ARTICLE 96 : PRÉLÈVEMENT EXCEPTIONNEL SUR LE FONDS PARITAIRE DE SÉCURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS (FPSPP)

I. TEXTE DU PROJET DE LOI

I. - Il est institué en 2011 trois prélèvements sur le fonds national mentionné à l'article L. 6332-18 du code du travail :

1° Un prélèvement de 124 millions d'euros au bénéfice de l'institution nationale publique mentionnée à l'article L. 5312-1 du même code, dont 74 millions d'euros seront affectés au financement de la prime pour l'aide à l'embauche des jeunes de moins de 26 ans en contrat de professionnalisation et 50 millions d'euros au financement des actions mises en oeuvre par cet organisme en faveur de la convention de reclassement personnalisée, définie par les articles L. 1233-65 à L. 1233-70 du même code ;

2° Un prélèvement de 50 millions d'euros au bénéfice de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes mentionnée au 3° de l'article L. 5311-2 du même code destiné à financer la mise en oeuvre des titres professionnels délivrés par le ministre chargé de l'emploi conformément à l'article L. 335-6 du code de l'éducation ;

3° Un prélèvement de 126 millions d'euros au bénéfice de l'Agence de services et de paiement mentionnée à l'article L. 313-1 du code rural et de la pêche maritime destiné à financer la rémunération des stagiaires relevant des actions de formation, définie par les articles L. 6341-1 à L. 6341-7 du code du travail.

II. - Le versement de cette contribution se fera en deux fois, avant le 31 janvier 2011 et avant le 31 juillet 2011. Le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions relatifs à ces prélèvements sont régis par les règles applicables en matière de taxe sur les salaires.

III. - Un décret pris après avis du fonds national mentionné à l'article L. 6332-18 du code du travail précise les modalités de mise en oeuvre des prélèvements ainsi établis.

II. RAPPORT ASSEMBLÉE NATIONALE N° 2857 TOME III (2010-2011) ANNEXE 45

Observations et décision de la Commission :

Le présent article institue trois prélèvements sur le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels et les affecte à trois organismes (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, AFAP, Agence de services et de paiement, ASP, et Pôle emploi) intervenant dans le champ de l'emploi et de la formation professionnelle.

I.- LES PRÉLÈVEMENTS ENVISAGÉS TOTALISANT 300 MILLIONS D'EUROS RISQUENT DE DÉSTABILISER LE FONDS MIS EN PLACE PAR LA LOI DU 24 NOVEMBRE 2009

A.- LA LOI DU 24 NOVEMBRE 2009 VISAIT À SANCTUARISER LES FONDS DES OPCA

L'accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 sur le développement de la formation tout au long de la vie professionnelle, la professionnalisation et la sécurisation des parcours professionnels avait prévu la mise en place de moyens spécifiques pour assurer la qualification ou la requalification des salariés et des demandeurs d'emploi dont le déficit de formation fragilise l'entrée, le maintien ou le retour à l'emploi. Il prévoyait en particulier la création d'un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Ce fonds devait être alimenté par des contributions assises sur les contributions légales des entreprises au développement de la formation professionnelle continue.

Reprenant le cadre déjà tracé, l'article 18 de la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie a institué un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) transposant ainsi l'accord du 7 janvier. Ce fonds paritaire, agréé par arrêté du 12 mars 2010, a remplacé le fonds unique de péréquation (FUP) chargé, avant l'intervention de la loi, de gérer, dans une logique de péréquation, les excédents financiers dont peuvent disposer les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) ainsi qu'une contribution comprise entre 5 % et 10 % des fonds collectés au titre de la professionnalisation. Codifiées aux articles L. 6332-18 à L. 6332-22-2 du code du travail, les missions du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels ont été élargies.

Le V de l'article 18 précise surtout - innovation importante introduite à l'initiative du rapporteur du Sénat, notre collègue Jean-Claude Carle - dans un nouvel article L. 6332-22-1 inséré dans le code du travail que « Les sommes dont dispose le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels au 31 décembre de chaque année constituent, l'année suivante, des ressources de ce fonds. » .

L'objectif de cette disposition était précisément d'éviter que les éventuels excédents du FPSPP puissent être mobilisés par l'État pour abonder son propre budget. En l'état, le présent article du projet de loi de finances méconnaît cette règle, remettant en cause le texte voté et l'intention du législateur. S'il demeure loisible à ce dernier de modifier une disposition législative ou d'y créer des dérogations circonstanciées, le souci de cohérence devrait l'inciter à ne pas adopter deux dispositions incompatibles à quelques mois d'intervalle.

B.- CES PRÉLÈVEMENTS DE 300 MILLIONS D'EUROS OBÉRERAIENT GRAVEMENT LA TRÉSORERIE DU FPSPP

Selon les informations recueillies par le Rapporteur spécial, les contributions à ce fonds sont estimées en 2010 à 811 millions d'euros - sur la base du taux de 13 % des contributions dues par les entreprises - auxquels il convient d'ajouter environ 50 millions d'euros au titre de produits complémentaires (disponibilités excédentaires des organismes collecteurs paritaires agréés, produits financiers, reversement du trésor public, produits divers...).

Les ressources du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels

Le financement du FPSPP provient de deux sources.

- d'une part le versement par les OPCA agréés au titre de la professionnalisation et du congé individuel de formation de disponibilités excédentaires pour un montant qui s'est élevé à 37 millions d'euros en 2009.

- d'autre part, une contribution égale au pourcentage maximum de 13 % des obligations légales de droit commun des employeurs au financement de la formation professionnelle continue (0,55 % de la masse salariale pour les employeurs de moins de dix salariés et 1,6 % pour les employeurs de dix salariés et plus).

Ce pourcentage a été appliqué également à la contribution de 1 % assise sur les rémunérations versées aux titulaires d'un contrat à durée déterminée par tous les employeurs pour contribuer au financement du congé individuel de formation des salariés en contrat à durée déterminée.

Ce pourcentage maximum de 13 % a été fixé pour l'année 2010 par arrêté du 18 janvier 2010 sur proposition des partenaires sociaux. Les sommes ainsi recueillies se sont élevées à 811 millions d'euros.

Les documents prévisionnels établis par le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels font apparaître que celui-ci prévoit d'engager près d'1 milliard d'euros au titre de la convention cadre conclue entre l'État et le FPSPP. Ces dépenses doivent permettre en 2010 de soutenir les contrats en alternance, à financer le développement de formations visant à acquérir des savoirs de base et à appuyer les actions de formation pour les salariés fragilisés par la crise (licenciés économiques ou salariés en activité partielle).

Le Fonds doit par ailleurs faire face à 630 millions d'euros d'engagements souscrits antérieurement au 1 er janvier 2010 ; afin d'y faire face, celui-ci dispose du reliquat de ressources de l'exercice précédent, des nouvelles ressources de l'exercice, ainsi que divers produits annexes pour un montant total de 1,1 milliard d'euros.

Le FPSPP prévoit de mobiliser ces ressources à hauteur de 640 millions d'euros au cours de l'exercice 2010 pour payer les engagements souscrits antérieurement ou au cours de l'exercice. Selon le conseil d'administration du fonds, le niveau de trésorerie pourrait s'élever en fin d'année 2010 à 470 millions d'euros.

? Au-delà du montant ainsi prélevé, la décision du Gouvernement risque d'avoir des conséquences très négatives sur les capacités d'engagement du FPSPP.

En effet, manifestant leur défiance, les partenaires sociaux siégeant au sein du Comité paritaire national de la formation professionnelle (CPNFP) ont décidé, le 5 octobre, de proposer de fixer pour 2011 le taux de contribution au FPSSP des OPCA des fonds de la formation professionnelle à 10 % de la collecte, alors que la loi leur permet d'aller jusqu'à 13 %, ce qui avait été décidé en 2010. Si la décision est confirmée, le fonds ne serait donc pas crédité l'an prochain de 850 millions d'euros, mais de 650 millions seulement.

Dans ces conditions, le Rapporteur spécial s'inquiète de la situation financière du fonds qui pourrait se révéler extrêmement tendue sur l'exercice 2011, en particulier en fin d'année. Inévitablement, l'offre de formation financée par le fonds s'en ressentira, au détriment des salariés et des demandeurs d'emploi.

II.- EN ALIMENTANT DES ORGANISMES QUI REÇOIVENT, POUR LES DISPOSITIFS VISÉS, UNE SUBVENTION DE L'ÉTAT, CET ARTICLE ENGENDRE UNE DIMINUTION À DUE CONCURRENCE DES DÉPENSES DE L'ÉTAT EN 2011

A.- LE PRÉLÈVEMENT ENVISAGÉ PERMETTRAIT DE RÉDUIRE LES DÉPENSES DE L'ÉTAT RELEVANT DES PROGRAMMES N° 102 ET N° 103 DE LA MISSION TRAVAIL ET EMPLOI.

Le présent article propose d'affecter les excédents du fonds de sécurisation des parcours professionnels, au financement de dépenses jusqu'alors assurées par l'État dans le domaine de la formation professionnelle pour un montant total de 300 millions d'euros, grâce à trois prélèvements distincts :

- Aux termes de l' alinéa 2 (1° du I) , une part de 74 millions d'euros sera affectée à Pôle emploi, afin de prendre en charge la prime relative au contrat de professionnalisation , dont elle assure déjà la gestion.

Cette prime fait partie des mesures prises par le Gouvernement dans le cadre du Plan d'urgence pour l'emploi des jeunes. Elle permet, dans les conditions fixées par le décret n° 2009-694 du 15 juin 2009 (modifié par le décret n° 2010-894 du 30 juillet 2010), aux employeurs qui embauchent, en contrat de professionnalisation, un jeune de moins de 26 de recevoir une prime de 1 000 euros (ou 2 000 euros dans certains cas).

Ce dispositif faisait l'objet en 2010 d'une dotation à hauteur de 144,5 millions d'euros, inscrite sur le programme n° 316 de la mission Plan de relance de l'économie du budget de l'État. Le dispositif, initialement limité au 30 juin 2011, a été prolongé jusqu'au 31 décembre 2010 : cette prolongation se traduira par des paiements à réaliser en 2011 au titre de l'année précédente.

Une autre part de 50 millions d'euros sera versée à Pôle emploi, pour le financement des actions de formation que celui-ci met aujourd'hui en oeuvre dans le cadre des conventions de reclassement personnalisé (CRP) .

Créées par la loi du 18 janvier 2005, celles-ci permettent un accompagnement renforcé vers l'emploi pour une période de huit mois pour les salariés victimes d'un licenciement économique. L'an dernier, l'État contribuait à son financement à hauteur de 47,4 millions d'euros via le programme n° 316.

- Le deuxième prélèvement de 50 millions d'euros , prévu à l' alinéa 3 (2° du I) , est perçu par l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) pour lui permettre d'assurer de continuer à assurer la certification , c'est-à-dire la mise en oeuvre des titres professionnels délivrés par le ministère chargé de l'emploi 1 ( * ) . En LFI pour 2010, le versement d'une dotation de 59,3 millions d'euros par l'État à l'AFPA était inscrit sur le programme n° 103 de la mission Travail et emploi .

- L'alinéa 4 (3° du I) affecte 126 millions d'euros vers l'Agence des services de paiement aux fins de rémunération des stagiaires de la formation professionnelle , auxquelles elle assure déjà le versement de leur rémunération pour le compte de l'État.

Celui-ci prend, en effet, en charge la rémunération des demandeurs d'emploi non indemnisés par le régime d'assurance chômage poursuivant une formation agréée par l'État conformément aux articles L. 6341-1 à L. 6341-8 du code du travail.

L'an dernier, une dotation de 208,43 millions d'euros était inscrite à ce titre sur le programme n° 103.

Le Rapporteur spécial observe que, sans la décision d'attribuer une recette extra budgétaire de 300 millions d'euros, les dotations finançant ces différents dispositifs, et donc le budget de la mission Travail et emploi , auraient été majorés d'un montant équivalent.

L' alinéa 5 prévoit en outre que le présent article est applicable à compter du 1 er janvier 2011. Il et cependant prévu expressément que la contribution du FPSPP soit perçue dans des délais qui ne mettent pas en difficulté la trésorerie du fonds, soit en deux fois, avant le 31 janvier 2011 et avant le 31 juillet 2011.

Enfin, l' alinéa 6 renvoie à un décret le soin de préciser les modalités de mise en oeuvre de ces prélèvements. Celui-ci devra faire l'objet d'une consultation préalable du conseil d'administration du FPSPP.

B.- CET ARTIFICE EXTRA-BUDGÉTAIRE LAISSE ENTIÈRE LA QUESTION DU FINANCEMENT EN 2012 ET 2013 DE CES DISPOSITIFS

Avec le présent article, l'État renoue avec une habitude ancienne de mobilisation des fonds de la formation professionnelle, au mépris de l'autonomie des partenaires sociaux. Au cours des quatre derniers exercices, les fonds de la formation professionnelle ont fait l'objet de pas moins de trois prélèvements - tous exceptionnels - pour un montant total de 425 millions d'euros.

En 2007, renonçant sur la demande de la commission des Finances à lui affecter une part de la majoration de la taxe d'apprentissage, le Gouvernement avait déjà transféré à l'AFPA 175 millions d'euros prélevés sur le FUP et le Fonds de solidarité (article 145 de la loi n° 2006-1666 du 29 décembre 2006 de finances pour 2007).

L'année suivante, l'article 134 de la loi de finances pour 2008 (n° 2007-1822 du 24 décembre 2007) avait à nouveau institué un prélèvement de 200 millions d'euros sur le FUP, au profit du Fonds de solidarité, afin de financer l'allocation de fin de formation .

Aux termes de l'article 187 de la loi de finances initiale pour 2009 (n° 2008-1425 du 27 décembre 2008), un prélèvement exceptionnel de 50 millions d'euros au bénéfice de Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) a été institué sur l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH) afin de financer les stagiaires handicapés de formation professionnelle .

Le présent article n'est donc qu'un épisode de plus dans une longue série de prélèvements. À chaque fois, la question de la pérennité de ces financements est posée avec acuité. Le Rapporteur spécial observe en effet qu'il s'agit, cette fois-ci comme les précédentes, de recettes non pérennes, ce qui, sans autre aménagement, ne facilitera pas la construction du budget pour 2012 et 2013

Faute de pouvoir opérer de tels prélèvements chaque année, ce que la trésorerie des organismes concernés - FPSPP ou Agefiph 2 ( * ) - ne supporterait pas, il faudra donc soit admettre la nécessité de consacrer davantage de crédits au travail et à l'emploi , en particulier en période de crise, soit retrancher lourdement dans les dépenses ainsi financées.

*

* *

M. le Président Jérôme Cahuzac. J'en viens à l'amendement n° II-CF-147 du groupe SRC à l'article 96.

M. Henri Nayrou. Cet amendement de suppression entend empêcher un véritable hold-up de l'État sur le fonds de sécurisation des parcours professionnels, financé par les organismes paritaires collecteurs agréés.

M. le Président Jérôme Cahuzac. Quelle est la position du Rapporteur spécial ?

M. Jean Launay, suppléant le Rapporteur spécial. Nous avons déjà abordé ce débat en commission élargie. Avis favorable à l'amendement de suppression.

La Commission rejette l'amendement n° II-CF-147, puis elle adopte l'article 96 sans modification .


* 1 Cf . II. B. 1. a).

* 2 Se reporter à l'article 97, et à son commentaire, qui instaure un transfert de dépenses assez analogue à l'AGEFIPH.