MM. Georges PATIENT et Eric DOLIGE, rapporteurs spéciaux

II. UNE DIMINUTION NETTE DE L'EFFORT CONSENTI PAR L'ETAT EN DIRECTION DES TERRITOIRES ULTRAMARINS

A. LES CRÉDITS DE LA MISSION « OUTRE-MER » RETROUVENT LEUR NIVEAU DE 2010

La comparaison des crédits demandés par le présent projet de loi de finances aux crédits votés dans la loi de finances pour 2008 5 ( * ) , année de stabilisation de la maquette budgétaire de la mission, met évidence deux périodes distinctes , comme l'indique le graphique ci-dessous.

L'évolution des crédits de paiement de la mission « Outre-mer »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances

1. La hausse sensible des crédits entre 2008 et 2010 : + 17,7 %

Entre les années 2008 et 2010, le montant des crédits de paiement (CP) de la mission a fortement augmenté (+ 17,7 %) , traduisant plusieurs facteurs cumulatifs :

- les exonérations de charges sociales spécifiques à l'outre-mer font l'objet, depuis 2008, d'un meilleur remboursement par l'Etat aux organismes de sécurité sociale. Il en a résulté une hausse des crédits du programme n° 138 « Emploi outre-mer » ;

- le dispositif du service militaire adapté (SMA) a fait l'objet d'un renforcement visant à doubler le nombre de ses bénéficiaires, dans le cadre de la mise en oeuvre du plan « SMA 6 000 », annoncé par le Président de la République le 19 février 2009 ;

- la mise en oeuvre du plan de relance a également contribué à majorer les crédits de la mission « Outre-mer », notamment à travers la création et l'abondement du Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) ;

- certaines dispositions de la Lodeom ont prévu la mise en place d'aides budgétaires spécifiques en faveur de l'outre-mer ;

- enfin, la mise en oeuvre des décisions du CIOM a conduit à une légère augmentation des crédits de la mission.

2. Une stabilisation des crédits depuis 2010

Depuis 2010, cette tendance haussière a disparu et les CP de la mission sont relativement stables puisqu'ils n'ont progressé que de 0,6 % entre l'année 2010 et les montants prévus pour l'année 2012 dans le présent projet de loi de finances.

Les autorisations d'engagement (AE) connaissent une évolution similaire puisqu'elles n'ont progressé que de 0,5 % entre 2010 et 2012.

Cette stabilisation sur deux ans est le résultat d'une diminution nette des crédits en loi de finances pour 2011 et d'une augmentation dans le présent projet de loi de finances, qui amène les crédits de la mission à retrouver leur niveau de la loi de finances pour 2010 .

Evolution des crédits des deux programmes de la mission

(en millions d'euros)

AE ouvertes en LFI pour 2011

AE demandées pour 2012

Evolution

CP ouverts en LFI pour 2011

CP demandés pour 2012

Evolution

Programme n° 138 « Emploi outre-mer »

1 350,8

1 368,0

+ 1,3 %

1 330,5

1 393,2

+ 4,7 %

Programme n° 123 « Conditions de vie outre-mer »

805,1

811,1

+ 0,7 %

646,7

641,7

- 0,8 %

Total de la mission « Outre-mer »

2 155,9

2 179,1

+ 1,1 %

1 977,3

2 034,9

+ 2,9 %

Source : projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2012

Ainsi, entre la loi de finances pour 2011 et les crédits prévus pour 2012 par la présente loi de finances, les crédits augmentent légèrement, de 1,1 % en AE , passant de 2 156 millions à 2 179 millions d'euros, et de 2,9 % en CP , de 1 977 millions à 2 035 millions d'euros.

S'agissant des CP, l'évolution des deux programmes de la mission est contrastée. En effet :

- d'une part, les crédits du programme n° 138 « Emploi outre-mer » augmentent sensiblement, de 4,7 % . Vos rapporteurs spéciaux relèvent qu'ils avaient déjà connu une progression de 2,2 % entre les années 2010 et 2011 ;

- d'autre part, les CP du programme n° 123 « Conditions de vie outre-mer » connaissent, pour la deuxième année consécutive, une diminution : - 0,8 % , après une baisse de 10,4 % entre les années 2010 et 2011.

3. Une programmation triennale 2011-2013 légèrement dépassée

La loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 6 ( * ) avait prévu une légère augmentation des crédits de la mission « Outre-mer » entre 2011 et 2012. Les AE devaient passer de 2,14 milliards d'euros en 2011 à 2,16 milliards en 2012 et les CP de 1,97 à 2,03 milliards d'euros sur la même période.

Avec des montants de 2,179 milliards d'euros en AE et de 2,035 milliards d'euros en CP en 2012, le présent projet de finances ne dépasse que très légèrement la programmation triennale, de 0,88 % en AE et de 0,25 % en CP .

B. UNE MISSION QUI SUBIT PLEINEMENT LES EFFETS DE LA POLITIQUE DE RÉDUCTION DES NICHES FISCALES

1. L'effort fiscal de l'Etat en faveur de l'outre-mer baisse de 11,5 % en 2012

Comme l'indique le tableau ci-après, le montant des dépenses fiscales rattachées à la mission « Outre-mer » diminue fortement entre 2011 et 2012, puisqu'il subit une baisse de 382 millions d'euros, soit - 11,5 % .

Cette évolution résulte principalement de trois diminutions :

- le coût de la défiscalisation à l'impôt sur le revenu des investissements productifs en outre-mer passe de 730 millions d'euros en 2011 à 470 millions d'euros en 2012. Cette diminution a elle-même pour origine deux modifications législatives : d'une part, le « rabot » de 10 % appliqué aux niches fiscales à l'impôt sur le revenu en application de l'article 105 de la loi de finances pour 2011 et, d'autre part, la suppression de la défiscalisation liée à la production d'énergie photovoltaïque par l'article 36 de la même loi de finances ;

- le montant de la dépense fiscale liée à la défiscalisation des investissements en matière de logement outre-mer passe de 360 millions d'euros à 315 millions d'euros, également sous l'effet du « rabot » de 10 % des niches applicables à l'impôt sur le revenu ;

- enfin, l'article 4 du présent projet de loi de finances prévoit de supprimer, à compter de l'année 2012, l'abattement d'un tiers applicable à l'impôt sur les sociétés dont bénéficient certaines exploitations situées dans les départements d'outre-mer 7 ( * ) . Il en résulte la disparition, en 2012, d'une dépense fiscale dont le coût était estimé à 100 millions d'euros en 2011.

Le coût des principales dépenses fiscales rattachées à la mission « Outre-mer »

(en millions d'euros)

Dispositif

Base légale

Impôt concerné

Chiffrage
pour 2011

Chiffrage pour 2012

Taux de TVA minoré

Art. 296 du code général des impôts (CGI)

TVA

1 100

1 100

Défiscalisation des investissements productifs

Art. 199 undecies B du CGI

IR

730

470

Défiscalisation des investissements en matière de logement

Art. 199 undecies A et 199 undecies D du CGI

IR

360

315

Réduction du barème de l'impôt sur le revenu

Art. 197-I-3 du CGI

IR

300

310

Défiscalisation des investissements productifs

Art. 217 undecies et 217 duodecies du CGI

IS

220

non chiffrable

Exonération de certains produits et matières premières ainsi que des produits pétroliers

Art. 295 du CGI

TVA

158

158

TVA dite « non perçue récupérable »

Art. 295 A du CGI

TVA

100

100

Réduction de base fiscale pour les exploitations situées dans les départements d'outre-mer

Art. 217 bis du CGI

IS

100

-

Exclusion du champ d'application de la TIPP

Art. 267 du code des douanes

TIPP

99

99

Autres dépenses fiscales rattachées à la mission

141

154

Total (en estimant constant, en 2012, le coût de la défiscalisation à l'IS des investissements productifs, non chiffré)

3 308

2 926

Source : projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2012

Vos rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la fiabilité des chiffrages effectués par le Gouvernement . En effet, entre les évaluations présentées en 2011 et 2012, certains montants varient de manière significative sans explication.

C'est le cas, par exemple, du coût de l'exonération de TVA dont bénéficient certains produits et matières premières ainsi que les produits pétroliers dans les départements de Martinique, de Guadeloupe et de La Réunion, qui était évalué à 65 millions d'euros en 2011 dans le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2011 et dont le montant s'élève à 158 millions d'euros, au titre de la même année, dans le projet annuel de performances annexé au présent projet de loi de finances.

Le coût que représentent les zones franches d'activités en termes de recettes d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés pour l'Etat subit une évolution inverse : évalué à 90 millions d'euros l'année dernière pour l'année 2011, il passe à 44 millions d'euros pour la même année dans le présent projet de loi de finances.

2. Une diminution qui n'est pas compensée par la hausse des crédits de la mission

Vos rapporteurs spéciaux s'inquiètent vivement des conséquences pour l'outre-mer de la politique gouvernementale de réduction des niches fiscales . En effet, si cette politique peut se justifier au regard de l'impératif de réduction du déficit budgétaire de l'Etat, elle ne pèse pas de manière identique sur l'ensemble des territoires français .

Les dépenses fiscales rattachées à la mission « Outre-mer » s'élevaient, en 2011, à 3,31 milliards d'euros, soit un montant largement supérieur aux 2,18 milliards d'euros en AE et aux 2,03 milliards d'euros en CP de la mission. Ce déséquilibre traduit la priorité accordée par l'Etat aux dispositifs fiscaux pour favoriser le développement des outre-mer français par rapport aux dotations budgétaires. C'est la raison pour laquelle les départements et collectivités d'outre-mer subissent plus que les autres territoires les effets de la politique de réduction des dépenses fiscales.

Ainsi, la diminution de 382 millions d'euros du montant des dépenses fiscales entre les années 2011 et 2012 est loin d'être compensée par l'augmentation des crédits de la mission (+ 23,2 millions d'euros en AE et + 57,6 millions d'euros en CP).

C. L'EFFORT BUDGÉTAIRE ET FINANCIER GLOBAL CONSACRÉ À L'OUTRE-MER STAGNE ÉGALEMENT

L'article 128 de la loi de finances rectificative pour 2005 8 ( * ) prévoit la liste des documents de politique transversale (DPT) devant être annexés au projet de loi de finances. Pour chacune des politiques concernées, ces DPT « développent la stratégie mise en oeuvre, les crédits, objectifs et indicateurs y concourant. Ils comportent également une présentation détaillée de l'effort financier consacré par l'Etat à ces politiques, ainsi que des dispositifs mis en place, pour l'année à venir, l'année en cours et l'année précédente ».

Le DPT « Outre-mer » annexé au présent projet de loi de finances fait apparaître, à l'image de l'évolution de la mission « Outre-mer », une quasi-stagnation des crédits globalement consacrés par l'Etat à la politique transversale en direction des territoires ultramarins puisqu'ils évoluent de + 0,5 % en AE (à 13,77 milliards d'euros) et de + 0,4 % en CP (à 13,40 milliards d'euros) . Cette évolution globale masque des différences importantes selon les territoires.

Evolution des crédits de paiement de la politique transversale « Outre-mer »

(en millions d'euros)

LFI 2011

PLF 2012

Evolution

Guadeloupe

2 169,3

1 170,9

+ 0,1 %

Guyane

1 412,8

1 408,8

- 0,3 %

Martinique

2 210,5

2 215,5

+ 0,2 %

La Réunion

4 083,1

4 087,0

+ 0,1 %

Mayotte

664,1

673,8

+ 1,5 %

Nouvelle-Calédonie

1 142,0

1 167,0

+ 2,2 %

Polynésie-française

1 256,5

1 261,7

+ 0,4 %

Wallis et Futuna

104,2

104,5

+ 0,3 %

Saint-Pierre-et-Miquelon

76,7

77,0

+ 0,4 %

Saint-Martin

26,9

27,9

+ 3,8 %

Saint-Barthélemy

1,6

1,6

- 0,7 %

TAAF

23,6

21,7

- 8,2 %

Crédits non répartis

174,8

179,4

+ 2,6 %

Total

13 345,9

13 396,7

+ 0,4 %

Source : document de politique transversale « Outre-mer » annexé au présent projet de loi de finances

La hausse de 50,8 millions d'euros des CP de la politique transversale s'explique pour moitié par l'augmentation des crédits destinés à la Nouvelle-Calédonie . Cette évolution résulte principalement de l'accroissement des crédits en direction de ce territoire au sein des missions « Outre-mer », pour 7,2 millions d'euros - essentiellement les compensations d'exonérations aux organismes de sécurité sociale - « Défense », pour 6,3 millions d'euros, et « Enseignement scolaire », pour 6,0 millions d'euros. Vos rapporteurs spéciaux regrettent que les éléments fournis dans le DPT ne permettent pas d'évaluer les causes des évolutions de crédits les plus importantes en faveur de chaque territoire ultramarin , ce qui rend l'exploitation des données fournies particulièrement difficile.

Par ailleurs, les deux seuls territoires connaissant des baisses significatives sont :

- la Guyane , dont les crédits diminuent de plus de 4 millions d'euros du fait de la baisse des dotations liées à la recherche spatiale au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » ;

- les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) , qui subissent la diminution de 1,6 millions d'euros des crédits en provenance de la mission « Défense ».


* 5 Loi n° 2008-1822 du 24 décembre 2007.

* 6 Loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.

* 7 Il est renvoyé, sur ce point, au commentaire de l'article 4 du présent projet de loi de finances au sein du tome II du rapport général de Mme Nicole Bricq, rapporteure générale.

* 8 Loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005.