LOIS CONSTITUTIONNELLES, LEGISLATION, SUFFRAGE UNIVERSEL, REGLEMENT ET ADMINISTRATION GENERALE

Table des matières


- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Justice - Evolution de la responsabilité pénale et définition des délits non intentionnels - Audition de Mme Geneviève Viney, professeur à l'université de Paris

M. Jacques Larché, président, après avoir rendu hommage à l'action exemplaire des maires de France, en réponse aux récentes catastrophes naturelles, a souligné que le Sénat se devait, en tant que représentant des collectivités locales, d'être attentif aux conditions de mise en oeuvre de la responsabilité des élus locaux.

M. Christian Poncelet, président du Sénat, a considéré qu'il revenait au Sénat, en tant que défenseur des collectivités locales, de prendre des initiatives en faveur des élus exposés à des poursuites pénales. Il a souligné qu'il convenait, dans le souci d'éviter une justice à deux vitesses, d'envisager la question dans sa globalité et de proposer des solutions s'adressant à l'ensemble des décideurs et à tous les citoyens afin de déterminer les comportements susceptibles de relever du droit pénal.

M. Jacques Larché, président, a également considéré qu'il convenait d'aborder la question de la responsabilité des décideurs en dehors de toute idée de privilège ou de discrimination.

La commission a ensuite procédé à l'audition de Mme Geneviève Viney, Professeur à l'université de Paris I.

Mme Geneviève Viney a rappelé que la multiplication des accidents du travail et des accidents de la circulation avait été à l'origine du développement de la répression des délits non intentionnels, mais que la conjonction du progrès technologique et de l'évolution des comportements avait eu pour conséquence un alourdissement excessif de la mise en jeu de la responsabilité pénale des décideurs.

Elle a observé que le législateur avait favorisé cette évolution en introduisant systématiquement dans les textes des sanctions pénales pour des délits non intentionnels, principalement en matière de consommation, d'environnement et de concurrence, et que les victimes elles-mêmes, en dehors de tout esprit de vengeance, engageaient souvent une action pénale de préférence à une action civile en raison de son moindre coût et des facilités qu'elle procurait s'agissant de l'administration de la preuve.

Elle a indiqué que cette évolution, génératrice d'un profond malaise, avait dans un premier temps concerné le secteur privé, sans être freinée par les dispositions de la loi de 1976 limitant la responsabilité du chef d'entreprise du fait des accidents du travail, et que, une fois la décentralisation intervenue, elle avait touché le secteur public.

Abordant les moyens de remédier au malaise constaté, Mme Geneviève Viney a en premier lieu exclu, comme l'avaient fait M. Jean Massot, dans son rapport, ainsi que M. Pierre Fauchon, dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, toute idée d'accorder une immunité spécifique aux élus, solution que le législateur avait évitée au moment du vote de la loi du 13 mai 1996 modifiant l'article 121-3 du code pénal et qui encourrait vraisemblablement la censure du Conseil constitutionnel pour rupture du principe d'égalité.

Elle a passé en revue des solutions devant permettre d'éviter, d'une part, des condamnations injustifiées des décideurs et, d'autre part, la multiplication des poursuites pénales à leur encontre.

Pour éviter les condamnations injustifiées, elle a considéré qu'il conviendrait, d'une part, de revoir la définition générale des délits non intentionnels figurant à l'article 121-3 du code pénal, ainsi que celle des délits spécifiques d'homicide et de blessures involontaires et, d'autre part, de revenir sur le principe, apparu néfaste à l'expérience, de l'identité de la faute pénale et de la faute civile.

Elle a considéré que l'introduction, opérée en 1996 à l'article 121-3 du code pénal, de la disposition exonérant la responsabilité d'un auteur de faits ayant accompli les diligences normales, compte tenu de la nature de ses fonctions, de ses compétences et des moyens dont il disposait, n'avait pas atteint son but, n'ayant pas conduit les juges à modifier leur interprétation du délit non intentionnel. Elle a estimé que cette rédaction ambiguë pourrait être interprétée, au contraire, comme imposant des exigences complémentaires aux décideurs.

Mme Geneviève Viney a donc proposé une nouvelle rédaction du troisième alinéa de l'article 121-3 faisant référence à la connaissance du risque par le prévenu et à la possibilité qu'il avait d'en éviter la réalisation. Elle a souligné que cette modification ferait supporter à l'accusation la charge de la preuve de la connaissance du risque par le décideur et de la possibilité pour celui-ci de l'éviter. Se déclarant consciente du caractère drastique de cette proposition, elle a présenté une solution alternative ayant pour conséquence de mettre à la charge de l'accusation la preuve que le prévenu avait été en mesure de connaître le risque in abstracto.

S'agissant des délits d'homicide et de blessure involontaires, prévus respectivement aux articles  221-6 et 222-19 du code pénal, elle a souligné que le caractère très large des infractions définies à ces articles avait été aggravé par la jurisprudence, la Cour de cassation n'exigeant aucun lien de causalité direct entre la faute et les dommages intervenus et incriminant une simple abstention des décideurs face à un état de fait dont ils n'avaient pas conscience.

Mme Geneviève Viney s'est néanmoins déclarée défavorable aux propositions de M. Pierre Fauchon et du groupe d'étude présidé par M. Jean Massot exigeant une faute simple en cas de causalité directe et une faute qualifiée en cas de causalité indirecte, estimant, d'une part, qu'il serait très difficile de mettre en place une jurisprudence cohérente sur la base d'une notion de causalité apparaissant fuyante et que, d'autre part, le resserrement de la causalité ne permettrait pas d'atteindre le but poursuivi.

Elle a donné sa préférence à une solution distinguant entre l'imprudence active, résultant de l'exercice personnel d'une activité, et l'imprudence passive, résultant d'une surveillance insuffisante sur des personnes ou des installations conduisant à une absence de réaction à un danger. Elle a proposé, en outre, de supprimer l'incrimination de la maladresse et de l'inattention.

Soulignant que le principe de l'identité entre la faute pénale et la faute civile, unanimement critiqué, conduisait le juge pénal à prononcer des condamnations pour préserver le droit à indemnisation des victimes sur le plan civil, Mme Geneviève Viney a considéré que le législateur devrait, sans attendre un éventuel revirement de jurisprudence, préciser que la faute pénale pouvait être distincte de la faute civile ou que l'appréciation portée par le juge pénal laissait toute liberté au juge saisi d'une action civile.

Mme Geneviève Viney a ensuite ouvert plusieurs pistes pour limiter les poursuites à l'encontre des décideurs.

Sur le plan du droit pénal, elle a considéré qu'un recours accru à la responsabilité des personnes morales pourrait limiter la mise en cause des personnes physiques même si, juridiquement, ces responsabilités n'étaient pas exclusives l'une de l'autre. Constatant que la responsabilité pénale des personnes morales était rarement mise en oeuvre, elle a préconisé la suppression du 2e alinéa de l'article 121-2 du nouveau code pénal ne permettant l'engagement de la responsabilité pénale des collectivités territoriales que pour les infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public. Elle a en outre proposé de permettre la mise en jeu de la responsabilité de l'Etat. Elle s'est en revanche déclarée défavorable à la solution préconisée par l'Association des maires de France, imposant de poursuivre la personne morale avant la personne physique.

Sur le plan procédural, elle a souhaité l'harmonisation des procédures civile et pénale, afin d'éviter que les victimes ne trouvent un avantage à engager une action pénale en lieu et place d'une action civile. Elle a ainsi envisagé un accroissement des pouvoirs d'instruction du juge civil, la prise en charge par l'Etat du coût des expertises et l'extension du domaine du référé-provision. Elle s'est, en revanche, déclarée défavorable à une limitation du droit de se constituer partie civile mais a considéré que serait bienvenu le développement, préconisé par le groupe d'étude présidé par M. Jean Massot, de solutions permettant d'éviter ou d'améliorer la mise en examen, tels la procédure de témoin assisté, la motivation des décisions de mise en examen ou le recours à des procédures disciplinaires en lieu et place des procédures pénales.

En conclusion, après avoir insisté sur l'extrême difficulté de trouver un juste équilibre entre le souci de ne pas accabler les décideurs par la menace d'une pénalisation excessive et celui d'éviter un relâchement de la prudence dans des activités mettant en cause la sécurité des personnes, elle a souligné la nécessité de respecter le principe d'égalité devant la loi pénale.

Audition de M. Jean Pradel, professeur à l'université de Poitiers

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La commission a ensuite entendu M. Jean Pradel, professeur à l'université de Poitiers.

Après avoir observé que, si le sujet retenu concernait de façon générale l'évolution de la responsabilité pénale et la définition des délits non intentionnels, en réalité la situation des élus et des décideurs publics apparaissait comme retenant davantage l'attention, M. Jean Pradel a estimé que l'accroissement du nombre des condamnations, en particulier celles atteignant les maires, occasionné par les transferts de compétences résultant des lois de décentralisation, la multiplication des organismes de contrôle tels que le service central de prévention de la corruption ou encore le développement d'un climat général favorable à la pénalisation, justifiait de conduire une réflexion sur la pertinence du dispositif applicable en matière de délits non intentionnels. Il s'est félicité que la proposition de loi déposée par M. Pierre Fauchon et les conclusions du groupe d'étude présidé par M. Jean Massot n'aient pas préconisé de restaurer une protection spécifique pour les décideurs publics, solution contestable d'un point de vue tant politique que juridique.

M. Jean Pradel s'est interrogé sur la possibilité d'atteindre cet objectif de protection des élus et des fonctionnaires territoriaux en modifiant les critères de définition des délits non intentionnels. Après avoir rappelé que le code pénal de 1994 n'exigeait pas de lien direct entre la faute commise et le préjudice subi et faisait de la faute délibérée une circonstance aggravante, il a considéré que la loi du 13 mai 1996, prévoyant que l'imprudence ne devait pas être reconnue lorsque l'agent avait accompli des diligences normales compte tenu de ses compétences et des pouvoirs et moyens qui lui étaient dévolus, et donc théoriquement favorable aux maires, n'avait pas permis d'endiguer l'augmentation du nombre des condamnations et avait tout au plus favorisé une motivation plus circonstanciée des décisions des juges du fond.

Constatant que la proposition de loi de M. Pierre Fauchon, comme le rapport de M. Jean Massot, prenaient en considération la nature du lien entre la faute et le préjudice, pour sanctionner la faute d'imprudence ordinaire dans l'hypothèse d'un lien de causalité direct et pour exiger une faute manifestement délibérée, dans la proposition de loi, ou une faute grave, dans les conclusions du groupe d'étude, lorsque ce lien est indirect, M. Jean Pradel a estimé illogique de mettre en rapport la nature du lien de causalité et le type de faute. Soulignant qu'il n'existait pas de critère précis permettant de qualifier un lien de causalité comme étant direct ou indirect, il a exprimé la crainte que le juge ne joue de cette latitude d'appréciation pour atteindre l'objectif souhaité par lui, la simple qualification de lien direct dans l'hypothèse d'une causalité pourtant lointaine lui permettant de condamner plus aisément et d'accorder réparation. Il a estimé que les deux propositions, en laissant une trop grande liberté au juge répressif dans la détermination des éléments de l'infraction, contrevenaient au principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines et s'exposeraient à la censure du Conseil constitutionnel.

M. Jean Pradel a suggéré de fonder plutôt la distinction sur l'appréciation de la situation du prévenu, selon qu'il aurait agi pour rechercher un avantage ou, au contraire, bénévolement, dans l'intérêt d'autrui ou d'une collectivité. Dans le premier cas, il a estimé que la responsabilité devait être reconnue quelle que soit la qualification du lien de causalité ou de la faute ; dans le second, il a affirmé la nécessité d'exiger un lien direct et une faute délibérée. Il a indiqué que cette solution s'inspirait du régime applicable, en droit civil, à la gestion d'affaires.

Puis M. Jean Pradel s'est interrogé sur les autres moyens susceptibles de renforcer la protection des élus et des fonctionnaires territoriaux en distinguant les solutions générales, applicables à l'ensemble des justiciables, des solutions spécifiques.

Concernant les solutions générales, après avoir écarté le raisonnement fondé sur la distinction entre faute civile et faute pénale, il a évoqué la possibilité de limiter la recevabilité des constitutions de partie civile en exigeant que le demandeur établisse la réalité du préjudice. Il a cependant reconnu que cette dernière orientation s'écartait des solutions résultant de la jurisprudence. Il s'est en outre déclaré défavorable à une motivation de la mise en examen, qui pourrait conduire à faire d'une mesure d'instruction un acte juridictionnel.

Concernant les solutions spécifiquement applicables aux décideurs publics, il a réfuté la proposition résultant des amendements de MM. Michel Charasse et Alain Vasselle, présentés au Sénat au mois de juin 1999, tendant à exiger du procureur qu'il sollicite l'autorisation préalable du juge administratif avant d'engager des poursuites. Il s'est en revanche déclaré favorable à la possibilité de mettre en cause la responsabilité pénale des communes, personnes morales, dans l'hypothèse où l'élu n'aurait pas commis de faute délibérée et a suggéré d'imaginer des sanctions alternatives, telles que la suspension des fonctions pour le maire.

Après avoir conclu à l'existence de solutions permettant de protéger les élus et les fonctionnaires territoriaux, M. Jean Pradel a souligné la nécessité de développer les moyens de procédure et de ne pas créer de régime de responsabilité spécifique au bénéfice d'une catégorie privilégiée.

Audition de M. Jean Massot, Président de la section des finances au Conseil d'Etat, Président du groupe d'études sur la responsabilité pénale des décideurs publics

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La commission a ensuite entendu M. Jean Massot, président de la section des finances au Conseil d'Etat, président du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics.

M. Jean Massot a tout d'abord indiqué que le groupe d'étude, dans le même esprit que la proposition de loi présentée par M. Pierre Fauchon, avait proposé de réduire le champ des délits non intentionnels. Il a relevé qu'une telle mesure pourrait résulter soit d'une modification des articles 221-6 et 222-19 du code pénal relatifs aux délits pour homicide ou blessures involontaires, soit de l'article 121-3 du même code qui fixait les principes généraux de la responsabilité pénale ou encore d'une combinaison de ces différentes modifications.

Réagissant aux suggestions précédemment exposées par certains intervenants, M. Jean Massot a fait observer qu'il serait difficile d'opérer une distinction entre des faits non intentionnels accomplis dans la recherche d'un intérêt personnel et ceux qui étaient réalisés dans le cadre du bénévolat. Il a en effet fait valoir qu'un fonctionnaire n'agissait pas de manière bénévole et que, dans ces conditions, un critère tiré de la poursuite de l'intérêt général serait plus opérationnel.

Puis M. Jean Massot a indiqué que le groupe d'étude avait suggéré d'harmoniser la rédaction de l'article 121-3 du code pénal issu de la loi du 13 mai 1996 avec celle des dispositions que la même loi avait insérées dans le code général des collectivités territoriales, qui, d'une part, faisait peser la charge de la preuve sur l'accusation et, d'autre part, faisait référence aux difficultés propres aux missions confiées à la personne dont la responsabilité pénale était poursuivie.

Abordant la question de l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales, proposée par le groupe d'étude, M. Jean Massot a indiqué qu'à titre personnel, il était défavorable à une telle disposition. Il a relevé qu'elle pourrait être mal perçue par l'opinion publique, qui pourrait la considérer comme une tentative des décideurs publics de se décharger de leur propre responsabilité. Il a en outre fait observer que l'élu, en sa qualité de représentant de la collectivité locale, se retrouverait dans le " box " des accusés. Il a noté que la sanction pénale serait en pratique supportée par le contribuable donc, le cas échéant, partiellement par la victime.

M. Jean Massot a, par ailleurs, souligné qu'il serait encore plus illusoire de rechercher une responsabilité pénale de l'Etat, n'importe quel fonctionnaire n'étant pas susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. Il a donc fait valoir que la situation des personnes morales de droit public n'était pas assimilable à celle des personnes morales de droit privé.

Considérant que la pénalisation de la vie publique avait aussi pour origine la multiplication des infractions pénales, M. Jean Massot a indiqué que le groupe d'étude avait suggéré de limiter la tendance actuelle à assortir toute obligation légale d'une sanction pénale. Il a précisé que le groupe d'étude avait souhaité un moratoire pour l'année 2000, proposition difficile à mettre en pratique mais qui méritait d'être étudiée. Il a souligné que l'obligation de convertir en euros les amendes pénales était une occasion de revoir la liste impressionnante des sanctions pénales.

M. Jean Massot a, par ailleurs, précisé que le groupe d'étude s'était intéressé au délit de favoritisme dans les marchés publics, délit qui était bien souvent à la limite du délit non intentionnel. Faisant valoir que des manquements involontaires au code des marchés publics pouvaient constituer des délits, il a indiqué que le groupe d'étude avait estimé que les manquements les moins graves pourraient être dépénalisés.

M. Jean Massot a jugé nécessaire de limiter les recours abusifs au juge pénal, d'une part, en mettant en place un meilleur contrôle de la recevabilité de la constitution de partie civile, d'autre part, en sanctionnant davantage les recours injustifiés.

M. Jean Massot a fait observer que tout en écartant l'idée de l'intervention préalable du juge administratif avant toute mise en cause pénale d'un décideur public, le groupe d'étude avait néanmoins jugé souhaitable l'intervention spontanée des autorités administratives afin d'éclairer le juge d'instruction sur les conditions de fonctionnement de l'administration.

Après avoir indiqué que le groupe d'étude avait également marqué son intérêt pour la procédure du témoin assisté qui faisait l'objet de discussions en cours devant le Parlement, M. Jean Massot a estimé que les mises en examen devraient être mieux motivées et que les droits de la défense seraient mieux assurés si les faits reprochés étaient clairement énoncés. Il a en outre considéré que, sans rétablir les dispositions supprimées en 1993, la délocalisation de certaines affaires était souhaitable comme le permettait le droit en vigueur. Il a souligné que les conditions de la garde à vue devraient être mieux proportionnées à la dangerosité des personnes concernées.

M. Jean Massot a fait valoir que le groupe d'étude avait suggéré un ensemble de mesures destinées à renforcer les procédures non juridictionnelles, notamment à travers un recours accru à la transaction et au médiateur.

Relevant que beaucoup de victimes et leurs conseils pensaient à tort pouvoir obtenir une réparation pécuniaire devant le juge pénal, alors même que la faute incriminée était une faute de service, il a estimé qu'ils devraient être mieux informés sur la compétence exclusive de la juridiction administrative dans un tel cas. Il a néanmoins reconnu certains handicaps de la juridiction administrative qui tenaient moins à sa lenteur qu'à l'insuffisance des pouvoirs d'instruction et à l'absence de faculté d'accorder des provisions, lacune qui devrait être comblée par un texte en cours de discussion.

Enfin, M. Jean Massot a fait valoir qu'il convenait de mieux armer sur le plan juridique les décideurs publics notamment par une meilleure définition des responsabilités dans le fonctionnement administratif, par une meilleure connaissance réciproque entre la fonction publique et la magistrature qui pourrait être obtenue grâce à une plus grande mobilité et enfin par l'extension aux élus des mécanismes de protection juridique, actuellement applicables aux fonctionnaires. Il a également considéré que la qualité du contrôle de légalité pourrait être améliorée tout en écartant toutes les solutions qui reviendraient au rétablissement de la tutelle à travers la délivrance d'un brevet de légalité par l'Etat. Il a plaidé pour une plus grande mobilité réciproque entre les magistrats et les fonctionnaires des préfectures.

M. Jacques Larché, président, a alors tenu à souligner que l'amendement adopté par le Sénat dans le cadre du projet de loi relatif à la présomption d'innocence et aux droits des victimes qui faisait intervenir la juridiction administrative préalablement à toute mise en cause pénale d'un décideur public, avait constitué un signal d'alarme dans un contexte où le Gouvernement n'avait pris aucune initiative pour répondre au problème crucial du développement de la responsabilité pénale des élus locaux pour des faits non intentionnels.

Répondant à M. Guy Allouche, qui s'interrogeait sur la possibilité de mettre en cause pénalement la responsabilité de l'Etat dans certains cas tels que l'effondrement d'un édifice public, M. Jean Massot a fait observer que dans le droit en vigueur, la réparation pourrait être obtenue soit de la part de l'Etat en agissant devant le juge administratif, si le dommage n'était pas imputable à la faute personnelle d'une personne physique, soit dans le cas contraire, directement auprès de cette personne devant le juge judiciaire. Il a souligné que dans un tel cas, il paraissait difficilement envisageable de rechercher la responsabilité pénale de l'Etat par le biais du ministre de l'équipement.

Audition de M. Jean-Paul Gauzes, maire de Sainte-Agathe-d'Aliermont, responsable d'un groupe de travail sur la responsabilité des élus au sein de l'Association des maires de France.

La commission a ensuite entendu M. Jean-Paul Gauzes, maire de Sainte-Agathe-d'Aliermont, responsable d'un groupe de travail sur la responsabilité des élus au sein de l'Association des maires de France.

Rappelant qu'il s'exprimait au nom de ce groupe de travail dont les conclusions ont été approuvées par le dernier congrès de l'Association des maires de France, M. Jean-Paul Gauzes a exposé les trois difficultés qui lui paraissaient être à la source du malaise concernant la responsabilité pénale des maires.

Il a considéré, en premier lieu, que les victimes ou leurs familles souhaitaient connaître la vérité sur les causes d'un accident et pouvaient estimer qu'une enquête pénale faciliterait la recherche de celles-ci. Il en a tiré la conséquence que les élus devraient s'efforcer de gérer les crises avec un souci d'une meilleure transparence vis-à-vis des victimes.

En deuxième lieu, M. Jean-Paul Gauzes a fait valoir les difficultés rencontrées par les victimes d'accidents pour bénéficier d'une indemnisation, qui devraient inciter les collectivités locales à améliorer leur réactivité à l'événement et à prendre une initiative d'indemnisation lorsqu'elles paraissaient détenir une part de responsabilité.

Il a aussi souligné l'importance pour les collectivités d'informer les personnes concernées de manière suffisamment précise sur les procédures et les délais.

En troisième lieu, M. Jean-Paul Gauzes a relevé le souhait des victimes de voir les responsables d'accidents sanctionnés et de prévenir le renouvellement de ces catastrophes.

Il a indiqué que, contrairement par exemple aux chefs d'entreprises, les maires disposaient de pouvoirs de police à caractère général, ce qui avait pour conséquence de leur conférer une responsabilité plus étendue.

M. Jean-Paul Gauzes a souligné que l'Association des maires de France ne souhaitait pas l'institution d'immunités pour les élus locaux et que ceux-ci craignaient beaucoup plus la mise en examen, perçue comme infamante, qu'une éventuelle condamnation ultérieure.

M. Jean-Paul Gauzes a suggéré que, pour permettre au juge de mener son instruction sans pour autant risquer une mise en cause injustifiée de la présomption d'innocence de l'élu qui pourrait être provoquée par sa mise en examen prématurée, le magistrat chargé de l'instruction puisse, dans un premier temps, conduire l'instruction en mettant en cause la collectivité territoriale concernée, la mise en examen de l'élu pouvant intervenir ensuite, si sa responsabilité paraissait engagée.

Il a souligné que cette étape, facultative pour le juge, ne serait pas destinée à faire obstacle le cas échéant à la mise en examen de l'élu, mais simplement à la différer afin que celle-ci n'intervienne pas avant qu'il existe pour cela des raisons sérieuses.

A M. Jacques Larché, président, qui lui demandait si sa proposition ne pourrait pas être interprétée comme créant un régime dérogatoire en faveur des élus, M. Jean-Paul Gauzes a fait valoir qu'il ne s'agirait que de prendre en compte la dimension particulière de la responsabilité du maire, fondée sur ses pouvoirs de police.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, s'est interrogé sur la procédure exacte qu'il faudrait instituer pour donner suite à la proposition de l'Association des maires de France, rappelant que, aux termes du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence tel que modifié par le Sénat, une mise en examen ne devrait être engagée que s'il existait des indices graves ou concordants.

M. Jean-Paul Gauzes a remarqué que, dans les faits et le plus souvent, les mises en examen intervenaient avant toute investigation et causaient donc aux élus un préjudice qu'aucune décision juridictionnelle ne pouvait ensuite réparer.

M. Nicolas About a observé que les pouvoirs de police du maire étaient, dans certains cas, exercés au nom de l'Etat et que, dans cette hypothèse, il était paradoxal que ce dernier ne soit pas mis en cause.

M. José Balarello a douté de l'efficacité de la procédure proposée, considérant qu'elle ne limiterait pas de manière sensible le nombre des élus mis en examen sans responsabilité personnelle.

M. Guy Cabanel s'étant également interrogé sur le caractère opérationnel du dispositif proposé, lui préférant la procédure du témoin assisté, M. Jean-Paul Gauzes a observé que celle-ci était rarement utilisée par les magistrats.

Audition de M. Serge Petit, conseiller référendaire à la Cour de cassation.

La commission a ensuite entendu M. Serge Petit, conseiller référendaire à la Cour de cassation.

M. Serge Petit
a tout d'abord présenté quelques réflexions sur l'application du texte actuel de l'article 121-3 du code pénal.

Il a estimé que la motivation des décisions, s'agissant de l'appréciation in concreto, s'était améliorée, mais restait variable en raison d'une méconnaissance par le juge judiciaire, du fonctionnement du service public et notamment des délégations de service public. Il a souligné que le contrôle de la Cour de cassation ne portait que sur la motivation et que la seule cassation intervenue jusqu'ici concernait une décision de relaxe mal motivée.

Il a en outre relevé que l'accomplissement des diligences relevait de l'appréciation souveraine des juges du fond sur les éléments de fait et échappait donc au contrôle de la Cour de cassation, au risque d'aboutir à une incohérence des jugements.

Il a ajouté qu'il n'existait pas non plus de contrôle de la Cour de cassation sur la notion de diligences, en l'absence d'une définition précise de cette notion dans les différents textes.

En conséquence, M. Serge Petit a proposé que les rédactions du code pénal et des textes de déclinaison soient harmonisées afin de permettre un contrôle de la Cour de cassation sur la notion de diligences.

Faisant observer que les dispositions de l'article 121-3 du code pénal avaient un caractère général et ne concernaient pas uniquement les infractions définies par les articles 221-6 et 222-19 du même code, il a approuvé l'absence de modification de l'article 121-3 dans la proposition de loi présentée par M. Pierre Fauchon, considérant qu'il n'y avait pas lieu d'introduire une distinction entre lien de causalité direct ou indirect et faute grave ou simple dans le texte de l'article 121-3.

Abordant ensuite le texte proposé par la proposition de loi de M. Pierre Fauchon pour les articles 221-6 et 222-19 du code pénal, M. Serge Petit a tout d'abord fait observer que le texte proposé pour l'article 221-6 visait les manquements à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou " le " règlement au singulier, alors que le texte proposé pour l'article 222-19 du code pénal visait en revanche " les " règlements au pluriel.

Sur le fond, il a souligné qu'en cas de causalité indirecte, la proposition de loi tendait à restreindre le champ d'application de la faute pénale d'imprudence, à la seule violation manifestement délibérée d'une obligation imposée par la loi ou le règlement, ce qui aurait pour conséquence une dépénalisation de la violation non manifestement délibérée, la preuve du caractère délibéré ou non relevant de l'appréciation souveraine du juge du fond, sans contrôle de la Cour de cassation. Il a estimé que ces dispositions pourraient poser un problème en cas de comportement routier dangereux.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a alors indiqué que la distinction entre causalité directe et causalité indirecte mise en place par la proposition de loi permettrait de résoudre ce problème, les accidents de la circulation relevant généralement d'un lien de causalité directe.

M. Serge Petit a ensuite posé la question de savoir si, en présence d'un lien de causalité indirecte, il pourrait exister des imprudences ou négligences qui ne résulteraient pas d'une violation (même non délibérée) d'une obligation légale ou réglementaire et dont la gravité exigerait un recours à la voie pénale. Il a précisé que selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, il existait effectivement de telles éventualités pouvant conduire à un risque de dépénalisation. Il a à cet égard évoqué différents exemples, à savoir un chirurgien négligent qui omettrait de prévenir l'équipe de suivi postopératoire du risque de complications au réveil du patient, un chasseur qui abandonnerait son arme chargée près d'une école, un voyageur qui tirerait intempestivement le signal d'alarme dans un train et, plus généralement, tous les " comportements antisociaux ".

M. Serge Petit a suggéré d'associer d'une part le lien de causalité direct et la faute simple et d'autre part le lien de causalité indirect et la faute grave ou lourde, en laissant le soin aux tribunaux de définir la notion de faute grave sous le contrôle de la Cour de cassation, admettant toutefois qu'il en résulterait une insécurité juridique provisoire jusqu'à la définition par la jurisprudence des critères de la faute grave.

Sur ce dernier point, M. José Balarello a rappelé que la notion de faute inexcusable était déjà définie en droit social.

M. Serge Petit a en outre estimé qu'il y aurait un risque de dépénalisation des infractions commises par des chefs d'entreprise en matière d'hygiène et de sécurité, pour lesquelles la faute est souvent en relation indirecte avec le dommage et n'est pas toujours une faute grave. Il a relevé que la relaxe de l'employeur aurait alors des répercussions sur la qualification de sa faute au titre de l'accident du travail.

S'agissant de la modification proposée de l'article 121-2 du code pénal relatif à la responsabilité des personnes morales, M. Serge Petit a tout d'abord souligné que le juge judiciaire, de même d'ailleurs que le Conseil d'Etat, était très mal à l'aise quant à la définition des activités " susceptibles " de délégation de service public. Il a constaté que la suppression proposée de cette notion dans le texte de l'article 121-2 aurait pour conséquence de soumettre l'ensemble des activités de puissance publique au contrôle du juge judiciaire, ce qui était considéré par le Conseil d'Etat comme une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. Il a cependant fait observer que le texte actuel n'opérait une restriction de la responsabilité pénale aux activités susceptibles de faire l'objet d'une délégation de service public que pour les seules collectivités territoriales et non pour les établissements publics et que le principe de la séparation des pouvoirs avait donc déjà été violé. Dès lors, il a estimé que l'on pourrait envisager d'introduire la responsabilité pénale de l'Etat.

Après avoir rappelé que la responsabilité pénale de la personne morale n'exonérait pas celle de son représentant, M. Serge Petit a évoqué l'idée formulée par le groupe d'étude présidé par M. Jean Massot de distinguer d'une part, les comportements relevant de la simple maladresse ou de l'imprudence, pour lesquels l'article 121-2 resterait inchangé et, d'autre part, les comportements relevant d'un manquement à une obligation légale ou réglementaire, pour lesquels on pouvait envisager une première hypothèse de simple violation de la loi ou du règlement dans laquelle la responsabilité de la personne morale serait engagée prioritairement, et une deuxième hypothèse de violation délibérée de la loi ou du règlement dans laquelle la responsabilité de la personne morale ne pourrait être engagée. Il a souligné que cette solution avait pour objectif d'inciter à la poursuite de la seule personne morale en cas de simple imprudence.

Par ailleurs, M. Serge Petit a suggéré une autre piste qui consisterait à modifier l'article 1383 du code civil suivant une proposition présentée par Me Moore dans la Gazette du Palais, afin de substituer la responsabilité civile de la personne morale de droit public à la responsabilité civile de l'élu et du fonctionnaire en cas de dommage par imprudence. Il a à cet égard rappelé que la loi du 5 avril 1937 relative à la responsabilité des membres de l'enseignement et la loi du 31 décembre 1957 relative aux accidents causés par des véhicules avaient déjà opéré une telle substitution, le jugement étant alors confié aux tribunaux judiciaires.

Il a fait valoir que cette solution présenterait différents avantages, à savoir notamment une protection accrue des décideurs publics, une meilleure indemnisation des victimes, une procédure simplifiée s'agissant des intérêts civils, et qu'elle pourrait permettre d'éviter plus souvent la voie pénale ainsi qu'on avait pu le vérifier s'agissant des instituteurs.

M. Serge Petit a enfin évoqué la possibilité de mettre en place une loi d'indemnisation spécifique, faisant référence à la loi de 1985 concernant les accidents de véhicules.

M. Jacques Larché, président, a considéré cette dernière proposition intéressante.

M. Robert Badinter a souligné qu'une distinction entre, d'une part, lien de causalité direct et faute simple et, d'autre part, lien de causalité indirect et faute lourde permettrait d'assurer un contrôle de la Cour de cassation.

M. José Balarello a rappelé que 40 % des maires ne voulaient plus se représenter aux prochaines élections, en raison du risque pénal mais aussi des risques pour leur patrimoine personnel. Il a estimé qu'il était anormal d'appréhender le patrimoine personnel d'un maire en cas de faute détachable du service.

M. Serge Petit a alors fait observer que le législateur n'avait pas hésité à modifier l'article 1384 du code civil au sujet de la responsabilité des instituteurs, en dépit du principe de la séparation des pouvoirs.

En réponse à M. Jacques Larché, président, M. Serge Petit a de nouveau estimé qu'un chirurgien qui omettrait de prévenir l'équipe de suivi postopératoire des risques de complications, pouvait actuellement être poursuivi sur le plan pénal alors qu'il ne pourrait plus l'être dans le nouveau système.

M. Robert Badinter ayant estimé qu'il s'agirait alors d'une faute grave, M. Serge Petit a noté qu'en revanche, elle ne serait pas " manifestement délibérée ".

M. Jean-Louis Lorrain a souligné qu'il s'agirait d'une faute professionnelle et qu'en tant que médecin, il ne comprenait pas le problème posé.

M. Nicolas About a également considéré qu'il s'agirait d'une faute grave bien que non délibérément intentionnelle.

Audition de Maître Jean-René Farthouat, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats à la Cour de Paris.

La commission a ensuite entendu Me Jean-René Farthouat, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats à la Cour de Paris.

Me Jean-René Farthouat a tout d'abord estimé que certaines des propositions formulées par les orateurs précédents ressemblaient davantage à des " usines à gaz " qu'à des solutions véritablement opérationnelles au problème de la pénalisation croissante de la société. Il a fait valoir que la question avait jusqu'à présent été abordée de manière très théorique et qu'il fallait garder à l'esprit que certaines considérations purement juridiques n'étaient même pas évoquées au cours des procès pénaux. Il a indiqué qu'à titre personnel, il n'avait jamais eu l'occasion de plaider sur la différence entre la théorie de l'équivalence des conditions et la théorie de la causalité adéquate.

Me Jean-René Farthouat a souligné qu'en règle générale, les juridictions recherchaient simplement si une faute avait été commise. A cet égard, il a rappelé que la faute était le fait de faire quelque chose que l'on n'aurait pas dû faire ou de ne pas faire quelque chose que l'on aurait dû faire. Il a évoqué l'exemple des cages mobiles de football, observant qu'en cas d'accident, les juges estimaient simplement que la cage aurait dû être fixée au sol et qu'il était de la responsabilité du maire de le faire. Il a observé que la question des délits non intentionnels pouvait être assez bien illustrée par la situation de l'enfant qui, après une faute, met en avant le fait qu'il ne l'a pas fait exprès et à qui ses parents répondent qu'il sera néanmoins puni afin qu'il fasse davantage attention plus tard. Il a estimé que le raisonnement du juge pénal face aux délits non intentionnels était à peu près le même.

Me Jean-René Farthouat a alors exprimé la crainte qu'une tentative d'encadrement plus rigoureux de la définition des délits non intentionnels ne soit vouée à l'échec. A propos de la causalité directe ou indirecte, il a souligné qu'il ne s'agissait que d'un problème de motivation et que les juges trouveraient toujours le moyen de considérer qu'une faute était en lien direct avec le dommage. Il en a déduit que cette distinction risquait d'avoir des effets décevants. Il a estimé que la distinction proposée par M. Jean Pradel entre l'individu qui recherche son propre intérêt et celui qui agit en faveur de l'intérêt général risquait d'être encore moins opérationnelle.

Me Jean-René Farthouat a alors évoqué les autres solutions envisagées pour remédier aux mises en cause de plus en plus fréquentes des décideurs publics. Il a estimé qu'une extension de la responsabilité pénale des personnes morales ne serait en pratique d'aucune efficacité. Il a observé que les juges n'utilisaient qu'avec beaucoup de réticence les dispositions du code pénal relatives à la responsabilité pénale des personnes morales. Il a souligné que les juges recherchaient d'abord la responsabilité individuelle et que le régime de responsabilité des personnes morales leur paraissait trop complexe.

Evoquant la proposition formulée par le groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics de ne créer aucune infraction pénale nouvelle au cours de l'année 2000, il s'est déclaré extrêmement sceptique. Il a fait valoir que l'indignation provoquée par le moindre accident poussait les citoyens, mais aussi les élus, à réclamer un renforcement de la législation pénale. Il a ainsi noté que la récente pollution provoquée par le naufrage du pétrolier Erika avait conduit à des demandes de renforcement des dispositions pénales.

Me Jean-René Farthouat a indiqué que tout le monde évoquait la nécessité de limiter le recours au juge pénal, mais qu'il était en pratique très difficile d'arriver à des résultats concrets sur ce sujet. Il a estimé que ce n'était pas l'esprit de vengeance qui poussait les victimes à recourir au juge pénal, mais le sentiment que la sanction pénale était une compensation au moins partielle au préjudice subi. Il a observé qu'il serait sans doute opportun d'améliorer le recours civil en ce qui concerne les décideurs publics. Il a en effet considéré que la procédure devant le juge administratif était trop longue et trop complexe ce qui pouvait expliquer les réticences des victimes et de leurs conseils à y recourir.

Me Jean-René Farthouat a alors évoqué la garde à vue pour souligner qu'il serait certes opportun, comme l'a proposé le groupe d'étude sur la responsabilité des décideurs publics, de proportionner les mesures coercitives à la dangerosité de la personne interpellée, mais qu'il ne fallait guère attendre de résultats spectaculaires d'une telle évolution. Il a rappelé que si une personne venait à se suicider en garde à vue à l'aide de sa cravate alors que, contrairement aux usages, elle ne lui aurait pas été retirée, la responsabilité de la police pouvait être mise en cause. Il a en outre rappelé qu'un texte législatif imposait déjà que le port de menottes soit réservé aux individus dangereux ou risquant de prendre la fuite, mais que cette obligation n'était absolument pas respectée.

Me Jean-René Farthouat est alors revenu sur l'idée consistant à soumettre les poursuites contre les élus locaux à une autorisation préalable. Il a rappelé qu'un tel système existait déjà en matière fiscale, une commission des infractions fiscales intervenant avant les poursuites pénales. Il a exprimé la crainte qu'un tel système soit en fait très défavorable aux élus, l'autorisation préalable de poursuite risquant de valoir presque à coup sûr condamnation.

Concluant, Me Jean-René Farthouat s'est montré réservé à l'égard des tentatives pour mieux encadrer la définition des délits non intentionnels, craignant qu'en pratique, ces démarches n'aboutissent à un renforcement de la répression.

M. Robert Badinter, évoquant le comportement des magistrats face aux concepts nouveaux créés par le législateur, a rappelé que la Cour de cassation serait amenée à exercer un contrôle sur les notions de faute lourde ou légère si le législateur opérait une telle distinction dans la définition des délits non intentionnels.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a estimé qu'il n'était pas possible de ne rien faire même si les auditions montraient qu'aucune solution n'aboutirait à des résultats incontestables.

M. Jean-Paul Delevoye a demandé si, face à la difficulté d'encadrer la responsabilité pénale des élus locaux, il ne faudrait pas évoluer vers une professionnalisation des fonctions électives. Il a fait valoir que dans un tel système, les élus recevraient une formation spécifique et pourraient alors être considérés comme pleinement responsables.

Me Jean-René Farthouat a alors indiqué qu'en tant que citoyen, il pensait que les élus français ne bénéficiaient pas, par rapport à leurs homologues étrangers, d'un statut digne de ce nom. Il a estimé que les élus étaient dans une situation peu claire, n'étant ni complètement bénévoles, ni convenablement rémunérés, devant bien souvent rechercher l'exercice de plusieurs mandats pour compenser l'insuffisance des rémunérations accordées pour l'exercice de certains d'entre eux. Il a fait valoir qu'il préférerait de beaucoup des élus mieux traités et pleinement responsables.

M. José Balarello a souligné que la question de la responsabilité pénale des élus ne pouvait pas être dissociée de celle des moyens des communes. Il a indiqué que la réfection de certaines installations, telles que les stations d'épuration, était extrêmement coûteuse et que le maire risquait d'être mis en examen en cas de pollution, simplement parce qu'il ne serait pas parvenu à recueillir le financement nécessaire pour effectuer certains travaux avant que ne survienne l'accident.

M. Nicolas About a souligné que les responsabilités des maires devenaient en pratique impossible à exercer compte tenu des modifications incessantes des réglementations. Prenant l'exemple des panneaux de basket à l'origine de certains accidents, il a rappelé qu'au départ ces panneaux étaient conçus pour supporter le poids d'un ballon de basket, mais qu'il était aujourd'hui exigé qu'ils puissent résister à des tractions extrêmement fortes compte tenu de l'usage qu'en font certains jeunes. Il s'est demandé si les normes relatives à ces panneaux de basket allaient continuer à devenir de plus en plus rigoureuses après chaque accident. Il a estimé que la décentralisation s'accompagnait d'un développement sans limites de la réglementation, rendant la situation des maires de plus en plus difficile.

M. Jean-Paul Delevoye a souligné que 75 départements étaient actuellement sinistrés à la suite de la tempête de décembre dernier et de la marée noire. Il s'est demandé si des accidents pouvant survenir aux bénévoles intervenant pour lutter contre la marée noire ou à des promeneurs circulant dans des forêts où certains arbres menacent encore de tomber ne risqueraient pas d'entraîner une mise en cause pénale des élus locaux.

Me Jean-René Farthouat a convenu que le risque existait, mais qu'il paraissait difficile de rentrer dans un système de limitation de la responsabilité pénale.

M. Yves Fréville a souligné qu'un maire sur dix avait été condamné ou mis en examen dans sa circonscription et a observé que les motivations des jugements donnaient à penser que les maires devraient maîtriser tous les événements survenant sur le territoire de leur commune.

Audition de M. Jean-Jacques Mengelle-Touya, président, et M. Jacques Bresson, délégué général de la Fédération nationale des victimes d'accidents collectifs.

La commission a enfin entendu M. Jean-Jacques Mengelle-Touya, président et M. Jacques Bresson, délégué général de la Fédération nationale des victimes d'accidents collectifs.

M. Jean-Jacques Mengelle-Touya a tout d'abord réfuté certains arguments avancés à l'appui d'une évolution de la législation sur la responsabilité pénale et la définition des délits non intentionnels.

Evoquant le souhait des victimes d'être indemnisées, qui serait à l'origine d'une mise en cause trop fréquente de la responsabilité des élus, M. Jean-Jacques Mengelle-Touya a considéré que telle n'était pas leur motivation principale, en particulier en cas de décès d'un enfant, estimant néanmoins légitime que les victimes puissent obtenir réparation du préjudice moral et n'aient pas à assumer les frais de la recherche des responsabilités.

S'agissant du désir de vengeance des victimes qui serait masqué derrière un souci de prévention, M. Jean-Jacques Mengelle-Touya a fait valoir qu'il fallait plutôt y voir un sentiment humain compréhensible et que leur volonté d'éviter la reproduction d'accidents ne pouvait être considérée ni comme un prétexte, ni comme une fiction.

Il a observé que la participation de représentants des victimes dans les organes consultatifs relatifs à l'établissement de règles de sécurité pouvait s'avérer fructueuse, citant l'exemple de la commission sur la sécurité des établissements scolaires où ces représentants avaient pu obtenir la reconnaissance préalable des sites de sortie des élèves, l'organisation de réunions d'information des parents sur les activités proposées ainsi que la possibilité pour le personnel accompagnant de prévenir directement les services de secours en cas d'accident.

M. Jean-Jacques Mengelle-Touya a souligné que les tribunaux étaient généralement saisis par les Parquets et que les victimes ne se constituaient qu'ensuite partie civile.

Il a fait observer que les 800 élus faisant l'objet de poursuites pénales ne l'étaient pas, dans la plupart des cas, à la suite d'accidents collectifs, puisque les poursuites engagées pour ce motif depuis quelques années concernaient 35 catastrophes et 6 élus dont 3 ont été condamnés.

Enfin, M. Jean-Jacques Mengelle-Touya a relevé que, le plus souvent , il n'était prononcé que des condamnations légères contre les responsables directs d'accidents, sans que les élus ou les personnes morales aient subi de condamnation, jugeant donc inopportun de modifier des règles qui n'avaient pas entraîné de poursuites inconsidérées contre les élus.

M. Jacques Bresson s'est demandé si les modifications proposées de la législation pénale, tout en ayant un caractère général, n'étaient pas formulées qu'au vu de la seule situation des décideurs publics.

Soulignant que les citoyens souhaitaient que la justice soit rendue, il a considéré qu'il n'était pas nécessaire pour cela de modifier la loi.

Evoquant ensuite l'accident ferroviaire survenu à la gare de Lyon en 1988, qui avait provoqué 56 morts et 57 blessés, il a souligné que les condamnations n'avaient frappé que les agents des transports à l'origine directe du drame et a estimé que, faute d'une instruction sur l'ensemble des circonstances ayant rendu cet accident possible, toutes ses causes n'avaient pas réellement été analysées.

M. Jacques Bresson a considéré comme limitant le champ de recherche des responsabilités l'institution par le nouveau code pénal en 1994 du délit de mise en danger d'autrui et de la responsabilité des personnes morales. Il a regretté que les tribunaux se cantonnent trop souvent à la détermination de la cause directe des accidents, alors qu'il conviendrait aussi d'examiner la responsabilité de toute personne ayant une part de responsabilité.

Estimant que les sanctions infligées étaient généralement très éloignées du maximum prévu par la loi, il a considéré qu'une justice trop clémente ne protégeait pas suffisamment les citoyens et rappelé que les catégories de personnes susceptibles d'être mises en cause à la suite d'un accident n'étaient pas toutes élues, citant en particulier les enseignants, les médecins, et les chefs d'entreprise.

M. Jacques Bresson a souligné que les élus n'étaient ni poursuivis, ni condamnés de manière systématique puisque chaque année, en moyenne, on comptait un maire sur 3.000 mis en examen à la suite d'un homicide involontaire et un maire sur 10.000 condamné pour le même motif.

Il a souhaité le maintien de la législation pénale en vigueur considérant que la société reposait sur la responsabilité individuelle de chacun, y compris les divers détenteurs de responsabilités sociales, relevant que les chefs d'entreprises ne refusaient pas de répondre de leurs actes en cas d'accidents du travail.

M. Jacques Bresson a illustré par divers exemples la difficulté qu'il y avait à distinguer de manière certaine les causes directes et indirectes d'un accident, soulignant qu'en se limitant à la poursuite des responsables directs, on se privait de la possibilité de comprendre toutes les circonstances ayant concouru à une catastrophe et d'éviter sa reproduction.

Il a considéré qu'une recherche de toutes les responsabilités d'une catastrophe pouvait seule permettre aux victimes d'éprouver le sentiment d'avoir tout fait pour honorer la mémoire des victimes et d'accomplir le travail de deuil nécessaire.

M. Nicolas About a exposé que dans l'avalanche des Orres de janvier 1998, les enfants auraient été protégés s'ils s'étaient trouvés sur le territoire d'une commune dont le maire avait pris un arrêté d'interdiction d'emprunter les pistes.

Il a souligné que l'intervention d'un établissement public de coopération intercommunale dans la construction d'une école n'exonérait pas la responsabilité du maire et constaté qu'en dépit de son pouvoir de substitution, le préfet était rarement mis en cause à la suite d'un accident.

M. Nicolas About, soulignant qu'en cas de mise en cause de leur responsabilité les élus subissaient une double sanction, pénale et électorale, a estimé urgent l'établissement d'un véritable statut de l'élu qui pourrait changer les données du problème.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a précisé que la distinction qui serait faite entre la causalité directe et la causalité indirecte d'un accident n'exclurait en aucune manière les investigations du juge d'instruction sur les responsabilités indirectes.

Jeudi 20 janvier 2000

- Présidence de M. Jacques Larché, président.

Justice - Définition des délits non intentionnels - Examen du rapport

La commission a procédé, sur le rapport de M. Pierre Fauchon, à l'examen de la proposition de loi n° 9 rectifié (1999-2000), tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.

M. Pierre Fauchon, rapporteur,
s'est tout d'abord félicité de la haute tenue des auditions publiques organisées la veille par la commission sur le thème de la responsabilité pénale, observant que ces auditions avaient confirmé la complexité du problème à résoudre. Il a souligné qu'en tout état de cause, il serait vain pour le législateur de légiférer en croyant régler de manière incontestable tous les cas particuliers. Il a observé que, quelles que soient les rédactions retenues, la jurisprudence serait chargée de l'application aux situations particulières.

Le rapporteur a alors indiqué que des élus et notamment des maires étaient fréquemment poursuivis par le juge pénal pour des délits non intentionnels, alors qu'ils n'avaient à l'évidence pas les moyens de savoir en temps réel tout ce qui se passe sur le territoire de leur commune. Il a fait valoir que cette situation n'était plus acceptée et qu'un mouvement spontané était né pour protester contre cette montée du risque pénal, notamment à l'occasion du dernier congrès des maires de France.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a rappelé qu'en principe, il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre et que les délits d'imprudence ou de négligence étaient une exception à ce principe général. Il a fait valoir que la faute civile et la faute pénale étaient définies en termes quasiment identiques dans le code civil et dans le code pénal, de sorte que la Cour de cassation en avait déduit en 1912, après avoir soutenu le contraire pendant un siècle, que ces fautes étaient identiques. Il a estimé que cette identification avait eu des conséquences graves, le juge pénal étant conduit à condamner pour ce que le professeur Pirovano avait qualifié de " poussières de fautes " afin que la victime puisse recevoir une réparation. Il a souligné que les objectifs de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale n'étaient pourtant pas les mêmes, la responsabilité civile tendant à permettre la réparation des dommages causés, la responsabilité pénale visant à défendre les valeurs ou les intérêts de la société.

Le rapporteur a estimé qu'il était temps de mettre fin à l'identité entre la faute civile et la faute pénale. Il a observé que la législation et la jurisprudence étaient venues largement atténuer les conséquences de cette identité. Il a alors fait valoir qu'il serait logique que seules les imprévoyances conscientes soient constitutives d'infractions pénales, et non les simples imprudences ou négligences ne comportant aucun élément intentionnel. Il a toutefois noté que le bilan extrêmement lourd des accidents de la route dans notre pays imposait de maintenir une menace forte de répression afin d'inciter chacun à la prudence maximale.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a alors précisé que les considérations précédemment énoncées l'avaient conduit à proposer de modifier la définition des délits d'homicide involontaire et de blessures involontaires afin que la responsabilité pénale puisse être engagée pour la moindre imprudence lorsque le lien entre la faute et le dommage est direct, mais seulement en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence lorsque le lien entre la faute et le dommage n'est qu'indirect. Il a souligné que, dans son esprit, la cause directe était celle qui entraînait nécessairement le dommage.

Le rapporteur a indiqué qu'il avait choisi de retenir, pour caractériser la faute en cas de lien indirect entre celle-ci et le dommage, la notion de violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence parce qu'elle était déjà employée par le code pénal dans la définition du délit de risques causés à autrui. Il a souligné que certains préféreraient employer la notion de faute lourde, mais que cette expression lui paraissait beaucoup plus imprécise.

Le rapporteur a proposé de modifier le dispositif de sa proposition de loi. Il a estimé souhaitable d'inscrire sa rédaction dans l'article 121-3 du code pénal relatif à la définition des délits, afin qu'elle s'applique à l'ensemble des délits non intentionnels, et non seulement aux délits d'homicide involontaire et de blessures involontaires.

Il a en outre estimé souhaitable de maintenir dans tous les cas la responsabilité pénale des personnes morales, même lorsque la faute n'est qu'indirectement la cause du dommage et qu'elle ne consiste pas en une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité et de prudence. Il a fait valoir que dans certains cas, il existait en effet une responsabilité diffuse d'une collectivité, d'une entreprise ou d'une association.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a ensuite proposé d'étendre la responsabilité pénale des collectivités territoriales en tant que personnes morales à l'ensemble de leurs activités, mais seulement dans les cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence. Il a rappelé que la responsabilité des personnes morales et notamment des bourgs et villages existait dans l'ancien droit et qu'il ne s'agissait donc pas d'une innovation complète du nouveau code pénal. Il a en revanche fait valoir qu'il lui paraissait difficile de concevoir que l'Etat lui-même pourrait être déclaré pénalement responsable, dans la mesure où la justice n'est qu'un des attributs de l'Etat. Il a estimé qu'en tout état de cause, une telle évolution nécessiterait une réflexion préalable très approfondie.

Concluant son propos, M. Pierre Fauchon, rapporteur, a observé que le dispositif qu'il proposait avait pour objectif de concilier l'exigence de justice formulée par les victimes avec la nécessité d'éviter que des personnes soient abusivement mises en cause pour des faits dont elles ignorent tout.

M. José Balarello a estimé indispensable de protéger les élus contre la judiciarisation de la vie publique. Il a souligné que les communes n'avaient pas les moyens de respecter toutes les normes imposées par l'Etat ou l'Union européenne. Il a fait valoir que la loi du 13 mai 1996 n'avait guère été efficace, son dispositif étant trop mesuré. Il a regretté l'abandon progressif du principe selon lequel le juge judiciaire ne devait pas s'immiscer dans les activités de l'administration.

M. Patrice Gélard a tout d'abord observé que la pénalisation croissante de la société était une dérive grave. Il a estimé que la condamnation pénale devait en principe impliquer une intention dolosive et a rappelé que dans certains droits anciens, en particulier le droit musulman, ce n'était pas la condamnation qui importait mais la réparation du dommage. Il a regretté que l'élaboration du code pénal n'ait pas été accompagnée d'une étude d'impact suffisamment précise. Il a estimé que la responsabilité pénale des personnes morales était un faux semblant et qu'elle ne pouvait être qu'une responsabilité pécuniaire.

M. Robert Bret a fait part de sa perplexité face à la proposition de loi compte tenu des auditions réalisées par la commission. Il a fait valoir que le texte proposé était partiel et partial et a estimé qu'il n'était pas cohérent de donner l'impression de refuser une réforme globale de la justice, tout en tentant de légiférer sur une question paraissant intéresser au premier chef les élus. Il s'est prononcé contre la mise en place d'un régime spécifique de responsabilité pour les élus ou le rétablissement de ce qu'on appelait les privilèges de juridiction. Il a observé que de nombreuses propositions étaient formulées, telles que la substitution éventuelle de la responsabilité d'une collectivité territoriale à celle de l'élu ou la mise en cause de l'Etat en tant que personne morale. Il s'est demandé si l'amélioration de la procédure civile ne constituerait pas une solution plus adaptée aux problèmes actuels qu'une modification du droit pénal. Il a conclu que la proposition de loi avait le mérite d'être applicable à tous les citoyens et de ne pas bouleverser le droit existant tout en estimant, qu'il n'était pas certain qu'elle constitue la meilleure solution.

M. Jacques Larché, président, évoquant l'argument avancé par M. Robert Bret selon lequel il était difficile d'évoquer les problèmes des élus locaux dans le contexte du report de la réunion du Congrès appelé à approuver le projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature, s'est déclaré convaincu que la réforme de la justice n'était pas compromise par le report du Congrès. Il a estimé qu'il était souhaitable que les deux assemblées puissent débattre en toute liberté sur les textes constituant cette réforme et a noté que le Gouvernement et l'Assemblée nationale paraissaient réserver un bon accueil aux propositions du Sénat portant sur le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence. Il a estimé qu'il était indispensable de rechercher un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur des textes aussi importants et a indiqué qu'il ferait tout pour que le projet de loi sur la présomption d'innocence soit examiné dans les meilleures conditions par le Sénat en deuxième lecture après son passage à l'Assemblée nationale.

Mme Dinah Derycke a fait part de ses interrogations sur la proposition de loi et a souligné que les auditions de la commission l'avaient davantage interpellée qu'éclairée. Elle a observé que si le Gouvernement avait déposé un projet de loi, la consultation du Conseil d'Etat aurait permis de bénéficier d'un avis juridique. Elle a rappelé que le problème de la responsabilité pénale des élus était réel, mais qu'il n'avait sans doute pas l'importance que lui attribuaient certains. Elle a exprimé la crainte que la proposition de loi soit perçue uniquement comme destinée à protéger les élus. Elle a fait valoir que l'extension de la responsabilité pénale des collectivités territoriales n'était sans doute pas la meilleure des solutions. Elle a alors indiqué que son groupe approuvait l'objectif recherché par la proposition de loi, tout en ayant encore à déterminer sa position sur les modalités proposées.

M. Nicolas About a constaté que la proposition de loi ne concernait en aucun cas les seuls élus et s'est demandé si le texte ne risquait pas d'aggraver la situation des élus. Il a souligné qu'en tant que maire, il recevait désormais régulièrement des lettres des responsables des écoles de sa commune l'informant de certains risques causés par des installations. Il en a déduit qu'en cas d'accident, il serait aisé de conclure qu'il avait été prévenu du danger et que sa responsabilité était donc engagée. Il a fait valoir que dans ces conditions, les maires seraient amenés à leur tour à envoyer des courriers pour dégager leur responsabilité en demandant aux responsables des écoles de prendre toutes mesures pour éloigner les enfants des installations dangereuses dans l'attente des délibérations municipales décidant des travaux susceptibles de mettre fin au danger.

Evoquant le comportement des victimes, M. Nicolas About a observé que celles-ci recherchaient bien plus un rappel à la loi et une désignation de tous les responsables d'une catastrophe que de lourdes condamnations. Il a estimé que les victimes souhaitaient avant tout savoir où se situaient les responsabilités.

M. Charles Jolibois a souligné que la mise en danger délibérée d'autrui avait été l'une des innovations les plus importantes du nouveau code pénal. Il a rappelé que l'élaboration de ce code avait pris de nombreuses années et s'est demandé s'il était opportun quelques années seulement après son entrée en vigueur de lui apporter des modifications ponctuelles. Il a estimé que le problème rencontré par les maires ne pouvait être nié, mais a fait valoir qu'une solution procédurale serait peut-être préférable à une modification du fond du droit pénal. Il s'est demandé s'il ne conviendrait pas de revenir au système permettant à la juridiction administrative d'examiner les plaintes contre les élus afin de déterminer s'il existait une faute détachable du service. Il a en outre souligné que la loi du 13 mai 1996 n'avait peut-être pas été totalement inutile et a indiqué que le préfet mis en cause dans le cadre de l'affaire des Thermes de Barbotan avait vu sa responsabilité pénale écartée en application de cette loi.

M. Robert Badinter a fait valoir que s'engager dans la mise en place d'un système spécifique pour les élus constituait une piste extrêmement dangereuse dans le contexte actuel et inacceptable pour l'opinion publique. Il a souligné qu'un texte faisant spécifiquement référence aux élus n'avait aucune chance de prospérer et a estimé qu'il convenait, comme l'avait proposé le rapporteur, de rechercher une solution applicable à tous. Il a évoqué la responsabilité pénale des personnes morales, soulignant qu'il avait été à l'origine de cette novation dans le code pénal et qu'il avait pris conscience de la nécessité de prévoir une telle responsabilité après une affaire dans laquelle un pont de la SNCF s'était effondré, deux ingénieurs de très grande valeur, n'ayant rien à se reprocher, ayant alors été poursuivis, puis finalement relaxés.

A propos de la proposition de loi soumise à la commission, M. Robert Badinter a jugé intéressante la distinction entre causalité directe et causalité indirecte, mais il a estimé nécessaire de faire référence à la faute lourde ou à la faute grave conformément à la proposition du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics plutôt qu'à la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence. Il a soutenu que les notions de " faute lourde " ou de " faute grave " étaient bien connues des magistrats. Il a en outre proposé que les élus bénéficient du même régime que les instituteurs en matière de responsabilité civile. Il a rappelé que la loi de 1937 avait substitué la responsabilité de l'Etat à celle des instituteurs et remplacé la compétence des juridictions administratives par celle des juridictions judiciaires pour l'attribution de la réparation civile.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a tout d'abord répondu à M. José Balarello que la question des mises en cause d'élus pour atteinte à l'environnement était très importante, mais qu'il ne lui avait pas paru possible de la traiter dans son ensemble dans le cadre de la proposition de loi. Il a fait valoir que les textes concernant l'environnement étaient très dispersés et qu'une réforme sur ce sujet impliquerait l'intervention conjointe de la commission des affaires économiques et du plan.

Le rapporteur a ensuite indiqué que dans certains droits anciens, tels que la loi des douze tables, seuls les préjudices des particuliers étaient visés et non ceux que pouvait subir la société en tant que telle. Il a rappelé que, dans l'ordonnance de 1670, le principe était que les poursuites étaient exercées par les parties civiles, la poursuite par les procureurs du roi n'intervenant que subsidiairement. Il a observé qu'en fait, il avait fallu attendre le " contrat social " de Jean-Jacques Rousseau pour se rendre compte que la société avait des intérêts propres.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a ensuite souligné que, juridiquement, rien ne s'opposerait à la mise en place d'un régime spécifique pour les élus, compte tenu de leur situation particulière. Il a estimé que le principe d'égalité ne valait que pour les personnes se trouvant dans des situations comparables et qu'il ne serait pas heurté par un régime particulier de responsabilité pour les élus. Il a toutefois constaté qu'un tel système n'avait pas la moindre chance d'être retenu.

M. Robert Badinter a alors estimé que le Conseil constitutionnel ne censurerait vraisemblablement pas un régime de responsabilités propre aux élus.

La commission a alors examiné le texte proposé par le rapporteur. A propos de l'article premier tendant à modifier l'article 121-3 du code pénal, M. Robert Badinter a réaffirmé que l'utilisation du terme " faute lourde " serait plus appropriée que celui de " violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence ". Il a estimé que certains exemples montraient que le système proposé par le rapporteur risquait de conduire à une dépénalisation excessive. Il a cité le cas d'un chirurgien oubliant de prévenir l'équipe postopératoire des risques de complication ou le chasseur déposant son fusil chargé près d'une école. Il a souligné que dans ces cas, la faute était lourde, mais non manifestement délibérée. Il en a déduit que le texte proposé par le rapporteur était sans doute trop protecteur.

M. Nicolas About a indiqué que l'exemple du chirurgien ne lui paraissait guère approprié, l'anesthésiste assistant à l'opération étant responsable du suivi postopératoire des patients. Il a ajouté que si la faute provenait de l'anesthésiste, le lien serait direct.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a observé que, quelle que soit la rédaction choisie, certains exemples permettraient de démontrer que le système retenu comportait des failles. Il a toutefois indiqué qu'un chasseur déposant son fusil chargé contre le mur d'une école, alors même que les écoles sont des lieux aisément identifiables, lui paraissait commettre une imprudence délibérée. Il a exprimé la crainte que l'usage des termes de " faute lourde " ou de " faute grave " ne conduise le juge à qualifier la faute de lourde ou grave en fonction de la gravité du dommage. Il a estimé préférable de rechercher si la faute commise comportait un minimum d'intention, la conscience de faire courir un risque.

M. José Balarello a exprimé la crainte que le texte ne permette pas de résoudre le problème des élus mis en cause pour des atteintes à l'environnement.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a expliqué que le texte proposé s'appliquerait aux délits de pollution de cours d'eau et qu'il devrait donc permettre d'éviter des mises en cause abusives. Il a toutefois reconnu qu'une réflexion de plus grande ampleur devrait sans doute être conduite en matière d'atteintes à l'environnement.

M. Maurice Ulrich a soutenu la position du rapporteur en indiquant que la jurisprudence aurait sans doute tendance à interpréter le nouveau texte dans son sens le plus répressif et qu'il convenait donc d'avoir une rédaction assez ambitieuse. Il a observé qu'il n'y avait pas d'inconvénient à adopter un texte très restrictif, dès lors qu'il avait vocation à s'appliquer à tous les citoyens, et non aux seuls élus locaux.

M. Charles Jolibois a estimé préférable de reprendre, comme le proposait le rapporteur, l'expression employée pour le délit de risques causés à autrui, soulignant que ce texte était désormais bien connu.

M. Patrice Gélard a indiqué qu'il conviendrait peut-être à l'avenir de réfléchir également à la question des délais de prescription, indiquant que la fixation du point de départ du délai de prescription au jour de la constatation du dommage pouvait conduire à mettre en cause des personnes pour des faits survenus très longtemps avant.

M. Jacques Larché, président, a fait valoir que l'idée évoquée au cours des auditions de transférer le contentieux de la responsabilité civile des élus du juge administratif au juge judiciaire lui paraissait devoir être examinée avec attention.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a alors indiqué que les articles 2, 3, 4 et 5 de la proposition de loi tendaient, d'une part, à opérer un renvoi à l'article 121-3 du code pénal dans les articles relatifs à l'homicide involontaire et aux blessures involontaires, d'autre part, à harmoniser certaines rédactions dans la définition des délits non intentionnels. Il a précisé que les articles 6 et 7 avaient pour objet d'étendre prudemment la responsabilité pénale des collectivités territoriales en tant que personnes morales et de rendre facultative la désignation d'un mandataire de justice lorsqu'une personne morale et son représentant sont tous deux poursuivis. Il a enfin souligné que l'article 8 prévoyait l'application de la loi outre-mer.

La commission a alors adopté la proposition de loi dans le texte proposé par le rapporteur.

Nominations de rapporteurs

La commission a ensuite procédé à la nomination de rapporteurs pour les textes suivants :

- M. Guy Cabanel pour le projet de loi n° 2012 (A.N XIème législature), tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ; et pour le projet de loi organique n° 2013 (A.N XIème législature), tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie, de l'assemblée de la Polynésie française et de l'assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;

- M. Jean-Paul Delevoye pour la proposition de loi n° 78 (1998-1999) présentée par M. Nicolas About, visant à renforcer les moyens d'expulsion du préfet et du maire, en cas d'occupation illégale de locaux industriels, commerciaux ou professionnels par les gens du voyage.

Sécurité publique - Commission nationale de déontologie de la sécurité - Examen du rapport

La commission a ensuite procédé, sur le rapport de M. Henri de Richemont, à l'examen du projet de loi n° 480 (1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité.

M. Henri de Richemont, rapporteur,
situant le contexte où ce projet de loi était examiné, a indiqué, évoquant notamment le code de déontologie de la police nationale datant de 1986, que la déontologie avait pris, sous l'influence des travaux du Conseil de l'Europe, une importance grandissante dans les services de sécurité depuis le début des années 80 et a rappelé que la France venait d'être condamnée pour torture par la Cour européenne des droits de l'Homme.

Exposant les principales dispositions du projet de loi initial créant une nouvelle autorité indépendante, le " Conseil supérieur de la déontologie de la sécurité ", il a souligné que le champ de compétence de cette instance comprenait des acteurs publics et privés de la sécurité, que celle-ci pouvait être saisie de réclamations des citoyens par l'intermédiaire des parlementaires, qu'elle disposait d'un pouvoir d'investigation réel mais était dessaisie en cas de poursuites judiciaires et n'exerçait en définitive qu'une simple autorité morale n'étant dotée que d'un pouvoir d'avis et de recommandations sanctionné par la publication de rapports au Journal officiel.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a indiqué que l'Assemblée nationale avait notablement modifié le texte en étendant le champ de compétence de la Commission à l'ensemble des agents des collectivités territoriales et des établissements publics et aux services internes de sécurité des entreprises et en accroissant les prérogatives de la Commission nationale, cet accroissement résultant à la fois de la possibilité donnée à la Commission de poursuivre ses investigations en cas de poursuites judiciaires, de l'introduction d'un délit d'entrave à son action, et de la suppression de l'exigence de motivation des demandes de communication de documents et du préavis précédant une vérification sur place. Il a noté en outre que l'Assemblée nationale avait ajouté un membre à la composition de la Commission en prévoyant la désignation, par les autres membres, d'une personnalité qualifiée connue pour ses compétences en matière de droits de l'Homme.

M. Henri de Richemont, rapporteur, après s'être interrogé sur l'opportunité de créer une nouvelle autorité indépendante en concurrence avec la justice et le pouvoir disciplinaire et s'être demandé à quelles normes une telle instance devrait se référer en l'absence de règles déontologiques communes à l'ensemble des services de sécurité, a considéré qu'une telle commission pourrait être un recours utile aux citoyens au service d'une meilleure transparence des acteurs de la sécurité. Il a considéré que le rôle de cette commission serait complémentaire de celui du pouvoir disciplinaire et de la justice et que la saisine par l'intermédiaire des parlementaires ne pourrait que renforcer positivement les liens entre la représentation nationale et les citoyens.

Il a donc souscrit au principe de la création d'une telle instance, au demeurant bien accueilli par l'ensemble des acteurs de la sécurité, tout en proposant un certain nombre de modifications.

Soucieux d'apporter de meilleures garanties aux citoyens, M. Henri de Richemont, rapporteur, a en premier lieu proposé d'inclure l'administration pénitentiaire dans le champ de compétence de la Commission nationale, constatant que les contrôles actuels opérés sur cette administration se révélaient insuffisants et que la prison était l'endroit où la relation d'autorité pesait le plus fortement sur les personnes, alors qu'un tiers des détenus était en détention préventive et devait bénéficier de la présomption d'innocence.

Il a proposé à la commission d'adopter plusieurs autres modifications tendant à :

- prévoir la sanction des dénonciations calomnieuses effectuées auprès de la Commission sans que les parlementaires puissent être poursuivis pour complicité au titre des transmissions de réclamations effectuées ;

- préserver les droits de la défense en rétablissant l'exigence de motivation des demandes de communication de documents et celle de préavis avant une vérification sur place et en étendant les secrets pouvant être opposés à la Commission à l'ensemble des secrets protégés par la loi ;

- garantir l'efficacité de l'action de la Commission en favorisant sa continuité par un renouvellement par moitié tous les trois ans, en limitant l'incompatibilité opposable à ses membres à l'exercice, à titre principal, d'activités dans le domaine de la sécurité et en permettant à la Commission de fixer à l'autorité disciplinaire un délai pour l'informer des suites données aux transmissions d'informations effectuées par elle.

M. Maurice Ulrich a fait part de sa réticence s'agissant de la création de nouvelles autorités indépendantes, considérant que la multiplication de telles autorités était le signe d'une faillite de l'administration traditionnelle et de l'autorité des ministres, mais il a indiqué qu'en la circonstance il suivrait les conclusions du rapporteur.

M. Jean-Pierre Bel s'est déclaré opposé à l'intégration de l'administration pénitentiaire dans le champ de compétence de la Commission, faisant ressortir que cette administration, en charge de l'exécution des décisions de justice et de la réinsertion des condamnés, n'était pas considérée par la législation comme faisant partie du service public de la sécurité, d'autant plus que ses agents, non armés, n'exerçaient pas sur la voie publique.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a précisé que l'article 1er de la loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire affirmait explicitement que ce dernier participait au maintien de la sécurité publique.

M. Alex Türk a indiqué qu'il partageait les réticences de M. Maurice Ulrich concernant le principe de la création d'une nouvelle autorité indépendante. Il s'est en outre demandé s'il était réaliste d'envisager que des détenus puissent saisir la Commission par l'intermédiaire d'un parlementaire.

M. Henri de Richemont, rapporteur, a rappelé que les détenus étaient déjà susceptibles de saisir le Médiateur de la République par l'intermédiaire d'un parlementaire.

M. Jacques Larché, président, a indiqué que la saisine du Médiateur par l'intermédiaire des parlementaires donnait satisfaction.

M. Robert Bret a jugé que la création de la Commission nationale de déontologie constituait une certaine avancée répondant à un besoin des citoyens. Constatant que l'intégration de l'administration pénitentiaire dans le champ de compétence de la Commission était souhaitée par les personnels eux-mêmes, il a estimé que la question méritait d'être posée. Il s'est prononcé pour la nomination des membres de la Commission par le Parlement, à la représentation proportionnelle des groupes. Il s'est enfin déclaré favorable aux propositions du rapporteur protégeant les droits de la défense et favorisant la continuité de la Commission.

M. Charles Jolibois a considéré que les dispositions proposées relatives à la poursuite des dénonciations calomnieuses risqueraient de limiter de manière excessive les recours à la Commission.

Puis la commission a procédé à l'examen des articles.

A l'article 1er (création et champ de compétence de la Commission nationale de déontologie), la commission a adopté trois amendements tendant à :

- inclure les personnels relevant de l'administration pénitentiaire dans le champ de compétence de la Commission ;

- supprimer la mention des garde-chasse, garde-pêche et garde-forestier, par coordination avec l'extension opérée par l'Assemblée nationale de la compétence de la Commission à l'ensemble des agents des collectivités territoriales et des établissements publics ;

- préciser explicitement que les personnes exerçant des activités à titre bénévole entrent dans le champ de compétence de la Commission.

A l'article 2 (composition de la Commission nationale), la commission a adopté quatre amendements ayant pour objet de permettre le renouvellement par moitié tous les trois ans de la Commission nationale, la nomination d'une deuxième personnalité qualifiée portant à huit le nombre de membres de la Commission et un tirage au sort devant déterminer les membres dont le mandat arrivera à échéance au bout de trois ans après la première constitution de la Commission. La commission a en outre adopté un amendement limitant l'incompatibilité opposable aux membres de la Commission à l'exercice, à titre principal, d'une activité dans le domaine de la sécurité, ainsi qu'un amendement précisant explicitement qu'un député ou un sénateur réélu peut rester membre de la Commission pour la durée de fonction restant à courir après sa réélection.

A l'article 4 (saisine de la Commission nationale), la commission a adopté, outre un amendement rédactionnel, un amendement précisant que la commission nationale devait accuser réception de la saisine du parlementaire.

A l'article 5 (pouvoirs d'investigation de la Commission nationale), la commission a adopté deux amendements rétablissant la motivation, supprimée par l'Assemblée nationale, des demandes de communication des documents adressées respectivement aux personnes publiques et aux personnes privées. Elle a adopté un troisième amendement précisant que l'ensemble des secrets protégés par la loi pourrait être opposé à la Commission.

A l'article 6 (vérifications sur place), la commission a adopté un amendement limitant les vérifications sur place aux lieux où se sont déroulés les faits et rétablissant le préavis, supprimé par l'Assemblée nationale, afin de permettre aux agents concernés et à leurs supérieurs hiérarchiques ou employeurs d'être présents.

A l'article 7 (suites de la saisine), la commission a adopté un amendement supprimant la mention relative à l'information par la Commission de l'auteur de la saisine afin de la reporter dans un article additionnel après l'article 9, prescrivant cette information sur l'ensemble des suites données à la saisine.

A l'article 8 (rapports avec la justice), la commission a adopté un amendement permettant d'incriminer les dénonciations calomnieuses effectuées auprès de la Commission nationale, les parlementaires ne pouvant être poursuivis du fait de la transmission des réclamations à la Commission, et prévoyant en conséquence l'information du procureur de la République par la Commission sur de telles dénonciations. Par coordination, la commission a adopté un deuxième amendement prévoyant l'information de la Commission par le procureur de la République des suites données aux transmissions pour dénonciations calomnieuses.

A l'article 9 (rapports avec l'autorité disciplinaire), la commission a adopté un amendement imposant à l'autorité disciplinaire un délai pour l'informer des suites données aux transmissions effectuées.

Après l'article 9, la commission a adopté un amendement prévoyant l'information du parlementaire auteur de la saisine aussi bien sur les suites données aux recommandations faites par la Commission que sur celles données par la justice et le pouvoir disciplinaire.

A l'article 13 bis (délit d'entrave), la commission a adopté un amendement de rectification d'une erreur matérielle.

A l'article 14 (application dans les territoires d'outre-mer), la commission a adopté une nouvelle rédaction de l'article compatible avec les modifications constitutionnelles intervenues ou à venir concernant la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie.

La commission a approuvé l'ensemble du projet de loi ainsi modifié.

Résolutions européennes - Aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur - Examen du rapport et adoption de la proposition de résolution de la commission

La commission a enfin procédé, sur le rapport de M. Charles Jolibois, à l'examen de la proposition de résolution n° 475 (1998-1999), présentée en application de l'article 73 bis, par M. René Trégouët au nom de la Délégation pour l'Union européenne, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur (n° E.1210).

M. Charles Jolibois, rapporteur, a rappelé que la directive relative à certains aspects juridiques du commerce électronique ne régissait que les services du marché intérieur, c'est-à-dire implantés dans l'un des Quinze Etats membres de l'Union européenne.

Il a noté qu'en 1999 la France comptait cinq à six millions d'internautes et 34.000 sites commerciaux, qu'une entreprise sur deux était connectée à Internet et que le commerce interentreprises représentait 80 % du commerce électronique.

Il a indiqué que les paiements électroniques sécurisés par cryptage seraient régis par le projet de loi relatif à l'adaptation du droit de la preuve et à la signature électronique.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a présenté les grandes lignes de la proposition de directive issue de l'accord politique atteint en Conseil des ministres de l'Union européenne, réuni en formation " marché intérieur ", le 7 décembre 1999. Il a mis en évidence la place centrale dévolue au principe de la libre circulation des biens et des services, à celui de la liberté d'établissement et à l'application de la loi du pays du prestataire, remarquant que ces choix pouvaient aller à l'encontre de la protection du consommateur prévue par le droit français.

Il a regretté que les documents de travail mis à sa disposition soient rédigés en anglais, alors que l'Union européenne comptait onze langues officielles. M. Jacques Larché, président, a approuvé, soulignant que l'anglais était la langue de travail alors que les documents établis dans les autres langues résultaient d'une traduction en fin de processus.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a indiqué que le champ d'application de la directive proposée excluait les domaines de la fiscalité, le droit des ententes, les professions protégées comme celles des avocats et des notaires, et ménageait la protection due aux données à caractère personnel.

Il a indiqué que l'application des principes du marché intérieur au commerce électronique conduisait à interdire tout comportement d'un Etat-membre susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice de la libre circulation des services, soulignant que ce principe traduisait une conception anglo-saxonne du libéralisme. Il a fait part des domaines auxquels ne s'appliquerait pas pleinement les principes du marché intérieur, à savoir les droits d'auteur, l'émission de monnaie électronique, les contrats conclus par les consommateurs, les biens immobiliers et les communications commerciales non sollicitées.

S'agissant des contrats électroniques, il a remarqué que la directive proposée sur le commerce électronique complétait la directive relative aux signatures électroniques, adoptée le 30 novembre 1999, que le projet de loi portant adaptation du droit de la preuve devait partiellement transposer.

En matière de responsabilité des intermédiaires techniques, M. Charles Jolibois, rapporteur, a indiqué que, selon la directive proposée, les intermédiaires ne pouvaient être responsables des contenus illicites qu'à certaines conditions. Il a expliqué la distinction opérée entre le simple transport des données (" mere conduit "), le stockage automatique et temporaire, dit " caching ", et l'hébergement proprement dit.

Il a noté que les Etats-membres devraient transposer la directive dans les dix huit mois suivant son entrée en vigueur.

Puis il a exposé les orientations retenues par la Délégation du Sénat pour l'Union européenne. Il a remarqué que la Délégation avait dénoncé la contradiction majeure de la directive, consistant à affirmer la volonté d'inscrire le commerce électronique dans les règles juridiques existantes, tout en ayant le souci de veiller à ce qu'aucune de ces règles n'entrave le développement du commerce électronique.

Il a estimé que le coeur du sujet, à savoir le droit applicable aux transactions électroniques, n'était pas traité par la directive. Rappelant que la convention de Rome autorisait le choix du droit applicable par disposition contractuelle, il a souligné que le droit international privé constituait simplement un mode de choix du droit. Il a noté que la Délégation pour l'Union européenne avait jugé que le renvoi au droit international privé n'assurait pas une protection suffisante des consommateurs.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a ensuite établi que la Délégation pour l'Union européenne ne souhaitait pas une exonération totale de responsabilité des intermédiaires techniques et préconisait une obligation de vigilance.

S'agissant des contrats électroniques, il a précisé que la Délégation avait regretté que la directive proposée néglige les problèmes de preuve et avait souhaité que soient maintenues certaines exigences de support papier. Il a rappelé que cette question serait débattue lors de l'examen du projet de loi relatif à la signature électronique et au droit de la preuve.

Il a enfin indiqué que la Délégation pour l'Union européenne avait demandé au Gouvernement d'adapter les règles du droit fiscal au commerce électronique.

Puis M. Charles Jolibois, rapporteur, a fait part de ses propositions de rédaction de la résolution.

Il a tout d'abord approuvé les positions de la Délégation pour l'Union européenne, en souhaitant les mettre à jour en fonction du résultat de l'accord politique du 7 décembre 1999. Il a proposé de ne pas reprendre la demande relative à la responsabilité des intermédiaires techniques, mais d'insister sur la protection des consommateurs, l'adaptation de la fiscalité et la preuve des contrats électroniques.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a relevé les insuffisances de la directive proposée en matière de protection des consommateurs. Il a regretté que la position de la France n'ait pas été suivie, qui tendait à affirmer la pleine applicabilité aux transactions électroniques de la directive du 20 mai 1997 sur la protection des consommateurs en matière de contrats à distance.

Il a ensuite noté que la directive " contrats à distance " prévoyait dans le détail des mesures favorables au consommateur et a souhaité que le droit de rétractation de sept jours soit organisé en matière de commerce électronique. Il a regretté que la directive sur le commerce électronique affirme le principe du marché intérieur sans engagement véritable en matière de protection du consommateur.

En matière de contrats électroniques, après avoir soulevé la question particulière des actes authentiques, exclus du champ d'application du projet de loi relatif au droit de la preuve et à la signature électronique, M. Charles Jolibois, rapporteur, a estimé que les écrits sur support papier exigés ad validitatem en droit français devaient être préservés.

Il a enfin souhaité une clarification du droit applicable au commerce électronique en matière contractuelle, plutôt qu'un renvoi simple au droit international privé.

Il a rappelé que les activités extra-contractuelles obéiraient aux règles du marché intérieur, c'est-à-dire la loi du pays du prestataire, que les relations contractuelles entre professionnels donneraient lieu à une liberté contractuelle, tandis que les contrats entre consommateurs et entreprises seraient soumis aux conventions de Rome et de Bruxelles sur le droit applicable et la juridiction compétente.

Il a noté que ces conventions étaient en cours de réexamen, cette question donnant lieu à de vifs débats à l'échelon communautaire.

Il a défendu l'inscription explicite de la loi applicable dans le corps de la directive, tout en soulignant l'intérêt d'établir un corpus de règles communes aux quinze Etats membres.

Puis M. Charles Jolibois, rapporteur, a présenté la proposition de résolution modifiée. Celle-ci a été adoptée avec une modification rédactionnelle proposée par M. Alex Türk.

M. Jacques Larché, président, a regretté que le Gouvernement ne tienne pas suffisamment compte des positions exprimées par le Sénat lors des négociations internationales. Puis il a de nouveau déploré l'emploi abusif de l'anglais comme langue de travail dans les institutions comme dans certaines entreprises françaises.

M. Alex Türk a noté l'importance des questions de fond soulevées par la directive proposée. Il a remarqué que le rapport mensuel établi par le centre de Strasbourg responsable du " fichier Schengen " lui parvenait toujours en anglais, malgré ses nombreuses protestations.

M. Jacques Larché, président, a constaté l'absence d'amendements extérieurs à la proposition de résolution et a rappelé que la résolution adoptée par la commission deviendrait résolution du Sénat si, dix jours après sa distribution, son inscription à l'ordre du jour du Sénat n'avait pas été demandée.

La commission a adopté la proposition de résolution dans le texte issu de ses délibérations.