M. Serge Dassault, rapporteur spécial

PREMIÈRE PARTIE :
LA MISSION « ENGAGEMENTS FINANCIERS DE L'ÉTAT »

La mission « Engagements financiers de l'État » comporte sept programmes dont l'ampleur et les finalités sont très diverses.

La quasi-totalité des crédits de la mission est portée par le programme 117 « Charge de la dette et de la trésorerie de l'État » , doté de 41,8 milliards d'euros (en AE=CP) en 2017 soit près de 99 % du montant total des crédits. Ce programme assure le paiement de la plupart des dépenses liées au financement de l'État, à la fois en trésorerie (financement de court terme) et sur les moyen et long termes. Conformément à l'article 10 de la loi organique relative aux lois de finances 1 ( * ) , les crédits du programme sont évaluatifs , ce qui signifie que les dépenses s'imputent si besoin au-delà des crédits ouverts sans que le Gouvernement n'ait d'autre obligation que celle d'informer les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances des motifs du dépassement et des perspectives d'exécution jusqu'à la fin de l'année.

Le programme 114 « Appels en garantie de l'État » est lui aussi doté de crédits évaluatifs. Il retrace les dépenses liées à la mise en jeu des garanties de l'État . Pour 2017, des dépenses sont prévues à hauteur de 27,04 millions d'euros (en AE=CP), soit 0,06 % des crédits de la mission .

Le programme 145 « Épargne » , avec 217 millions d'euros (en AE=CP) prévus pour 2017, représente 0,51 % des crédits de la mission . Il porte principalement les dépenses liées aux instruments de financement du logement ayant un impact budgétaire.

Le programme 168 « Majoration de rentes » vise à poursuivre le service des majorations légales acquises jusqu'à extinction des droits à versement. Il est doté de 145,6 millions d'euros (en AE=CP) en 2017, soit 0,34 % du total des crédits de la mission .

Enfin, le programme 344 « Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque » finance le fonds de soutien 2 ( * ) en faveur des collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts sensibles. Avec 183,26 millions d'euros prévus pour 2017, il représente 0,43 % des crédits de la mission .

Deux autres programmes de la mission ne sont pas dotés de crédits pour l'année 2017 : le programme 336 « Dotation en capital du mécanisme européen de stabilité » et le programme 338 « Augmentation de capital de la banque européenne d'investissement ».

Évolution des crédits de paiement de la mission
« Engagements financiers de l'État » entre la LFI 2016 et le PLF 2017

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

I. LE PROGRAMME 117 « CHARGE DE LA DETTE ET TRÉSORERIE DE L'ÉTAT »

Le programme 117 regroupe les crédits que consacre l'État au paiement des intérêts des emprunts qu'il a souscrits pour financer ses déficits successifs .

L'ensemble de ces crédits sont situés en dehors du périmètre de la norme étroite d'évolution des dépenses (norme « zéro valeur » 3 ( * ) ) mais sont en revanche inclus dans le périmètre de la norme « zéro volume » 4 ( * ) .

Ces crédits devraient atteindre, en 2017, 41,8 milliards d'euros , soit une diminution de 6,06 % par rapport à la prévision retenue en loi de finances initiale pour 2016 (44,5 milliards d'euros) et une très légère hausse de 0,5 % par rapport à la prévision révisée pour 2016 (41,6 milliards d'euros).

Le programme comporte deux actions : l'action n° 1 « Dette » et l'action n° 3 « Trésorerie ».

Les crédits de l'action 01 « Dette » correspondent à la charge d'intérêt des emprunts de moyen et long termes de l'État et devraient s'élever à 40,8 milliards d'euros , soit une diminution de 6,7 % par rapport à la loi de finances pour 2016. Cependant, au regard de l'estimation révisée 2016 qui s'élève à 40,5 milliards d'euros, la charge de la dette augmenterait très légèrement (+ 0,65 %).

Les crédits de l'action 03 « Trésorerie » représentent le coût du financement infra-annuel de l'État, qui devrait atteindre 948 millions d'euros en 2017 , soit une hausse de 3 % par rapport à la prévision de la loi de finances initiale pour 2016 mais une diminution de 7,1 % par rapport à l'estimation révisée 2016 associée au projet de loi de finances pour 2017.

En vertu de l'article 22 de la LOLF, « les opérations budgétaires relatives à la dette et à la trésorerie de l'État, à l'exclusion de toute opération de gestion courante, sont retracées dans un compte de commerce déterminé ». Le programme 117 du budget général effectue ainsi des versements au profit du compte de commerce « Gestion de la dette et de la trésorerie de l'État » . C'est ce même compte qui retrace les recettes issues du programme de financement de l'État (par exemple primes et décotes à l'émission). Les dépenses du compte de commerce sont légèrement plus élevées que les crédits versés par le programme 117 car le compte de commerce porte des opérations qui ne relèvent pas du programme 117 (comme les contrats d'échange de taux, les interventions de la Caisse de la dette publique...).

A. UN PROGRAMME QUI PORTE UN DIXIÈME DU TOTAL DES DÉPENSES DE L'ÉTAT, DONT LA PERFORMANCE EST DIFFICILE À ÉVALUER

1. Un programme qui représente 10 % des dépenses de l'État

Le programme 117 est doté de 41,8 milliards d'euros en 2017, soit 10,75 % des dépenses de l'État 5 ( * ) . Comme votre rapporteur spécial a déjà eu l'occasion de le souligner, la charge de la dette est par définition une dépense « stérile » .

Elle constitue cette année encore le deuxième poste budgétaire de l'État en crédits de paiement après la mission « Enseignement scolaire », dotée de 70 milliards d'euros, mais devant la mission « Défense » (40,6 milliards d'euros) ou bien encore la mission « Recherche et enseignement supérieur » (27 milliards d'euros), qui constituent pourtant des priorités pour garantir, respectivement, notre sécurité et l'amélioration du taux de croissance potentielle de notre pays.

2. Une performance difficile à évaluer
a) Une gestion effectuée par l'Agence France Trésor

La gestion de la dette est effectuée par l'Agence France Trésor, service à compétence nationale . Les effectifs de l'AFT sont à peu près stables depuis le début des années 2010 et comprennent entre trente-cinq et quarante agents, dont environ un tiers de contractuels. La masse salariale de l'AFT devrait s'élever en 2016 à 3,1 millions d'euros (y compris les charges patronales).

Évolution des effectifs de l'Agence France Trésor de 2011 à 2016

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de l'AFT au questionnaire du rapporteur spécial

Il faut noter que les dépenses de fonctionnement de l'Agence France Trésor ne sont pas financées par la mission « Engagements financiers de l'État » mais par les missions « Économie » (programme « Stratégie économique et fiscale ») et « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » (programme « Conduite et pilotage des politiques économique et financière »).

b) Des indicateurs de performance dont l'interprétation est malaisée

La gestion de la dette et de la trésorerie de l'État a pour objectif de garantir le financement de l'État tout en limitant la charge de gestion . Si le fait d'être parvenu à assurer un financement constant de l'État et à éviter une rupture de paiement peut être constaté sans grandes difficultés, en revanche, l'appréciation de la maîtrise du coût du financement - hors erreurs manifestes - est plus complexe .

En effet, la charge de la dette dépend de nombreux facteurs (niveau des taux, demande des investisseurs pour certaines catégories de titre, besoin de financement de l'État...) et la stratégie de financement de l'État suppose de formuler des hypothèses sur les différentes variables et leur évolution dans le temps. La réalisation des prévisions du gestionnaire de la dette n'est, par définition, pas certaine. Par exemple, le rallongement de la maturité de la dette augmente le coût du financement ceteris paribus mais il peut également permettre de le diminuer si les taux sont très faibles et que leur remontée est anticipée dans un futur proche.

En outre, la charge de la dette de l'État dépend également de facteurs exogènes à la gestion mise en oeuvre par l'Agence France Trésor : ainsi, la politique monétaire des grandes banques centrales, notamment en Europe et aux États-Unis, contribue à former les taux d'intérêt sans qu'elle ne soit directement liée à la qualité de la gestion budgétaire et financière de la France.

Il est donc difficile de construire des indicateurs de performance pertinents en raison de la nature même de la politique publique mise en oeuvre.

Malgré ces difficultés de principe, la mesure de la performance de la mission pourrait être améliorée et rendue plus cohérente par la modification de certains indicateurs.

c) Sept indicateurs de performance, dont deux pourraient être améliorés

Le programme compte sept indicateurs de performance répartis en quatre objectifs : couvrir le programme d'émission dans les meilleures conditions d'efficience et de sécurité, optimiser la gestion de la trésorerie en fonction des conditions de marché, améliorer l'information préalable par les correspondants du Trésor de leurs opérations financières affectant le compte du Trésor et enfin obtenir un niveau de contrôle des risques de qualité constante et qui minimise la survenance d'accidents.

Votre rapporteur spécial tient tout d'abord à noter le fort niveau d'exigence de la plupart des cibles fixées , concernant en particulier l'indicateur 4.1 « Qualité du système de contrôle ». Ainsi, l'Agence France Trésor a obtenu en 2016 et vise à maintenir la note 6 ( * ) la plus haute en matière de contrôle interne . Aucun incident ni aucune infraction au cadre général d'activité n'a été constatée depuis 2014.

Cependant, certains des indicateurs de performance de la mission paraissent peu mobilisateurs et ne dépendent pas réellement de la gestion du responsable de programme. C'est en particulier le cas de l'indicateur 3.1 « Taux d'annonce des correspondants du Trésor » : ces annonces doivent être effectuées par les comptables publics des correspondants du Trésor dans le cas où un mouvement de fonds supérieur à un million d'euros est prévu le lendemain. Si la prévisibilité des opérations financières importantes est en effet un élément essentiel à l'optimisation de la Trésorerie de l'État, votre rapporteur spécial ne comprend pas en quoi l'Agence France Trésor peut être tenue responsable de l'évolution de ce taux .

De façon similaire, le projet annuel de performances précise que l'Agence France Trésor n'a pas de prise directe sur l'atteinte de la cible de l'indicateur 4.2 « Incidents d'exécution des opérations de dette et de trésorerie » .

Dans ce cas, les informations présentées à ce titre, bien qu'utiles à l'information du Parlement, ne peuvent pas être à proprement parler intégrées au dispositif de performance de la mission .

Il convient donc de supprimer les indicateurs de performance sur lesquels le responsable de programme n'a pas d'influence directe et déterminante .

Enfin, l'indicateur 2.1 « Solde du compte de l'État à la Banque de France en fin de journée » , qui est constitué du pourcentage de journées où la cible fixée au départ pour le solde a été atteinte, est calculé à partir d'un échantillon de données trop faibles . En effet, sont retenues dans le calcul les journées où l'AFT vise un solde compris entre 560 et 580 millions d'euros. Sont exclus du calcul les jours dits de « faible demande » , c'est-à-dire ceux où les taux offerts par le marché sont inférieurs à la rémunération offerte sur le solde du compte à la Banque de France au-delà du seuil de 570 millions d'euros. Le projet annuel de performances indique que le résultat de l'année 2015 est obtenu à partir de 28 journées dotées d'une cible. Ce faible nombre rend difficile l'interprétation de l'évolution de la cible et de la réalisation . Ainsi, la cible a été abaissée de 5 points entre 2014 et 2017, ce qui peut paraître significatif. En réalité, en faisant l'hypothèse d'une trentaine de jours inclus dans le calcul, la dégradation ne correspond qu'à 1,5 jour de moins.

Il serait donc pertinent soit de modifier le calcul de cet indicateur, soit de le supprimer .

Bien entendu, l'éventuelle suppression de ces indicateurs ne devrait pas conduire à ce que l'information cesse d'être présentée au Parlement : les chiffres produits contribuent à la compréhension du contexte dans lequel l'Agence France Trésor mène ses missions. C'est leur intégration au sein d'un dispositif de performance, censé orienter l'action du responsable de programme, qui paraît moins pertinente.

B. EN 2016 : DES CRÉDITS REVUS À LA BAISSE EN LIEN AVEC LA FAIBLESSE DES TAUX D'INTÉRÊT

La charge de la dette varie principalement en fonction de la courbe des taux d'intérêt (effet taux), de l'inflation , du montant des titres émis (effet volume) ainsi que, de façon beaucoup plus marginale, du moment dans l'année auquel l'État procède au financement (effet calendaire).

L'effet calendaire

Dans le cadre de l'analyse des variations de la charge de la dette d'une année sur l'autre, on appelle « effet calendaire » la variation du coût budgétaire net des opérations de l'année (émissions et rachats) sur titres à moyen et long terme . Cet effet retrace les différences entre les dates, les volumes et les taux des opérations conduites les deux années.

Cet effet est modeste. En 2015 l'effet calendaire s'est élevé à -0,06 milliard d'euros (la charge budgétaire des opérations de l'année est passée de 0,54 milliard d'euros en 2014 à 0,48 milliard d'euros en 2015). Pour les années suivantes il est estimé à -0,05 milliard d'euros pour 2016 et -0,28 milliard d'euros pour 2017.

Le montant de l'effet calendaire est susceptible de variations importantes entre la prévision et l'exécution . Il est en effet sensible à la position relative de la date anniversaire des titres par rapport à leur date d'émission, ainsi qu'à leur taux de coupon. Or d'une part les caractéristiques des émissions réalisées peuvent s'écarter du schéma d'émission utilisé pour la prévision, car le choix des titres émis dépend de la demande émanant des investisseurs avant chaque adjudication et d'autre part les rachats dépendent de l'offre du marché et ne peuvent être anticipés avec précision.

Source : réponse de l'Agence France Trésor au questionnaire du rapporteur spécial

Le projet annuel de performances indique qu'un allègement important de la charge de la dette est d'ores et déjà attendu au titre de l'année 2016 par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale : ainsi, la charge de la dette devrait être inférieure de près de 3 milliards d'euros aux prévisions en raison du maintien de taux d'intérêt faibles voire négatifs jusqu'aux maturités inférieures à 9 ans .

Les provisions pour indexation du capital des titres indexés devraient être inférieures de 1,8 milliard d'euros à la prévision de loi de finances initiale, et les intérêts décaissés seraient diminués de 1,1 milliard d'euros.

1. Une diminution de la charge de la dette malgré l'augmentation de l'encours en raison de la faiblesse des taux d'intérêt et de l'inflation

Cette réduction de la charge de la dette n'est aucunement liée à une réelle maîtrise de l'endettement de l'État : bien au contraire, celui-ci continue de croître et l'effet « volume », c'est-à-dire la hausse de la dette, contribue à augmenter la charge de la dette à hauteur de 1,2 milliard d'euros. Cependant, cet effet est compensé par la faiblesse des taux d'intérêt et de l'inflation, qui contribuent à réduire le coût de financement de l'État de 1,8 milliard d'euros. Au total, la charge de la dette diminuerait donc de 600 millions d'euros entre 2015 et 2016.

Facteurs d'évolution de la charge de la dette entre 2015 et 2016
(estimation révisée)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

2. Un besoin de financement réévalué à la baisse et qui devrait s'élever à 197,4 milliards d'euros en 2016

Le besoin de financement de l'État devrait être inférieur d'un peu plus d'un milliard d'euros aux prévisions de la loi de finances initiale, principalement en raison de la baisse de 2,4 milliards d'euros du déficit à financer.

Évolution du besoin de financement de l'État pour l'année 2016 entre la loi de finances initiale pour 2016 et l'estimation révisée associée
au projet de loi de finances pour 2017

(en milliards d'euros et en %)

2016 LFI

2016 révisé PLF 2017

Évolution LFI 2016 - 2016 révisé

I. Besoin de financement

Amortissement de la dette à moyen et long termes

125

124,9

-0,1

-0,1%

Dont remboursement du nominal à valeur faciale

124,5

124,5

0

0,0%

Dont suppléments d'indexation versés à l'échéance (titres indexés)

0,5

0,4

-0,1

-20,0%

Amortissement des autres dettes

0

0

0

-

Déficit à financer

72,3

69,9

-2,4

-3,3%

Autres besoins de trésorerie

1,2

2,6

1,4

116,7%

Dont annulation des opérations budgétaires sans impact en trésorerie

-1,8

0

1,8

-100,0%

Dont décaissements au titre des PIA 1 et 2, nets des intérêts

3

2,6

-0,4

-13,3%

Total du besoin de financement

198,5

197,4

-1,1

-0,6%

Source : commission des finances du Sénat, d'après le projet annuel de performances

3. Une forte hausse des primes à l'émission par rapport aux prévisions

Du côté des ressources de financement, l'évolution la plus significative concerne les primes à l'émission : ainsi, celles-ci sont supérieures de 16,5 milliards d'euros aux prévisions et s'établiraient à environ 17 milliards d'euros . Pour mémoire, les primes à l'émission s'étaient établies à un montant particulièrement important en 2015, à hauteur de 22,7 milliards d'euros . Elles diminueraient donc d'environ 25 % entre 2015 et 2016.

Évolution des ressources de financement de l'État pour l'année 2016 entre la loi de finances initiale pour 2016 et l'estimation révisée associée au projet de loi de finances pour 2017

(en milliards d'euros et en %)

2016 LFI

2016 révisé PLF 2017

Évolution LFI 2016 - 2016 révisé

II. Ressources de financement

Émission de dette à moyen et long termes nettes des rachats

187

187

0

0,0%

Ressources affectées à la Caisse de la dette publique et consacrées au désendettement

2

0

-2

-100,0%

Variation nette de l'encours des titres d'État à court terme

0

-15

-15

-

Variation des dépôts des correspondants

0

0

0

-

Variation des disponibilités du Trésor à la Banque de France et des placements de trésorerie de l'État

9

8,4

-0,6

-6,7%

Autres ressources de trésorerie

0,5

17

16,5

3300,0 %

Total des ressources de financement

198,5

197,4

-1,1

-0,6 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après le projet annuel de performances

Les primes et décotes à l'émission

Les titres émis à moyen ou long terme par l'État peuvent l'être au moyen d'une technique d'assimilation , qui consiste à abonder une même « ligne » ou « souche » de dette plusieurs fois pour en améliorer la liquidité.

Ces émissions à partir de souches anciennes, pratiquées depuis septembre 2007, ont été systématisées à partir de 2008 .

Ainsi, le prix d'acquisition de ces titres peut varier de leur valeur nominale de remboursement . Par exemple, si le titre vaut 100 et s'accompagne d'un coupon (c'est-à-dire d'un intérêt) de 4, alors que la plupart des autres titres sur le marché ont un coupon de 2, il est probable que les souscripteurs proposent d'acheter le titre pour un prix supérieur au prix nominal : par exemple, pour 200 alors que le prix nominal était de 100.

Dans ce cas, une prime apparaît pour l'État . Dans le cas inverse, les souscripteurs proposeront un prix d'achat inférieur au nominal, et une décote apparaîtra pour l'État.

En comptabilité budgétaire, ces primes et décotes à l'émission sont traitées comme opérations de trésorerie (comme le prévoit l'article 25 de la loi organique relative aux lois de finances) et apparaissent dans la catégorie « autres ressources de trésorerie » .

Quand les taux d'intérêt sur la dette de l'État diminuent, les primes ont tendance à augmenter dans la mesure où les souches anciennes de dette proposent un rendement plus élevé que les souches nouvelles.

Source : commission des finances du Sénat

Ces primes à l'émission ne permettent pas, comme certains ont pu le soutenir, de diminuer le déficit budgétaire de l'État ou son programme d'émission de dette à moyen et long terme. En revanche, elles constituent des moyens de trésorerie qui se substituent aux titres de court terme (BTF) , dont l'encours diminuerait ainsi de 15 milliards d'euros en 2016. Cette utilisation paraît conforme à l'intérêt général de long terme : plutôt que de minimiser la charge budgétaire de la dette dans l'immédiat, ce qui aurait exigé de privilégier l'endettement à court terme dont les taux sont très faibles voire négatifs, l'Agence France Trésor a préféré diminuer l'endettement à court terme qui est aussi celui dont les taux d'intérêt vont les plus volatils. Cette stratégie ne vise donc pas à réduire au maximum la charge d'intérêt immédiate mais à limiter le risque budgétaire couru en cas de remontée des taux .

4. Un programme de financement de 187 milliards d'euros pour 2016 réalisé à 76,5 % au 31 août, de nombreux nouveaux titres créés en lien avec un contexte de taux exceptionnel

Pour 2016, le programme de financement à moyen et long terme net des rachats s'établit à 187 milliards d'euros , dont 155,4 milliards d'euros ont été réalisés au 31 août 2016, soit 76,5 %. Ce taux de réalisation doit être rapproché du taux de 73,1 % constaté à la même époque en 2015 : est donc constatée une légère avance de 3,4 %.

Différents types de dette

Il faut distinguer la dette négociable, c'est-à-dire contractée sous forme d'instruments financiers échangeables sur les marchés financiers (obligations et bons du Trésor) de la dette non négociable, correspondant aux dépôts de certains organismes (collectivités territoriales, établissements publics...) sur le compte du Trésor. L'immense majorité de la dette française est négociable.

Pour se financer, l'État peut émettre différents types de titres de dette dont la maturité et le coupon varie. Ces titres peuvent, ou non, être indexés sur l'inflation (française ou européenne).

L'endettement à moyen et long terme de l'État s'effectue par l'émission d'obligations assimilables du Trésor (ou OAT) 7 ( * ) .

Les besoins de trésorerie de l'État - c'est-à-dire des besoins de financement infra-annuels - sont assurés par l'émission de titres dont l'échéance est inférieure à un an, les bons du Trésor à taux fixe et à intérêts précomptés (ou BTF).

Source : commission des finances du Sénat

Le tableau ci-dessous récapitule la réalisation du programme de financement à moyen et long terme au 31 août 2016 et sa répartition par grande catégorie de titres, ainsi que les montants consacrés aux rachats.

Taux de réalisation cumulé

(en % du programme total de financement)

janv.

fév.

mars

avril

mai

juin

juillet

août

OAT LT*

4,8%

10,5%

15,4%

24,5%

29,8%

35,7%

42,4%

46,4%

OAT MT*

5,6%

10,5%

15,0%

18,2%

22,3%

25,6%

30,3%

30,3%

OATi et ei

1,0%

1,6%

2,8%

3,6%

4,5%

5,2%

6,1%

6,5%

Rachats

-0,3%

-0,6%

-1,1%

-1,9%

-3,3%

-3,4%

-5,6%

-6,6%

Total

11,1%

22,0%

32,2%

44,4%

53,3%

63,1%

73,1%

76,5%

* OAT LT = OAT de Long Terme (maturité initiale supérieure à 7 ans). OAT MT = OAT de Moyen Terme (OAT de maturité initiale entre 2 et 7 ans): OAT de Moyen Terme. En effet, depuis le 1 er janvier 2013, les nouveaux titres de maturité 2 ans à 5 ans sont également des OAT et non plus des BTAN.

Source : réponse de l'AFT au questionnaire du rapporteur spécial

L'AFT peut en effet procéder à des rachats anticipés de titres de dette qui arrivent à échéance en année n, n+1 ou n+2 .

Les rachats de titres arrivant à échéance en année n+1 et n+2 sont financés par l'émission de titres à moyen et long terme et le programme de financement de l'État est exprimé en montant d'émission net des rachats.

L'AFT ne communique pas d'objectif de rachats et ceux-ci constituent un élément de flexibilité du programme d'émission de dette française . Ils visent à lisser le programme de financement de l'État afin d'éviter une hausse trop importante d'une année à l'autre.

En effet, une augmentation brutale du besoin de financement de l'État pourrait créer des difficultés d'absorption des titres émis par les marchés financiers. En outre, de tels rachats visent à contribuer au bon fonctionnement du marché secondaire des titres d'État.

Les rachats ont pour conséquence d'augmenter la durée de vie de la dette, ce qui signifie qu'ils augmentent en principe la charge de la dette « toutes choses égales par ailleurs ». Cependant, l'allongement de la maturité a aussi pour effet de couvrir l'État contre une hausse des taux, dans un environnement de taux historiquement bas.

Après avoir fortement augmenté entre 2012 et 2015, passant de 23,2 milliards d'euros à 41,1 milliards d'euros - soit une hausse proche d'un doublement - les rachats semblent diminuer en 2016 bien que les données soient encore, à ce stade, provisoires .

Évolution des rachats de dette entre 2012 et 2016

(en millions d'euros)

Note de lecture : la largeur de chaque colonne en abscisse est proportionnelle au programme de financement de l'année considérée.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de l'AFT au questionnaire du rapporteur spécial

Dans le contexte de taux d'intérêt très négatifs à court terme, l'AFT a créé plusieurs titres dont la maturité est plus importante et qui sont pour certains indexés sur l'inflation , ce qui permet de répondre aux problématiques de gestion actif-passif des institutions financières : celles-ci, en particulier les assurances, achètent des titres de long terme dont les coupons sont faibles. En cas de remontée rapide des taux, leurs clients opteraient certainement pour des produits au rendement plus avantageux et leur stock d'actifs perdrait beaucoup de valeur. Un titre indexé sur l'inflation protège partiellement ces acteurs d'une hausse des taux liée à une augmentation des prix à la consommation .

Ainsi, l'Agence France Trésor a créé en janvier l'OAT 0 % 25 février 2019 8 ( * ) en remplacement de l'OAT 0 % 25 février 2018. D'après les réponses au questionnaire de votre rapporteur spécial, « la décision d'allonger la maturité de ce benchmark à trois ans, contre deux ans traditionnellement, est la conséquence du niveau très négatif des taux à court terme , qui augmente la maturité demandée par de nombreux investisseurs, y compris certaines banques centrales ».

De façon similaire, l'OAT 0,25 % 25 novembre 2020 a été remplacé par l'OAT 0 % 25 mai 2021 et l'OAT 1 % 25 novembre 2025 par l'OAT 0,5 % 25 mai 2026. L'Agence France Trésor a indiqué à votre rapporteur spécial que ce titre « a rencontré un grand succès, atteignant 27 milliards d'euros d'encours en six mois, à des taux d'émission records (0,16 % en juillet). Un nouveau benchmark dix ans sera créé à la rentrée (entre septembre et novembre) ».

Plusieurs émissions par syndication ont également été réalisées.

Les techniques d'émission

Deux principales techniques d'émission de dette doivent être distinguées : l'adjudication et la syndication.

Depuis 1985, la technique de l'adjudication « au prix demandé » (dite « à la hollandaise ») constitue la voie privilégiée d'émission des valeurs du Trésor , la syndication bancaire n'étant utilisée que dans des circonstances spécifiques.

I. L'adjudication au prix demandé

L'adjudication « au prix demandé » consiste à servir les titres au prix ou au taux effectif de soumission, par opposition au prix ou au taux marginal . On appelle également ce type d'adjudication « enchère à prix multiples et à prix scellés ».

Les offres dont les prix sont les plus élevés sont servies en premier . Celles de niveau inférieur le sont ensuite, jusqu'à hauteur du montant souhaité par l'AFT. Les participants dont les offres ont été retenues paient donc des prix différents, correspondant exactement aux prix qu'ils ont demandés.

II. La syndication

La syndication constitue un engagement précis entre les banques, souscripteurs réunis dans un syndicat bancaire , et l'émetteur, d'acquérir des titres à un prix défini avec l'émetteur. Cette technique est utilisée pour le lancement de titres innovants ou sur des segments de marché moins profonds , notamment sur la partie longue de la courbe (15 ans et plus).

Source : Agence France Trésor

Ainsi, a été mise en oeuvre en avril une opération syndiquée consistant en l'émission simultanée d'une OAT à vingt ans 9 ( * ) et d'une OAT à cinquante ans 10 ( * ) . Au total, 9 milliards d'euros ont été mis sur ces deux titres dont 6 milliards d'euros à vingt ans avec un taux à l'émission de 1,32 % et 3 milliards d'euros émis à cinquante ans avec un taux à l'émission de 1,92 %. D'après les informations transmises à votre rapporteur spécial par l'Agence France Trésor, « il s'agit du premier titre souverain à cinquante ans émis sous 2 % et portant un coupon inférieur à 2 % . [...] Ces émissions reflètent la forte demande du marché pour des titres très longs, dans un environnement de taux perçus comme durablement bas ».

L'AFT a également émis une nouvelle obligation à cinq ans indexée sur l'inflation européenne (OAT €i 0,10 % 1 er mars 2021) dans la mesure où « le rebond du pétrole a généré un regain d'intérêt de la part du marché pour des titres indexés de moyen terme ».

Enfin, une opération syndiquée d'un titre à trente ans indexé à l'inflation européenne , annoncée dans le programme de financement indicatif pour 2016, « pourrait intervenir au second semestre, en fonction des conditions de marché ».

C. EN 2017 : UNE CHARGE QUI DEVRAIT CROÎTRE TRÈS MODÉRÉMENT MALGRÉ LA HAUSSE DE L'ENCOURS

1. Une stagnation de la charge de la dette à environ 41 milliards d'euros

La charge de la dette devrait pratiquement stagner entre 2016 et 2017 : elle augmenterait de 300 millions d'euros, soit de 0,7 %.

Facteurs d'évolution de la charge de la dette entre 2015 et 2016
(estimation révisée)

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La hausse de l'encours de dette conduirait à alourdir le coût de financement de l'État de 700 millions d'euros et l'inflation prévue par le Gouvernement à hauteur de 0,8 % serait à l'origine d'une augmentation de 1,6 milliard d'euros de la charge budgétaire de la dette. Ces effets haussiers seraient partiellement compensés par un effet calendaire de -300 millions d'euros et surtout par la faiblesse maintenue des taux d'intérêt , qui permettrait une réduction de la charge de la dette de 1,7 milliard d'euros. En effet, le scénario retenu par le Gouvernement prévoit un redressement des taux à moyen et long terme au rythme moyen de 75 points de base par an , ce qui signifie que le taux à dix ans s'élèverait à 0,50 % fin 2017 et 1,25 % fin 2017.

Évolution constatée et prévisionnelle des taux d'intérêt à long terme et à court terme sur la dette française

Source : commission des finances du Sénat, d'après le projet annuel de performances

2. Une réduction du besoin de financement de l'État qui découle principalement de la diminution des amortissements de dette

Le besoin de financement total de l'État devrait diminuer et passer de 197,4 milliards d'euros en 2016 à 192 milliards d'euros en 2017, soit une réduction de 5,4 milliards d'euros.

En revanche, le plafond de variation de la dette négociable de moyen et long terme serait fixé à 65,7 milliards d'euros en 2017 , soit une hausse de 3,2 milliards d'euros (+ 5 %) par rapport à la loi de finances initiale pour 2016.

Évolution du besoin de financement de l'État entre l'estimation révisée pour 2016 et la prévision 2017

(en milliards d'euros et en %)

2016 révisé PLF 2017

2017 PLF

Évolution 2017-2016 révisé

Amortissement de la dette à moyen et long termes

124,9

121,8

-3,1

-2,5%

Dont remboursement du nominal à valeur faciale

124,5

119,3

-5,2

-4,2%

Dont suppléments d'indexation versés à l'échéance (titres indexés)

0,4

2,5

2,1

525,0%

Amortissement des autres dettes

0

0

0

-

Déficit à financer

69,9

69,3

-0,6

-0,9%

Autres besoins de trésorerie

2,6

0,9

-1,7

-65,4%

Annulation des opérations budgétaires sans impact en trésorerie

0

-1,6

-1,6

-

Décaissements au titre des PIA 1 et 2, nets des intérêts

2,6

2,5

-0,1

-3,8%

Total

197,4

192

-5,4

-2,7%

Source : commission des finances du Sénat, d'après le projet annuel de performances

La diminution du déficit n'explique qu'une part marginale de cette baisse qui provient surtout d'un moindre montant des amortissements de dette à moyen et long termes. En effet, le montant total d'amortissement devrait diminuer de 3,1 milliards d'euros entre 2016 et 2017 et la tendance devrait se poursuivre les années suivantes, pour passer de près de 184 milliards d'euros en 2016 à 152 milliards d'euros en 2019.

Montants et répartition des dettes à amortir de 2016 à 2019 par catégorie de titre

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de l'Agence France Trésor questionnaire du rapporteur spécial

3. Une baisse prévisionnelle des primes à l'émission et des dépôts des correspondants

Concernant les ressources de financement de l'État, les variations les plus notables entre 2016 et 2017 devraient toucher l'encours des correspondants du Trésor et les primes à l'émission .

Ces dernières sont attendues à hauteur de 4,5 milliards d'euros, soit un montant significativement supérieur à celui inscrit en loi de finances initiale pour 2015 et 2016 (à hauteur de 500 millions d'euros) mais très inférieur aux encaissements constatés de primes à l'émission au cours de ces deux années. Dans la mesure où elle dépend directement du niveau des taux d'intérêt, l'ampleur des primes à l'émission est en effet difficile à anticiper.

Par ailleurs, la variation de l'encours des correspondants du Trésor devrait être nettement négative, à hauteur de 5,1 milliards d'euros , en raison du transfert de la gestion des procédures d'assurance-crédit de la Coface vers Bpifrance (-4,3 milliards d'euros) et du transfert de la trésorerie de la troisième section du Fonds solidarité vieillesse (FSV) à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale ou Acoss (-0,8 milliard d'euros).

Évolution des ressources de financement de l'État entre l'estimation révisée pour 2016 et la prévision 2017

(en milliards d'euros et en %)

2016 révisé PLF 2017

2017 PLF

Evolution 2017-2016 révisé

Émission de dette à moyen et long termes nettes des rachats

187

185

-2

-1,1%

Ressources affectées à la Caisse de la dette publique et consacrées au désendettement

0

0

0

-

Variation nette de l'encours des titres d'État à court terme

-15

0

15

-100,0%

Variation des dépôts des correspondants

0

-5,1

-5,1

-

Variation des disponibilités du Trésor à la Banque de France et des placements de trésorerie de l'État

8,4

7,6

-0,8

-9,5%

Autres ressources de trésorerie

17

4,5

-12,5

-73,5%

Total

197,4

192

-5,4

-2,7%

Source : commission des finances du Sénat, d'après le projet annuel de performances

Le montant du solde excédentaire de la Coface auprès du Trésor sera inscrit en recettes au compte spécial nouvellement créé « Soutien au commerce extérieur ». Ce mouvement conduit donc à améliorer de plus de 4 milliards d'euros le déficit budgétaire de l'État et à augmenter le besoin de financement du même montant, soit un mouvement neutre pour les finances publiques prises dans leur ensemble mais très favorable en matière d'affichage d'une amélioration du solde budgétaire de l'État .

D. UN RISQUE MAJEUR POUR LES FINANCES PUBLIQUES EN CAS DE REMONTÉE DES TAUX D'INTÉRÊT

1. Une dette qui ne cesse de croître et qui devrait atteindre près de 1 690 milliards d'euros en 2017

La décorrélation exceptionnelle entre la charge d'intérêts et le niveau d'endettement ne doit pas conduire à oublier que l'encours de dette française continue de croître et atteint des niveaux particulièrement préoccupants . En 2017, il devrait s'élever à 1 689,2 milliards d'euros , soit une hausse de plus de 65 milliards d'euros (+4,1 %) par rapport à la prévision révisée pour 2016 (1 624 millions d'euros). Après deux années de décélération - toute relative - de l'augmentation de l'encours de dette, celle-ci devrait donc repartir de plus belle à partir de 2017.

Évolution comparée de l'encours de la dette de l'État et de la charge de la dette de 2008 à 2017

(en milliards d'euros)

Note de lecture : la charge de la dette se lit par rapport à l'ordonnée de gauche, l'encours par rapport à celle de droite. Les données pour 2016 et 2017 sont prévisionnelles.

Source : commission des finances du Sénat

La France se trouve donc dans une situation inverse de celle de l'Allemagne et ne parvient pas à renouer avec un excédent budgétaire et à maîtriser l'évolution de son endettement.

Si la dette publique allemande reste, au total, supérieure à celle de la France (elle s'élevait ainsi à 2153,9 milliards d'euros en Allemagne à la fin de l'année 2015, contre 2097,4 milliards d'euros pour la France à la même période), la dette par actif est revanche bien inférieure outre-Rhin et s'élevait à moins de 48 000 euros en 2015 contre plus de 73 000 euros en France, soit une différence de plus de 52 %.

Dette par actif en France et en Allemagne

(en euros)

Note de lecture : au sens de l'Insee, la population active regroupe la population active occupée (appelée aussi « population active ayant un emploi ») et les chômeurs.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de l'Agence France Trésor questionnaire du rapporteur spécial

2. Une baisse des taux d'intérêt qui n'est pas réellement liée à la qualité de la signature de la dette française

La baisse du taux d'intérêt sur la dette française n'est aucunement liée à la qualité de la gestion budgétaire du Gouvernement, qui n'a toujours pas tenu son engagement de ramener le déficit public en-dessous du seuil de 3 % du PIB mais à des facteurs exogènes, notamment la politique menée par la Banque centrale européenne (BCE) .

a) Le programme d'achats de titres du secteur public de la Banque centrale européenne (BCE) : 90 milliards d'euros de dette française achetés en un peu plus d'un an

Face aux conséquences des crises économiques et financières qui ont touché la zone euro à la fin des années 2000, la Banque centrale européenne a été amenée à mettre en place des outils dits « non conventionnels » de politique monétaire dans le but de soutenir les marchés financiers et l'inflation.

Outre ses programmes de refinancement et d'apport de liquidités (LTRO) en direction des actifs privés, lancés dès décembre 2011, elle a annoncé un programme d'assouplissement quantitatif en janvier 2015 et l'a mis en oeuvre à partir de mars 2015. Ce programme prévoyait initialement l'achat de 60 milliards d'euros de titres publics chaque mois jusqu'en septembre 2016. Les titres publics pouvaient être émis par des États de la zone euro et par des institutions publiques comme la Banque européenne d'investissement (BEI), par exemple. En décembre 2015, a été annoncée la prolongation du programme jusqu'en mars 2017 . L'éventail de titres éligibles au programme de rachat d'actifs a également été élargi et inclut certaines obligations émises par des collectivités locales et régionales. Le programme devrait s'achever quand l'inflation dans la zone euro se rapprochera de la cible de 2 % fixée par la BCE.

Les achats sont notamment effectués par les banques centrales des États de la zone euro pour le compte de la Banque centrale européenne. La Banque de France, qui fait évidemment partie des résidents français, est chargée de l'essentiel du programme d'achats en France.

D'après les informations transmises à votre rapporteur spécial, on estime que l'Eurosystème a acquis du 9 mars 2015 au 31 mars 2016 près de 90 milliards d'euros de titres d'État français (en valeur faciale), soit près de 6 % de l'encours de dette français (hors titres de court terme, qui ne sont pas inclus dans le programme).

Ces achats massifs ont donc largement contribué à tirer les taux d'intérêt sur les dettes souveraines vers le bas, sans lien réel avec la demande des investisseurs privés ni avec la qualité intrinsèque de la signature française.

b) Une croissance encore hésitante dans la zone euro et une inflation à la traîne

En outre, d'autres facteurs ont contribué à ce que les taux d'intérêt demeurent faibles.

Tout d'abord, la reprise au sein de la zone euro est restée modérée et l'inflation peine à se redresser (+0,3 % attendu en 2016) tandis que le taux de chômage est resté élevé (10,2 % attendu en 2016).

D'après l'Agence France Trésor, « l'activité a suffisamment redémarré pour atténuer les inquiétudes sur les pays les plus en difficulté de la zone euro tout en se montrant insuffisante pour justifier un resserrement de la politique monétaire ».

Par ailleurs, le contexte international suscite de nombreuses incertitudes depuis 2015 : après les craintes relatives à la Grèce à l'été 2015, puis la dévaluation inattendue de la devise chinoise en août de la même année, la rechute des prix du pétrole à la fin de l'année 2015 et le retour des craintes sur la vigueur de la croissance mondiale ont conduit les investisseurs à privilégier les actifs les plus sûrs, parmi lesquels se situent les obligations souveraines. Ce mouvement de « fuite vers la qualité » a été amplifié par le ralentissement de l'économie américaine et le référendum britannique sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne en 2016.

Comme le souligne l'Agence France Trésor dans ses réponses au questionnaire de votre rapporteur spécial, « les réactions des banques centrales à ces incertitudes ont également profité aux obligations souveraines » dans la mesure où la Banque du Japon a poursuivi ses achats d'actifs et abaissé son taux directeur en territoire négatif en janvier 2016 et que la Banque fédérale américaine n'a procédé qu'à une unique hausse de son taux directeur, en décembre 2015. De même, au Royaume-Uni, la Banque d'Angleterre a baissé son taux directeur au début du mois d'août 2016.

Enfin, il faut noter que les nouvelles réglementations financières européennes , qui imposent aux banques et à la plupart des acteurs financiers de détenir d'importantes réserves d'actifs liquides dits « sûrs », dont font partie les titres souverains, sont très avantageuses pour les États endettés : en effet, la dette souveraine est largement considérée dans la réglementation financière comme un actif à faible risque ou sans risque . Comme le notait Danièle Nouy, alors secrétaire général de l'Autorité de contrôle prudentiel dans une note d'analyse en 2012 11 ( * ) , « tout en créant incontestablement des normes plus robustes, Bâle III ne traite pas en tant que tel le problème de la dette souveraine . En effet, le traitement réglementaire du risque souverain dans le portefeuille bancaire ne change pas et permet toujours d'attribuer, notamment, une pondération en risque nulle à la dette souveraine libellée en monnaie nationale . Le statut de la dette souveraine en tant qu'actif assorti du risque le plus faible a été maintenu ».

3. Des conséquences potentiellement désastreuses en cas de remontée des taux d'intérêt

La plupart des facteurs qui expliquent la faiblesse actuelle des taux d'intérêt sont de nature conjoncturelle et ne devraient pas durer éternellement . Ni la Fed ni la BCE ne pourront maintenir pendant des dizaines d'années leur programme d'assouplissement quantitatif.

Il est également à craindre qu'en l'absence de véritable réduction des dépenses et de réforme structurelle, la hausse de l'encours de dette et la dégradation des fondamentaux économiques de la France conduisent les investisseurs à se détourner de la dette française , obligeant l'État à se financer dans des conditions moins avantageuses.

En effet, une corrélation claire existe au sein des États de la zone euro entre l'encours de dette, le déficit budgétaire et le niveau des taux d'intérêt , comme le montrent les graphiques ci-dessous. Si la France continue de mener une politique laxiste en matière de finances publiques, il faut s'attendre à ce que les taux d'intérêt sur la dette souveraine finissent par s'adapter.

Corrélation entre le poids du déficit budgétaire dans le PIB et les taux d'intérêt sur la dette souveraine

Note : les données utilisées sont les plus récentes disponibles.

Source : commission des finances, d'après des données BCE et Eurostat

Corrélation entre le poids de la dette dans le PIB et les taux d'intérêt
sur la dette souveraine

Note : les données utilisées sont les plus récentes disponibles.

Source : commission des finances du Sénat, d'après des données BCE et Eurostat

Les conséquences budgétaires d'une hausse des taux d'intérêt seraient catastrophiques , comme le montrent les simulations réalisées par l'Agence France Trésor : une hausse des taux de l'ordre de 100 points de base à partir de 2017 conduirait à ce que la charge de la dette augmente de près de 9 milliards d'euros à horizon 2020 et de 16 milliards d'euros en 2026. Sur dix ans, l'augmentation de la charge de la dette en raison de cette seule augmentation de 100 points de base serait de 25 % par an !

Impact d'un choc de taux de 100 points de base sur la charge
de la dette maastrichtienne

(en milliards d'euros)

Note de lecture : la courbe et le taux correspondent à la croissance composée entre 2017 et 2026.

Source : commission des finances du Sénat, d'après le projet annuel de performances

Cette augmentation serait d'autant plus dangereuse pour les finances publiques qu'elle nourrirait un effet « boule de neige » : en l'absence d'excédent budgétaire, la charge de la dette alourdit encore davantage le déficit et contribue donc, par ricochet, à augmenter encore l'encours de dette souveraine.

La situation pourrait être particulièrement grave si se creusaient des différences importantes , sur le plan de la notation ou sur celui des taux d'intérêt, entre la France et les pays voisins .

Certes, une augmentation des taux d'intérêt associée à une reprise de la croissance pourrait n'avoir des effets que modérés : en principe, les théories économiques prévoient qu'un contexte de croissance plus favorable devrait se traduire par de moindres dépenses publiques, en particulier dans le domaine social. Cependant, l'histoire française montre que les dépenses publiques n'ont pas connu de réduction drastique, bien au contraire, même en période de croissance .

En outre, une augmentation des taux d'intérêt associée à une croissance stationnaire est tout à fait envisageable en cas de dégradation de la signature de la dette française.

Malgré ces risques graves, aucune politique sérieuse de réduction des dépenses n'est mise en oeuvre et la dette continue d'augmenter . Ce n'est pas une stabilisation de la dette qu'il faut viser, mais une diminution de son encours à travers un désendettement massif .

Votre rapporteur spécial considère donc que seule une politique de baisse des dépenses publiques résolue et ambitieuse, à rebours de celle que mène actuellement le Gouvernement, permettrait de faire diminuer durablement le fardeau de la dette de l'État .


* 1 Article 10 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances : « Les crédits relatifs aux charges de la dette de l'État, aux remboursements, restitutions et dégrèvements et à la mise en jeu des garanties accordées par l'État ont un caractère évaluatif. Ils sont ouverts sur des programmes distincts des programmes dotés de crédits limitatifs ».

* 2 Créé par la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013.

* 3 La norme « zéro valeur » prévoit que les dépenses du budget général de l'État et les prélèvements sur recettes, hors charge de la dette et hors contributions aux pensions des fonctionnaires de l'État, doivent être stabilisés en valeur à périmètre constant.

* 4 La norme « zéro volume » prévoit que la progression annuelle des crédits du budget général de l'État et des prélèvements sur recettes, y compris charge de la dette et dépenses de pension, doit être, à périmètre constant, au plus égale à l'évolution prévisionnelle des prix à la consommation.

* 5 Le total des dépenses de l'État s'élevant en 2017 à 388,3 milliards d'euros selon l'exposé général des motifs du projet de loi de finances pour 2017.

* 6 Cette note est attribuée à l'issue d'un audit externe.

* 7 En effet, depuis le 1 er janvier 2013, les nouveaux titres de maturité deux ans à cinq ans sont également des OAT et non plus des bons du Trésor à intérêt annuel ( BTAN ), émis jusqu'en 2013 pour des maturités comprises entre deux et cinq ans. Le dernier BTAN arrivera à échéance le 25 juillet 2017.

* 8 C'est-à-dire une obligation assimilable du Trésor dont le coupon est fixé à 0 % et qui arrivera à échéance le 25 février 2019.

* 9 OAT 1,25% 25 mai 2036.

* 10 OAT 1,75% 25 mai 2066.

* 11 Désormais présidente du conseil de supervision au sein de la Banque centrale européenne (BCE).