M. François PATRIAT, rapporteur spécial

CHAPITRE PREMIER
LA POLITIQUE DE L'EMPLOI EN 2012 :
DES CHOIX BUDGÉTAIRES QUI NE RÉPONDENT PAS À L'AMPLEUR DES BESOINS

I. DES OBJECTIFS POLITIQUES DÉPASSÉS PAR L'ÉVOLUTION DU MARCHÉ DE L'EMPLOI

A. VOLONTARISME GOUVERNEMENTAL OU AFFICHAGE POLITIQUE ?

1. Réduire le chômage : revenir à un taux de 9 % de demandeurs d'emploi n'est plus d'actualité

Au mois d'avril dernier, le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a fixé à la politique de l'emploi l'objectif de ramener le taux de chômage à moins de 9 % pour la fin de l'année 2011 . Formulé au cours du premier semestre 2011 alors que le chômage montrait des signes de décrue, cet objectif pouvait se justifier par les chiffres encourageants donnés par l'assurance chômage : au premier semestre de l'année, le nombre de chômeurs indemnisés en France métropolitaine a baissé, passant de 2,2 millions en janvier à 1,8 million en mai, mais il a commencé à remonter dès le début du second semestre et s'établit à 2 millions en octobre.

Compte tenu de l' évolution défavorable de la croissance économique - sans qu'il puisse en être tenu rigueur au Gouvernement sur ce seul point - il est permis de s'interroger sur la portée de cet engagement alors même qu'il a été réaffirmé au cours du mois de septembre dernier 1 ( * ) , au moment où la remontée du nombre des demandeurs d'emploi était confirmée par les prévisions de l'assurance chômage. L'aggravation du marché de l'emploi semble écarter tout retour à un taux de 9 % de demandeurs d'emploi au moins à court terme. En effet, selon l'Insee 2 ( * ) , le taux de chômage en France métropolitaine pourrait remonter à 9,2 % au quatrième trimestre, contre 9,1 %, niveau le plus bas atteint au deuxième trimestre 2011, et poursuivre sa progression en 2012. L'Unedic présente des prévisions qui laissent à penser que la progression du chômage atteindra fin 2012 un niveau proche de celui de début 2011 ( cf. infra ).

De la même manière, le Gouvernement a tardé, jusqu'au 27 octobre 2011, à réviser son hypothèse de croissance de 1,75 % pour 2012. Pourtant, le groupe technique de la commission économique de la Nation 3 ( * ) , réuni le 6 octobre, et le consensus des conjoncturistes de septembre 2011 prévoyaient déjà une croissance de 1,2 % , ramenée à 0,9 % selon leur dernière prévision établie en octobre 4 ( * ) .

L'Unedic a pour sa part révisé, dès le 22 septembre, sa situation financière pour 2011 et 2012 sur la base d'une croissance ramenée à 1,2 %. Aussi, l'annonce faite, le 27 octobre 2011, par le Président de la République que la prévision de croissance pour 2012 retenue par le Gouvernement était désormais de 1 % , confirme-t-elle les prévisions de hausse du nombre des demandeurs d'emploi ( Cf. infra la prévision du nombre des chômeurs indemnisés par l'Assurance chômage).

Dans ce contexte, il y a urgence pour le Gouvernement à réactualiser les objectifs de la politique de l'emploi. A défaut, il faudrait considérer que le volontarisme gouvernemental, sans moyens d'action sur la conjoncture, relèverait du simple affichage politique .

2. Encourager la formation en alternance : l'objectif de 600 000 apprentis en 2015 est-il réaliste ?

S'agissant du développement de l'apprentissage, votre rapporteur spécial s'interroge également sur l'objectif annoncé par le Président de la République dans son discours du 1 er mars 2011 à Bobigny d' atteindre, d'ici 2015, 800 000 contrats en alternance dont 600 000 apprentis . Cet objectif est-il réaliste ?

Pour répondre à une telle ambition, la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 a réformé le fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage (FNDMA) ainsi que les conditions de collecte et d'attribution aux régions de la taxe d'apprentissage, ces dispositifs étant jugé insuffisamment incitatifs.

Parallèlement, il a été procédé à une refonte profonde du dispositif d'incitation à l'embauche des apprentis, en combinant le relèvement du seuil d'assujettissement des entreprises de plus de 250 salariés à la contribution supplémentaire pour l'apprentissage (CSA) de 3 % à 4 %, avec une modulation du taux de surtaxe, dit « malus », et la création d'un « bonus » consistant dans le versement, par l'Etat, d'une prime aux entreprises qui respectent les quotas.

Ce volet fiscal a été complété par une modification de l'architecture des missions budgétaires et la création d'un nouveau compte d'affectation spéciale intitulé « Financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage » , qui se substitue au FNDMA et est rattaché à la mission travail et emploi.

Dans l'ensemble, votre rapporteur spécial estime que cette réforme défend une cause qui est largement partagée par les régions en raison des compétences qui leur ont été transférées en matière de formation professionnelle et d'apprentissage. Néanmoins, il n'est pas inutile de souligner que l'objectif de 600 000 apprentis en 2015 implique une augmentation de 50 % des effectifs actuels (414 000 apprentis fin 2010) en seulement quatre ans alors qu'entre 2005 et 2010 le nombre des apprentis n'a progressé que de 8 % (382 000 apprentis fin 2005). Par ailleurs, il convient de souligner que la tenue d'un tel engagement ne peut s'envisager sans la prise en compte de la réalité de l'emploi dans les régions. C'est en effet avec ces dernières que l'Etat doit s'engager, sur des objectifs réalistes et atteignables, au travers de la nouvelle génération des contrats d'objectifs et de moyens 2011-2015 .

B. LE REDÉMARRAGE À LA HAUSSE DES DÉPENSES D'INDEMNISATION DES DEMANDEURS D'EMPLOI

La hausse du nombre des demandeurs d'emploi entraîne mécaniquement une augmentation des dépenses d'indemnisation financées par l'Assurance chômage. Ainsi, l'Unedic a chiffré que le nombre de chômeurs indemnisés continuerait à augmenter pour s'établir à 2 139 600 en décembre 2012.

Prévision du nombre des chômeurs indemnisés par l'Assurance chômage

(en milliers)

Source : Pôle emploi, Prévisions Unedic (situation financière de l'Assurance chômage pour les années 2011 et 2012, publiée le 22 septembre 2011)

La conséquence directe de cette dégradation de la conjoncture serait une aggravation du déficit de l'Unedic en raison de l' augmentation des dépenses d'assurance chômage . Celles-ci passeraient de 33,6 milliards en 2011 à 34,6 milliards d'euros en 2012 . Le compte de résultat de l'assurance chômage pourrait présenter un déficit supplémentaire de 2,5 milliards d'euros en 2011 et de 1,8 milliards d'euros en 2012.

La dette de l'assurance chômage continuerait aussi à se creuser, passant de 11 milliards d'euros fin 2011 à 12,8 milliards d'euros fin 2012 .

C. UNE POLITIQUE DE L'EMPLOI À CONTRETEMPS : LES BESOINS S'ACCROISSENT MAIS L'ETAT RÉDUIT SON ACTION

Face à l'accroissement du chômage et des dépenses de l'Assurance chômage, dont il faut préciser que le financement émane des cotisations et que sa gestion relève des partenaires sociaux, il apparaît paradoxal que l'Etat réduise ses moyens d'action de manière aussi importante en 2012. C'est, en effet, la mission « Travail et emploi » qui subit la plus forte baisse de crédits budgétaires (moins 11 %), devant la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Tous les compartiments de la politique de l'emploi sont visés par cette réduction de voilure pour l'an prochain :

- les crédits de la mission « Travail et emploi » s'établissent à 10,2 milliards d'euros de crédits de paiement, en réduction de 11 % par rapport à 2011 (11,6 milliards d'euros) ;

- les dépenses fiscales sont estimées à 10,81 milliards d'euros , au lieu de 11,13 milliards d'euros pour 2011 ;

- les allègements généraux de cotisations sont évaluées à 23,6 milliards d'euros 5 ( * ) , dont 20,1 milliards d'euros d'allègements généraux de charges « Fillon » et 3,5 milliards d'euros d'exonérations relatives aux heures supplémentaires de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (TEPA) 6 ( * ) ;

- et les exonérations ciblées de cotisations patronales, non compensées par la présente mission représenteront 1,84 milliard d'euros.

Au total, la politique de l'emploi mobilisera 47 milliards d'euros en 2012 (51,44 milliards d'euros en 2011), soit une réduction de 9 % de l'effort global de la Nation en faveur de l'emploi et de la lutte contre le chômage.

Le schéma ci-après présente la répartition des différentes composantes financières de la politique de l'emploi et du travail.

Répartition des dépenses de l'Etat au titre
de la politique de l'emploi et du travail pour 2012

Sources : projet annuel de performances « Travail et emploi » annexé au projet de loi de finances pour 2012 et projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012

Alors que les politiques de l'emploi se justifient par leur effets contra-cyclique sur la conjoncture - accentuer le soutien à l'emploi lorsque le chômage augmente et, à l'inverse, soulager les finances publiques lorsque l'emploi est dynamique - votre rapporteur spécial constate que l'effort de l'Etat se relâche au moment même où les tensions sur le marché de l'emploi réapparaissent. Le budget 2012 est symptomatique d'une politique de l'emploi à contretemps .

Ce choix de la sous-budgétisation de la politique de l'emploi risque de s'avérer contre productif dans la mesure où le Gouvernement se placera de lui-même dans l'obligation de redéployer massivement des crédits en cours d'année comme cela a été le cas en 2009 et en 2010 pour faire face à la crise :

- la loi de finances pour 2009 prévoyait ainsi une baisse de 5,4 % du budget de la mission « Travail et emploi » par rapport à 2008. En réalité, les crédits effectivement consommés se sont établis à 13,7 milliards d'euros en AE et CP, soit un niveau supérieur de 12 % à celui des crédits votés en LFI. En raison de la crise économique, près de 1,5 milliard d'euros de crédits supplémentaires ont, en effet, été ouverts sur le volet « emploi » de la mission (programmes 102 et 103) eu titre du plan de relance ;

- en 2010, l'exécution des crédits a dépassé de 30 % l'autorisation votée en LFI notamment pour honorer la surconsommation de contrats aidés dont la dépense finale s'est élevée à 3,5 milliards d'euros de crédits au lieu de 1,77 milliard d'euros prévus initialement ;

- l'année 2011 a suivi la même pente avec l'ouverture supplémentaire de 350 millions d'euros supplémentaires en application de la loi de finances rectificative précitée du 29 juillet 2011.

Au final, sans méconnaître l'impératif de retour à l'équilibre des finances publiques, il ne s'agit pas de demander plus de dépenses mais de regretter le choix fait par le Gouvernement de se désengager des politiques actives de l'emploi et de lutte contre le chômage .

Le choix du Gouvernement est de réduire drastiquement les dépenses budgétaires d'intervention. Ce faisant, il prive le pays d'un levier de lutte important contre le chômage. Il fait même courir le risque d'une explosion des dépenses sur les dispositifs sous-budgétisés : les contrats aidés, l'accompagnement des restructurations économiques et les dépenses de solidarité.

La voie suivie par la nouvelle majorité sénatoriale est radicalement différente : plutôt que de réduire les seules dépenses d'intervention de la politique de l'emploi, elle propose de supprimer les niches fiscales et sociales très coûteuses et sans effet sur l'emploi. Ainsi, votre commission des finances et la commission des affaires sociales ont-elles voté la suppression du dispositif d'exonérations des heures supplémentaires. Cela représente une économie globale de 4,9 milliards d'euros bien supérieure à celle que souhaite faire le Gouvernement sur les dépenses d'intervention en faveur de l'emploi .


* 1 « Xavier Bertrand vise toujours un chômage sous 9 % d'ici 2012 » (journal La Tribune du 4 septembre 2011).

* 2 Source : Insee (3 novembre 2011).

* 3 Le Gouvernement réunit chaque année, fin septembre ou début octobre, le groupe technique de la commission économique de la Nation. Il s'agit d'un panel d'experts représentant des organismes indépendants désignés par lui. Cette réunion, à peu près concomitante au dépôt du projet de loi de finances, permet d'évaluer l'optimisme du Gouvernement, en comparant ses prévisions avec celles existant au même moment.

* 4 Consensus Forecasts, septembre 2011 et octobre 2011.

* 5 Source : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 (annexe 5).

* 6 En 2011, Les allègements généraux de cotisations patronales s'élèvent à 24,43 milliards d'euros, dont 21,2 milliards d'euros d'allègements généraux de charges « Fillon » et 3,23 milliards d'euros d'exonérations relatives aux heures supplémentaires et complémentaires.