui-même n'avaient pas identifié la « note du Budget » dont les médias s'étaient fait l'écho, mais qu'ils avaient examiné de nombreux documents, datant du mois de mai 2002, indiquant un risque de dérapage des soldes publics. Il a estimé que la prise en compte des abondements du fonds de réserve des retraites par le solde public était, en règle générale, conforme aux exigences de la comptabilité européenne, sauf dans le cas des ressources issues de privatisations, considérées comme des opérations financières. Il a jugé que la question de leur prise en compte méritait néanmoins d'être posée. Il a considéré que les comptes sociaux étaient devenus un « inextricable dédale » à cause de la multiplicité des ressources et de leurs affectations, et que cette complexité croissante était contre-productive. Il a recommandé de simplifier et de stabiliser les règles relatives aux comptes sociaux, afin notamment d'éviter les problèmes de double comptabilité, difficile à éviter totalement, entre le budget de l'Etat et les comptes sociaux. Enfin, il a indiqué que si M. Jacques Bonnet et lui-même n'avaient pas eu de contacts avec la Commission européenne, ils avaient suivi ses exigences en matière de comptabilité publique.

M. François Trucy a rappelé que lors de leur précédent audit des finances publiques en 1997, MM. Jacques Bonnet et Philippe Nasse avaient souligné qu'une reprise de la croissance ne dispenserait pas les pouvoirs publics d'entreprendre les réformes de structure nécessaires à un assainissement durable et il leur a demandé si ces réformes avaient été réalisées. Puis il les a interrogés sur le dérapage des dépenses de santé, et notamment sur le fait que les professionnels de santé ne pouvaient évaluer correctement leur montant de prescriptions au regard du plafond général établi par la loi de financement de la sécurité sociale.

M. Michel Charasse a fait plusieurs observations. Il s'est tout d'abord déclaré surpris par le fait que les auditeurs n'aient pas eu spécifiquement connaissance de la note traditionnellement établie par la direction du budget en février-mars de chaque année et qui avait habituellement une tonalité « alarmiste ». Sur l'opportunité de réaliser un audit avant chaque échéance électorale, il a souligné qu'il s'agissait d'un exercice difficile qui ne pourrait se réaliser dans les conditions de sérénité requises et qu'il faudrait, à tout le moins, que l'exercice d'audit des finances publiques devienne annuel pour éviter tout soupçon de partialité. S'agissant des comptes de la sécurité sociale, il a estimé que ceux-ci étaient d'une extraordinaire complexité, au même titre que la dotation globale de fonctionnement, mais que cette complexité résultait sans doute autant des contraintes posées par l'Union européenne que du souhait de masquer le fait que l'usager paye plus que le contribuable en matière de prestations sociales. En ce qui concerne « l'indéniable dérapage de la dépense » mentionné par le rapport d'audit, M. Michel Charasse a souhaité savoir si ce dérapage résultait des dépenses de fonctionnement ou d'investissement et s'il était le résultat de facteurs conjoncturels ou d'une volonté politique délibérée. Enfin, il a demandé aux auditeurs si les commentaires du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie sur les résultats de leur audit correspondaient entièrement à leurs analyses.

Mme Marie-Claude Beaudeau a noté que le rapport des auditeurs mentionnait le retournement conjoncturel et la faiblesse de la croissance comme autant de facteurs d'explication de la dégradation des comptes publics. Elle a souhaité connaître l'impact, sur les comptes, de la diminution des prélèvements obligatoires, en se demandant si les dépenses publiques, et notamment les dépenses sociales, n'allaient pas être sacrifiées, par suite d'une distribution des fruits de la croissance aux ménages aisés. Elle a ajouté que, dans le rapport d'audit, la diminution des impôts était évaluée à 2,4 % du produit intérieur brut (PIB), soit un impact sur le déficit public de 1,8 % du PIB. S'agissant de la diminution des cotisations sociales patronales, chiffrée à plus de 20 milliards d'euros, elle a interrogé les auditeurs sur ses effets économiques.

M. Paul Loridant a demandé aux auditeurs s'ils avaient correctement pris en compte une éventuelle évolution favorable de la croissance au cours du second semestre 2002.

M. Bernard Angels a estimé que l'audit confirmait les chiffres déjà transmis par le Gouvernement précédent, qui avait fait preuve d'une grande transparence. Il a déclaré qu'il existait un décalage entre le rapport d'audit et les commentaires qui en avaient été faits par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie. Il a ajouté que la dérive des dépenses publiques résultait entièrement de facteurs conjoncturels et non politiques et il a rappelé que le gouvernement avait à sa disposition des outils de régulation de la dépense qu'il utilisait traditionnellement en cours d'année.

M. Joël Bourdin a noté que MM. Jacques Bonnet et Philippe Nasse regrettaient les conditions de mise en oeuvre de leur audit et leur a demandé quelles propositions ils pouvaient faire afin de renforcer l'expertise indépendante sur les comptes publics. Il a également demandé aux auditeurs s'ils avaient calculé un taux de croissance compatible avec l'équilibre des comptes publics en 2004.

M. Jean Arthuis a salué la qualité du travail accompli par MM. Jacques Bonnet et Philippe Nasse même si ceux-ci qualifient leur rapport de simple « audit de prévision ». Il a noté leurs observations sur les défaillances du système global d'information financière et budgétaire et il a interrogé les auditeurs sur trois points. Tout d'abord, il leur a demandé quel montant des ressources du Fonds de réserve des retraites correspondait à des recettes de privatisation. Puis il les a interrogés sur la hausse de 7,4 % des soins de ville en 2002, estimée au premier semestre, avant même la révision des honoraires des médecins. Concernant la sécurité sociale, il a enfin demandé aux auditeurs s'ils pensaient que ses comptes pouvaient être certifiés.

En réponse à M. François Trucy, M. Jacques Bonnet a indiqué qu'une réforme importante avait été réalisée depuis 1997, à savoir l'adoption de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, qui offrait une possibilité de progrès considérable pour la gestion de l'Etat en permettant de raisonner en termes d'objectifs et de résultats plutôt qu'en termes de moyens. Il a noté des progrès dans ce domaine au ministère de l'éducation nationale, mais également au ministère de l'équipement, de l'intérieur ou de la justice. Parmi les réformes non réalisées, il a cité la réforme du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, qu'il a pourtant estimée indispensable.

M. Philippe Nasse a ajouté, en réponse à M. François Trucy, que le dérapage des dépenses de santé ne pose pas un problème statistique. Il existe des indicateurs pertinents comme l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM), mais l'important est de faire en sorte que les praticiens limitent leurs prestations. Il n'y a pas actuellement de lien entre l'ONDAM et les comportements individuels des prescripteurs, ce qui explique, pour l'essentiel, l'échec des mécanismes de régulation des dépenses de santé.

M. Jacques Bonnet a répondu à M. Michel Charasse que lui-même et M. Philippe Nasse avaient bien eu connaissance de tous les documents réalisés par la direction du budget sur la situation des finances publiques. Il a d'ailleurs relevé que ces documents étaient plus réalistes qu'à une certaine période où il s'agissait avant tout de dramatiser la situation financière de l'Etat. S'agissant du dérapage des dépenses, il a expliqué qu'il résultait à la fois de la hausse des dépenses de fonctionnement et d'investissement, et qu'il avait notamment constaté une meilleure consommation des crédits d'investissement dans les ministères de la défense et de la justice. Puis il a expliqué qu'il n'avait pas enregistré d'augmentation irréfléchie des dépenses au cours du premier semestre 2002, mais que l'augmentation de celles-ci résultait en grande partie d'une politique de « guichet ouvert », notamment pour des prestations comme le revenu minimum d'insertion (RMI). Il a ajouté que pour certaines politiques qui venaient d'être mises en oeuvre, les prévisions budgétaires avaient été dépassées.

M. Philippe Nasse a répondu à M. Michel Charasse que les contraintes posées par l'Union européenne expliquaient seulement pour partie la complexité de notre système de financement de la sécurité sociale, l'essentiel de la complexité venant des décisions nationales. En réponse à Mme Marie-Claude Beaudeau, il a expliqué que l'estimation du coût de la baisse des impôts comme équivalente à 2,4 % du PIB avait simplement été reprise du rapport économique, social et financier présenté par le précédent Gouvernement. Il a ajouté que l'on pouvait estimer qu'en l'absence d'une telle diminution des prélèvements obligatoires, la France aurait enregistré un déficit, moins élevé, de 1 % du PIB. Concernant les conséquences sur l'emploi de la diminution des charges sociales pour les emplois peu qualifiés ou encore de la compensation de la réduction du temps de travail à 35 heures, il a déclaré qu'aucun économiste n'était en mesure de donner de chiffres précis.

En réponse à M. Paul Loridant, M. Jacques Bonnet a indiqué que les auditeurs avaient pris en compte les estimations de l'INSEE, qui prévoient une amélioration de la croissance au cours du second semestre 2002. En réponse à M. Bernard Angels, il a confirmé que le principe du « gel républicain » avait été respecté par le précédent Gouvernement.

M. Philippe Nasse a répondu à M. Joël Bourdin, concernant le renforcement de l'expertise indépendante en matière de finances publiques, que la Cour des comptes menait déjà avec des moyens suffisants un travail important en matière d'audit des comptes clos. S'agissant de l'évaluation, il a expliqué qu'il existait des moyens, notamment à la direction de la prévision du ministère de l'économie et des finances, mais que ceux-ci étaient à la seule disposition du ministre. Il a cité les travaux du commissariat général du Plan, placé auprès du Premier ministre, qui étaient plus largement diffusés. Il a regretté qu'il n'existe pas de moyens d'évaluation indépendants, et il a pris l'exemple de la Cour des comptes des Pays-Bas, qui s'orientait désormais vers des travaux de prévision, en sus de ses activités de contrôle budgétaire ex post. S'agissant du taux de croissance nécessaire pour atteindre l'équilibre des finances publiques en 2004, il a relevé qu'il serait insuffisant de se fonder sur ce seul indicateur, mais qu'il fallait considérer, avant tout, le taux d'évolution de la dépense publique.

En réponse à M. Jean Arthuis, M. Philippe Nasse a indiqué que le Fonds de réserve des retraites avait reçu 600 millions d'euros de produits de privatisation venant de l'ouverture du capital d'Autoroutes du sud de la France (ASF). S'agissant des soins de ville, il a rappelé que l'ONDAM leur fixait un taux de croissance de 6 % et que le taux de 7,4 % estimé au premier semestre 2002 avait été retenu après consultation des experts de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Enfin, il a déclaré que les comptes de la sécurité sociale ne pouvaient être certifiés d'un point de vue juridique, mais qu'il était nécessaire qu'ils puissent au moins être audités, ce qui imposait de combattre la complexité croissante et désormais intolérable de ces comptes.