MM. Alain Houpert et Yannick Botrel, rapporteurs spéciaux

DEUXIÈME PARTIE :
ANALYSE PAR PROGRAMME

L'analyse des programmes de la mission ne constitue pas une description exhaustive des dispositifs et des crédits qui leur sont consacrés 5 ( * ) . Elle se concentre en effet sur les questions faisant l'objet d'un suivi particulier par vos rapporteurs spéciaux et votre commission des finances .

I. LE PROGRAMME 154 « ECONOMIE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE DE L'AGRICULTURE, DE LA PÊCHE ET DES TERRITOIRES »
(RAPPORTEUR SPÉCIAL : ALAIN HOUPERT)

A. UN AMAIGRISSEMENT BUDGÉTAIRE DANS LE CONTEXTE DE L'APPLICATION DE LA NOUVELLE PAC

Le programme 154 « Économie et développement durable de l'agriculture, de la pêche et des territoires » concentre autour de la moitié des crédits de la mission.

Il est structuré autour des cinq actions suivantes :

- adaptation des filières à l'évolution des marchés ;

- gestion des crises et des aléas de production ;

- appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles ;

- gestion équilibrée et durable des territoires ;

- moyens de mise en oeuvre des politiques publiques .

Les interventions financées par le programme s'inscrivent largement dans le cadre des règlements communautaires si bien qu'elles sont assez étroitement contraintes pour beaucoup d'entre elles.

Le programme 154 peut être vu comme la traduction dans le budget national des ambitions agricoles du pays.

Celles-ci ne cessent d'être renforcées et complexifiées mais le projet de budget pour 2015 est loin d'en porter la trace.

1. Un amaigrissement budgétaire

L'an dernier, les crédits inscrits en loi de finances initiale avaient enregistré un recul très conséquent de 18 % en autorisations d'engagement (AE) et de 9 % en crédits de paiement (CP) pour s'établir à 1,46 et 1,63 milliards d'euros respectivement.

Le projet de budget pour 2015 prolonge cette tendance avec un recul considérable en crédits de paiement. Il atteint 12,7 %, les CP se situant à un étiage de 1,419 milliards d'euros. En deux ans les moyens du programme auront rétrogradé de 358 millions d'euros, soit un ajustement de plus de 20 % par rapport à la situation de 2013.

Il est vrai que le projet de budget pour 2015 inverse la tendance à la baisse des AE qui l'an dernier avaient atteint un sommet (- 18 %). Les AE progresseraient en 2015 de 11,8 %. La présentation du budget 2015 ne manque pas de souligner que cette évolution traduit un engagement fort de soutien au développement agricole. Elle met en valeur le lien existant entre la programmation budgétaire des AE et les engagements pris par le Président de la République lors du « sommet de l'élevage » tenue à 2013 à Cournon.

En réalité, le programme des AE traduit essentiellement les effets de l'augmentation de l'enveloppe nationale de la France au titre du deuxième pilier qu'elle provisionne en presque totalité.

2. Une restructuration budgétaire
a) Évolution de la structure des dépenses par action

Le programme n° 154 comporte cinq actions aux « poids budgétaires » inégaux :

- l'action n° 1 : « Adaptation des filières à l''évolution des marchés », dotée de 169,4 millions d'euros (11,9 % du programme) soutient la production et la commercialisation des produits ;

- l'action n° 2 : « Gestion des crises et des aléas de la production », dotée de 27,7 millions d'euros (1,9 % du programme) regroupe les dispositifs destinés à fournir un appui financier aux exploitations touchées par des crises ou des calamités agricoles et à aider au redressement des exploitations en difficulté ;

- l'action n° 3 : « Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles », dotée de 177 millions d'euros (12,5 % du programme) vise à contribuer au maintien des exploitations lors d'évènements démographiques ;

- l'action n° 4 : « Gestion équilibrée et durable des territoires », dotée de 763,2 millions d'euros (53,8 % du programme) concerne la majorité des interventions en faveur du monde rural dans la perspective d'une gestion durable des activités agricoles ;

- enfin, l'action n° 5 : « Moyens de mise en oeuvre des politiques publiques et gestion des interventions », dotée de 282,3 millions d'euros (19,9 % du programme) est la deuxième action par le poids budgétaire et regroupe les moyens accordés à différents organismes, dont six d'entre eux sont des opérateurs de l'État, chargés de mettre en oeuvre pour son compte et pour celui de l'Union européenne les actions en faveur des entreprises agricoles et agroalimentaires.

Les différentes actions du programme contribuent inégalement à la réduction des moyens dont il est doté.

Évolution des CP de la LFI 2014 à la LFI 2015 par action

(en millions d'euros courants)

Action

2014

2015

Évolution

Action 1

298,4

169,4

- 129

Action 2

28,5

27,7

- 0,8

Action 3

225,8

177

- 48,8

Action 4

819,7

763,2

- 56,5

Action 5

253,5

282,3

+ 28,8

Total

1 625,9

1 419,6

- 206,3

L'action n° 1 est la première contributrice à l'amaigrissement budgétaire du programme. Elle perd 43,2 % de ses crédits et contribue à hauteur de 62,8 % à la réduction des CP du programme.

Seule l'action n° 5 voit ses crédits augmenter, très nettement d'ailleurs, puisque la progression de cette action atteint 11,4 %.

De leur côté, les actions 3 et 4 paient un tribut inégal à la baisse des crédits ; la première se voit amputée de 21,7 % de ses moyens, la seconde de 6,9 % de la dotation initiale pour 2014.

b) Évolution de la structure des dépenses par nature

L'analyse des dépenses du programme selon leur nature fait ressortir la prédominance des dépenses d'intervention.

Dépenses par nature en 2015 pour les CP du programme

(en % du total)

Dépenses de fonctionnement

18,9

Dépenses d'investissement

NS

Dépenses d'intervention

80,1

dont

- Transferts aux ménages

2,7

- Transferts aux entreprises

45,9

- Transferts aux collectivités territoriales

NS

- Transferts aux autres collectivités

31,5

- Dépenses d'opérations financières

1,3

Cependant, le projet de budget 2015 enregistre une évolution de la structure du programme au détriment des dépenses d'intervention.

Évolution de la structure des dépenses (CP) du programme par nature 2015/2014

En %

En millions d'euros

Dépenses de fonctionnement

+ 3,3

+ 14,2

Dépenses d'investissement

NS

- 0,24

Dépenses d'intervention

- 4,9

- 233,7

dont

- Transferts aux ménages

- 0,1

- 172,3

- Transferts aux entreprises

- 4,8

- 6,9

- Transferts aux collectivités territoriales

- 0,02

0

- Transferts aux autres collectivités

+ 0,7

- 54,6

- Dépenses d'opérations financières

+ 1,3

+ 13,6

La part des dépenses d'intervention se réduirait sensiblement (- 57 %) du fait des économies prévues. De 233,7 millions d'euros, elles se traduisent par un repli de 17 % par rapport aux crédits de la loi de finances initiale pour 2014.

En revanche, l'accroissement de 5,6 % des crédits de fonctionnement déterminerait une augmentation de leur poids dans le total des crédits, de 3,3 points de pourcentage.

Répartition par action et par titre des CP du programme pour 2015

3. Un projet de budget placé sous le signe de la nouvelle PAC
a) La nouvelle PAC

Après le compromis budgétaire de 2013, le recul de la priorité budgétaire européenne qu'a été historiquement la politique agricole commune va s'amplifier et, d'un point de vue règlementaire, il s'accompagne d'une progression de la subsidiarité : les États et les régions voient élargies leurs marges de manoeuvre à mesure que l'Europe se désengage.

Par ailleurs, le processus de rééquilibrage entre les deux piliers de la PAC - le pilier 1 des aides directes et le pilier 2 des actions plus structurelles de développement agricole durable - se poursuit.

Dans ces conditions, l'analyse du budget 2015 doit apprécier dans quelle mesure nos choix nationaux s'adaptent, en les infléchissant ou les enrichissant, aux réorientations de la PAC.

D'un point de vue financier , la programmation budgétaire européenne pour la période 2014-2020 absorbe les effets du resserrement de la contrainte appliquée au budget européen et qu'illustre la réduction du plafond de dépenses de 1,06 % du revenu national brut de l'Union européenne à 0,95 % pour les crédits de paiement. Elle implique des économies à hauteur de 35 milliards d'euros courants alors que l'Union européenne a été élargie à un nouveau pays, la Croatie .

La rubrique 2 du budget européen qui abrite les crédits de la PAC subit les effets de cette réduction de volume budgétaire . La programmation financière prévoit une réduction des moyens qui, en euros courants, se replient par rapport à 2013 de 13 % pour le premier pilier de la PAC (- 4,9 milliards d'euros) et de 18 % pour le second pilier (- 2 milliards d'euros).

La programmation financière européenne pour les années 2014-2020 repose ainsi sur une sur-contribution de la PAC aux économies budgétaires qui accompagne un redéploiement du budget européen vers d'autres interventions.

Alors que, dans les années 90, la PAC représentait encore près de la moitié des crédits européens, elle n'en mobilisera plus que moins de 40 % dans la nouvelle programmation financière prolongeant la tendance à un lent déclin budgétaire de la première politique commune de l'Europe.

D'un point de vue règlementaire , la nouvelle PAC présente des caractéristiques en correspondance avec cette « décommunautarisation » budgétaire. Comme le rapport pour avis de la commission des affaires économiques du Sénat l'avait affirmé, jamais la subsidiarité n'avait été poussée à un point tel dans la PAC.

Les États voient élargie leur contribution à la PAC via des obligations reposant sur eux accompagnées de nouvelles marges d'action, facultatives, plus ou moins encadrées .

Les obligations imposées aux États se déclinent autour des processus de convergence interne, de verdissement, de l'aide aux jeunes agriculteurs et de constitution d'une réserve nationale ou régionale.

La convergence des aides implique que, par étape, aucun agriculteur ne devra percevoir moins de 60 % de la moyenne nationale, la perte des agriculteurs les mieux lotis pouvant toutefois être plafonnée à 30 %.

Le verdissement consiste en ceci que 30 % des aides directes seront subordonnées à trois critères : la diversité des assolements, la culture principale ne pouvant mobiliser plus de 75 % de la surface de l'exploitation, les exploitations de plus de trente hectares devant cultiver trois espèces au moins ; le maintien des prairies permanentes et l'obligation de consacrer 5 % de la surface (hors pâturages et pour les exploitations de plus de 15 ha) à des structures agro écologiques (surfaces d'intérêt environnemental).

Les jeunes agriculteurs doivent se voir reconnaître le bénéfice d'une majoration de leur paiement de base de 25 % calculée sur la base d'une référence de surface et dans la limite de 2 % de l'enveloppe nationale.

Quant à leur réserve nationale (ou régionale), elle est alimentée par des prélèvements sur les droits à paiement unique (DPU) transférés.

Pour les mesures facultatives qui concernent les paiements redistributifs, les interventions en zones contraintes naturelles, les soutiens couplés et le régime des petits agriculteurs, leurs régimes ont été globalement assouplis.

S'agissant des paiements couplés qui sont conditionnés au niveau de la production représentant en cela un retour à la PAC d'avant les DPU découplés de toute référence productive, l'enveloppe qui peut leur être consacrée est portée à 13 % de l'enveloppe nationale au bénéfice des seules productions ou régions connaissant une agriculture particulières ou des productions spécifiques exposées à des difficultés. Ils sont calculés sur la base d'un produit surface-rendement mais sous plafond : celui des moyens nécessaires au maintien du niveau actuel de production.

On rappelle que la France a fait le choix d'utiliser à plein la faculté de recouplage qui était offerte aux États, ce qui a pour effet de limiter l'expansion de son enveloppe structurelle.

L'enveloppe des paiements couplés s'établit comme suit pour 2015 :

(en millions d'euros)

Enveloppes 2015

Élevage

Vache allaitante

670

Veau sous la mère

5

Sous-total bovin viande

675

Lait de montagne

45

Filière bovin lait

95

Sous-total bovin lait

140

Ovins

125

Caprins

15

Total élevage

955

Végétaux

Tabac

Non éligible

Blé dur de qualité

7

Pruneaux

12

Fruits transformés

1

Tomate d'industrie

3

Fécule, lin, chanvre, houblon

4

Riz

MAEC adaptée

Total végétaux

27

Par ailleurs, pour les autres mesures, l'analyse du projet de budget 2015 est l'occasion d'examiner comment le volet national de la politique agricole donne ses prolongements aux nouvelles marges accordées aux États.

b) La France subira les effets de la redéfinition budgétaire de la PAC

Pour apprécier favorablement les résultats obtenus par la France lors de la négociation agricole, on relève que d'autres pays européens verront leurs enveloppes nationales subir une réduction proportionnellement plus importante que celle appliquée à la France.

Tel est le cas pour les paiements directs accordés aux Pays-Bas (- 7,4 %), à la Belgique (- 7,1 %), à l'Italie (- 6,5 %) et à l'Allemagne (- 4,9 %).

Dans ce contexte, le recul de l'enveloppe nationale des paiements directs de la France qui atteint 4,2 % par rapport à la précédente programmation est considéré comme un succès.

C'est tout juste un moindre mal. Au demeurant, la situation comparativement favorable de la France au regard du premier pilier provient partiellement du choix de saturer les possibilités de recouplage.

En revanche, l'augmentation de 14,3 % de l'enveloppe prévue au titre du second pilier quand d'autres États subissent des ponctions considérables (l'Allemagne avec - 19,9 % notamment) doit être saluée.

Cependant, au total, l'enveloppe de la France devrait reculer de 1,7 % lors de la nouvelle période de programmation.

Elle se décomposera comme suit :

- l'enveloppe nationale sur l'ensemble de la période 2014-2020 pour le premier pilier sera de 54 milliards d'euros courants, soit en moyenne 7,7 milliards d'euros par an ;

- celle relative au développement rural s'élèvera à 9,9 milliards d'euros courants, soit en moyenne 1,4 milliard d'euros par an.

Au total, l'enveloppe nationale s'élèvera donc à 63,9 milliards d'euros, soit en moyenne 9,1 milliards d'euros par an .

Dans ces conditions, on fait valoir que la baisse est limitée à 2,2 % par rapport à l'enveloppe 2013.

Mais il s'agit là d'une appréciation réalisée en euros courants. Du fait de la perspective de coûts de production en hausse, la réduction en euros constants devrait être plus ou moins sensiblement importante .

Dans ces conditions, le revenu des agriculteurs sera de plus en plus sensible aux prix de marché dont l'orientation est aujourd'hui mauvaise. En théorie, ces prix devraient être bien orientés puisque la demande agricole devrait être dynamique, notamment à raison des perspectives démographiques. Mais, il faut que les agriculteurs français soient en mesure de saisir ces opportunités. De ce point de vue, la perte de compétitivité que semblent subir nombre d'exploitations est préoccupante. Par ailleurs, les conditions dans lesquelles s'effectue le partage de la valeur dans les filières, déjà déséquilibrées aux dépens des stades de l'amont, risquent de s'aggraver avec le renforcement de la puissance de négociation des grands distributeurs.

C'est une raison supplémentaire pour être attentif aux évolutions budgétaires nationales et à la bonne exécution par la France de l'enveloppe européenne qui lui est réservée au titre du second pilier de la PAC. Ces deux variables sont d'ailleurs liées puisque les actions structurelles prévues en faveur de l'agriculture sont organisées sur la base d'un principe de cofinancement.

À cet égard, les conditions de mobilisation de son enveloppe nationale par la France, qui semblent s'accompagner de négligences réglementaires, doivent être optimisées sur le plan financier. Les restes à liquider sur l'ancienne programmation ressortent comme singulièrement importants pour notre pays.

Cette situation renvoie à un problème d'exécution du budget national. Une partie de celui-ci vient au soutien d'investissements des agriculteurs. Or, la capacité d'investissement de ceux-ci, qui sont souvent les agriculteurs les plus en difficulté, est tributaire d'n contexte économique et financier marqué par une dégradation des opportunités et par l'accentuation des incertitudes.

Le Gouvernement devrait s'attacher beaucoup plus activement à créer les conditions d'une modernisation agricole que le budget prétend soutenir afin que les agriculteurs puissent se préoccuper d'autre chose que de survivre. À cet égard, le taux d'exécution des crédits du programme 154, satisfaisant pour certaines rubriques, démontre les difficultés rencontrées sur d'autres actions.

B. UN SOUTIEN AUX FILIÈRES QUI SUSCITE DES INQUIÉTUDES

Surmonter les effets de l'embargo russe

L'embargo décrété par la Russie est susceptible de pénaliser la population autochtone mais aussi les producteurs européens des filières qu'il concerne.

La Commission européenne a envisagé de réagir à ses effets par un redéploiement des interventions du premier pilier.

Le gouvernement français ainsi que 21 autres gouvernements européens s'opposent à ce montage. Une déclaration a été publiée en ce sens.

Votre rapporteur spécial soutient cette initiative sans réserve. Il souhaite que le Gouvernement puisse fournir au Parlement toutes précisions sur ses prolongements effectifs.

1. Une réduction des aides consacrées à l'adaptation des filières à l'évolution des marchés

Un programme à la gestion « boule de neige »

La gestion budgétaire du programme 154 se traduit par une préservation des budgets à venir pour des décisions budgétaires qui engagent les années futures.

Sur les crédits demandés pour 2015, (1,419 milliard d'euros), 10,8 % correspondent à la couverture d'engagements antérieurs à 2015. Ceux-ci continueront de peser à l'avenir selon une séquence qui reporte, à l'après 2017 leurs effets puisqu'à cette échéance, il faudra encore ouvrir plus de 1,1 milliard d'euros de CP pour honorer des engagements antérieurs à 2015.

Le projet du budget pour 2015 accentue cette emprise sur l'avenir.

Le taux de couverture des AE nouvelles par des CP demandés se situe à 78 %.

Les budgets à venir devront « absorber » des engagements antérieurs en mobilisant des CP encore supérieurs, aujourd'hui, aux CP réservés à l'apurement de l'historique budgétaire. La séquence prévue est la suivante : 204,8 millions d'euros en 2016, 159,9 millions d'euros en 2017 et 1 262,1 millions d'euros au-delà.

Autrement dit, à CP constants en 2016, 14,4 % du budget seraient consacrés à liquider des engagements existants.

Parmi les écueils de la programmation budgétaire, il faut encore mettre en évidence deux phénomènes : les incertitudes portent sur la mobilisation des cofinancements européens ; les refus d'apurement notifiés par la Commission européenne.

Pour ces derniers, le projet de loi des finances initiale ne compte pas de provisions. C'est la loi de finances rectificative qui en assure les charges mais celle-ci peut supposer des redéploiements concernant les crédits initialement votés. Les refus d'apurement supportés pour le budget national ont atteint des sommets en 2014, avec 427 millions d'euros. Et, en réponse au questionnaire de nos rapporteurs, il est jugé que le niveau de refus d'apurement pour les exercices à venir reste élevé. Sont mentionnés les risques liés à la clôture des audits en cours, concernant les aides à la surface de 2008 à 2012, le régime des droits à paiement au secteur animal, les mesures ICHN, etc. Le ministre a pu préciser que la France avait été en danger de devoir supporter des refus d'apurement massifs, de plus de 4 milliards d'euros. Finalement, une somme de l'ordre de 900 millions d'euros est désormais évoquée. Une partie d'entre elle est d'ailleurs assumée dans la loi de finances rectificative pour 2014, à hauteur de quelques 400 millions d'euros.

Il serait souhaitable que le Gouvernement explique les raisons pour lesquelles le reliquat n'est pas provisionné dans le présent projet de loi de finances .

Quant à la programmation budgétaire et son exécution, elles dépendent de la capacité de la France à mobiliser les fonds européens. A cet égard, le rapport d'activité 2013 de la Cour des comptes européenne montre que la France est un des mauvais élèves de l'Europe en termes d'exécution des investissements du Feader. Les engagements restant à liquider à ce stade s'élèvent à près de 40 % des engagements de la programmation 2007-2013 et la France n'est « devancée » dans la mauvaise exécution des crédits que par la Grèce, la Roumanie, l'Italie, Chypre et l'Espagne, pays qui ont subi des difficultés budgétaires bien plus considérables que les nôtres.

Étant donné le rôle grandissant du second palier de la PAC, il conviendrait que la France veille, avec plus de sérieux, à ce que les financements qu'elle obtient soient mobilisés et exécutés convenablement .

La baisse des crédits de l'action 1 du programme est considérable (- 129,4 millions d'euros et 43,2 % des crédits de la LFI pour 2014).

Mais cette évolution est un peu optique en ce qu'elle porte la marque de restructurations budgétaires, les moyens globaux consacrés aux filières étant à peu près stabilisés.

Certaines concernent le budget français lui-même : un abondement de 18 millions d'euros destiné à FranceAgriMer en provenance du CASDAR et l'accès au programme des investissements d'avenir pour 39 millions d'euros. Au total, 52 millions d'euros sur la réduction de la dotation en CP de 129,4 millions d'euros devraient être « récupérés » par ces canaux internes.

D'autres évolutions structurelles impliquent une redistribution entre interventions nationales et européennes . La prime supplémentaire à la vache allaitante (PNSVA) dotée de 66 millions d'euros de CP en 2014 voit son financement attribué en totalité à l'UE à partir du budget 2015 (premier pilier).

Dans ce contexte, il conviendra d'être attentif à ce que ces changements structurels ne se traduisent pas par des pertes en ligne pour les entreprises agricoles .

Chaque guichet de financement dispose de son fonctionnement propre et votre rapporteur n'a pas la certitude que les institutions devant prendre le relais du budget national offriront aux entreprises agricoles des soutiens équivalents à ceux que celui-ci leur ménageait.

En toute hypothèse, les crédits de FranceAgriMer devraient rétrograder de 10 millions d'euros.

Surtout, il faut s'interroger sur les effets d'un simple maintien des provisions budgétaires consacrées aux filières dans un contexte où nombre d'entre elles sont exposées à des difficultés, voire à des crises.

2. Une action majoritairement consacrée à l'outre-mer, à l'avenir inquiétant

L'action 1 voit près de la moitié de ses crédits orientés vers les aides à la filière sucrière dans les départements d'outre-mer ( 84 millions d'euros sur un total de 169,4 millions d'euros ). La dotation baisse de 3 % alors que la filière est à la veille de connaître un bouleversement de son environnement avec le démantèlement des quotas sucriers à partir de 2017. En contrepartie, le Gouvernement fait valoir que la filière devrait bénéficier d'un soutien à l'investissement dans le cadre du programme des investissements d'avenir. Il reste à vérifier que celui-ci sera bien accordé, qu'il aura des effets équivalents à l'intervention budgétaire et que la filière, qui assure 40 000 emplois dans les territoires concernés, pourra résister à l'ouverture des marchés dans un contexte de concurrence internationale très inégale.

Les aides versées dans le cadre des dispositifs de promotion des produits et d'orientation des filières représentent un autre gros volume d'interventions ( 62,9 millions d'euros , soit 37 % des crédits de l'action 1 ). De ces crédits, 31,4 millions seront destinés au développement des productions agricoles et à l'organisation des filières dans les DOM.

Avec les « fonds sucriers », cette intervention porte à 115,4 millions d'euros les crédits de l'action 1 destinés à l'agriculture ultramarine (66 % du total).

Le reliquat est consacré à des aides à l'amélioration de l'organisation économique des filières, à une amélioration de leur connaissance et à des mesures de crise (hors fonds d'allègement des charges financières logé sous l'action 2 du programme).

Enfin, les soutiens aux actions internationales et aux industries agroalimentaires mobilisent 15,8 millions d'euros de crédits.

Ce dernier niveau d'intervention apparaît bien faible au vu des crises majeures auxquelles sont confrontés certains secteurs de la production et de la transformation, exposés à des conditions de concurrence souvent déloyales. Par ailleurs, il ne témoigne pas d'une attention suffisante à l'impératif d'exportation que doit satisfaire notre pays dont, hélas, les parts de marché reculent (de près de 10% ces trois dernières années).

C. LA GESTION DES CRISES ET ALÉAS CLIMATIQUES, UNE PRÉOCCUPATION CROISSANTE EN QUÊTE DE STATUT BUDGÉTAIRE

L'action 2 « Gestion des crises et aléas » enregistre une réduction de ses crédits de 2,8 % .

Le paradoxe veut que les aléas climatiques, sanitaires ou économiques, qui bouleversent chaque année dans des proportions variables l'exécution budgétaire, soient pris en charge par l'action la moins dotée du programme.

Bien que la survenue de crises soit par nature imprévisible et rende difficile toute budgétisation en loi de finances initiale, le caractère récurrent des aléas qui touchent le monde agricole peut ici faire douter de la sincérité de la prévision .

Mais, cette évolution masque une tendance plus favorable. Le transfert du financement de l'intégralité des fonds de mutualisation au second pilier de la PAC engendre une économie de 5,8 millions d'euros alors que l'aide à l'assurance récolte est majorée de 5 millions d'euros. Les crédits correspondants sont portés à 29,3 millions d'euros. Avec le cofinancement européen de 75 % ce dispositif bénéficiera d'une enveloppe de 100 millions d'euros 6 ( * ) . Celle-ci n'est pas destinée à couvrir les aléas pouvant intervenir en 2015 mais à solder les engagements pour 2014.

Les professionnels semblent douter que la dotation prévue suffise à financer le soutien public prévu à l'assurance récolte en grandes cultures.

En toute hypothèse l'abondement des crédits de l'assurance récolte ne semble pas de nature à permettre de surmonter les obstacles auxquels elle se heurte et qui ont été soulignés par un récent référé de la Cour des comptes (mars 2013).

Par ailleurs, la constitution d'une réassurance publique envisagée par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP) reste à intervenir. Celle-ci est urgente dans le mesure où d'après une étude fournie par le ministère de l'économie et des finances la capacité annuelle de réassurance du secteur privé est aujourd'hui de l'ordre de 500 millions d'euros contre des besoins pouvant être estimés entre 750 millions et 1,5 milliard d'euros selon des hypothèses, il est vrai, exceptionnelles.

Enfin, votre rapporteur spécial ne peut que renouveler une observation récurrente de votre commission des finances et s'étonner que le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), ne soit pas doté par le projet de loi de finances pour 2015, alors même que l'article L. 361.5 du code rural dispose que les ressources du fonds sont composées d'une subvention inscrite au budget de l'État. Que le ministère du budget s'oppose à l'inscription de crédits en loi de finances initiale au titre de ce fonds, au motif que le montant des indemnisations à verser n'est pas connu au moment de l'élaboration du budget n'est pas une excuse absolutoire alors que les contributions des exploitants sont régulièrement appelées.

Au total, il apparaît que la question des aléas climatiques, économiques et sanitaires subis par le monde agricole ne fait pas l'objet d'une prise en charge satisfaisante d'un point de vue budgétaire . Il faut souhaiter que le chantier de la couverture des risques par les mécanismes de marché soit efficacement relancé par les pouvoirs publics alors que l'assurance récolte se diffuse trop lentement.

D. LES SOUTIENS AUX EXPLOITATIONS AGRICOLES, UNE POLITIQUE PUBLIQUE CONFRONTÉE À DES DÉFIS QU'ELLE NE RELÈVE PAS

« L'appui au renouvellement à la modernisation des exploitations agricoles » - action n° 3 - est dotée de 177 millions d'euros de CP, soit une baisse considérable (- 48,8 millions d'euros).

L'action vise à soutenir l'installation agricole à travers des dispositifs favorisant la reprise des exploitations ou leur création, mais aussi à contribuer à la modernisation des entreprises agricoles, avec la perspective principale d'en améliorer la compétitivité.

La baisse des dotations est le reflet d'une série d'évolutions structurelles :

- l'augmentation du cofinancement communautaire de la dotation aux jeunes agriculteurs (DJA) de 50 % à 80 % (économie de 39 millions d'euros) ;

- la disparition du Fonds d'incitation et de communication à l'installation en agriculture (FICIA) au profit d'une affectation de la taxe foncière sur les plus-values sur les ventes de terrains agricoles rendus constructibles.

- à l'inverse, dans le cadre du « plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles » (PCAE) l'engagement de l'État est porté à 56 millions d'euros (en AE). Le plan de compétitivité mobiliserait au total 200 millions d'euros, tous financeurs confondus, avec une contribution importante du FEADER (63 % dans les régions de transition, 53 % dans les autres régions). Il se substituerait aux interventions réalisées dans le cadre du plan de modernisation des bâtiments d'élevage (PMBE), du plan végétal pour l'environnement (PVE) et du plan de performance énergétique (PPE). Il correspond à un engagement pris par le Président de la République au sommet de l'élevage de 2013.

Les annonces du sommet de l'élevage de Cournon

Première priorité : soutenir l'élevage

- Utilisation à plein de la faculté du couplage des aides ;

- Création d'une prime à la vache laitière et d'une aide à l'engraissement ;

- Mise en place d'aides d'encouragement à la production nationale de protéines végétales.

Deuxième priorité : accompagner les agriculteurs des territoires fragiles

- Revalorisation de l'ICHN dans les zones défavorisées ;

- Fusion de la prime herbagère avec l'ICHN à compter de 2015 ;

- Relèvement du plafond de l'ICHN (75 ha).

Troisième priorité : accompagner la modernisation des entreprises agricoles

- Objectif de 6 000 installations de jeunes agriculteurs avec la réservation d'une enveloppe de 1 % des aides directes ;

- Amélioration des instruments de prévention et de gestion des risques ;

- Plan pour la compétitivité et l'adaptation des exploitations avec constitution d'un fonds de modernisation affecté prioritairement aux bâtiments d'élevage ;

- Favoriser le « bio » avec un objectif de doublement des surfaces.

Quatrième priorité : mieux répartir les aides

- Promouvoir la convergence du revenu aidé ;

- Promouvoir l'harmonisation fiscale et sociale en Europe avec notamment l'adoption d'un salaire minimum dans les pays européens et l'alignement des normes sanitaires ;

- Surdotation des 52 premiers hectares des exploitations (objectif de 20 % à l'horizon 2018).

La réussite du plan dépendra largement de ses détails d'exécution.

Alors que 200 millions d'euros devaient lui être consacrés chaque année, le PCAE semble tarder à réunir les moyens annoncés.

Pour l'heure, les CP ne suivent pas les AE, un écart de l'ordre de 11,3 millions est constaté (20 % des AE budgétés pour 2015).

L'existence d'une pluralité de financements, qui n'est pas inédite, en particulier dans le secteur agricole, n'est pas un bon présage, d'autant plus que la France semble peiner à mobiliser son enveloppe européenne.

Par ailleurs, il peut exister une certaine ambiguïté sur le sens des interventions financées au titre du programme qui associe des objectifs multiples - la compétitivité, le verdissement de la production, l'adaptation à des évolutions des structures du marché... -.

Ainsi, par exemple, même si l'élevage paraît promu au rang de priorité, les bénéficiaires du plan restent à déterminer avec précision les axes évoqués ne permettant pas de conclure sur le sens effectivement attribué à l'objectif de compétitivité.

Au total, les orientations du plan paraissent destinées davantage à la compensation des handicaps subis par les exploitations en difficulté que marquées par l'objectif de reconquête des parts de marché dans les échanges internationaux.

Cette option n'est pas en soi condamnable mais elle n'est pas équivalente à une restauration de la compétitivité extérieure qui compte sur des initiatives européennes pour le moins incertaines, comme l'harmonisation sociale et fiscale ou encore celle des normes .

Enfin, il faut bien reconnaître que les termes de la compétitivité agricole dépassent de beaucoup la seule composante des coûts unitaires des exploitations et renvoient à des effets d'échelle mais aussi à des paramètres monétaires ou de compétitivité hors coût auxquels il faudrait accorder toute l'attention qu'ils méritent.

À cet égard, le débat sur la « ferme aux mille vaches » (500 en réalité) illustre une certaine confusion ainsi que la regrettable tendance à une perte d'autorité du droit.

Votre rapporteur spécial souhaite que le Gouvernement clarifie l'état d'avancement de la mise en oeuvre du PCAE, engagement fort du Président de la République.

Au-delà, il regrette que les négociations sur la nouvelle PAC n'ait pas été l'occasion de l'harmonisation de laquelle le Président de la République se réclame et que des progrès substantiels ne soient pas intervenus pour ordonner les relations commerciales agricoles de l'Union européenne avec les reste du monde alors que plane toujours la menace d'une dérégulation complète. À ce propos, il convient de rappeler qu'au vu des perspectives alimentaires de la planète, combinées avec celles portant sur les productions agricoles, l'Europe peut devenir une réponse aux défis alimentaires, à la condition qu'elle s'y prépare vraiment .

E. UNE « TERRITORIALISATION BUDGÉTAIRE » QUI POSE PROBLÈME

La « gestion équilibrée et durable des territoires » ( action 4 ) absorbe la majorité des moyens du programme 154 (763,2 millions d'euros en CP sur un total de 1 419,7 millions).

Cette action comporte les cofinancements nationaux des contributions financées par le Feader ainsi que d'autres interventions dont la faculté est offerte aux États par les règlements européens. Les compensations d'exonérations de cotisations sociales y sont assez inexplicablement logées.

L'action voit ses dotations en CP reculer sensiblement (- 56 millions d'euros, soit - 6,8 % par rapport à la LFI 2014) tandis que les AE suivent une évolution inverse (+ 197 millions d'euros, soit + 25 %).

Ces variations contrastées reflètent d'abord les effets du compromis agricole européen qui se traduit (voir supra ) par l'augmentation de l'enveloppe nationale ménagée au titre du deuxième palier de la PAC. L'inscription d'AE en forte hausse découle en particulier de la programmation des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et des aides à l'agriculture biologique qui, pour les premières, font l'objet d'une programmation quinquennale avec l'Europe et, pour les secondes, sont appelées à être imputées au deuxième pilier de la PAC et nécessitent donc désormais un cofinancement national à hauteur de 25 %.

Dans ces conditions, le quasi-maintien des transferts aux entreprises dans le projet de budget pour 2015 est optique.

L'extinction du régime existant de la prime herbagère, qui n'est reprise qu'en partie dans le système des ICHN, occasionne une inflexion des soutiens budgétaires aux territoires de l'ordre de 20 millions d'euros.

Les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) absorbent 232 millions d'euros, soit près du tiers des CP consacrés à la dimension territoriale de la politique agricole soutenue par la mission.

Ces indemnités, qui concernent 75 départements et 90 000 exploitations, sont le vecteur principal d'intervention au profit des zones difficiles. Elles ont été au coeur des annonces du Président de la République au sommet de Cournon puisqu'une importante revalorisation en a alors été promise.

Elle a été mise en oeuvre en 2014, mais les crédits ouverts à ce titre en 2015 progressent encore de près de 30 %.

Toutefois, cette dernière évolution résulte de mouvements qui se compensent largement :

- l'augmentation du taux de cofinancement du Feader ;

- les effets de l'extension du régime à de nouveaux bénéficiaires et aux 75 premiers hectares (contre les 50 premiers auparavant) ;

- mais aussi l'intégration partielle de la prime herbagère agroenvironnementale (PHAE) au régime des ICHN.

Au total, d'un exercice budgétaire à l'autre, les soutiens territoriaux financés sur le budget ministériel se réduisent, passant de 290,5 à 269,6 millions d'euros.

À cette observation quantitative, il faut ajouter une remarque plus qualitative.

Les réaménagements sous revue sont destinés à renforcer la priorité accordée aux exploitations exposées à des difficultés et se traduisent par une plus forte concentration des soutiens agricoles.

Ce choix peut être diversement apprécié. Seule une évaluation fine de son impact permettrait d'en mesurer les effets micro et macroéconomiques.

Il reste que, si les zones de montagne devraient bénéficier de l'intégration de la PHAE dans le dispositif des ICHN, ainsi que pour certaines productions des zones de piémont, pour les autres zones, il conviendra d'être particulièrement vigilant sur le relais pris par la mesure agroenvironnementale qui est annoncée (MAEC « systèmes herbagers », mais sans plus de précision.

Pour apprécier l'évolution des crédits de l'action il faut, en outre, tenir compte des effets de mesures portant sur les cotisations sociales qui ont un impact sur les crédits de compensation des allègements.

Ceux-ci diminuent de 55,1 millions d'euros du fait de trois paramètres :

- une baisse mécanique de 25 millions d'euros résultant de la réduction des cotisations d'allocations familiales adoptée dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité ;

- le projet de mettre fin à l'exonération de la part salariale des cotisations sociales des contrats vendanges, les salariés concernés devant être couverts à compter de 2015 par les mesures de réduction d'impôt envisagées au profit des salariés les plus modestes ;

- le projet d'exclure les ETARF (entreprises de travaux agricoles) du bénéfice du dispositif des travailleurs occasionnels.

Ces deux derniers effets s'appuient sur l'article 47 du projet de loi de finances rattaché à la mission ( cf . infra ) que votre rapporteur spécial vous proposera de supprimer.

F. OBSERVATIONS SUR LA POLITIQUE AGRICOLE STRUCTURELLE

La politique publique soutenue par les crédits sous revue appelle quelques observations sur son efficacité et sa cohérence.

La politique de maintien des exploitations doit combattre des tendances lourdes à la réduction de la place de l'entreprenariat agricole. Selon l'INSEE, la France compte 515 000 exploitations agricoles . En vingt ans, leur nombre a baissé de plus de la moitié . Les petites et moyennes structures sont le plus touchées alors que le nombre des grandes exploitations reste supérieur à celui de 1988. Les secteurs laitiers, de la polyculture et du polyélevage subissent les plus fortes baisses. Les exploitations spécialisées en grandes cultures, soit près d'une exploitation sur quatre, sont celles qui résistent le mieux. Les petites exploitations restent les plus nombreuses mais leur part s'est réduite de dix points en vingt ans. La disparition d'exploitations permet en partie l'agrandissement de celles qui se maintiennent. Ainsi, un tiers des exploitations sont aujourd'hui des grandes structures, qui devancent désormais les exploitations moyennes.

Mais, en deux décennies, la superficie agricole utilisée (SAU) des exploitations a perdu près de 1,7 million d'hectares . Dans ce contexte maussade et peu favorable à une extensification des productions agricoles que beaucoup appellent de leurs voeux, à l'inverse des petites et moyennes exploitations, la SAU des grandes exploitations a fortement augmenté. Leur surface moyenne dépasse aujourd'hui 100 hectares. Quant à elles, les petites exploitations n'utilisent que 7 % de la SAU et leur surface moyenne est de 11 hectares.

Ces données ne peuvent être négligées alors que les interventions du deuxième pilier de la PAC semblent devoir être concentrées sur les plus petites exploitations. Ce sont aussi les plus fragiles et cette situation ne peut être vue comme propice à l'adoption de modes de production susceptibles de se traduire par une baisse des rendements. Il peut donc exister des conflits d'objectifs entre la volonté de verdir la PAC et celle de soutenir les exploitations les plus en difficulté. En la matière, tout est affaire de conciliation mais il faudrait pouvoir mieux apprécier le point d'équilibre, ce qui suppose des évaluations plus claires des actions publiques.

Le statut des exploitations ne facilite pas leur reprise puisque plus des trois quarts de la SAU sont exploités sous le régime du fermage qui, au demeurant, est d'autant plus fréquent que l'exploitation est importante.

Des évolutions majeures sont intervenues ces dernières années.

Statut des exploitations agricoles

(en milliers)

1988

2000

2010

Exploitants individuels

946,1

537,6

339,9

Total des formes sociétaires et diverses

65,5

123,7

146,6

dont Gaec

37,7

41,5

37,2

EARL

1,5

55,9

78,6

Autres statuts 1

5,1

2,6

3,5

1 Autre personne physique ou morale

Champ : France métropolitaine

Source : Agreste, recensements agricoles

Le recul des exploitations individuelles a été considérable au profit de statuts plus sociétaires.

Au total, dans les années 2000, les emplois agricoles ont spectaculairement reculé (- 353 000 actifs, soit 27 % du nombre des actifs en 2000).

Cette hémorragie a été compensée au niveau de la production par des gains de productivité qui, par ailleurs, ont contribué à ce que l'agriculture puisse continuer à rémunérer, même modestement, les exploitants.

Il ne faut pas négliger ces réalités à l'heure où les orientations politiques privilégient des options susceptibles d'infléchir, voire de renverser, le cours des gains de productivité. Il convient de préserver les équilibres entre des préoccupations qu'il ne faut pas opposer les unes aux autres.

G. POUR UNE OPTIMISATION DE LA GESTION DES INTERVENTIONS AGRICOLES

L'action 5 « Moyens de mise en oeuvre des politiques publiques et de gestion des interventions » (282,3 millions d'euros) est la seule dont la dotation en CP augmente (+ 28,7 millions d'euros, soit + 11,3 %).

Cette action regroupe les moyens attribués aux opérateurs chargés de la mise en oeuvre pour le compte de l'État, de l'Union européenne et d'autres donneurs d'ordre des actions en faveur des entreprises agricoles et alimentaires.

Les différents opérateurs concernés émargent plus ou moins aux crédits ministériels :

- l'institut français du cheval et de l'équitation (IFCE) : 43 millions d'euros ;

- l'institut national de l'origine et de la qualité (INAO) : 16,7 millions d'euros ;

- l'agence nationale pour le développement et la promotion de l'agriculture (Agence BIO) : 1,3 million d'euros ;

- l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) : 96,4 millions d'euros ;

- l'office de développement de l'économie agricole des départements d'outre-mer (ODEADOM) : 4,5 millions d'euros ;

- l'agence de services et de paiement (ASP) : 106,5 millions d'euros ;

- enfin, l'office de développement agricole et rural corse (ODARC) : 0,3 million d'euros.

Seul ce dernier organisme n'est pas un opérateur de l'État puisqu'il agit pour la collectivité territoriale de Corse.

L'augmentation des moyens est justifiée par le ministère par des besoins d'investissement.

À ce titre, seuls 13,6 millions d'euros apportés en dotation aux fonds propres de l'ASP pour couvrir des besoins informatiques nécessaires à la mise en oeuvre de la nouvelle PAC, sont clairement identifiables dans le bleu budgétaire.

Les revalorisations de crédits ministériels bénéficient à quatre opérateurs : l'IFCE (+ 7,4 millions d'euros), l'INAO (+ 0,58 million d'euros), l'Agence BIO (+ 0,23 million d'euros) et l'ASP (+ 8,8 millions d'euros).

Trois autres structures voient baisser leur dotation, en particulier FranceAgriMer (- 2 millions d'euros)

Les opérateurs sont soumis à un effort d'efficacité, dans la mesure où leur plafond d'emplois est réduit de 81 unités, soit un gain de productivité de 1,9 %. Mais, dans le même temps les emplois hors plafond augmentent (de 48 ETPT à 370) si bien que les effectifs employés progresseraient entre 2014 et 2015.

Dans la constellation des opérateurs, l'ASP se distingue par l'importance en son budget de fonctionnement. Les recettes de fonctionnement atteignent 227 millions d'euros soit le double de la subvention versée par le programme 154. Les charges de personnel s'élèvent à 137,6 millions et compte tenu des dépenses de fonctionnement égales à 79,1 millions d'euros, l'ASP dégage une capacité de financement qui contribue à ses investissements mais ne suffit pas.

En 2014, un prélèvement de 10,4 millions d'euros a ponctionné son fonds de roulement. La poursuite des efforts d'investissement afin de s'adapter au nouveau cadre de ses interventions à la suite de la réforme de la PAC et notamment de la régionalisation des programmes de développement rural du second pilier oblige à conforter ses moyens.

On peut mentionner que l'ASP agit pour le compte de divers donneurs d'ordre (État, Union européenne, collectivités territoriales, autres organismes publics). À ce titre, l'établissement bénéficie de recettes rémunérant ces services. Participant à la gestion financière des interventions européennes, elle perçoit une contribution pour assistance technique de 5,9 millions d'euros de sa part. Par comparaison, les agences de l'eau et les collectivités territoriales lui versent une contribution de 27,2 millions d'euros alors que les enjeux financiers, pour être réels, sont moindres dans les deux cas.

Par ailleurs, l'ASP est confrontée à une surcharge de travail transitoire puisqu'en lien avec la nouvelle programmation financière, il leur faut gérer des AE en forte hausse (+ 49 %) en provenance du programme 154 auxquelles s'ajoutent 8,3 milliards d'euros transférés à partir de 31 autres programmes ministériels.

Autrement dit, la mission de l'établissement public est particulièrement minutieuse puisqu'elle consiste à assurer la bonne gestion d'un volume important d'interventions très diverses.

Au vu des exigences auxquelles elle doit faire face et des contentieux auxquels la France est régulièrement exposée dans le cadre de l'exécution des crédits de la PAC, on peut s'interroger sur l'existence d'un besoin de mise à niveau des moyens et de la gouvernance de la structure dont le conseil d'administration est pourtant majoritairement composé de représentants de l'État.

FranceAgriMer est de son côté le successeur des principaux offices d'intervention agricole depuis le 1 er avril 2009.

Le budget de FranceAgriMer est considérable. En 2014, il atteignait 734,9 millions d'euros dont 400 millions d'euros au titre de l'intervention communautaire (FEAGA).

Le coefficient d'administration de l'établissement (rapport des charges de personnel aux masses budgétaires gérées) s'élève à 11,5 %.

Les dépenses de personnel atteignent 84,9 millions d'euros, l'établissement voyant réduit son plafond d'emplois de 40 unités (1 210 à 1 173 ETPT entre 2014 et 2015).

Alors que les missions de l'établissement déjà importantes, ont été enrichies depuis sa création et impliquent une adaptation à la nouvelle PAC, la subvention pour charges de service public baisse en 2015 de 2 millions d'euros. Cette réduction doit toutefois être relativisée dans la mesure où la structure disposait d'un fonds de roulement de plus de 100 millions d'euros à fin 2013. Mais le disponible sur celui-ci pour financer le fonctionnement de FranceAgriMer ne peut être apprécié avec précision compte tenu des informations disponibles.

Ces observations se prolongent par les inquiétudes que font naître les financements de certaines interventions confiées à FranceAgriMer (cf. supra s'agissant de la substitution des financements en provenance du CASDAR et du PIA à des crédits budgétaires).


* 5 On se reportera, pour une telle description, au projet annuel de performances de la mission APAFAR annexé au projet de loi de finances pour 2014.

* 6 À compter de 2016 la totalité de l'assurance récolte sera financée par l'UE.