M. Francis Delattre, rapporteur spécial

EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS
AU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « PENSIONS »

ARTICLE 65 (Art. L. 40, L. 43, L. 45, L. 46 et L. 55 du code des pensions civiles et militaires de retraite)

Modalités de répartition de la pension de réversion entre ayants droit

Commentaire : afin de conformer le droit à une décision du Conseil constitutionnel, le présent article vise à garantir une égalité de traitement entre les orphelins de moins de 21 ans bénéficiaires d'une pension de réversion, suite au décès de leur parent fonctionnaire, indépendamment du nombre d'orphelins dans chaque lit ou de la durée du mariage de leurs parents.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LE DROIT À PENSION DE RÉVERSION S'EXERCE ENTRE LE(S) CONJOINT(S) SURVIVANT(S) ET LE(S) ORPHELIN(S) DE MOINS DE 21 ANS

Au décès d'un fonctionnaire, ses ayants cause - le(s) conjoint(s) survivant(s) ou divorcé(s), le(s) orphelin(s) de moins de 21 ans - ont droit à une pension de réversion.

Le montant de la pension de la réversion est proportionnel à celui de la pension obtenue par le fonctionnaire ou qu'il aurait pu obtenir au jour de son décès. Le conjoint a droit à 50 % de la pension, et chaque orphelin à 10 %.

Le montant total des émoluments attribués aux conjoints et aux orphelins est plafonné au montant de la pension du fonctionnaire décédé. En cas d'excédent au-delà du plafond, il est procédé à la réduction temporaire des pensions des orphelins.

En cas de décès du conjoint survivant, ou si ce conjoint perd son droit à pension en contractant un nouveau mariage ou en vivant en état de concubinage notoire, le droit à 50 % de la pension passe aux orphelins âgés de moins de 21 ans. Ce droit à 50 % s'ajoute au droit à 10 % pour chaque orphelin, mais dans la limite du plafond du montant de la pension.

B. L'HYPOTHÈSE D'UNE PLURALITÉ D'AYANTS CAUSE (CONJOINTS SUCCESSIFS, ENFANTS DE LITS DIFFÉRENTS) : UN DISPOSITIF JUGÉ ANTICONSTITUTIONNEL

L'article L. 43 du code des pensions civiles et militaires de retraite (CPCM) traite de l'hypothèse d'une pluralité d'ayants cause issus de lits différents ou de conjoints successifs.

En cas de pluralité d'ayants cause, le droit à 50 % de la pension est réparti en parts égales entre les différents lits, représentés par le(s) conjoint(s) survivant(s), ainsi qu'entre le(s) orphelin(s) de moins de 21 ans dont le parent, décédé ou marié, ne peut bénéficier de la pension. Les enfants nés de la même mère représentent un seul lit.

La pension dont bénéficie(nt) le(s) conjoint(s) survivant(s) est répartie entre les conjoints au prorata de la durée respective de chaque mariage, conformément à l'article L. 45 du CPCM.

Le droit à 10 % de la pension pour les orphelins de moins de 21 ans continue de s'appliquer.

Si un lit cesse d'être représenté, sa part accroît celle des autres lits.

Dans sa décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011, le Conseil constitutionnel a estimé que, dans l'hypothèse où plusieurs lits sont représentés par des orphelins, les dispositions de l'article 43 du CPCM entraînent une inégalité de traitement : plus le nombre d'orphelins issus d'un même lit est élevé, plus ces derniers sont désavantagés en recevant une part réduite à due concurrence , comme illustré dans l'exemple ci-dessous.

Droit actuel du calcul des pensions à réversion entre une pluralité d'ayants droit :
un exemple d'application

Hypothèse 1 : droits entre deux anciens conjoints et quatre enfants

Un fonctionnaire décède après avoir vécu 15 ans avec le conjoint A et 10 ans avec le conjoint B. Deux orphelins (A1 et A2) âgés de moins de 21 ans sont issus de l'union avec A, quatre orphelins (B1, B2, B3 et B4) également âgés de moins de 21 ans, issus de l'union avec B.

Si tous ont droit à une pension de réversion, la part de 50 % se répartit entre A aux trois-cinquièmes (à hauteur de 30 %) et B aux deux-cinquièmes (soit 20 %), au prorata des durées de mariage respectives de A et B.

A1, A2, B1, B2, B3 et B4 ont théoriquement droit à 10 % chacun de la pension du parent décédé (soit 60 % au total), mais le montant cumulé (110 %) des droit à pension de réversion dépassant le montant de la pension du parent décédé, les droits de chacun des orphelins sont réduits temporairement à due concurrence pour que le total des pensions de réversion n'excède pas 100 %, soit (50/60) x 10 % = 8,33 % du montant de la pension du parent décédé pour chaque enfant.

Hypothèse 2 : orphelins survivants bénéficiant seuls du droit à réversion

A et B n'ont plus droit à la réversion, suite à un décès ou à un remariage.

Leur droit à pension de réversion est réparti à parts égales entre leurs enfants respectifs, soit (30 : 2) + 8,33 = 23,33 % pour A1 et A2, et (20 : 4) + 8,33 = 13,33 % pour B1, B2, B3 et B4.

Le Conseil constitutionnel considère qu'il y a inégalité de traitement : B1, B2, B3 et B4 sont désavantagés, car issus d'un lit ou le nombre d'enfants est plus élevé.

Le Conseil constitutionnel a donc décidé l'abrogation, à compter du 1 er janvier 2012, de l'article 43 du CPCM.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le dispositif proposé vise à mettre en place de nouvelles règles dans l'hypothèse d'une pluralité d'ayants cause, dans le cas de conjoints successifs et/ou d'enfants de lits différents, selon des modalités qui répondent à l'inégalité de traitement telle que censurée par le Conseil constitutionnel.

Le 2° du I proposé par le présent article pour l'article 43 du CPCM consolide deux principes et en affirme un nouveau.

Les deux principes consolidés sont :

- la répartition du droit à réversion de 50 % entre les conjoints, au prorata des durées respectives de mariage (rédaction proposée pour le premier alinéa de l'article L. 43 du CPCM ; disposition figurant actuellement au premier alinéa de l'article L. 45 du CPCM, que le 3° du I du présent article propose de supprimer) ;

- la représentation d'un lit soit par le conjoint survivant ou divorcé, soit par les orphelins de fonctionnaires dont l'autre parent n'a pas ou plus droit à pension (rédaction proposée pour le deuxième alinéa de l'article L. 43 du CPCM ; disposition figurant actuellement, dans l'hypothèse du décès, au second alinéa de l'article L. 45 du CPCM, que le 3° du I du présent article propose de supprimer, et dans l'hypothèse de la perte de droit, au deuxième alinéa de l'article L. 46 du CPCM, que le 4° du I du présent article propose de supprimer) .

Le principe nouveau est que, si le conjoint survivant décède ou perd ses droits à pension à réversion (dans l'enveloppe de 50 % réservée au(x) conjoint(s) survivant(s)), sa part est répartie également entre tous les orphelins ayant droit à pension , et donc indépendamment des durées de mariage.

Cette mesure entraîne un surcoût dans une hypothèse, assez rare : en cas de décès ou de perte du droit à pension d'un conjoint survivant, le dispositif proposé conduit à répartir la pension de réversion dès lors qu'un orphelin de moins de 21 ans représente un lit, alors qu'actuellement cette part disparaît si le lit n'est pas représenté par un orphelin (disposition figurant actuellement au deuxième alinéa de l'article L. 40 du CPCM, que le b du 1° du I du présent article propose de supprimer) .

Les autres modifications proposées par le I du présent article sont rédactionnelles ou de coordination.

Le II du présent article prévoit l'application de ces dispositions aux fonctionnaires relevant de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, ainsi qu'aux personnels relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Le III prévoit, d'une part, une application des dispositions du I du présent article à compter du 1 er janvier 2012 et, d'autre part, des dispositions transitoires afin de s'assurer que la mise en place du nouveau mode de calcul ne s'accompagne d'aucune demande en indu : « Dans les cas où l'application [de ces dispositions] conduit à une révision et à une liquidation d'une pension inférieure à ce que percevait l'ayant cause du fonctionnaire avant le 1 er janvier 2012, cet ayant cause conserve le bénéfice de l'ancienne pension jusqu'à la notification par l'administration du nouveau montant calculé conformément à l'article L. 43 du code des pensions civiles et militaires de retraite dans sa rédaction issue de la présente loi. Le trop-perçu ne peut faire l'objet d'aucune demande de l'administration tendant à la répétition des sommes indûment versées ».

III. LA POSITION DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

Votre rapporteur spécial salue une mesure d'équité , qui répond à des objections du Conseil constitutionnel sur des cas précis mais l'ayant conduit à abroger, plus largement, l'ensemble des dispositions de l'article 43 du CPCM.

Ces mesures devraient conduire à recalculer les pensions de réversion d'environ 700 orphelins de fonctionnaires d'Etat et 260 orphelins de fonctionnaires affiliés au régime des collectivités territoriales.

Le surcoût identifié - dans l'hypothèse où les droits à pension sont partagés avec des orphelins ayants droit d'autres lits - concernerait une cinquantaine de bénéficiaires par an ce qui, au regard du niveau moyen des pensions versées, représente une dépense budgétaire annuelle supplémentaire de 100 000 euros .

Pour l'application de ces dispositions par décret en Conseil d'Etat aux fonctionnaires relevant de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, ainsi qu'aux personnels relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat, le décret en Conseil d'Etat devra être adopté avant le 1 er janvier 2012, afin de ne pas créer une nouvelle inégalité avec les fonctionnaires de l'Etat qui, pour leur part, bénéficieront du nouveau dispositif à compter du 1 er janvier 2012.

Décision de la commission : votre rapporteur spécial vous propose d'adopter cet article sans modification.

ARTICLE 66 (Art. L. 18, L. 28, L. 30, L. 30 bis [nouveau], et L. 30 ter [nouveau] du code des pensions civiles et militaires de retraite)

Déplafonnement de la majoration pour enfants pour les pensionnés bénéficiaires d'une rente viagère d'invalidité

Commentaire : afin de conformer le droit à une décision du Conseil constitutionnel, le présent article vise à supprimer le plafond global de la rente viagère d'invalidité et de la majoration de pension pour enfants, afin de ne pas défavoriser les agents invalides ayant élevé trois enfants par rapport aux agents valides bénéficiant également de la majoration pour enfants.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LE PLAFONNEMENT DE LA RENTE VIAGÈRE D'INVALIDITÉ ET DE LA MAJORATION POUR ENFANTS

L'article L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite (CPCM), ouvre droit à une rente viagère d'invalidité (RVI) pour un fonctionnaire civil radié des cadres par anticipation, car se trouvant dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées, notamment en service, ou atteint d'une maladie professionnelle dont l'imputabilité au service a été reconnue.

Le montant de la RVI est calculé en multipliant le taux d'incapacité par les émoluments de base servant au calcul de liquidation de la pension. Le fonctionnaire doit être atteint d'une invalidité à un taux au moins égal à 60 % pour bénéficier d'une RVI, qui ne peut être inférieure à 50 % du traitement indiciaire afférent à l'emploi occupé.

La RVI est cumulable avec la pension de retraite, mais la somme de la pension de retraite et de la RVI est plafonnée et ne peut dépasser le montant des émoluments de base, ainsi définis à l'article L. 15 du CPCM : « le traitement ou la solde soumis à retenue afférents à l'indice correspondant à l'emploi, grade, classe et échelon effectivement détenus depuis six mois au moins par le fonctionnaire ou militaire au moment de la cessation des services valables pour la retraite ». En revanche, le plafond de la RVI n'intègre pas la majoration en cas de recours constant, par la personne invalide, à une tierce personne pour accomplir les actes ordinaires de la vie.

Par ailleurs, l'article L. 18 du CPCM prévoit une majoration de pension pour les agents ayant élevé trois enfants. La pension majorée ne peut excéder le montant des émoluments de base.

L'application combinée des articles L. 18 et L. 28 du CPCM tend donc à plafonner, au niveau des émoluments de base, le montant cumulé d'une pension de retraite, de la majoration pour enfant et de la RVI .

C. LA CENSURE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Dans sa décision n° 2010-83 QPC du 13 janvier 2011, le Conseil constitutionnel a estimé que l'application des deux plafonnements, prévus aux articles L. 18 et L. 28 du CPCM, entraînait une inégalité de traitement entre les fonctionnaires valides et invalides ayant élevé plus de trois enfants . En effet, les fonctionnaires invalides, du fait qu'ils perçoivent une RVI, se voient appliquer un écrêtement de leur majoration pour enfant plus important que les fonctionnaires valides.

En conséquence, le Conseil constitutionnel a abrogé , à compter du 1 er janvier 2012, la première phrase du cinquième alinéa de l'article 28 du CPCM, laquelle plafonne le montant de la rente viagère d'invalidité à un montant qui, cumulé à celui de la pension, ne peut être supérieur aux émoluments de base.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le dispositif proposé vise à plafonner séparément le montant de la RVI et le montant de la majoration de pension pour enfants .

Tant la majoration pour enfants que la rente viagère d'invalidité demeurent chacune plafonnées dans leurs limites actuelles , à savoir que son bénéficiaire ne peut percevoir une rémunération totale supérieure au traitement indiciaire afférent à l'emploi qu'il occupait au moment de sa cessation de fonctions. Toutefois, des simplifications rédactionnelles suppriment la référence aux « émoluments de base » pour se référer directement aux sommes que recouvre cette notion (nouvelles rédactions proposées pour le V de l'article L. 18 du CPCM et l'article L. 30 du CPCM, respectivement par les 1° et 3° du I du présent article) .

En revanche, le total des prestations n'est pas plafonné : en application des dispositions du nouvel article L. 30 ter du CPCM que propose de créer le 4° du I du présent article, le montant total des prestations accordées au fonctionnaire invalide ne peut excéder le traitement indiciaire afférent à l'emploi occupé au moment de la cessation de fonctions, « à l'exclusion des majorations prévues [à l']article L. 18 (... ) » qui vise la majoration pour enfants.

Le 2° du I du présent article propose des modifications rédactionnelles et de coordination.

Les dispositions proposées par le 4° du I pour l'article L. 30 bis du CPCM réécrivent le deuxième alinéa de l'article L. 30 du CPCM, en actualisant une référence aux indices utilisés pour les barèmes de la fonction publique.

Le II du présent article prévoit l'application de ces dispositions aux fonctionnaires relevant de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, ainsi qu'aux personnels relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'Etat, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

Le IV fixe la date d'entrée en vigueur de ces dispositions au 1 er janvier 2012, sous réserve des dispositions du III du présent article, lequel prévoit que les agents qui « avaient formé un recours sur ces mêmes fondements et dont l'instance était en cours au 13 janvier 2011, date de la décision [du Conseil constitutionnel], se voient appliquer les dispositions de cet article à compter de la date à laquelle ils ont formulé leur demande à l'administration ».

III. LA POSITION DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

La mesure proposée répond à l'objectif d'équité fixé par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée du 13 janvier 2011, entre agents valides et invalides bénéficiant de la majoration pour enfants.

Les autres options possibles - le déplafonnement soit de la RVI, soit de la majoration pour pensions - ne pouvaient être retenues, car elles auraient pu conduire à ce que l'agent percevant ces prestations bénéficie de revenus supérieurs à ceux dont il disposait quand il travaillait.

Cette mesure a un coût pour le budget de l'Etat, estimé à 3,3 millions d'euros : fin 2010, elle concernerait 940 ayants droit et 1 230 ayants cause, pour un bénéfice moyen de 2 130 euros par ayant droit et 1 060 euros par ayant cause.

Le dispositif proposé prévoit bien son extension aux agents des trois fonctions publiques et aux ouvriers des établissements industriels d'Etat dès le 1 er janvier 2012.

Décision de la commission : votre rapporteur spécial vous propose d'adopter cet article sans modification.