M. Roland du Luart, rapporteur spécial

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

• La mission « Justice » est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2011, de 7,127 milliards d'euros de crédits de paiement (hors fonds de concours), soit une majoration de 4,1 % . Ses autorisations d'engagement passent de 7,365 milliards d'euros à 8,797 milliards, soit une hausse de 19,4 % (après une baisse de 10,2 % en 2010).

• Sur la période 2011-2013 , les autorisations d'engagement de la mission « Justice » augmenteront de 14,3 % et les crédits de paiement de 3,3 % . Cette hausse confirme ainsi la priorité qui continuera d'être accordée sur le moyen terme à la présente mission.

• Dans un contexte budgétaire globalement tendu, cette progression des crédits de la mission illustre l'importance attachée à la justice et la priorité accordée à ses moyens depuis plusieurs années .

• De ce point de vue, il faut, notamment, relever l'augmentation de 3,5 % des dépenses de personnel qui s'élèvent à 4,363 milliards d'euros. Cet accroissement concerne au premier chef le programme « Administration pénitentiaire », qui connaît une évolution de + 6 % de ce poste de dépenses.

• Les efforts afin d'accroître les effectifs de magistrats méritent d'être salués. Mais ils n'ont de sens que s'ils s'accompagnent d'un effort encore plus important en faveur des greffiers, afin de ramener le ratio entre le nombre de greffiers et celui de magistrats (actuellement égal à 0,86) à un niveau plus satisfaisant .

• Pour 2011, l'enveloppe allouée aux frais de justice s'élève à 459,4 millions d'euros . Alors que ce poste de dépenses redémarre à la hausse depuis 2009, le montant inscrit en PLF amène votre rapporteur spécial à s'interroger sur la sincérité du budget proposé pour le programme « Justice judicaire » .

• Le coût de la réforme de la carte judiciaire s'élève à 427 millions d'euros sur cinq ans . Ce coût de la carte judiciaire n'intègre pas l'opération de réaménagement du TGI de Paris .

• Pour 2011, le budget consacré à cette réforme se monte à 62,7 millions d'euros en crédits de paiement (53,5 millions d'euros en 2010).

• Concernant la surpopulation carcérale, la préoccupation majeure consiste dans les six établissements dont la densité reste supérieure à 200 % et qui accueillent 1 009 détenus .

• Depuis 2009, le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ) est recentré sur la prise en charge des mineurs délinquants . L'action relative aux mesures à l'égard des mineurs délinquants absorbe près des trois quarts des moyens du programme : 74,1 % des crédits de paiement, contre 62,3 % en 2009.

• En 2011, les crédits d'aide juridictionnelle (AJ) devront couvrir l'assujettissement des rétributions versées aux avocats et aux avoués à un taux de TVA à 19,6 %, contre 5,5 % antérieurement . Le coût de cette disposition représente 36,7 millions d'euros. Le budget de l'AJ voit ainsi passer sa dotation de 274,8 millions d'euros en 2010 à 312,3 millions .

Au 10 octobre 2010, date limite, en application de l'article 49 de la LOLF, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, 100 % des réponses portant sur la mission « Justice » étaient parvenues à votre rapporteur spécial.

I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE LA MISSION

A. UNE MISSION À NOUVEAU COMPOSÉE DE CINQ PROGRAMMES

Pour des raisons techniques liées à la mise en oeuvre du système d'information financière Chorus au sein de la mission « Justice », celle-ci s'appuyait, en 2009 et en 2010 , non pas sur cinq programmes comme par le passé, mais sur six. Le programme 213 « Conduite et pilotage de la politique de la justice (hors Chorus) » côtoyait en effet le programme 310   « Conduite et pilotage de la politique de la justice ».

A compter du 1 er janvier 2011 , la mission comprendra à nouveau cinq programmes, le programme 213 « Conduite et pilotage de la politique de la justice (hors Chorus) » étant abandonné en raison de l'achèvement du déploiement de Chorus.

Il convient, par ailleurs, de rappeler que la mission « Justice » ne comprend pas les juridictions administratives , qui figurent au sein du programme 165 « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat ». Cette question avait d'ailleurs été largement débattue lors de l'entrée en application de la LOLF et de la définition du périmètre de la présente mission. Si le bon fonctionnement de la mission « Justice » n'est certes pas entravé par la « sortie » des juridictions administratives, la question reste néanmoins posée de la cohérence d'ensemble du traitement « budgétaire » des juridictions.

B. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS DE 4,1 % EN 2011

La mission « Justice » est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2011, de 7,127 milliards d'euros de crédits de paiement (hors fonds de concours 1 ( * ) ), soit une progression de 4,1 % . Ses autorisations d'engagement passent de 7,365 milliards d'euros à 8,797 milliards d'euros, soit une hausse de 19,4 % (après une baisse de 10,2 % en 2010).

Dans un contexte budgétaire globalement tendu, la progression des crédits de paiement de la mission illustre l'importance attachée à la justice et la priorité accordée à ses moyens depuis plusieurs années .

De ce point de vue, il faut, notamment, relever l'augmentation de 3,5 % des dépenses de personnel (titre 2) qui s'élèvent à 4,363 milliards d'euros. Cet accroissement concerne au premier chef le programme « Administration pénitentiaire » qui connaît une évolution de + 6 % de ce poste de dépenses.

Au sein de la mission « Justice », les dépenses de personnel absorbent 61,2 % de l'ensemble des crédits.

Dans le cadre de l'analyse des crédits consacrés au budget de la justice, votre rapporteur spécial rappelle, toutefois, que la progression des dotations ne saurait, à elle seule, suffire à porter un jugement positif sur le projet de budget de cette mission . La logique de la loi organique n° 2001-649 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) renvoie, en effet, à un impératif de performance. Aussi, l'augmentation continue des moyens budgétaires renforce-t-elle d'autant l'obligation de résultat incombant aux acteurs de la justice.

Le tableau ci-après ventile les crédits, ainsi que les plafonds d'emploi en équivalent temps plein travaillé (ETPT).

Source : d'après le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2011

C. UN ACCROISSEMENT DES MOYENS POURSUIVI SUR LA PÉRIODE 2011-2013 : + 3,3 %

Sur la période 2011-2013 , les autorisations d'engagement de la mission « Justice » augmenteront de 14,3 % et les crédits de paiement de 3,3 % .

Cette hausse confirme ainsi la priorité qui continuera d'être accordée sur le moyen terme à la présente mission .

Le tableau ci-dessous détaille cette progression.

Programmation triennale des crédits de la mission « Justice » (2011-2013)

(en millions d'euros)

2011

2012

2013

Numéro

Intitulé du programme

AE

CP

AE

CP

AE

CP

166

Justice judiciaire

4 133,008

2 959,680

3 566,218

2 959,200

2 980,661

2 970,537

107

Administration pénitentiaire

3 270,447

2 811,928

4 743,404

3 004,341

5 669,028

3 031,962

182

Protection judiciaire de la jeunesse

757,933

757,933

757,785

757,785

761,888

761,888

101

Accès au droit et à la justice

388,012

331,312

402,872

354,837

410,074

353,974

310

Conduite et pilotage de la politique de la justice

248,000

267,131

242,284

259,769

236,359

248,226

Total

8 797,402

7 127,986

9 712,564

7 335,933

10 058,012

7 366,588

Source : d'après le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2011

La progression la plus importante des crédits de paiement sera ainsi enregistrée sur le programme « Administration pénitentiaire » (+ 7,8 %) , tandis que le programme « Accès au droit et à la justice » verra ses moyens augmenter de 6,8 %. Les programmes « Justice judiciaire » et « Protection judiciaire de la jeunesse » resteront quasi-stables avec, respectivement, + 0,4 % et + 0,5 %. Enfin, le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » subira un recul de 7,1 % de ses crédits de paiement.

D. LES PROGRÈS ET LES PRIORITÉS DE LA MISSION « JUSTICE »

1. Des avancées notables

Au sein de la mission « Justice », de nombreux progrès ont été enregistrés au cours des dernières années.

Tout d'abord, comme l'a souligné votre rapporteur spécial dans son rapport d'information sur la formation des magistrats et des greffiers en chef à la gestion 2 ( * ) , il faut saluer le développement d'une culture de gestion conforme à l'esprit de la LOLF au sein de l'institution judiciaire dans son ensemble.

En outre, les efforts de la loi n° 2002-1138 du 29 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) en faveur des effectifs ont tout particulièrement porté leur fruit s'agissant des emplois de magistrat dans le cadre du programme « Justice judiciaire ». Le nombre de magistrats en juridiction répond désormais de façon plutôt satisfaisante aux besoins .

Enfin, la mise en oeuvre de la LOPJ a également permis de dégager des moyens conséquents en faveur de la rénovation et de la construction d'établissements pénitentiaires . Les traductions concrètes de cet effort budgétaire conséquent commencent à se faire sentir au regard des conditions de détention.

2. Des difficultés et des points d'interrogation subsistent

Malgré ces avancées, la mission « Justice » se caractérise aussi par un certain nombre de lacunes et d'interrogations persistantes.

Le principal point « noir » réside dans la vétusté de certains établissements pénitentiaires ainsi que le grave problème de la surpopulation carcérale. Ce constat renvoie à des dizaines d'années d'insuffisance. Mais force est de constater que ces lacunes, trop bien connues et depuis trop longtemps, se conjuguent pour créer une situation tout à la fois attentatoire à la dignité humaine et source de promiscuité , c'est-à-dire facteur de « contagion » de la délinquance , contraire à l'objectif premier de la peine, à savoir l'amendement du condamné.

Il est de l'honneur de la République de poursuivre son effort, notamment budgétaire, en vue de parvenir à surmonter cette terrible impasse .

Par ailleurs, depuis 2009, l'institution judiciaire renoue malheureusement avec la difficulté de maîtriser la dynamique à la hausse des frais de justice . Après avoir connu une progression exponentielle analysée par votre rapporteur spécial dans ses rapports d'information sur « La LOLF dans la justice : indépendance de l'autorité judiciaire et culture de gestion » 3 ( * ) et dans celui consécutif à l'enquête demandée à la Cour des comptes en application de l'article 58-2° de la LOLF 4 ( * ) , ces frais avaient été contenus, entre 2006 et 2008, sous le double effet bénéfique de mesures volontaristes décidées par la Chancellerie et d'une prise de conscience salutaire de la part des magistrats prescripteurs. Cette maîtrise avait été obtenue sans remise en cause de la liberté de prescription du magistrat.

Cependant, depuis deux ans maintenant, les fins d'exercice budgétaire se caractérisent par des problèmes de paiement dans les juridictions . Ainsi, par exemple, selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial, la Cour d'appel d'Angers souffre actuellement d'un retard de paiement s'élevant à 1,5 million d'euros, qu'une récente délégation de crédits supplémentaires à hauteur de 0,7 million d'euros ne pourra que partiellement couvrir. Dans son ressort, le tribunal de grande instance (TGI) du Mans déplore pour sa part un stock de mémoires pour un montant de 0,45 million d'euros non payés avec, qui plus est, deux mois (novembre et décembre) qui ne sont pas, en l'état, couverts.

L'évolution des effectifs en juridiction et, plus particulièrement, le nombre de greffiers représentent également un sujet de préoccupation de votre rapporteur spécial. Si la LOPJ a débouché sur un niveau de créations d'emplois de magistrat satisfaisant, le rythme de sortie et le volume des promotions de l'école nationale des greffes (ENG) ne permet, en revanche, toujours pas de compenser le manque actuel de greffiers au regard du nombre de magistrats. L'allongement de la durée de scolarité à l'ENG (passée de 12 à 18 mois en 2003) ainsi que la pyramide des âges des greffiers (avec de nombreux départs à la retraite dans les années à venir) constituent autant de circonstances aggravantes au regard de ce déséquilibre relatif des effectifs.

Au rang des interrogations majeures, la pérennité du système existant de l'aide juridictionnelle (AJ) demeure sujette à caution. Ainsi que l'a souligné votre rapporteur spécial dans son rapport d'information 5 ( * ) , le dispositif, confronté à un accroissement considérable du nombre des bénéficiaires depuis 1991, court un risque d'asphyxie budgétaire appelant une remise à plat de son mécanisme. Seule une réforme en profondeur pourra permettre de préserver l'esprit même de ce « filet de sécurité » pour les justiciables les plus démunis.

Enfin, les retombées de la réforme en cours de la carte judiciaire demeurent encore incertaines. Si l'ensemble des acteurs de la justice s'accordent aujourd'hui à considérer que cette réforme était nécessaire 6 ( * ) , elle représente, pour l'heure, un coût important pesant sur le budget de l'institution. La rationalisation des moyens de la justice sur l'ensemble du territoire doit toutefois, à terme, se traduire par une efficacité accrue du service public de la justice.


* 1 Les fonds de concours et les attributions de produit s'élèvent pour la mission « Justice » à 5,96 millions d'euros en 2011.

* 2 Sénat, rapport d'information n° 4 (2006-2007) : « La justice, de la gestion au management ? Former les magistrats et les greffiers en chef à la gestion ».

* 3 Sénat, rapport d'information n° 478 (2004-2005).

* 4 Sénat, rapport d'information n° 216 (2005-2006) « Frais de justice : l'impératif d'une meilleure maîtrise ».

* 5 Sénat, rapport d'information n° 23 (2007-2008) : « L'aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle ».

* 6 Aucune réforme de structure n'avait été engagée depuis 1958.