M. Jean-Claude Boulard, rapporteur spécial

II. DES RÉGIMES SPÉCIAUX « OUVERTS » EN VOIE DE NORMALISATION ?

A. UN RAPPROCHEMENT CROISSANT AVEC LES RÈGLES DE DROIT COMMUN

1. L'application à compter de 2017 du relèvement de l'âge de départ à la retraite prévu par la réforme de 2010

Les régimes de retraite des mines, de la SEITA ainsi que les autres régimes de retraite « fermés » ont été exclus de la réforme des retraites de 2010 6 ( * ) , dans la mesure où la réforme des droits des affiliés cotisants aurait eu un impact très faible voire nul. Le régime de retraite des marins est également resté à l'écart de cette réforme, compte tenu de la forte pénibilité d'une large part des professions affiliées et des difficultés économiques touchant particulièrement le secteur de la pêche.

En revanche, la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a été transposée par voie réglementaire aux régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP 7 ( * ) . À l'issue de l'achèvement du processus de convergence avec le régime de la fonction publique, soit à partir de 2017, l'âge légal de départ à la retraite sera ainsi progressivement relevé de quatre mois par an à partir de 2017 afin d'atteindre 57 ans pour le personnel roulant et 62 ans pour les autres catégories de personnel. Ce processus de convergence avec les règles d'âge applicables dans la fonction publique 8 ( * ) s'achèvera en 2021 .

Selon les informations transmises par le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE), cette convergence devrait notamment permettre de réaliser environ 45 millions d'euros d'économies sur les prestations versées par la caisse de retraite de la RATP en 2020 9 ( * ) .

2. Les premiers effets de la réforme des retraites de 2014

Les principales mesures de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système des retraites ont également été transposées par décret aux régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP 10 ( * ) , en particulier :

- l'augmentation progressive, à compter du 1 er juillet 2019, de la durée d'assurance requise pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein de 167 trimestres (soit 41 ans et trois trimestres) pour les agents de la SNCF nés entre 1964 et 1965 et pour ceux de la RATP nés entre 1959 et 1960, à 172 trimestres (43 ans) pour les assurés nés à partir du 1 er janvier 1978 à la SNCF et à partir du 1 er janvier 1973 à la RATP. La durée d'assurance sera ainsi identique à celle en vigueur dans le régime général, même si son application sera plus tardive dans le régime de la SNCF ;

- la hausse des taux de cotisations salariales et patronales de 0,30 point chacun entre 2014 et 2017 , en plus des hausses déjà prévues dans le cadre de la réforme de 2008. Par conséquent, les taux de cotisation applicables dans les régimes de retraite de la RATP et de la SNCF augmenteront dans la même proportion que ceux applicables dans le régime général d'assurance vieillesse. Après avoir progressé de 4 % en 2014, le montant des cotisations devrait ainsi continuer de progresser dans le régime de la RATP en 2015 (+ 1,2 %) et en 2016 (+ 1,6 %). En revanche, dans le régime de la SNCF, les effets de la hausse des taux de cotisations seraient atténués par la baisse du nombre de cotisants. Les cotisations sociales n'y progresseraient que de 1 % en 2015 et de 0,3 % en 2016.

En outre, l'ensemble des régimes, y compris les régimes « fermés », se sont vus appliquer le report de la date de revalorisation des pensions de retraite du 1 er avril au 1 er octobre .

Au total, la réforme de 2014 sur les régimes spéciaux de retraite devrait permettre de réduire de 800 millions d'euros le déficit global de ces régimes d'ici 2020 11 ( * ) .

Taux de cotisations d'assurance vieillesse dans les régimes de la SNCF et de la RATP et dans le régime général

2013

2014

2015

2016

SNCF

Taux de cotisations salariales

7,85%

8,05%

8,15%

8,20%

Taux de cotisations patronales

34,46%

35,18%

35,58%

35,84%

dont taux T1*

23,11%

23,60%

23,86%

24,03%

dont taux T2*

11,35%

11,58%

11,72%

11,81%

RATP

Taux de cotisations salariales*

12%

12,20%

12,30%

12,35%

Taux de cotisations patronales

18,06%

18,45%

18,71%

18,76%

Régime général

Taux de cotisation salariale**

6,85%

7,05%

7,15%

7,25%

Taux de cotisation patronale***

10,00%

10,20%

10,30%

10,40%

* Le taux de cotisation à la charge de la SNCF en tant qu'employeur est la somme de deux composantes : le taux T1 est déterminé afin de couvrir, déduction faire des cotisations salariales, le montant qui serait dû si les salariés relevaient du régime général et des régimes de retraite complémentaires obligatoires ; le taux T2 est destiné à contribuer forfaitairement au financement des droits spécifiques de retraite du régime spécial.

** Cotisations plafonnée et déplafonnées au régime de base (hors Arrco).

*** Cotisations base + cotisations de l'association de retraite pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco).

Source : rapport à la commission des comptes de la sécurité sociale (septembre 2015)

3. L'observation d'un recul de l'âge moyen de départ à la retraite

La montée en charge des réformes intervenues depuis 2008 conduisent à une augmentation progressive de l'âge moyen de départ à la retraite, y compris dans les régimes spéciaux.

Ainsi, les agents de la SNCF , tous personnels confondus, sont partis en moyenne à 56 ans et 4 mois en 2014 , soit environ trois mois plus tard qu'en 2013 . Il existe toutefois un écart entre le personnel roulant, dont l'âge de départ moyen se situait à 52 ans et 4 mois, et les autres agents, partis en moyenne à 56 ans et 7 mois. Les assurés de l' ENIM ont quant à eux liquidé leur pension de retraite en moyenne à 58 ans et demi ; ce régime compte toutefois un grand nombre de poly-pensionnés.

Le régime de retraite de la RATP demeure celui dans lequel l'âge de départ à la retraite est le plus précoce puisqu'il était de 54 ans et 6 mois en 2014 . Celui-ci a même régressé de quatre mois par rapport à 2013.

Âge moyen de départ à la retraite dans les principaux régimes spéciaux

(en années)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données des rapports annuels de performances de la mission « Régimes sociaux et de retraite » annexés aux PLF 2013 à 2016)

Compte tenu de la spécificité de leurs règles, l'âge de départ à la retraite observé dans les régimes spéciaux demeure significativement inférieur à celui observé dans le régime général ( 63 ans en moyenne en 2014 ) et dans la fonction publique de l'État ( 61,1 ans en moyenne en 2014 ). Toutefois, il apparaît proche de l'âge de liquidation observé chez les fonctionnaires appartenant aux catégories dites « actives » de la fonction publique (par exemple, les policiers, les surveillants de l'administration pénitentiaire, des douanes ou encore les infirmiers n'ayant pas opté pour la catégorie A), qui en raison de leurs conditions spécifiques de travail bénéficient de règles d'âge plus favorables. Ces derniers ont liquidé en moyenne leur pension de retraite à 57 ans et 8 mois dans la fonction publique d'État en 2013, contre 62 ans et 5 mois pour les fonctionnaires dits « sédentaires ».

Observation n° 3 : si l'âge de départ à la retraite dans les régimes spéciaux (56 ans et 4 mois à la SNCF et 54 ans et 6 mois à la RATP en moyenne en 2014) demeure significativement inférieur à celui observé dans le régime général, les mesures de convergence, en particulier l'application à compter de 2017 de la réforme des retraites de 2010 , devraient permettre de réduire cet écart.

B. LA PARTICIPATION DES CAISSES DES RÉGIMES SPÉCIAUX AUX EFFORTS DE MAÎTRISE DE LA DÉPENSE

1. Des objectifs de diminution des frais de fonctionnement et des effectifs

En contrepartie du financement par la solidarité nationale des déficits structurels des régimes spéciaux, le Gouvernement a renforcé l'encadrement des frais de gestion des différentes caisses dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion (COG). Il est ainsi demandé à l'ensemble des organismes de sécurité sociale, dont les caisses gestionnaires de régimes spéciaux, de réduire de 15 % leurs frais de fonctionnement sur quatre ans et de 2 % à 2,5 % leurs effectifs par an .

S'agissant de la caisse de retraite du personnel de la SNCF , la COG 2014-2017 prévoit une baisse d'environ 2 millions d'euros des dépenses de fonctionnement (hors personnel) sur la période. Le projet annuel de performances de la mission « Régimes sociaux et de retraite » fixe ainsi un objectif de diminution du ratio mesurant les dépenses de gestion pour un euro de prestations servies de 0,47 centimes en 2015 à 0,43 centimes en 2017. Toutefois, la prévision actualisée indique que les coûts de gestion, y compris charges de personnel, devraient augmenter en 2015 en raison de la hausse du coût moyen par agent.

Après une augmentation en raison de la réalisation d'investissements informatiques et de la mise en place d'une plate-forme téléphonique, les coûts de gestion de la caisse de retraite du personnel de la RATP devraient diminuer d'environ 3,8 % en 2016 pour s'établir à 6,4 millions d'euros , soit un ratio de 0,59 centimes par euro de prestation servie. En 2014, la dématérialisation du bulletin de pension et la diminution du nombre d'agents recrutés sous le statut de la RATP avaient déjà permis de limiter la progression des dépenses de fonctionnement.

En tant qu'opérateur de l'État, l' ENIM est également soumis à un encadrement de ses dépenses de fonctionnement. Ces dernières années, en parallèle de la modernisation du régime, à travers la réalisation d'investissements informatiques, les efforts ont principalement porté sur les effectifs qui ont diminué de 16 % depuis 2011 (344 équivalents temps pleins en 2015). Une suppression de 8 équivalents temps plein travaillés (ETPT) est à nouveau prévue en 2016. La masse salariale continue toutefois d'augmenter en raison de la proportion plus importante de cadres de catégorie A, qui assurent de nouvelles missions développées par la caisse (relation précontentieuse, maîtrise des risques, lutte contre la fraude). La subvention pour charges de service public versée à l'ENIM devrait s'élever à 9,85 millions d'euros en 2016 en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, soit une baisse de 4 % par rapport à l'exercice 2015.

Par ailleurs, la gestion des prestations d'assurance vieillesse du régime des mines est déléguée à la Caisse des dépôts et consignations, qui est rémunérée à ce titre par la Caisse autonome de sécurité sociale dans les mines (CASSM). La dernière COG entre la Caisse des dépôts et consignations et l'État prévoit une diminution des frais de gestion de 13 % entre 2011 et 2015. La gestion du régime de la SEITA est quant à elle déléguée à l'association pour la prévoyance collective (APC) depuis 1995.

Évolution des dépenses de gestion des principaux régimes spéciaux de retraite

(coûts de gestion en millions d'euros)

(ratio de coûts de gestion en centimes d'euros)

2013

2014

Prévision 2015

Prévision 2016

Cible 2017

SNCF

Coûts de gestion

23,6

22,5

24,7

23,1

< 23,8

Ratio*

0,44

0,42

0,47

0,43

< 0,43

RATP

Coûts de gestion

5,59

5,54

6,71

6,45

< 6,453

Ratio*

0,54

0,53

0,62

0,59

< 0,56

ENIM

Coûts de gestion

9,2

8,9

9,7

9,4

9,0

Ratio*

0,84

0,81

0,91

0,89

0,84

Mines**

Coûts de gestion

21,0

20,5

19,8

19,0

18,3

Ratio*

1,25

1,27

1,27

1,26

1,23

SEITA***

Coûts de gestion

0,34

0,30

0,27

0,27

0,34

Ratio*

0,20

0,18

0,16

0,17

0,20

* Ratio : dépenses de gestion pour un euro de prestations servies

** Rémunération versée à la Caisse des dépôts et consignations pour la gestion

*** Rémunération versée à l'Association pour la prévoyance collective pour la gestion

Source : projet annuel de performances pour 2016

Dans l'ensemble, les résultats observés ces dernières années dans les différentes caisses illustrent la difficulté de ces régimes à concilier maîtrise des coûts de gestion et amélioration de la qualité du service rendu aux assurés. Néanmoins, si l'on considère les principaux régimes spéciaux de la mission, un objectif ambitieux de réduction de 4,8 % de l'ensemble des dépenses de fonctionnement est fixé pour 2016. Le coût total de la gestion des régimes de la SNCF, de la RATP, des marins, des mines et de la SEITA passerait ainsi de 61,2 millions d'euros en 2015 à 58,2 millions en 2016 pour une masse totale de prestations versées d'environ 9,2 milliards d'euros . Au-delà de cet objectif, un suivi attentif de la mise en oeuvre des COG s'avère donc nécessaire.

2. Le changement des modalités de versement des pensions de la SNCF

Selon les règles actuellement en vigueur, les pensions de retraite du régime de la SNCF font l'objet d'un versement trimestriel, au premier jour ouvrable de chaque trimestre civil. En cas de décès d'un assuré, les montants de pension versés ne donnent pas lieu à restitution. L'application de cette règle dans le cadre de versements par trimestre d'avance entraîne un surcroît de dépenses important pour le régime.

À compter du 1 er janvier 2016, le décret n° 2015-539 du 15 mai 2015 prévoit la mise en place d'un versement mensuel des pensions par la caisse de retraite du personnel de la SNCF . Cette mesure devrait permettre de réaliser 15 millions d'euros d'économies.

Observation n° 4 : comme les autres organismes de sécurité sociale, les caisses de retraite des régimes spéciaux sont incitées à participer à l'effort de maîtrise de la dépense publique. Dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion, elles se voient assigner des objectifs de réduction de l'ordre de 15 % de leurs dépenses de fonctionnement sur la période 2014-2017 et de leurs effectifs de 2 % à 2,5 % par an .


* 6 Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.

* 7 Décrets n° 2011-292 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la RATP et n° 2011-291 du 18 mars 2011 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF.

* 8 Comme dans la fonction publique, les régimes de retraite de la RATP et de la SNCF prévoient des conditions de départ à la retraite spécifiques plus favorables pour les personnels dits « actifs » exerçant des activités considérées comme pénibles.

* 9 En tenant compte des effets cumulés de la réforme des régimes spéciaux de 2008 et de la réforme de 2010.

* 10 Décret n° 2014-712 du 27 juin 2014 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF et décret n° 2014-668 du 23 juin 2014 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la RATP.

* 11 Étude d'impact annexée au projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.