MM. Gérard MIQUEL, François FORTASSIN, Mme Marie-Hélène des ESGAULX, M. Vincent DELAHAYE, rapporteurs spéciaux

CHAPITRE V

LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « SERVICES NATIONAUX DE TRANSPORT CONVENTIONNÉS DE VOYAGEURS »

Le présent compte d'affectation spéciale (CAS), équilibré par nature, a été créé par l'article 65 de la loi de finances pour 2011. Il est doté en 2012 de 280 millions d'euros en recettes comme en dépenses, soit une augmentation de 33,3 % par rapport à 2011.

I. UNE CONVENTION ET UN COMPTE DÉDIÉS À L'EXPLOITATION DE QUARANTE LIGNES D'ÉQUILIBRE DU TERRITOIRE

A. DES LIGNES STRUCTURELLEMENT DÉFICITAIRES DÉSORMAIS CONVENTIONNÉES AVEC L'ETAT

1. Quarante lignes d'équilibre du territoire déficitaires

Le 13 décembre 2010, l'Etat, représenté par Thierry Mariani, ministre chargé des transports, et la SNCF ont signé une convention triennale relative à l'exploitation des trains dits « d'équilibre du territoire » (TET), tendant à garantir l'avenir de quarante liaisons ferroviaires Corail, Intercité, Téoz et Lunéa structurellement déficitaires. Par cette convention, l'Etat assumait sa compétence d'autorité organisatrice de transport dans le premier service national de transport conventionné de voyageurs.

Ces lignes, exploitées par les branches d'activité « SNCF Proximités » et « SNCF Voyages », représentent chaque jour 340 trains transportant environ 100 000 voyageurs. En raison de leur niveau de fréquentation, l'exploitation de la plupart de ces lignes est déficitaire depuis plus de vingt ans , à hauteur de 190 millions d'euros en 2009 149 ( * ) hors rémunération de l'exploitant. Les besoins d'investissements nécessaires au renouvellement du matériel roulant s'élèveraient, selon la SNCF, à 1,5 à 2 milliards d'euros pendant quinze ans , mais n'apparaissent nécessaires qu'à compter de 2015.

L'équilibre financier de ces lignes était assuré par sur une péréquation interne à la SNCF entre les produits et les charges de l'ensemble des lignes exploitées, en particulier des lignes à grande vitesse (LGV), globalement excédentaires, vers les lignes Corail. Ce système ne garantissait cependant pas le maintien de toutes les dessertes de TET, dont certaines étaient menacées de disparition.

2. Un conventionnement imposé par le droit communautaire

Le règlement européen (CE) n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, dit « règlement OSP » (obligations de service public), entré en vigueur le 3 décembre 2009, a conduit à assimiler les lignes d'équilibre du territoire à une obligation de service public, susceptible de faire l'objet d'une compensation par l'Etat 150 ( * ) . Le financement de la compensation de cette obligation et le monopole dont dispose actuellement la SNCF sur ces lignes impliquaient la mise en place d'une contractualisation .

En outre, l'ouverture à la concurrence , depuis le 13 décembre 2009, des services de transports ferroviaires internationaux de voyageurs, qui préfigure celle des services de transports ferroviaires nationaux de voyageurs à une date non encore déterminée, contribuait à remettre en question à moyen terme la viabilité du mécanisme de péréquation interne à la SNCF , en réduisant la profitabilité des LGV les plus rentables, et en limitant ainsi la capacité de la SNCF à financer les pertes de l'activité Corail.

La convention conclue avec l'Etat doit être adossée à une mesure de la performance de l'exploitant. L'annexe du règlement OSP prévoit en effet que la méthode de compensation « doit inciter au maintien ou au développement d'une gestion efficace par l'opérateur de service public , qui puisse être objectivement appréciée, et de la fourniture de services de transport de voyageurs d'un niveau de qualité suffisant ».

La convention signée le 13 décembre 2010 fixe donc les obligations de service public que la SNCF doit assurer pour l'ensemble des TET, en matière de desserte des gares, de fréquence, de maintenance et de régénération du matériel roulant existant 151 ( * ) . Ces objectifs sont suivis par des indicateurs de résultat et sanctionnés par un système de bonus/malus , comme c'est le cas pour la convention liant la RATP au STIF. En contrepartie de la réalisation de ces obligations, la SNCF reçoit une compensation de l'Etat afin de contribuer au financement du déficit d'exploitation.

Votre commission des finances avait insisté, lors de la création de ce CAS, sur le fait que l'externalisation de la péréquation ne devait pas constituer une garantie future de financement du déficit des TET par l'Etat quelles que soient les conditions futures d'exploitation, mais devait au contraire, conformément à la lettre et à l'esprit du règlement communautaire, introduire un facteur d'incitation à une restauration progressive de l'équilibre par une action sur les coûts et les recettes .

B. LA CRÉATION D'UN COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE

Sur le plan budgétaire, ce conventionnement s'est traduit par la création, par l'article 65 de la loi de finances pour 2011 152 ( * ) , du présent compte d'affectation spéciale . Ce compte est apparu comme la solution la plus appropriée pour :

- permettre d'intégrer dans le budget de l'Etat le financement de l'obligation de service public tout en perpétuant la logique de péréquation ;

- garantir la mesure de la performance et la transparence du financement des TET, donc le contrôle démocratique du Parlement ;

- préserver la soutenabilité budgétaire du dispositif et permettre de réguler les dépenses en maintenant l'incitation vertueuse à un meilleur contrôle de l'évolution des déficits de ces lignes 153 ( * ) .

Ce compte perçoit trois types de recettes , décrites infra : la contribution de solidarité territoriale (CST), une fraction de la taxe d'aménagement du territoire, et le produit de la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires (TREF). Il retrace en dépenses , dans deux programmes 785 « Exploitation des services nationaux de transport conventionnés » et 786 « Matériel roulant des services nationaux de transport conventionnés » :

- les contributions liées à l'exploitation des services nationaux de transport de voyageurs conventionnés par l'Etat ;

- les contributions à la maintenance et la régénération du matériel roulant de ces services conventionnés ;

- et les dépenses relatives aux enquêtes de satisfaction sur la qualité de service et aux frais d'études et de missions de conseil juridique, financier ou technique.

La création de ce CAS a donné lieu à une modification du cahier des charges de la SNCF par un décret du 29 juillet 2011 154 ( * ) , qui a également assoupli l'encadrement des tarifs des TGV . Ce décret détermine notamment les conditions dans lesquelles l'Etat exerce son rôle d'autorité organisatrice des TET, expose les principaux points qui doivent être traités dans la convention 155 ( * ) , et prévoit que la SNCF doit établir un budget et des comptes séparés 156 ( * ) pour l'exploitation des TET.

L'innovation majeure de la nouvelle liberté tarifaire sur les TGV réside dans la suppression de la distinction entre périodes normale et de pointe. A compter de 2012, la SNCF recourra donc davantage au « yield management » 157 ( * ) , qu'elle pratique déjà depuis plusieurs années mais dans une moindre mesure que ses concurrents du transport aérien. Il en résultera pour les voyageurs un élargissement de l'amplitude et une plus grande variabilité des tarifs , et en particulier un renchérissement du tarif moyen des billets des TGV les plus fréquentés 158 ( * ) .


* 149 Selon l'audit mené conjointement par l'Etat et la SNCF. Seules quatre lignes seraient rentables : Paris-Clermont, Paris-Limoges-Toulouse, Paris-Rouen-Le Havre et Paris-Caen-Cherbourg.

* 150 Les modalités de calcul de cette compensation sont précisées par l'annexe du règlement OSP, qui prévoit notamment que « la compensation ne peut pas excéder un montant correspondant à l'incidence financière nette, équivalant à la somme des incidences, positives ou négatives, dues au respect de l'obligation de service public sur les coûts et les recettes de l'opérateur de service public. Les incidences sont évaluées en comparant la situation où l'obligation de service public est remplie avec la situation qui aurait existé si l'obligation n'avait pas été remplie ».

* 151 La convention prévoit ainsi un investissement de la SNCF de près de 302 millions d'euros sur 2011-2013, qui devrait permettre de prolonger la durée de vie des trains jusqu'en 2015.

* 152 Loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010.

* 153 Dans la mesure où, en cours d'année, le total des dépenses engagées ou ordonnancées sur un CAS ne peut excéder le total des recettes constatées (sauf pendant les trois mois suivant sa création), conformément au II de l'article 21 de la LOLF.

* 154 Décret n° 2011-914 du 29 juillet 2011 portant approbation de modifications du cahier des charges de la Société nationale des chemins de fer français.

* 155 Le décret prévoit ainsi que « les services nationaux de transport ferroviaire de voyageurs donnant lieu à l'attribution d'une compensation par l'Etat, quelle qu'en soit la nature, en contrepartie de la réalisation d'obligations de service public, font l'objet d'une convention de service public entre l'Etat et la SNCF .

« Conformément aux dispositions de l'article 4 du règlement (CE) no 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007, la convention définit notamment sa durée, la consistance des services, les conditions de leur exploitation, les modalités de leur financement , y compris pour ce qui concerne le financement du matériel roulant affecté à cette exploitation, ainsi que les principes et les règles de leur tarification. Elle indique les dessertes assurées, la fréquence des circulations, les objectifs de qualité de service et les prestations inhérentes au voyage devant être proposées. Elle précise les catégories des charges liées à la fourniture des services et leurs modalités d'évaluation. »

* 156 Les règles de séparation des comptes doivent être soumises à l'approbation de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF).

* 157 Cette expression désigne un mode de gestion et d'optimisation du chiffre d'affaires de plus en plus répandu, dans lequel la tarification est établie quasiment en temps réel en fonction des capacités disponibles et donc de l'antériorité des réservations.

* 158 La SNCF s'est toutefois engagée à vendre la moitié de ses billets à un prix inférieur ou égal au plein tarif actuel des billets de seconde classe en période normale.