IV. DÉBATS SÉNAT PREMIÈRE LECTURE DU 4 DÉCEMBRE 2010

Séance du samedi 4 décembre 2010

Article 86 ter (nouveau)

M. le président. Article 86 ter I. - L'article L. 251-2 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sauf pour les soins délivrés aux mineurs et pour les soins inopinés, la prise en charge mentionnée au premier alinéa est subordonnée, pour les soins hospitaliers dont le coût dépasse un seuil fixé par décret en Conseil d'État, à l'agrément préalable de l'autorité ou organisme mentionné à l'article L. 252-3 du présent code. Cet agrément est accordé dès lors que la condition de stabilité de la résidence mentionnée au même article L. 252-3 est respectée et que la condition de ressources mentionnée à l'article L. 251-1 est remplie. La procédure de demande d'agrément est fixée par décret en Conseil d'État. »

II. - Le dernier alinéa de l'article L. 252-3 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Toutefois le service des prestations est conditionné au respect de la stabilité de la résidence en France, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. »

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Alain Milon, rapporteur pour avis. L'article 86 ter prévoit, lui, l'obligation d'un accord préalable des caisses pour les soins hospitaliers les plus coûteux et celle de résidence en France pendant la durée des soins.

L'évolution des dépenses n'est pas disproportionnée dans le cadre de l'AME par rapport à celle de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM. Il s'agit, en effet, d'une augmentation de 43 %, comme Mme la secrétaire d'État l'a précisé tout à l'heure, alors que, sur la même période, elle s'élève à 35 % pour le reste des assurés sociaux.

L'augmentation des dépenses hospitalières, dont nous avons parlé, expliquerait, d'après les services du ministère de la santé, la moitié de la hausse du coût de l'AME depuis 2008. Or cette croissance est moins due à une recrudescence du nombre des soins ou à leur plus grande complexité qu'à la nouvelle tarification adoptée par les hôpitaux. Je vous renvoie à ce qu'a dit, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Alain Vasselle, sur le problème des groupes homogènes de séjours et des tarifs journaliers de prestations.

Si la commission des affaires sociales admet la nécessité d'une obligation de résidence pendant les soins, elle ne peut, cependant, se rallier à la mise en place d'un agrément préalable des caisses pour les soins hospitaliers coûteux.

En effet, cette disposition ne paraît pas pouvoir être réellement efficace dès lors que, comme le reconnaissent les auteurs des amendements correspondants à l'Assemblée nationale, les soins inopinés ne peuvent être soumis à cette procédure d'agrément préalable.

Celle-ci s'apparente à un réexamen systématique des conditions d'accès à l'AME, dont la durée moyenne actuelle est de vingt-trois jours. Ainsi, soumettre la conduite d'examens à un délai si long ne peut que conduire à aggraver la situation sanitaire du malade.

Une telle procédure est également susceptible de pousser les bénéficiaires de l'AME à retarder leur demande de soins, détériorant également leurs conditions de santé.

Elle risque, enfin, de transformer les examens planifiés en soins inopinés, lesquels perdraient ainsi toute leur efficacité.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales vous propose de supprimer l'obligation d'agrément préalable tout en maintenant celle de résidence pour l'accès aux soins et aux prestations.

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.

L'amendement n° II-38 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L'amendement n° II-157 est présenté par MM. Autain et Fischer, Mmes Pasquet, David, Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.

L'amendement n° II-214 rectifié est présenté par MM. Teulade, Daudigny, Godefroy, Le Menn et Gillot, Mmes Printz, Alquier, Campion, Demontès, Ghali, Jarraud-Vergnolle, Le Texier, Schillinger et San Vicente-Baudrin, MM. Cazeau, Jeannerot, Kerdraon, S. Larcher et les membres du groupe socialiste et apparentés.

L'amendement n° II-288 rectifié est présenté par M. Collin et Mme Escoffier.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° II-38.

M. Jean Desessard. Par cet amendement, nous, les sénatrices et sénateurs écologistes, demandons la suppression de l'article 86 ter , qui conditionne le bénéfice de la prise en charge pour certains soins au titre de l'AME à un agrément préalable.

Cette disposition laisse à penser qu'une majorité d'étrangers fraudent. Après la fraude documentaire des candidats à l'immigration, voici revenu le mythe de l'étranger fraudeur aux soins !

Selon les chiffres-chocs soumis, le dispositif de l'AME subirait 50 % de fraudes. Mais que recouvre exactement ce chiffre de la révision générale des politiques publiques ?

Premièrement, si l'on regarde de plus près, ces fraudes ont été constatées sur la totalité des contrôles effectués, exercés non pas de manière aveugle, mais sur dénonciation ou suspicion de fraude.

Dès lors, dans un cas suspicieux sur deux, la fraude présumée n'existe pas ! Il serait donc utile de préciser que les cas de fraude concernent les opérations où celle-ci est présumée, et non leur ensemble.

Deuxièmement, je souhaite vous soumettre également un chiffre éloquent : 70 % des AME correspondent à des frais d'hospitalisation. Admettez, mes chers collègues, qu'il semble très difficile de commettre des fraudes lorsqu'une hospitalisation est en cause ! À mon souvenir, il n'y a eu ni substitution d'identité enregistrée ni chirurgie esthétique constatée !

Le raisonnement de la majorité s'écroule donc devant cette évidence : l'AME est utilisée principalement à la fois pour des pathologies importantes, mais également en dernier lieu, car l'étranger sans papiers ne profite pas d'un système. Au contraire, il a plutôt tendance à attendre le dernier moment pour recourir aux soins. Le système d'AME que vous proposez va encore aggraver cette situation.

J'ajoute, mes chers collègues, que nous doutons de l'efficacité du dispositif qui est proposé. Demander un agrément préalable revient non seulement à alourdir la procédure, mais également à transférer sur les professionnels de santé les charges de l'AME.

Avec ou sans accord, les professionnels dispenseront les soins, car quelquefois, l'urgence ou la gravité des pathologies justifieront une réaction immédiate.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour présenter l'amendement n° II-157.

Mme Évelyne Didier. À ce stade des débats, il ne me paraît pas inutile de rappeler précisément ce dont on parle. Aux dires de certains, on pourrait croire que les dépenses liées à l'AME coûtent une somme considérable à notre pays. En réalité, il n'en est rien puisque le rapport de l'IGAS et de l'IGF précise qu'elles représentent moins de 0,3 % des 160 milliards d'euros de dépenses engagées par l'assurance maladie, tous régimes confondus. Le prétexte avancé est donc fallacieux.

Constater la faiblesse de ces dépenses ne nous interdit toutefois pas de réfléchir et de chercher à limiter la fraude, ce qui est tout à fait légitime. Or les articles que nous examinons, dont les dispositions sont, dans la pratique, irréalisables, ne participent pas de ce débat raisonné. Ils constituent une charge en règle contre l'AME, contre la tradition de notre pays en matière d'accueil et, en définitive, contre les politiques de prévention et la santé publique.

L'article 86 ter , qui vise ni plus ni moins à soumettre l'exercice de la médecine à l'octroi d'une autorisation préalable, n'y fait pas exception.

On peut d'ailleurs craindre que cette mesure ne soit qu'une phase, une expérimentation destinée à réduire la prise en charge par la dépense publique, fiscale ou sociale, en conditionnant l'ensemble des actes médicaux onéreux à une autorisation préalable.

Par ailleurs, nous regrettons que cette disposition, qui constitue un acte de méfiance à l'égard de la communauté médicale, renvoie la délivrance de cette autorisation aux préfets, l'article L. 252-3 du code de l'action sociale et des familles faisant tout à la fois référence au « directeur de la caisse primaire d'assurance maladie des travailleurs salariés » et au « représentant de l'État dans le département ». Ces derniers ne disposent d'aucune légitimité en termes de santé. On peut même craindre que cette disposition, présentée comme une mesure de rationalisation des dépenses de santé, ne permette en fait aux préfets de disposer d'éléments complémentaires afin de participer de manière plus fructueuse, si j'ose dire, à la politique de lutte contre l'immigration.

Pour toutes ces raisons, et parce que cette disposition semble vraiment contraire aux idées fondamentales de notre pays qui garantissent l'accès de tous à la santé, le groupe CRC-SPG propose la suppression de l'article 86 ter . (M. Jean Desessard applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, pour présenter l'amendement n° II-214 rectifié.

Mme Bernadette Bourzai. Tout d'abord, je crois utile de rappeler certaines évidences et d'exposer certains faits, qui, s'ils semblent incontestables et acquis pour certains, ne le sont pas pour d'autres, à moins, peut-être, qu'ils ne feignent de les ignorer...

Rappelons donc que, pour accéder à l'AME, les étrangers en situation irrégulière doivent déjà aujourd'hui satisfaire à des conditions strictement contrôlées, c'est-à-dire être présents depuis plus de trois mois sur le territoire, vivre en France de façon permanente et habituelle, disposer de ressources inférieures à 634 euros par mois.

Par ailleurs, le droit à l'aide médicale d'État est actuellement valable pour une durée d'un an renouvelable. Aussi, tous les ans, les demandeurs doivent apporter toutes les preuves nécessaires pour l'obtenir et se soumettre aux contrôles de leur identité, de leur résidence, de leurs ressources.

Cette procédure, qui, on le voit bien, est exigeante, rend difficile l'obtention de l'AME. N'oublions pas tout de même que les associations consacrent une partie importante de leur temps de travail à accompagner vers le droit à la santé et l'accès aux soins les bénéficiaires qui ont du mal à rassembler tous les justificatifs nécessaires.

De plus, ces difficultés d'accès à l'AME sont déjà source de ruptures de prise en charge au moment du renouvellement annuel.

L'article 86 ter vise à soumettre à l'agrément préalable des caisses primaires d'assurance maladie et au contrôle systématique des conditions de ressources et de stabilité de résidence les soins hospitaliers dont le montant dépasserait un seuil fixé par décret en Conseil d'État, le coût du forfait hospitalier journalier étant également concerné. Il ne peut qu'engendrer des lourdeurs administratives préjudiciables à la délivrance des soins aux personnes concernées.

Une telle disposition non seulement retardera la prise en charge médicale et provoquera des discontinuités graves dans les soins et la prévention, mais pourra aussi conduire à un renoncement pur et simple des demandes d'agrément, en raison de démarches insurmontables devant être renouvelées fréquemment.

De surcroît, elle créera nécessairement une charge administrative supplémentaire, dont les hôpitaux et les caisses primaires d'assurance maladie gagneraient à se passer.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l'amendement n° II-288 rectifié.

Mme Anne-Marie Escoffier. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Ayant vous-même été préfet voilà quelques années, ma chère collègue, vous auriez pu être appelée à prendre des décisions comme celles qu'a exposées tout à l'heure Mme Didier.

Quel est l'avis de la commission sur ces quatre amendements identiques ?

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. Monsieur le président, je confirme que la commission des finances s'en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. L'article 86 ter vise à instaurer une double condition : la stabilité de la résidence durant l'ensemble de la période des droits ouverts et la délivrance d'un agrément préalable du représentant de l'État ou de la caisse primaire d'assurance maladie pour une hospitalisation dont le coût est supérieur à un seuil fixé par décret du Conseil d'État. L'agrément sera obligatoire à l'occasion du service de prestations particulièrement coûteuses, afin de lutter contre la fraude.

Je voudrais rappeler que, pour les bénéficiaires de la CMU de base et de la CMU complémentaire, la condition de stabilité de la résidence peut être vérifiée à tout moment et, le cas échéant, donner lieu à suspension ou suppression des prestations.

L'agrément en question ne sera exigé ni pour les soins de ville ni pour les soins hospitaliers inopinés, qu'ils soient urgents ou simplement programmés. Je l'ai d'ailleurs précédemment indiqué.

Je précise de nouveau qu'un décret en Conseil d'État fixera le seuil et précisera la notion de soins inopinés.

Par conséquent, le Gouvernement demande aux auteurs de ces quatre amendements identiques de bien vouloir les retirer.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n os II-38, II-157, II-214 rectifié et II-288 rectifié.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas les amendements.)

M. le président. L'amendement n° II-279, présenté par M. Milon, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Alinéas 1 et 2

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Alain Milon, rapporteur pour avis. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. La commission des finances s'en remet à la sagesse du Sénat, monsieur le président.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Avis défavorable, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-279.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 86 ter , modifié.

(L'article 86 ter est adopté.)