M. Jean-Claude Frécon, rapporteur spécial

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE
RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LE PROGRAMME 165 « CONSEIL D'ÉTAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »

- Les crédits du programme augmentent de 4,8 % par rapport à 2010 avec 337,6 millions d'euros en CP. Cette progression significative des moyens fait suite à celle encore plus substantielle (+ 5,7 %) enregistrée en 2010. Dans un contexte budgétaire tendu, elle confirme l'importance attachée aux moyens de la justice administrative.

- En 2011, le présent programme comptera 40 ETPT supplémentaires en vue de poursuivre l'amélioration des délais de jugement des juridictions.

- Le niveau de progression des crédits du programme « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » ainsi que le renforcement de ses effectifs imposent une exigence de résultats forte aux juridictions administratives.

- Les résultats encourageants obtenus en termes de délais de traitement , grâce notamment à de notables efforts de productivité, demandent à être confirmés.

- La faible performance de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) représente un motif de préoccupation. L'objectif de ramener son délai moyen de jugement à six mois a été repoussé en 2013 et ce délai s'établit, pour 2010, à un an et trois mois. La Cour s'est engagée dans une démarche volontariste de modernisation, avec un renforcement significatif de ses moyens humains, en vue de rétablir son niveau de performance.

- Afin d'améliorer la mesure de l'efficience de la CNDA, votre rapporteur spécial souhaiterait l'ajout d'un sous-indicateur la concernant dans le cadre de l'indicateur 3.1 « Nombre d'affaires réglées par membre du Conseil d'Etat ou par magistrat des tribunaux administratifs et des cours d'appel ».

Au 10 octobre 2010, date limite, en application de l'article 49 de la LOLF, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent programme, 100 % des réponses étaient parvenues à votre rapporteur spécial.

II. LE PROGRAMME 165 : « CONSEIL D'ETAT ET AUTRES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES »

A. LA FINALITÉ DU PROGRAMME : LE RESPECT DU DROIT PAR LES ADMINISTRATIONS

Le programme 165 « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » a pour objet le respect du droit par les administrations , au travers d' activités contentieuses, de conseil ou d'expertise . Il inclut, outre le Conseil d'Etat, 8 cours administratives d'appel (CAA) et 42 tribunaux administratifs (TA) 4 ( * ) , dont 11 dans les collectivités d'outre-mer 5 ( * ) .

L'activité de conseil du Conseil d'Etat comporte, notamment, l'examen des projets de loi, d'ordonnances, de décrets en Conseil d'Etat, ainsi que des projets d'actes communautaires. Le Conseil d'Etat peut être saisi par le Gouvernement, et les autres juridictions administratives peuvent l'être par les préfets, de toute difficulté d'ordre juridique ou administratif.

Par ailleurs, depuis le 1 er janvier 2009, le programme comprend également la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) , notamment compétente pour statuer sur les recours formés contre les décisions de l'Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), accordant ou refusant le droit d'asile, retirant ou mettant fin au bénéfice de ce droit.

Le responsable de ce programme est le vice-président du Conseil d'Etat, Jean-Marc Sauvé .

B. LA FONCTION JURIDICTIONNELLE MOBILISE PLUS DE 90 % DES MOYENS

Avant ventilation, l'action de soutien représente près du cinquième du programme.

Toutefois, après ventilation des CP, il ressort que la fonction juridictionnelle représente plus de 90 % du présent programme. Les CP consacrés à cette fonction sont, par ailleurs, dédiés à 61,1 % aux TA.

La ventilation des CP fait, en outre, ressortir un abondement des crédits du présent programme, correspondant à un transfert de 0,8 million d'euros en provenance du programme « Entretien des bâtiments de l'Etat » de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ».

Source : projet annuel de performances pour 2011 de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat »

C. UNE ÉVOLUTION NOTABLE DES DOTATIONS : + 4,8 % DE CRÉDITS DE PAIEMENT

Le présent programme comporte 347,9 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 337,6 millions d'euros en CP , en progression de 4,8 % par rapport à la loi de finances pour 2010.

Cette augmentation significative des crédits fait suite à celle, encore plus substantielle (+ 5,7 %) enregistrée en 2010. Dans un contexte budgétaire tendu, elle confirme l'importance attachée aux moyens de la justice administrative .

Les tribunaux administratifs (action n° 3), notamment, bénéficient de cette hausse en voyant leurs crédits croître de 5,9 % en 2011.

Les dépenses de personnel (titre 2) ainsi que les dépenses de fonctionnement (titre 3) du programme progressent respectivement de 6 % (275,9 millions d'euros en 2011) et de 5,4 % (50,1 millions d'euros en 2011) . Les dépenses d'investissement (titre 5) diminuent en revanche de 10,8 % (11,6 millions d'euros en 2011). Il s'agit de la confirmation d'une tendance déjà observée en 2010.

Au sein de l'enveloppe budgétaire, la dotation relative aux frais de justice administrative correspond à 10,7 millions d'euros qui se répartissent entre les juridictions administratives de droit commun pour 8,1 millions d'euros (contre 8,9 millions d'euros en loi de finances pour 2010), la CNDA pour 1,9 millions d'euros (contre 2,1 millions d'euros en loi de finances pour 2010) et la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat pour 0,7 million d'euros (montant identique à celui prévu pour l'exercice 2010). En recul par rapport à 2010 (- 8,5 %), cette dotation permet essentiellement de couvrir les frais postaux, les frais de papier et les frais de traduction.

Concernant les frais de justice dans leur ensemble, votre rapporteur spécial souhaite saluer les efforts réalisés au sein de ce programme afin de parvenir à maîtriser ce poste de dépense .

Il souligne, toutefois, que le niveau de progression d'ensemble des crédits du programme « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » en 2011 impose une exigence de résultats forte aux juridictions administratives .

D. LA POURSUITE DU RENFORCEMENT DES EFFECTIFS

Confirmant une tendance engagée depuis déjà plusieurs années, la programmation triennale pour le programme « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » prévoit la création de 90 emplois sur la période 2011-2013 :

- 40 emplois équivalent temps plein travaillé (ETPT) en 2011 , dont 20 magistrats pour les TA et les CAA, 10 magistrats et 10 personnels de catégorie A pour la CNDA ;

- 30 ETPT en 2012, dont 5 magistrats et 5 agents de greffe pour les TA et les CAA et 20 emplois pour la CNDA ;

- 20 ETPT en 2013, dont 10 emplois pour les TA et les CAA (5 magistrats et 5 agents de greffe) et 10 rapporteurs pour la CNDA.

Au total, le plafond d'emplois fixé pour 2011 à 3 578 ETPT comprend :

- l'extension des emplois créés en 2010 sur 2011, à hauteur de 25 ETPT ;

- les créations d'emplois en 2011 à hauteur de 20 ETPT ;

- le transfert sortant de 3 ETPT au titre de la participation au service facturier des services du Premier ministre ;

- un ajustement technique du plafond à hauteur de 163 ETPT résultant, d'une part, de la modification à partir du 1 er janvier 2011 du mode de décompte des non titulaires non indiciés dans CHORUS (+ 240 ETPT) et, d'autre part, de l'ajustement du plafond d'emplois par rapport à la consommation constatée (- 77 ETPT).

Les créations d'emplois visent essentiellement à améliorer la situation d'engorgement à laquelle sont confrontés la CNDA et les TA en Ile-de-France 6 ( * ) . Elles doivent permettre d'éviter ainsi tout risque de dégradation des délais de jugement et de la qualité des décisions rendues, dans un contexte caractérisé par une forte augmentation du contentieux.

Au regard de la répartition par catégorie de ces créations d'emplois, il faut relever, dans cette programmation, le faible nombre de postes prévus pour les greffes. Cette faiblesse ne semble toutefois pas devoir constituer un réel sujet d'inquiétude, dans la mesure où les juridictions administratives ont su réaliser, au cours des dernières années, des gains d'efficacité significatifs dans la gestion des dossiers contentieux . Ainsi, le ratio agents de greffe / magistrat est-il passé de 1,31 en 2005 à 1,22 en 2009, cette évolution traduisant les efforts notables des agents de greffe pour faire face à la croissance rapide du contentieux.

E. LA NÉCESSAIRE MODERNISATION DE LA COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE (CNDA)

Depuis le 1 er janvier 2009, la CNDA est intégrée au présent programme (action n° 7) 7 ( * ) . Juridiction administrative spécialisée et anciennement dénommée « Commission des recours des réfugiés », elle doit sa nouvelle appellation à l'article 29 de la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.

Cette cour est compétente pour statuer :

- sur les recours formés contre les décisions de l'OFPRA accordant ou refusant le droit d'asile, retirant ou mettant fin au bénéfice de l'asile ;

- sur les recours en révision dans le cas où il est soutenu que la décision de la cour a résulté d'une fraude ;

- sur les recours formés contre les décisions portant rejet d'une demande de réexamen.

En 2009, elle a été saisie de 25 039 recours et a rendu 20 240 décisions .

Votre rapporteur spécial rappelle que le rattachement au présent programme des crédits de cette juridiction correspond à une décision éminemment souhaitable , dès lors qu'il permet de conférer à cette cour une réelle autonomie budgétaire vis-à-vis de l'administration qu'elle est chargée de juger.

Ainsi que l'ont souligné votre rapporteur spécial ainsi que Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration » dans leur rapport d'information commun « La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) : une juridiction neuve, confrontée à des problèmes récurrents » 8 ( * ) , cette cour est toutefois confrontée à une dégradation alarmante de ses délais de jugement . Son pilotage est, en outre, rendu d'autant plus délicat qu'il dépend largement des fluctuations souvent imprévisibles de la demande d'asile et de la situation géopolitique internationale.

Afin de remédier à cette performance dégradée, la CNDA s'est engagée dans une démarche de modernisation passant notamment par un renforcement très significatif de ses moyens .

Ainsi, dès le 1 er septembre 2009, 10 magistrats supplémentaires ont été affectés à temps plein à la Cour. En 2011, et par dérogation à la règle générale de gel des emplois publics et de non remplacement d'un départ à la retraite sur deux , le Gouvernement a décidé de poursuivre ce mouvement de création de postes. Au total, la programmation triennale prévoit donc :

- 10 emplois supplémentaires de magistrats et 10 nouveaux emplois d'agents en 2011 ;

- 20 emplois nouveaux d'agents en 2012 ;

- 10 emplois nouveaux d'agents en 2013.

Ainsi, le plafond des emplois de la CNDA en année pleine, fixé à 246 ETPT en 2010, devrait passer à 254 ETPT en 2011 , puis à 269 ETPT en 2012 et à 284 ETPT en 2013 9 ( * ) .

L'effort portera principalement sur l'effectif des rapporteurs , dont il est prévu de porter le nombre à 135 à l'horizon 2013, soit un quasi-doublement par rapport à l'effectif de 70 constaté en 2009.

Du point de vue budgétaire, l'enveloppe consacrée à la CNDA passe de 17 millions d'euros en 2010 à 20,5 millions d'euros en 2011, soit une hausse de 20,6 % .

Traduisant le renforcement des effectifs de la juridiction, la dépense de personnel progresse de 21,9 % et s'élève à 15 millions d'euros .

Les crédits de fonctionnement (5,5 millions d'euros) sont également en forte hausse en 2011 par rapport à 2010 (+ 19,6 %) . Cette évolution s'explique, d'une part, par la prise à bail de surfaces supplémentaires courant 2010, et, d'autre part, par la programmation en 2011 de travaux de réaménagement des salles d'audiences (0,4 million d'euros).

Si votre rapporteur spécial adhère à cette logique de renforcement des moyens de la CNDA afin d'en améliorer les délais de jugement, il a toutefois rappelé, dans son rapport d'information précité, que « la logique d'accroissement des effectifs de la CNDA ne peut en aucun cas constituer la seule réponse à la performance sérieusement dégradée de cette juridiction » .

Dans cette perspective, il souligne notamment la nécessité de rationaliser la procédure de demande d'aide juridictionnelle (AJ) s'appliquant aux requérants devant la CNDA . Afin d'éviter un allongement excessif des délais de jugement du fait de demandes d'AJ tardives, un délai d'un mois à compter de la transmission au requérant de l'accusé de réception de son recours pourrait être imposé 10 ( * ) .

F. UNE AMÉLIORATION DE LA PERFORMANCE À CONFIRMER

La particularité du programme « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » réside, d'une part, dans l'impératif de maîtrise des délais de jugement et, d'autre part, dans la difficulté à évaluer la fonction consultative du Conseil d'Etat, des CAA et des TA.

La loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) fixait aux juridictions l'objectif de ramener leur délai de jugement à un an . Ce délai peut être désormais considéré comme globalement atteint. Le délai prévisible moyen de jugement des affaires (indicateur 1.1) est en effet de :

- 10 mois devant le Conseil d'Etat en 2010, avec une cible identique pour 2011 ;

- 11 mois et 15 jours dans les CAA et les TA, avec une cible de 11 mois pour 2011.

Pour autant, le délai moyen pour les affaires ordinaires (indicateur 1.2) apporte un éclairage utile et complémentaire sur cette performance d'ensemble. En effet, l'indicateur 1.1 « Délai prévisible moyen de jugement des affaires en stock » sous-estime largement le délai de jugement des affaires « ordinaires » et peut masquer des délais en réalité très élevés dans certaines matières, telles que les affaires au fond en matière de contentieux fiscal ou de contentieux des marchés publics. Il mêle des affaires réglées par simple ordonnance ou des affaires dont le jugement est enserré dans des délais particuliers 11 ( * ) avec les autres affaires.

Le délai moyen pour les affaires ordinaires fixé pour cible en 2011 est de deux ans et un mois dans les TA , de un an et trois mois dans les CAA et de un an et cinq mois au Conseil d'Etat.

Si les résultats des juridictions administratives sont ainsi encourageants, votre rapporteur spécial estime néanmoins qu'ils ne peuvent être considérés comme pleinement satisfaisants du point de vue du justiciable .

Cette performance en progrès demande, en outre, à être confirmée sur le moyen terme, dans la mesure où la progression du contentieux enregistrée sur longue période (+ 6 % en moyenne annuelle depuis près de quarante ans) devrait se maintenir dans les prochaines années . En effet, la mise en oeuvre du droit opposable au logement ou celle du revenu de solidarité active (RSA), par exemple, devraient se traduire par une augmentation du flux d'entrée des dossiers contentieux.

Les progrès accomplis en termes de délais de jugement ne se sont pas effectués au détriment de la qualité des décisions rendues . Ainsi, les taux d'annulation des décisions juridictionnelles sont restés, au cours des dernières années, relativement stables : moins de 16,5 % des jugements rendus par les TA sont annulés par les CAA par exemple (prévision actualisée pour 2010).

En revanche, la réduction des délais de jugement tient pour une part non négligeable à l'amélioration de la productivité des magistrats de l'ordre administratif . Ainsi, le nombre d'affaires réglées par magistrat dans les TA était de 262 en 2007, tandis que la prévision actualisée pour 2010 est de 275, ce niveau devant être maintenu en 2011 selon la prévision. Cette augmentation de la productivité peut tout autant être mise en lumière concernant les magistrats des CAA (109 affaires réglées en 2008, 120 en 2010 et une prévision de 125 pour 2011), tandis que le conseil d'Etat stabilise sa performance (86 affaires réglées en 2010 et une prévision identique pour 2011).

Concernant la fonction consultative du Conseil d'Etat , la proportion des textes examinés en moins de deux mois reste stable entre 2010 et 2011 : 80 % pour les lois et les ordonnances et 60 % pour les décrets.

La performance de la CNDA constitue la principale préoccupation au sein de ce tableau d'ensemble. Alors que l'objectif de cette juridiction était de ramener son délai prévisible moyen de jugement à six mois en 2011, ce délai était encore de un an, trois mois et neuf jours en 2009 et il devrait toujours être, selon la prévision actualisée, de un an et trois mois à la fin de l'année 2010. La cible pour 2011 est fixée à onze mois, tandis que l'objectif initial (six mois) a été repoussé à 2013.

Votre rapporteur spécial sera d'autant plus attentif au redressement de la performance de la CNDA, que d'importants moyens budgétaires lui sont désormais consacrés .

Par ailleurs, afin d'améliorer la mesure de l'efficience de cette cour, votre rapporteur spécial souhaiterait l'ajout d'un sous-indicateur concernant la CNDA dans le cadre de l'indicateur 3.1 « Nombre d'affaires réglées par membre du Conseil d'Etat ou par magistrat des tribunaux administratifs et des cours d'appel » .


* 4 Le TA de Nîmes a été ouvert le 1 er novembre 2006, celui de Toulon le 1 er septembre 2008 et celui de Montreuil le 1 er septembre 2009.

* 5 Les TA de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ont été créés en application de la loi n° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer.

* 6 Cf . Sénat, rapport spécial n° 101 (2009-2010) - tome III - annexe 6.

* 7 Auparavant, la CNDA relevait du programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration ».

* 8 Sénat, rapport d'information n° 9 (2010-2011).

* 9 Hors emploi du président de la Cour et des magistrats permanents.

* 10 Cf . rapport d'information précité.

* 11 Parmi ces affaires, on retrouve notamment les référés, les contentieux des reconduites à la frontière ou les contentieux des refus de titres de séjour accompagnés d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).