V. RAPPORT SÉNAT N°107 (2011-2012) TOME II

Commentaire : le présent article vise à instaurer une nouvelle taxe, assise sur le chiffre d'affaires des entreprises soumises au système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE), afin de financer la réserve des nouveaux entrants. Cette taxe se substituerait au système de quotas payants mis en place par l'article 64 de la loi de finances pour 2011.

I. DE LA NÉCESSITÉ ET DE LA DIFFICULTÉ D'ABONDER LA RÉSERVE DES NOUVEAUX ENTRANTS

1. Un plan national d'allocation de quotas 2008-2012 non réaliste pour ce qui concerne la réserve des nouveaux entrants

Afin d'atteindre les objectifs du protocole de Kyoto, l'Union européenne a mis en place un système communautaire d'échange de quotas de gaz à effet de serre (SCEQE) , créé par la directive n° 2003/87/CE du 13 octobre 2003 (dite « directive quotas ») pour une période préparatoire (2005-2007) puis pour la période d'engagement de Kyoto (2008-2012).

Dans les deux premières phases du SCEQE 3 ( * ) , chaque Etat membre détermine, en liaison avec la Commission européenne, un niveau global d'émissions de gaz à effet de serre compatible avec l'objectif auquel il a souscrit en ratifiant le protocole de Kyoto. Il revient ensuite à cet Etat de répartir cette quantité globale de quotas entre les installations industrielles entrant dans le champ d'application du dispositif , en attribuant à chacune d'entre elles un certain quota exprimé en tonnes de CO 2 .

Sur la base de ce plan, qui doit recevoir l'approbation de la Commission européenne, chaque installation se voit délivrer chaque année son quota et doit, un an plus tard, justifier de ses émissions de CO 2 . Un éventuel dépassement entraîne une amende de 100 euros par tonne de CO 2 non restituée . Toutefois, pour parvenir à leur objectif, les industriels qui auraient excédé le quota alloué par leur Etat peuvent acheter des quotas sur les marchés du carbone, mis en vente par des exploitants n'ayant pas épuisé leurs propres droits d'émissions , comme le montre le schéma ci-dessous. De tels achats peuvent se faire de gré à gré ou bien sur des places de marché (comme la place française BlueNext) .

Le mécanisme d'échange de quotas d'émission

Source : CDC climat

Le décret n° 2007-979 du 15 mai 2007 portant plan national d'allocation des quotas (PNAQ) pour la période de 2008 à 2012 prévoit une enveloppe annuelle de 124,68 millions de tonnes de CO 2 selon le tableau ci-après 4 ( * ) .

Enveloppe annuelle de quotas d'émission dans le cadre du PNAQ 2008-2012

(en millions de tonnes de CO 2 )

Secteur d'activité

Allocation

Chauffage urbain

5,46

Combustion d'énergie

0,37

Electricité

25,59

Transport de gaz

0,84

Raffinage

16,54

Combustion agro-alimentaire

5,97

Combustion chimie

9,79

Combustion externalisée

2,64

Combustion industrie

1,11

Combustion (autres)

2,88

Acier

25,73

Ciment

15,4

Chaux

3,18

Verre

3,73

Céramique

0,02

Tuiles et briques

1,11

Papier

4,32

Total

124,68

Source : décret n° 2007-979 du 15 mai 2007

En outre, la réserve pour les nouveaux entrants, dont la définition regroupe les nouvelles installations industrielles et l'extension des sites existants, a été fixée, dans le PNAQ 2008-2012, à 2,74 millions de tonnes de CO 2 par an. Il est à noter que la date d'élaboration de ce plan, juste avant l'élection présidentielle de 2007, a peut-être conduit le gouvernement de l'époque à privilégier les sites existants par rapport aux nouveaux entrants.

De fait, l'allocation actuelle se révèle insatisfaisante puisque le besoin réel était de l'ordre de 9 millions de tonnes de CO 2 par an .

2. Les tentatives de réponses du législateur

a) Loi de finances rectificative pour 2008 : la modification de la quantité de quotas alloués aux électriciens

Le Gouvernement a tenté d'apporter une réponse à ce problème dans le cadre de l'article 8 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008.

Il disposait ainsi que le compte de commerce « Gestion des actifs carbone de l'Etat » créé par l'article « permet d'abonder en quotas d'émission de gaz à effet de serre la réserve destinée aux nouveaux entrants » et que « la réalisation de [cet] objectif est assurée au moyen d'une réduction annuelle maximale de 10 % en 2009, 20 % en 2010, 35 % en 2011 et 60 % en 2012 de l'enveloppe des quotas d'émission destinés aux installations du secteur de la production d'électricité , affectés mais non encore délivrés au 31 décembre 2008, tels que définis dans le plan national d'affectation des quotas pour la période 2008-2012 ». Ce choix des électriciens résultait de plusieurs facteurs, en particulier de la faible exposition dudit secteur aux délocalisations.

Le décret n° 2009-231 du 26 février 2009 a fixé à 10 % la réduction de quotas des producteurs d'électricité pour 2009. Cependant, ce dispositif a entraîné une contestation au regard de sa conformité au droit communautaire , la quantité de quotas alloués à des sites ne pouvant être modifiée au cours de la période d'application du PNAQ. Devant l'impossibilité de trouver un accord sur ce point avec la Commission européenne, le Gouvernement a abrogé le décret n° 2009-231 précité .

Depuis lors, les dispositions de l'article 8 de la loi n° 2008-1443 précité n'ont pu trouver à s'appliquer.

b) Loi de finances pour 2011 : la délivrance d'une fraction des quotas à titre onéreux

A l'approche du moment où l'Etat devrait abonder la réserve, le cas échant en puisant sur ses deniers, votre commission des finances, dont le président Philippe Marini était alors le rapporteur général, a, à son tour, fait adopter un dispositif.

Il s'agissait alors, pour l'essentiel 5 ( * ) , de rendre onéreuse la délivrance d'une fraction des quotas allouées aux entreprises pendant les années 2011 et 2012 .

Le commentaire de cet article 6 ( * ) détaillait les raisons pour lesquelles il était envisageable de contester la probable opposition de la Commission européenne à cette modification du PNAQ français devant la justice communautaire (qui a déjà, à plusieurs reprises, condamnée la Commission pour excès de pouvoir à l'encontre des Etats sur l'application de la directive « quotas »).

Cependant, le Conseil d'Etat n'a pas approuvé le décret d'application de ce texte, en notant simplement que l'accord de la Commission européenne était incertain.

Le problème du financement de la réserve des nouveaux entrants reste donc entier . Celui-ci s'élèverait à environ 30 millions de quotas (en cumul de 2011 et 2012), soit 300 millions d'euros dans l'hypothèse d'un cours du quota à 10 euros, ou 450 millions d'euros si ce cours remontait à 15 euros.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

A. UNE TAXE PONCTUELLE...

Le présent article propose donc un nouveau dispositif de financement, de nature fiscale.

Il s'agit, aux termes du I , d'une taxe temporaire, qui frapperait les personnes :

- exploitant une ou plusieurs installations exerçant l'une des activités concernées par le SCEQE ;

- et ayant reçu, au titre de la période allant du 1 er janvier 2008 au 31 décembre 2012 , pour l'ensemble des installations exploitées, des quotas d'émission de gaz à effet de serre à hauteur d'au moins 60 000 tonnes , dans le cadre du PNAQ. Ce seuil est destiné à assurer que seuls les principaux émetteurs contribuent au financement de la réserve des nouveaux entrants. De fait, ce champ recouvre plus de 99 % des émissions de CO 2 soumises à quotas.

L'assiette proposée pour cette taxe est constituée par le montant total hors TVA des livraisons de biens et de services effectuées en 2011 . Ainsi, seraient soumises à la taxe les personnes bénéficiaires de quotas gratuits depuis 2008, ainsi que celles soumises au SCEQE en tant que nouveaux entrants de 2009 à 2011.

D'autre part, le II propose que le taux de la taxe soit compris dans une fourchette, de 0,08 % et 0,12 % du chiffre d'affaires hors TVA. Ce taux serait ensuite fixé par arrêté du ministre chargé du budget, en fonction des liasses fiscales de 2010 et des dernières évolutions du cours des quotas.

Le III du présent article prévoit que la taxe soit exigible au 1 er janvier 2012 .

Aux termes du IV , les redevables déclarent et liquident la taxe sur l'annexe à la déclaration de recettes prévue par l'article 287 du code général des impôts pour la liquidation de la TVA, déposée au titre du mois de mars ou du premier trimestre. La taxe serait acquittée lors du dépôt de cette déclaration, en une seule fois. Il est prévu que les redevables dont les allocations de quotas interviendraient après le 1 er janvier 2012, et qui excèderaient le seuil de 60 000 tonnes, déclarent et liquident la taxe lors du dépôt de la déclaration de recettes déposée au titre du troisième mois qui suit la date d'attribution des quotas.

Selon les dispositions du V , la taxe serait recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que la TVA . Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.

Le VI propose, par coordination, l'abrogation de l'article 64 de la loi de finances pour 2011, qui a instauré un système de délivrance de quotas à titre onéreux n'ayant pu trouver à s'appliquer et auquel le présent dispositif tend à se substituer ( cf. supra ). Il est à noter qu'en conséquence, la possibilité d'affecter tout ou partie du produit de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité, estimé à 75 millions d'euros, au compte de commerce « Gestion des actifs carbone de l'État », est également supprimée, afin de ne pas priver le budget général d'une telle ressource.

Enfin, aux termes du VII , ce dispositif entrerait en vigueur le 1 er janvier 2012.

B. ... CALIBRÉE POUR NE COUVRIR QU'UNE PARTIE DU DÉFICIT DE LA RÉSERVE DES NOUVEAUX ENTRANTS

Selon les éléments transmis par le Gouvernement, la nouvelle taxe devrait concerner 401 entreprises et son produit devrait s'élever à 223 millions d'euros.

Répartition de la taxe par secteurs d'activité

Secteur d'activité

Poids de la taxe

Production et distribution d'électricité, de gaz, de vapeur et d'air conditionné

34 %

Industries alimentaires

7 %

Industrie chimique

7 %

Métallurgie

6 %

Industrie du papier et du carton

3 %

Fabrication d'autres produits minéraux non métalliques

3 %

Industrie automobile

6 %

Divers

35 %

Total

100 %

Source : évaluation préalable du projet de loi de finances pour 2012

Ce montant ne devrait couvrir qu'une partie du déficit de la réserve des nouveaux entrants. Le Gouvernement prévoit également d'affecter à cet usage :

- d'une part, en 2012, afin de compléter l'écart entre le produit de la taxe et le coût des quotas des nouveaux entrants au titre de 2011, une partie de la recette des enchères effectuées à la fin de l'année par anticipation de la troisième phase du SCEQE, débutant en 2013 (et au cours duquel l'allocation par enchères deviendra progressivement la règle) ;

- d'autre part, en 2013, le montant nécessaire pour acheter l'ensemble des quotas dont les nouveaux entrants auront besoin au titre de 2012 .

Les schémas suivants, qui résument les relations entre l'Etat et les entreprises en matière de délivrance et de restitution des quotas expliquent ce décalage : ce n'est que fin avril 2013 que les nouveaux entrants (comme les autres entreprises) auront à restituer les quotas correspondant à leurs émissions réelles à l'Etat ; cette date représente donc la limite ultime avant laquelle l'Etat devra avoir remis leurs quotas à ces entreprises.

Délivrance et restitution des quotas (période 2008-2012)

Source : d'après articles R. 229-17, R. 229-20 et R. 229-21 du code de l'environnement

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A l'initiative du Gouvernement l'Assemblée nationale a adopté un amendement limitant le montant de la contribution de chaque entreprise à une somme égale à la valeur des quotas qui lui ont été alloués selon le dernier cours connu (soit 10,3 euros), minoré de 40 %.

Il s'agit donc de répartir plus justement cette charge , en évitant que les petits allocataires ne soient de grands contributeurs. Selon le Gouvernement, ce plafonnement concernerait 5 % des entreprises redevables, soit une vingtaine d'entre elles.

La perte d'assiette liée à ce plafonnement est compensée par un ajustement du taux au sein de la fourchette prévue par le texte initial, de sorte que le produit attendu (soit 223 millions d'euros) ne change pas .

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre rapporteure générale approuve, dans son principe, la nécessité d'imaginer un mécanisme, éventuellement fiscal, permettant d'abonder la réserve des nouveaux entrants.

En effet, même s'il est contestable que toute modification du PNAQ en cours de période soit réellement interdite (aucune disposition de ce type ne figure dans la « directive SCEQE » et la Cour de justice de l'Union européenne ne s'est jamais prononcée sur ce point), il est désormais bien tard pour engager un bras de fer avec la Commission européenne.

Le réalisme commande donc de proposer autre chose , ce que le présent article a le mérite de faire.

Pour autant, ce dispositif continue de poser un problème de répartition de la taxe entre les entreprises soumises au SCEQE , malgré les améliorations apportées par l'Assemblée nationale. En outre, son calibrage laisse potentiellement à l'Etat environ la moitié de la charge de l'abondement de la réserve, ce qui est contestable.

A. LA RÉPARTITION DE LA TAXE ENTRE LES ENTREPRISES SOUMISES AU SCEQE

Comme cela était prévisible en raison du choix d'une assiette sur le chiffre d'affaires des entreprises relevant du SCEQE, la répartition de la charge est très inéquitable .

Malgré ses demandes répétées, votre rapporteure générale n'a pu obtenir du Gouvernement qu'il lui transmette cette répartition par secteur, compte tenu de l'amendement adopté par l'Assemblée nationale. Il est néanmoins douteux que cet amendement ait modifié sensiblement les équilibres du dispositif originel : comme indiqué supra , selon le compte-rendu des débats de l'Assemblée nationale 7 ( * ) , le plafond concernerait 5 % des entreprises redevables, soit une vingtaine d'entre elles.

Pour regrettable qu'elle soit, cette inéquité résulte de l'inconséquence des gouvernements successifs , qui ont, tout d'abord, privilégié les sites existants au détriment des nouveaux entrants juste avant la campagne présidentielle de 2007, puis n'ont jamais essayé de contester l'attitude fermée de la Commission européenne.

A ce stade, le plus important est d'assurer l'encaissement de la recette, ce qui ne peut désormais se faire qu'à partir d'une assiette imparfaite.

B. LE CALIBRAGE INSUFFISANT DU DISPOSITIF PROPOSÉ

S'agissant du calibrage du dispositif, votre rapporteure générale ne souscrit pas au raisonnement selon lequel la taxe ne devrait permettre à l'Etat d'encaisser que le produit des quotas manquants pour l'année 2011 , les quotas de 2012 (à verser dans la réserve avant fin avril 2013) devant être financés par une partie du produits des mises aux enchères de quotas (au titre de la période 2013-2020).

D'une part, en termes de logique, parce que les sites existants en 2007 ont bien été « suralloués » d'un nombre de quotas correspondant au déficit de la réserve des nouveaux entrants. Il incombe donc à ces industriels de le combler.

D'autre part, en termes de sauvegarde des finances publiques, affecter par avance une recette future revient à creuser le déficit de l'année 2013 , année clé sur le chemin du redressement des comptes publics.

Il est donc nécessaire de calibrer la taxe de sorte que son produit permette l'acquisition par l'Etat de l'ensemble des quotas manquants de la réserve des nouveaux entrants, soit 30 millions de quotas. Pour autant, comme il convient également de ne pas surtaxer inutilement les entreprises, il doit être tenu compte de la baisse du cours du quota depuis quelques mois, celui-ci s'élevant à 9,47 euros au 7 novembre 2011.

En prenant une marge, la fixation d'une fourchette de taux 0,14 % à 0,18 % du chiffre d'affaires des sociétés assujetties devrait permettre d'atteindre cet objectif sans aggraver le déficit de 2013.

C'est pourquoi votre commission vous propose un amendement modifiant en ce sens le présent article.

Décision de la commission : votre commission des finances vous propose d'adopter le présent article ainsi modifié.


* 3 Dans le cadre de la troisième phase, qui débutera en 2013, le processus d'allocation sera communautarisé et une fraction croissante de quota sera attribuée sur la base d'enchères.

* 4 Il est à noter qu'en 2010, 12 815 installations relevaient du SCEQE, dont 1 125 en France. Le PNAQ actuellement en vigueur ne couvre que 38 % des émissions de CO 2 en France, dont 93 % des émissions industrielles. Les fortes composantes nucléaire et hydraulique de notre parc électrique national expliquent ce faible ratio global d'émissions couvertes par le PNAQ.

* 5 Cet article prévoyait aussi d'affecter le produit de la nouvelle taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE, soit environ 75 millions d'euros par an) au financement de la réserve des nouveaux entrants.

* 6 Rapport général n° 111 (2010-2011), Tome II, commentaire de l'article additionnel après l'article 32 (devenu l'article 64 de la loi).

* 7 Compte-rendu des débats de l'Assemblée nationale, troisième séance du jeudi 20 octobre 2011.