MM. Georges PATIENT et Eric DOLIGÉ, rapporteurs spéciaux

SECONDE PARTIE
L'AIDE AU FRET

L'aide au fret , mise en place en 2009 par la LODEOM, mais qui n'est devenue réellement opérationnelle qu'en 2011, touche à un aspect essentiel des économies ultramarines, à savoir les surcoûts de production qu'elles supportent, du fait de leur éloignement géographique et des normes qui s'imposent à elles .

L'objet de ce dispositif est donc de compenser - en partie - ces surcoûts, afin d'augmenter la compétitivité des productions des territoires d'outre-mer, et donc de créer ou de sauvegarder des emplois.

Ses crédits sont portés par l'action 01 « Soutien aux entreprises » du programme 138 « Emploi outre-mer » de la présente mission « Outre-mer ». Or, l'évolution de ces crédits a montré un écart très important entre les estimations initiales (27 millions d'euros en 2009) et les montants inscrits dans les dernières lois de finances (6 millions d'euros cette année).

C'est pourquoi, dans le cadre de leur mission de contrôle budgétaire, vos rapporteurs spéciaux se sont intéressés cette année à ce dispositif.

I. UNE AIDE JUSTIFIÉE PAR LA PLACE PRÉPONDÉRANTE DE LA MÉTROPOLE DANS LES ÉCHANGES COMMERCIAUX DES TERRITOIRES ULTRAMARINS, SOURCE DE SURCOÛTS IMPORTANTS

A. UNE INSUFFISANTE INTÉGRATION RÉGIONALE DES TERRITOIRES D'OUTRE-MER

Les territoires ultramarins se trouvent dans une situation particulière du fait de leur éloignement par rapport à la métropole , combiné, la plupart du temps, à leur caractère insulaire. Ainsi, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane sont à près de 7 000 km de Paris, quand Mayotte et La Réunion sont à plus de 9 000 km.

Cet éloignement pourrait conduire ces territoires à privilégier des échanges commerciaux avec les zones géographiques auxquelles ils appartiennent (Amérique, Afrique,...).

Toutefois, des contraintes économiques et juridiques viennent limiter cette intégration régionale .

Tout d'abord, s'agissant des départements d'outre-mer, ils font partie intégrante de l'Union douanière, et sont donc soumis au tarif douanier extérieur commun.

D'autre part, ces territoires sont soumis au respect des normes environnementales, sanitaires et techniques françaises et européennes, ce qui peut entraver leur capacité à exporter vers d'autres marchés.

De même, les territoires ultramarins appliquent des normes, y compris sociales, « de pays riches », alors qu'ils peuvent être entourés de pays à faible revenu. Au-delà du poids de ces normes sur leur productivité, qui nuit à leur compétitivité, ces différences de niveau de vie entre territoires voisins limitent les possibilités d'échange.

Enfin, dans la zone Antilles-Guyane comme dans l'Océan indien, les liaisons maritimes et aériennes sont insuffisantes, comme le notait en particulier le rapport de votre rapporteur spécial Éric Doligé au nom de la mission commune d'information sur l'outre-mer 2 ( * ) .

Il résulte de ces contraintes une structure particulière des échanges des territoires ultramarins, retracés dans le tableau ci-dessous.

Échanges commerciaux de certains territoires ultramarins en 2012

(en millions d'euros)

Guyane

Guadeloupe

Martinique

La Réunion

Mayotte

St-Pierre-et-Miquelon

Imp.

Exp.

Imp.

Exp.

Imp.

Exp.

Imp.

Exp.

Imp.

Exp.

Imp.

Exp.

Métropole

465,7

124,0

1 464,3

125,7

1 404,3

164,1

2 551,1

129,1

169,0

1,4

25,0

-

Guadeloupe

5,8

7,7

2,1

18,8

0,5

120,3

1,2

0,6

-

-

-

-

Guyane

0,0

2,8

5,8

9,1

6,6

104,0

0,5

0,1

-

-

-

-

Martinique

186,6

8,8

190,1

49,4

9,8

0,0

0,5

0,4

-

-

-

-

La Réunion

0,0

0,4

0,1

1,0

0,4

0,2

0,1

1,0

-

-

-

-

Mayotte

0,4

0,4

0,3

0,3

0,0

0,1

1,8

20,2

-

-

-

-

COM

0,6

0,2

0,1

4,2

0,2

0,4

2,6

1,4

-

-

-

-

UE 27

329,8

36,0

293,0

12,5

337,6

9,5

572,2

63,2

67,2

0,4

1,8

0,8

Europe

37,9

24,0

19,1

0,3

444,0

0,3

47,8

0,9

8,4

-

-

-

Afrique

5,2

0,6

13,9

0,5

8,6

0,2

214,0

30,1

25,0

2,5

-

-

Amérique

156,6

32,0

499,5

7,6

455,0

23,2

51,4

7,2

19,2

-

47,3

0,4

Asie

1 060,5

1,7

186,6

2,0

119,0

1,4

1 175,3

78,9

83,3

0,7

3,1

-

Moyen-Orient

0,5

0,0

2,4

0,1

3,9

0,1

22,8

0,3

9,6

-

-

-

Divers

244,3

-

17,5

2,2

2,1

2,8

57,9

4,0

2,3

-

1,9

-

TOTAL

2 494,1

238,6

2 694,6

233,5

2 791,9

426,6

4 699,1

337,6

384,0

5,0

79,1

1,2

Source : Douanes

N.B. Imp. : importations - Exp. : exportations

On peut relever le faible taux de couverture des importations par les exportations, qui varie de 1,3 % à Mayotte à 15,3 % à La Réunion.

On peut surtout souligner la faible intégration régionale de ces territoires, comme le montre le tableau ci-dessous.

Intégration régionale

Guyane

Guadeloupe

Martinique

La Réunion

Mayotte

St-Pierre-et-Miquelon

Imp.

Exp.

Imp.

Exp.

Imp.

Exp.

Imp.

Exp.

Imp.

Exp.

Imp.

Exp.

Métropole

19 %

52 %

54 %

54 %

50 %

38 %

54 %

38 %

44 %

28 %

32 %

-

Europe

33 %

77 %

66 %

59 %

78 %

41 %

67 %

57 %

64 %

36 %

34 %

69 %

Zone géographique

14 %

22 %

26 %

36 %

17 %

58 %

30 %

39 %

28 %

64 %

60 %

31 %

Source : Douanes

N.B. La ligne « Europe » correspond aux échanges commerciaux avec la métropole, l'UE-27 et l'Europe ; la ligne « Zone géographique » correspond aux échanges commerciaux avec la zone à laquelle appartient le territoire. Pour la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique, il s'agit de ces territoires et de la zone Amérique, pour La Réunion et Mayotte, il s'agit de ces territoires, de l'Afrique et de l'Asie, et pour Saint-Pierre-et-Miquelon il s'agit de l'Amérique.

La métropole représente, pour la plupart de ces territoires, une part prépondérante de leurs échanges commerciaux , qui peut fréquemment dépasser la moitié. L'Europe représente même près de 80 % des importations de la Martinique et près de 80 % des exportations de la Guyane.

À l'inverse, l'intégration commerciale avec la zone géographique à laquelle ces territoires appartiennent est la plupart du temps faible. À quelques exceptions près, cette part se situe entre le quart et le tiers, avec un minimum de 14 % pour les importations de la Guyane et un maximum de 64 % pour les exportations de Mayotte.

B. DES ÉCHANGES COMMERCIAUX QUI PRIVILÉGIENT LOGIQUEMENT LE TRANSPORT MARITIME

Du fait de leur situation géographique, les échanges commerciaux de ces territoires se font majoritairement par transport maritime .

En Guadeloupe, 86,5 % des importations - en volume financier - empruntent ce moyen de transport.

En Guyane, le transport maritime représente 71 % des déclarations aux douanes et 99,5 % du tonnage des échanges.

En Martinique, d'après la délégation générale à l'outre-mer, « l'immense majorité des échanges s'effectue par le transport maritime, le transport aérien relevant de l'exception ».

À La Réunion, entre 75 % et 80 % des importations arrivent par voie maritime.

À Mayotte, les importations se font presqu'exclusivement par transport maritime, contrairement aux exportations, qui utilisent majoritairement le transport aérien, du fait de la nature des produits exportés (poisson d'aquaculture notamment).

Enfin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, 90 % des importations utilisent la voie maritime.

C. UNE INSUFFISANTE INTÉGRATION RÉGIONALE QUI REPRÉSENTE UN SURCOÛT DE 76 MILLIONS D'EUROS PAR AN

L'éloignement géographique, combiné à la faible possibilité de s'intégrer commercialement aux zones géographiques auxquelles ils appartiennent, conduit ces territoires à devoir fortement recourir au transport - maritime - avec la métropole dans leur processus de production, à la fois pour les importations (intrants) et les exportations.

Ces trajets sont une source importante de surcoût.

Ce surcoût est évalué selon la méthode suivante, validée par la Commission européenne : on calcule la différence entre le prix facturé hors taxe à l'entreprise domienne et le prix d'achat hors taxe de la marchandise à l'entreprise du continent européen ; pour les exportations, on calcule la différence entre le prix de vente de la marchandise à un acheteur européen et son prix de vente à un acheteur local.

D'après les données transmises à vos rapporteurs spéciaux, les surcoûts identifiés en 2005 et 2006 - qui sont les deux années pleines précédents la notification du régime d'aide au fret à la Commission européenne - se répartissaient ainsi :

- à La Réunion : 25 à 30 millions d'euros, dont 15 à 20 millions d'euros d'intrants ;

- à la Martinique : 20 millions d'euros, dont 12 millions d'euros d'intrants ;

- à la Guadeloupe : 18 millions d'euros ;

- en Guyane : 8 millions d'euros.

Soit un coût total estimé à 76 millions d'euros par an , étant entendu que celui-ci peut varier de façon importante, selon notamment les évolutions du prix du pétrole.

Il convient de souligner qu'au-delà des coûts, le secteur des transports entre la métropole et l'outre-mer souffre d'une faible concurrence , qui est également un élément de surcoût. La délégation générale à l'outre-mer indiquait ainsi à vos rapporteurs spéciaux que sur ce marché, « l'offre est en capacité de fixer librement ses prix en contraignant une demande totalement dépendante, qu'il s'agisse d'intrants ou d'extrants ».


* 2 Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l'avenir (n° 519, 2008-2009).