M. François Baroin, rapporteur spécial

II. UNE STRATÉGIE NON PERTINENTE EN CE QUI CONCERNE LE FINANCEMENT DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC

A. UNE ABSENCE PRÉJUDICIABLE DE RÉFORME DE LA CONTRIBUTION À L'AUDIOVISUEL PUBLIC, QUI PÈSERA À MOYEN TERME SUR LE FINANCEMENT DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC

Dans le cadre de son rapport sur le projet de loi de finances pour 2015, votre rapporteur spécial avait appelé l'attention du Gouvernement sur la nécessité et l'urgence de procéder à une réforme de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) 39 ( * ) , pour tenir compte de l'évolution des usages, qui permet à chacun d'accéder au service public audiovisuel, par le biais des objets connectés notamment.

Il avait par ailleurs réitéré cette recommandation dans le cadre de l'examen du projet de loi de règlement pour 2014, plaidant pour « une refonte de la contribution à l'audiovisuel public, qui devrait être guidée par les principes de neutralité technologique et de justice fiscale » 40 ( * ) .

Depuis lors, le rapport de nos collègues André Gattolin et Jean-Pierre Leleux sur le financement de l'audiovisuel public a permis d'étayer ce constat. Nos collègues ont en effet mis en avant un risque d'érosion de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) à moyen terme.

Un risque d'érosion de l'assiette de la CAP

Le développement des nouveaux usages numériques devrait conduire à court terme à une moindre progression du nombre d'assujettis à la CAP et à long terme à une réduction de cette assiette .

(...) un faisceau concordant de données statistiques témoignent d'un essoufflement déjà perceptible du taux d'équipement en téléviseurs . Selon les chiffres de l'Insee, le taux d'équipement des téléviseurs, après avoir atteint un point haut en 2010, est en régression constante : 97,1 % des ménages étaient équipés d'un téléviseur couleur en 2012, contre 97,4 % en 2011 et 97,8 % en 2010. En parallèle, le recours aux nouveaux moyens d'accès au service audiovisuel s'accroît. Ainsi, le nombre de vidéos visionnées en télévision de rattrapage a augmenté de 30 % en 2014. Ces évolutions annoncent une tendance lourde : les jeunes générations qui s'équipent moins en téléviseurs sont appelées à remplacer progressivement leurs aînés. Il est ainsi fort probable que les premiers signes du recul de la télévision se confirment et qu'à terme, un véritable basculement s'opère vers les nouveaux écrans .

Or cette diminution très probable du nombre de foyers assujettis à la redevance aurait un impact financier significatif . Ainsi, la baisse de 0,10 point du nombre de foyers assujettis à la CAP - qui augmentait en moyenne de + 0 ,85 % par an au cours des dernières années - se traduirait par un manque à gagner de 28 millions d'euros .

De surcroît, cette érosion de l'assiette pourrait difficilement être compensée par l'inflation . En effet, au titre de l'exercice 2016, la révision de la prévision d'inflation à 1 %, en baisse par rapport à l'hypothèse retenue dans la loi de programmation des finances publiques (1,2 %), se traduit par une réduction de l'ordre de 25 millions d'euros de la prévision du produit de la CAP.

Source : « Pour un nouveau modèle de financement de l'audiovisuel public : trois étapes pour aboutir à la création de « France Médias » en 2020 », rapport d'André Gattolin et Jean-Pierre Leleux, au nom des commissions des finances et de la culture du Sénat, n° 709 (2014-2015)

Cette évolution aurait pour conséquence une fragilisation du financement de l'audiovisuel public , d'autant plus que le Gouvernement a annoncé l'extinction des dotations budgétaires complémentaires à l'horizon 2017.

Dans ces conditions, il paraît difficilement compréhensible que le Gouvernement n'ait pas initié une réforme de la contribution à l'audiovisuel public qui pourrait suivre, selon les recommandations de notre collègues André Gattolin et Jean-Pierre Leleux, le modèle qui a été retenu par l'Allemagne, à savoir la mise en place d'une contribution universelle.

L'instauration d'une contribution par foyer « à l'allemande » permettrait ainsi de faire contribuer l'ensemble des foyers au paiement du service public audiovisuel , alors que la quasi-totalité d'entre eux est actuellement équipée d'au moins d'un récepteur permettant d'accéder à ce service (téléviseur, radio, tablette, smartphone ...).

L a modernisation de la CAP paraît en conséquence nécessaire pou r garantir son équité fiscale et pour sécuriser le financement de l'audiovisuel public , dans un contexte où France Télévisions et Radio France connaissent une dégradation préoccupante de leur situation financière, et où France Médias Monde en particulier souhaite poursuivre son développement pour renforcer l'influence française dans le monde. Plus généralement, les sociétés de l'audiovisuel public, comme toute entreprise, ont besoin de prévisibilité sur leurs ressources .

Enfin, l'absence de réforme est d'autant moins compréhensible que le Président de la République semblait pourtant avoir ouvert la voie à une telle évolution au cours de son discours devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel public, le 3 octobre 2014 : « quant à la redevance, elle-même, elle fait l'objet de beaucoup de questions. La seule détention du poste de télévision ne peut pas être exclue de cette réflexion, puisque l'on peut regarder les chaînes du service public sur d'autres instruments que la télévision. Alors, je rassure, l'objectif n'est pas d'accroître les recettes (...) L'objectif, c'est un rendement constant et qu'il puisse y avoir une assiette plus large et plus juste. Je pense que cela fait partie de ce que doit être l'évolution du système » 41 ( * ) .

B. UNE HAUSSE NON PERTINENTE ET INUTILE DU TAUX DE LA TAXE SUR LES OPÉRATEURS DE COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES POUR FINANCER FRANCE TÉLÉVISIONS

Dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, votre rapporteur spécial avait critiqué l'augmentation de deux euros du tarif de la contribution à l'audiovisuel public au-delà de l'inflation retenue par le Gouvernement, au lieu d'une réforme de la CAP, estimant qu'une « telle mesure ne pouvait être pérenne, le contribuable n'ayant pas vocation à supporter, année après année, une hausse de ladite contribution », et « qu'elle ne réglait en rien la question de l'avenir du financement de l'audiovisuel public » 42 ( * ) .

Or, dans le projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement, comme en 2015, plutôt que de procéder à une réforme nécessaire de la contribution à l'audiovisuel public, a de nouveau choisi de recourir à une mesure de court terme qui ne règle en rien la question du financement de l'audiovisuel public à moyen et long terme .

En effet, l'affectation de 74,3 millions d'euros du produit de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques à France Télévisions résulte d'une hausse du taux de cette taxe, qui passe de 0,9 % à 1,2 % du chiffre d'affaires des entreprises concernées , mesure prévue par l'article 20 du projet de loi de finances pour 2016.

En outre, l'Assemblée nationale a adopté à l'article 20 un amendement qui prévoit une hausse supplémentaire de 0,1 point du taux de la TOCE, ce qui le porte désormais à 0,4 % . Cette nouvelle augmentation a vocation à rendre possible, dès 2016, la suppression de la dotation budgétaire de France Télévisions pour « renforcer l'indépendance financière des sociétés de l'audiovisuel public ».

Le produit supplémentaire de 25 millions d'euros qui en résulterait serait ainsi affecté à France Télévisions, en contrepartie de la suppression des crédits budgétaires d'un montant de 40,5 millions d'euros imputés sur l'action 01 « France Télévisions » du programme 313 « Contribution à l'audiovisuel et à la diversité radiophonique » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». L'Assemblée nationale, au cours de l'examen des crédits de cette mission, a effectivement adopté un amendement annulant les 40,5 millions d'euros de crédits précités et actualisant en conséquence les crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » .

En conclusion, la dotation de France Télévisions sur le programme 841 atteint 2 560 millions d'euros, soit une hausse de 1,2 % par rapport à 2015 (+ 31,3 millions d'euros). Ce montant résulte de la part de contribution à l'audiovisuel public fixée à 2 420 millions d'euros, et d'un reversement du produit de la TOCE à hauteur de 140,5 millions d'euros (75 millions d'euros initiaux + 40,50 millions d'euros en compensation de l'annulation de la dotation budgétaire + 25 millions d'euros de crédits supplémentaires).

Votre rapporteur spécial estime que la hausse de 0,4 point du taux de la TOCE ne constitue pas une mesure pertinente . En effet, elle constitue une hausse de la fiscalité des entreprises, qui se traduira certainement par un impact négatif sur le secteur concerné . Par ailleurs, d'après les éléments transmis par les représentants des opérateurs mobiles virtuels (MVNO 43 ( * ) ), cette mesure pénalise particulièrement les petits opérateurs qui sont des PME et ne représentent que 10 % du marché d'un secteur détenu à 90 % par les grands groupes.

La hausse de la taxe risque également de se répercuter sur la facture du consommateur .

En outre, elle ne règle en rien la question du financement de l'audiovisuel public, qui doit avant tout passer par une modernisation de la contribution à l'audiovisuel public, tout en s'accompagnant de la poursuite des efforts de réduction des dépenses, à travers notamment le renforcement des coopérations entre les différentes sociétés de l'audiovisuel public .

Pour conclure, votre rapporteur spécial relève que la hausse du taux de la TOCE est d'autant moins justifiée que le produit actuel de cette taxe pourrait d'ores et déjà largement couvrir le montant de son produit affecté à France Télévisions tel que prévu par le Gouvernement en 2016, soit 140,5 millions d'euros. En effet, d'après les dernières données disponibles, la prévision du produit de la TOCE est de 212,7 millions d'euros pour l'année 2015 .

Enfin, la hausse du taux de la TOCE et l'affectation directe d'une part de son produit à France Télévisions pourraient susciter de nouveaux recours juridiques de la part des concurrents de l'entreprise en matière d'aides d'État, ce qui pourrait paradoxalement faire peser une incertitude sur le financement de l'audiovisuel public , alors que le Gouvernement affiche son intention de renforcer son indépendance financière.


* 39 Ex-redevance audiovisuelle.

* 40 Source : notice Médias, rapport sur la loi de règlement 2014, commission des finances du Sénat.

* 41 Discours du Président de la République devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel le 3 octobre 2014.

* 42 Source : rapport budgétaire 2015 sur la mission « Médias, livre et industries culturelles », fait au nom de la commission des finances du Sénat.

* 43 Mobile Virtual Network Operator. Opérateur de téléphonie mobile qui, ne possédant pas de concession de spectre de fréquences ni d'infrastructures de réseau propres, contracte des accords avec les opérateurs mobiles possédant un réseau mobile pour leur acheter un forfait d'utilisation et le revendre sous sa propre marque à ses clients.