VI. DÉBATS SÉNAT EN PREMIÈRE LECTURE (SÉANCE DU LUNDI 21 NOVEMBRE 2011)

M. le président. L'amendement n° I-15, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Remplacer les taux :

0,08 % et 0,12 %

par les taux :

0,14 % et 0,18 %

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous changeons de sujet puisque nous abordons le problème des quotas de CO2 dans le marché européen.

Le Gouvernement avait présenté un texte, qui a été modifié à l'Assemblée nationale. L'État prendra donc à sa charge l'acquisition d'environ 30 millions de quota de CO2. Je rappelle que, en 2007, lorsqu'elle a élaboré son plan national d'affectation des quotas d'émission de gaz à effet de serre, le PNAQ, la France avait privilégié les sites existants au détriment des nouveaux entrants, dont la réserve de quotas est désormais vide.

À partir de 2013, les entreprises participant au système communautaire d'échange de quotas d'émission auront à payer progressivement des quotas, les allocations étant gratuites jusqu'à présent.

Je ferai un rappel, ce n'est pas encore l'histoire, mais c'est la mémoire de ce qui s'est passé. L'année dernière, sur l'initiative de la commission des finances, son rapporteur général d'alors, M. Marini, avait proposé une solution, car il s'était aperçu fort justement, grâce aux auditions qu'il avait menées, que le compte de quotas nécessaires pour les nouveaux entrants n'y serait pas. La solution qu'il avait proposée a été adoptée par le Sénat. Cependant, le Conseil d'État a estimé que le décret d'application ne pouvait pas satisfaire aux exigences de la Commission européenne. D'où le problème que nous retrouvons cette année.

La commission des finances du Sénat propose que la taxe payée par les entreprises, notamment, ne le cachons pas, les grandes entreprises qui sont déjà dans le marché, couvre entièrement l'allocation de quotas que l'État devra prendre à sa charge avant la fin du mois d'avril 2013.

Je sais bien que les grandes entreprises considèrent que ce dispositif est injuste ; il sera effectivement lourd à assumer pour certaines d'entre elles. La taxe elle-même, c'est vrai, est un peu fruste, mais c'est une solution qui est sans ambiguïté au regard du droit communautaire, et qui répond également, me semble-t-il, au souci de ne pas préempter les recettes pour 2013. L'année 2013, madame la ministre, vous le savez, sera dangereuse pour les finances publiques, sur lesquelles un grand poids s'exercera, puisque nous devrons atteindre l'objectif de 3 % de déficit.

Je considère donc que l'amendement de la commission, qui ne préempte pas les recettes de 2013, protège le budget de l'État. Il vise à revoir la fourchette des tarifs de la taxe, de sorte que celle-ci permette de couvrir la totalité des 30 millions d'euros de nouveaux quotas destinés aux nouveaux entrants.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Madame la rapporteure générale, tout en comprenant votre préoccupation, je pense qu'une telle mesure serait prématurée.

Vous nous dites en substance que nous allons avoir des besoins nouveaux pour 2012 et 2013 et qu'il nous faut donc, dès 2012, pouvoir les couvrir en modifiant la fourchette de la taxe, qui passerait de 0,08 % et 0,12 % à 0,14 % et 0,18 %. Cela permettrait, dites-vous, en taxant davantage les entreprises industrielles, de s'assurer de recettes sécurisées pour 2013, afin de pouvoir payer nos droits à polluer.

Mais ce n'est pas ainsi que le Gouvernement raisonne : 2012 sera, elle aussi, une année difficile ; elle ne le sera pas en termes de réduction du déficit grâce au budget crédible et sincère que nous avons élaboré. C'est d'ailleurs ce qu'en filigrane vous nous avez dit en soulignant que l'année difficile à boucler serait 2013. Mais 2013, c'est une autre année.

Si, pour 2012, nous avons un budget réaliste et crédible, la croissance n'en sera pas moins extrêmement fragile ; le monde industriel va être soumis à de très fortes tensions, car la croissance n'est pas au rendez-vous en dehors de la zone euro ni nécessairement en son sein. Il serait donc tout à fait dommageable d'augmenter la fiscalité sur nos entreprises industrielles aujourd'hui pour financer des dépenses qui n'interviendront qu'en 2013.

J'ajoute que, pour 2013, un dispositif innovant est prévu pour financer nos achats de quotas de CO2, qui consistera à pouvoir mettre aux enchères les quotas non utilisés, ce qui engendrera évidemment des recettes spécifiques.

Nous pensons que les années 2012 et 2013 doivent s'envisager différemment et qu'augmenter la fiscalité des entreprises industrielles en 2012 serait, de ce point de vue, une erreur.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En commission, j'ai voté cet amendement, à titre personnel, pour deux raisons.

D'abord, parce que le dispositif qui nous est proposé cette année est bien dans le droit fil de nos réflexions et propositions de l'an dernier. Nous étions tentés, à un moment donné, de faire l'impasse sur le financement de la réserve des nouveaux entrants, ce qui n'est manifestement pas possible, notamment pour des raisons de responsabilité budgétaire.

C'est sur ce terrain de la responsabilité budgétaire que je me situe pour appuyer - exceptionnellement, allais-je dire -, l'initiative de la rapporteure générale.

M. Robert del Picchia. Rassurez-nous !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. En effet, prendre un risque, quel qu'il soit, avec le solde des deux années suivantes ne me semble pas concevable, s'agissant d'une contribution qui est sollicitée de groupes qui connaissent bien et de longue date le sujet et qui ont donc pu l'anticiper. Des réunions de travail se sont tenues avec ces groupes pour des enjeux quantifiés qui, je le répète, ne peuvent pas être considérés comme des surprises.

Évidemment, si l'on place cet amendement dans le contexte de tous les autres amendements que la majorité sénatoriale a votés, la barque commence à être bien chargée, et sans doute trop.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Cela fait beaucoup en effet !

M. Robert del Picchia. Il ne faudrait pas couler !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mais si je me place - et vous voyez à quel point on est parfois écartelé entre les différents choix, heureusement sans trop de douleur ici ! - sur le terrain des quotas de CO2, du fonctionnement du marché, du financement de la réserve des nouveaux entrants, je crois que la solution proposée par la rapporteure générale est la plus orthodoxe.

Cela étant, chacun, bien entendu, appréciera cette solution selon le cadre de référence dans lequel il se placera.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Sur le plan de l'orthodoxie budgétaire, je note que le système que vous défendez, madame la ministre, revient à affecter une recette future.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Non !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Si, puisque vous proposez d'agir en deux fois. La commission préfère, elle, agir en une fois pour des motifs de sécurité juridique.

En outre, j'attire votre attention sur 2013. Quels que soient le gouvernement et la majorité qui exerceront les responsabilités en 2013, ils se féliciteront de la solution trouvée par la commission des finances.

La fourchette a été établie en fonction du cours actuel des quotas qui, comme vous le savez, est faible, puisque la fourchette se situe entre 9,50 euros et 11 euros, alors que vos calculs se fondaient sur un montant de 15 euros. Voilà un argument d'opportunité, pragmatique, qui montre qu'il paraît cohérent de remplacer le taux de 0,08 % à 0,12 % par le taux de 0,14 % à 0,18 %.

Par ailleurs, on pourrait considérer que les grandes entreprises ne sont pas responsables de l'allocation des quotas de 2007. Mais, comme l'a rappelé le président de la commission des finances, cette allocation a été établie en parfait accord avec ces secteurs industriels, que nous avons reçus à plusieurs reprises. Le plan d'allocation a été défini par le Gouvernement, après une large consultation de ces grands groupes, qui ne peuvent pas être surpris aujourd'hui.

Ce n'est pas la taxe qui va déterminer un grand groupe du secteur automobile à fermer ses usines,...

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Pas toutes !

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. .... une partie d'entre elles, et à les délocaliser au Brésil, par exemple. Je comprends qu'une entreprise se rapproche de son marché ; je suis plus dubitative quand il s'agit de délocaliser la recherche, même si je sais bien qu'il faut différencier la haute technologie de la technologie courante.

À partir de là, je pense que tout le monde se satisfera de la solution proposée par la commission.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-15.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° I-146, présenté par MM. Revet et Dulait, est ainsi libellé :

I. - Après l'alinéa 7

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

... - L'acquittement de la taxe résultant de l'application des paragraphes précédents fait naître au profit des redevables une créance non imposable d'égal montant.

La créance est remboursée à compter du 1 er janvier 2013. Toutefois, le redevable peut utiliser la créance pour le paiement des quotas mis aux enchères conformément à l'article 10 de la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 modifiant la directive 2003/87/CE afin d'améliorer et d'étendre le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre.

Par exception aux dispositions de l'alinéa précédent, les entreprises ayant fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, d'un redressement ou d'une liquidation judiciaires peuvent demander le remboursement de leur créance non utilisée à compter de la date du jugement qui a ouvert ces procédures.

La créance est inaliénable et incessible, sauf dans les conditions prévues par les articles L. 313-23 à L. 313-35 du code monétaire et financier, ou dans des conditions fixées par décret.

II - Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

... - La perte de recettes résultant pour l'État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Cet amendement n'est pas soutenu.

Je mets aux voix l'article 5, modifié.

(L'article 5 est adopté.)